ÉDITH STEIN (Aléthéïa n°9) SAINTE THÉRÈSE BÉNÉDICTE DE LA CROIX Juive, philosophe, chrétienne et religieuse, ces quatre termes résument l’itinéraire d’une vie, d’une vie toute ordinaire, marquée cependant par une recherche patiente et constante de la vérité. Cette vérité conçue comme un principe de vie, Édith découvre que c’est Quelqu’un : Le Christ Jésus, le Crucifié ressuscité. Alors elle met ses pas dans les siens et se livre à Lui sans réserve. Les étapes d’une vie bouleversée : Édith Stein naît le 12 octobre 1891, le jour du Yom Kippour (grand pardon) au sein d’une famille juive, à Breslau en Prusse, aujourd’hui Wroclaw en Pologne, dernière de onze enfants. Son père meurt, elle n’a que deux ans. Sa mère élève seule ses enfants dans une atmosphère pieuse marquée par le judaïsme. À l’âge de 15 ans, Édith s’éloigne de la foi, cesse de prier, et se déclare athée ; mais c’est plutôt le signe d’une recherche intense de la vérité. Plus tard elle dira de cette période : « Ma recherche de la vérité était mon unique prière » et écrira : « Dieu est la vérité. Qui cherche la vérité, cherche Dieu, qu’il en soit conscient ou non. » Elle passe son baccalauréat et commence des cours d’allemand et d’histoire à l’Université de Wroclaw. Mais la philosophie est son véritable intérêt et elle part à Göttigen. Elle s’intéresse également beaucoup aux questions concernant les femmes. Attirée par la phénoménologie (méthode de connaissance de l’autre à partir de la perception extérieure des phénomènes), elle s’intéresse aux travaux d’Edmund Husserl, notamment le phénomène religieux et la question de la foi en Dieu s’impose peu à peu à elle. Elle fait partie des premières femmes admises à suivre des cours à l’université en Allemagne. Des phénoménologues chrétiens retiennent son attention : Adolf Reinach et Max Scheler. En écoutant Scheler, elle dit d’elle-même : « Le monde de la foi s’ouvrait tout à coup devant moi ». Docteur en philosophie à 25 ans, elle devient l’assistante d’Edmund Husserl. Puis, c’est la première guerre mondiale. En 1915, elle servira comme aide-infirmière de la CroixRouge allemande, en Moravie. Cette expérience douloureuse de la souffrance et de la mort, puis la mort d’Adolf Reinach sur le front belge en 1917 et la rencontre de sa veuve dont elle dira : « Ce fut ma première rencontre avec la croix », vont déboucher sur sa conversion. En 1921, après la lecture fortuite chez une amie de l’autobiographie de Thérèse d’Avila, elle déclare « Voilà la vérité ». Le 1er janvier 1922, Édith reçoit le baptême et le 2 février de la même année, la confirmation. Elle n’efface pas son passé, elle devient catholique tout en gardant ses racines juives, mais doit souffrir de l’incompréhension de sa mère. A partir de là, pendant une dizaine d’années, elle enseigne à Spire d’abord, puis à Munster, en mettant en valeur une vision chrétienne de la personne humaine. Elle estimait que l’éducation était un travail apostolique. On la demande de plus en plus pour des tournées de conférences sur l’éthique sociale ou la philosophie mais surtout sur la condition féminine. Elle traduit des œuvres de Newman et Thomas d’Aquin. Elle écrit une œuvre sur les principaux concepts de Thomas d’Aquin. Toute sa vie, elle ne veut être qu’un ‘instrument de Dieu’ : « Qui vient à moi, je désire le conduire à Lui ». A l’époque de sa conversion, elle écrit une page célèbre sur l’état de repos en Dieu qui régénère profondément la personne : "Il existe un état de repos en Dieu, de totale suspension de toute activité de l’esprit, dans lequel on ne peut plus tracer de plans, ni prendre de décisions et même faire quoi que ce soit, mais dans lequel, après avoir confié tout son avenir à la volonté divine, on s’abandonne à son propre destin. Moi, j’ai éprouvé dans une certaine mesure cet état, à la suite d’une expérience qui, dépassant mes forces, consuma totalement mes énergies spirituelles et m’enleva toute possibilité d’action. Le repos en Dieu, comparé à l’arrêt de toute activité, faute d’élan vital, est quelque chose de complètement nouveau et irréductible. Avant, c’était le silence de la mort. A sa place apparaît un sens de confiance profonde, de libération de tout ce qui est préoccupation, obligation, responsabilité par rapport à l’action. Et pendant que je m’abandonne à ce sentiment, une vie nouvelle commence peu à peu à me combler et, sans aucune contrainte de ma volonté, à me pousser vers de nouvelles réalisations. Cet afflux vital semble jaillir d’une activité et d’une force qui n’est pas la mienne et qui, sans faire aucune violence à la mienne, devient active en moi. La seule prémisse nécessaire à une telle renaissance spirituelle semble être cette capacité passive d’accueil qui se trouve au fond de la structure de la personne. » Nous sommes bientôt à l’aube d’une nouvelle guerre. En 1933, les lois nazies contre les juifs l’excluent de son poste du fait de son identité juive. De retour à Wroclaw le 12 octobre, elle a la joie de voir la conversion de sa sœur Rosa qui attendra la mort de sa mère pour recevoir le baptême et elle dit adieu à sa mère qui pleure. Le lendemain matin, Édith prend le train pour Cologne. « Je ne pouvais entrer dans une joie profonde. Ce que je laissais derrière moi était trop terrible. Mais j’étais très calme – dans l’intime de la volonté de Dieu ». En la Vigile de Sainte Thérèse d’Avila, le 14 octobre 1934, elle entre au Carmel de Cologne. Elle devient sœur Thérèse Bénédicte de la Croix, le 14 avril 1934. Sur l’image de sa profession perpétuelle du 21 avril 1938, elle fait imprimer la Parole de saint Jean de la Croix auquel elle consacrera sa dernière œuvre : « Désormais ma seule tâche sera l’amour ». En novembre 1938, la haine des nazis envers les juifs éclate au grand jour. Le 31 décembre 1938, elle part pour le Carmel d’Echt au Pays-Bas. Sa sœur Rosa la rejoint en 1940. C’est dans ce lieu qu’elle écrit son testament, le 9 juin 1939 : « Dès à présent j’accepte la mort que Dieu m’a destinée, avec joie et dans une totale soumission à sa très sainte volonté. Je prie le Seigneur de bien vouloir agréer ma vie et ma mort pour sa gloire et glorification, pour toutes les intentions des très saints Cœurs de Jésus et de Marie, et celles de la sainte Église, en particulier pour la conservation, la sanctification et la perfection de notre saint Ordre, notamment des carmels de Cologne et d’Echt ; en expiation pour le refus de foi du peuple juif, afin que le Seigneur soit reçu par les siens, et que son règne vienne dans la gloire ; pour le salut de l’Allemagne et pour la paix dans le monde, enfin pour mes proches, vivants et morts, et pour tous ceux que Dieu m’a confiés : pour qu’aucun ne se perdent. » La même année, elle compose une prière au divin Cœur de Jésus : « Cœur divin de mon Sauveur ! Je te promets solennellement de saisir toutes les occasions pour te procurer de la joie. Et chaque fois que je serai confrontée à un choix, je prendrai ce qui te réjouira le plus. J’en fais solennellement la promesse pour te prouver mon amour et pour parvenir à la perfection de mon ministère, c’est-à-dire pour devenir une véritable carmélite, ton épouse en vérité. Je te prie de me donner la force d’observer fidèlement mes vœux. Que ma Mère et mon Ange gardien veuillent m’y aider ! » Elle écrira également : « La nature même de l’amour est don de soi : Dieu, qui est amour, se donne par amour aux hommes qu’il a créés. » Le cœur de la Carmélite est tout tourné vers l’assurance de la résurrection : « Dans la passion et la mort du Christ, nos péchés sont consumés. Lorsque nous accueillons cette vérité dans la foi, et lorsque nous accueillons le Christ en plénitude dans une totale adhésion de notre foi, c’est-à-dire que nous choisissons de cheminer à la suite du Christ, Il nous conduit ‘par sa passion et par sa croix jusqu'à la gloire de la résurrection’. C’est exactement ce que nous expérimentons dans la contemplation : nous traversons le feu de l’expiation pour parvenir à la bienheureuse union d’amour. La contemplation est mort et résurrection. Après la nuit obscure resplendit la vive flamme d’amour. » L’épreuve fait entrer sœur Bénédicte dans la voie des purifications de l’âme les plus intimes : « Être pur de tout péché et pourtant en sentir la douleur, n’est-ce pas la véritable union avec l’Agneau sans tâche, qui a pris sur Lui le péché du monde ? N’est-ce pas Gethsémani et le Golgotha ? » En 1941, elle écrit à une amie religieuse : « La science de la Croix peut être apprise seulement si l’on ressent tout le poids de la Croix. De cela j’étais convaincue depuis le premier instant et c’est de tout cœur que j’ai dit : Je te salue Croix, notre unique espérance. » Son essai écrit à Echt sur ‘saint Jean le Docteur mystique de la Croix’ à l’occasion du quatre centième anniversaire de sa naissance (15421942), porte le titre ‘La science de la Croix’. Son livre qui restera inachevé, sera un message d’espérance là où il n’est apparemment plus aucune place pour l’espoir humain : « Le Christ est force de Dieu et sagesse de Dieu, non seulement comme envoyé de Dieu, Fils de Dieu et Dieu Lui-même, mais comme Crucifié : car la mort de la croix est le moyen de salut qu’a inventé l’insondable sagesse de Dieu. » Puis c’est l’invasion nazie aux Pays-Bas. Le 2 août 1942, elle est arrêtée avec sa sœur Rosa qui avait été baptisée dans l’Église catholique et qui travaillait chez les Carmélites de Echt. Les dernières paroles de Sœur Bénédicte de la Croix à Echt adressées à sa sœur sont : « Viens nous partons pour notre peuple ». Elles sont conduites au camp de Westerbork, puis déportées comme catholiques juives à Auschwitz le 7 août. Dans le camp se trouvent un prêtre et sa mère. Celle-ci attestera plus tard : « La grande différence entre Édith Stein et les autres sœurs était dans son silence. Mon impression personnelle est qu’elle était extrêmement affligée, mais non angoissée. Je ne peux pas mieux l’exprimer : elle donnait l’impression d’avoir à porter une telle masse de souffrances que, même quand il lui arrivait de sourire, c’était encore plus attristant. Elle ne parlait presque jamais, regardant seulement sa sœur Rosa, souvent, avec une indicible tristesse. [ ] Elle pensait à la souffrance qu’elle prévoyait, non à sa propre souffrance, car elle était trop en paix pour cela, mais à la souffrance qui attendait les autres. Tout son extérieur éveillait en moi une pensée, et je me la représente encore en esprit, assise dans la baraque : une Pietà sans Christ. » Sœur Thérèse Bénédicte et sa sœur meurent dans les chambres à gaz, le 9 août 1942 victimes de la Shoah et témoins du Christ. Édith Stein est béatifiée le 1er mai 1987 à Cologne. L’Église honorait comme l’a dit le Pape Jean-Paul II « une fille d’Israël qui pendant les persécutions des nazis est demeurée unie avec foi et amour au Seigneur Crucifié, Jésus-Christ, telle une catholique et à son peuple telle une juive ». Le 11 octobre 1998, elle est canonisée par Jean-Paul II et un an plus tard proclamée co-patronne de l’Europe, aux côtés de Saint Benoît. Elle reste un modèle de communion et d’unité entre les différences : entre des peuples, entre les hommes et les femmes, entre les personnes, entre les religions. Si l’on voulait résumer le Message d’Édith Stein : -Recherche de la vérité mais d’une vérité unie à l’amour. -La sainteté progresse en même temps que notre connaissance de Dieu, elle n’est pas au bout de nos efforts. -La sainteté conduit à une profonde solidarité les uns avec les autres. Il n’est pas possible de devenir des saints tout seuls, chacun pour soi. Dans l’Oeuvre « Marie Mère et Reine de l’Unité », : On invoque Sainte Bénédicte de la Croix (parmi les saints Patrons) pour le dialogue avec le peuple juif et pour la vocation féminine. En effet, dans les œuvres d’Édith Stein, le thème de la femme prend une grande place en relation avec l’Être éternel. Édith Stein parle de la différence des sexes : L’homme et la femme sont appelés à garder leur propre ressemblance avec Dieu, à dominer ensemble la terre, à propager le genre humain. Mais chacun doit le faire à sa propre manière ! C’est-à-dire que chacun doit respecter et développer les caractéristiques propres au fait d’être homme et femme, tout en restant dans le cadre d’une vocation fondamentale commune. Le rapport homme-femme, pris par Paul comme symbole pour indiquer l’union du Christ avec son Église, est éclairé par cette même réalité dont il est le signe. Édith aborde aussi le problème du sacerdoce ministériel de l’Église : la proposition du sacerdoce féminin a-t-elle de la valeur ? Édith n’a aucune difficulté à le reconnaître indiqué à l’homme, en considération du fait que Dieu s’est incarné sur la terre dans la personne de Jésus de Nazareth, homme de Dieu. Pour Édith Stein, être homme ou femme comporte un appel identique à suivre le Christ qui « personnifie l’idéal de la perfection humaine, libre de tout défaut, riche des traits soit masculins soit féminins ». La femme sent la nécessité d’édifier la réalité ecclésiale avec une contribution active, spécifiquement féminine. La vocation de la femme est à la fois naturelle et religieuse. La vocation naturelle de la femme est clairement manifestée dans son même corps. En effet on ne peut pas nier « la réalité très évidente que le corps et l’âme de la femme sont structurés pour un but spécial » et la parole claire de l’Écriture exprime ce que, dès le début du monde, l’expérience quotidienne nous enseigne : la femme est confirmée pour être partenaire de l’homme et mère. Son corps est notamment doué pour ce but et à ce but aussi correspondent les caractéristiques particulières de son âme. « La manière de penser de la femme, ses intérêts, sont orientés vers ce qui est vivant, personnel, vers l’objet considéré comme un tout. Protéger, garder, défendre, nourrir, faire grandir : voilà les besoins profonds d’une femme parfaitement adulte. Ce sont des besoins maternels ! Ce qui n’a pas de vie, la chose, l’intéresse seulement en tant que nécessaire à la personne, pas en elle-même ». Cette attitude pratique de la femme amène à constater quelque chose de semblable sur le plan théorique : « La manière naturelle de connaître de la femme n’est pas aussi conceptuelle mais plutôt contemplative et expérimentale, orientée vers le concret ». S’il existe une vocation naturelle de la femme, humaine et religieuse à la fois, il existe aussi, selon Édith Stein, une multiplicité de voies ouvertes, au delà de la famille, à l’explication des qualités naturelles de la femme. « Seulement celui qui était ‘aveugle’ devant la réalité a pu nier que la femme soit à même d’exercer d’autres professions à part celle d’épouse et de mère ! Aucune femme n’est seulement femme : chacune a ses propres dispositions et ses propres talents naturels, comme les hommes. Et ces talents la rendent apte aux différentes professions de caractère artistique, scientifique et technique. En principe, la disposition individuelle peut orienter vers n’importe quel domaine, même vers ceux qui sont, en soi, loin des caractéristiques féminines ; […] Mais si l’on veut parler de ces ‘domaines’, au sens propre du terme, il faut qu’il s’agisse des professions dont les tâches objectives soient conformes aux caractéristiques spécifiques de la féminité » Poésie d’Édith Stein : (27 février 1938) Acte d’offrande Ô bienheureuse Vierge Marie du Mont Carmel ma Reine et ma Mère ! En tes mains je dépose mes vœux. Et je me remets entièrement à toi pour être ton esclave. Donne-moi ton Fils bien-aimé et prie-Le d’agréer le sacrifice de ma vie et de l’unir à son sacrifice sur la Croix pour la glorification du Père et pour le salut des âmes. Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit Amen.