SUD Culture Solidaires
Section de la Bibliothèque Nationale de France
Local syndical (Tolbiac, T4, A2), poste : 49.24
Notre éthique n’est pas celle des marchands
A l’occasion du Comité Technique Paritaire du mercredi 21 octobre 2009, la direction de la
BNF a présenté une «Charte éthique de la Bibliothèque nationale de France, pour ses relations
avec ses mécènes, parrains et donateurs».
Il convient de se demander pourquoi ce texte apparaît maintenant. Car il n’est ni le fruit du
hasard, ni le résultat de quelques cas problématiques ou de la nécessité de préciser certains
points. Il est, en fait, en lien avec la contre-réforme qu’est en train de subir le service public, à
travers la Révision Générale des Politiques Publiques.
Celle-ci prévoît de réduire le financement donné par l’Etat aux établissements publics comme
la BNF et de les obliger, afin de continuer à fonctionner correctement, à rechercher de l’argent
auprès d’entreprises privées. Elles pourront réaliser des opérations de promotion, de
« publicité » ou bien de prestige et se parer ainsi d’une image de marque, leur permettant de
vendre plus et donc de faire plus de profits. De plus, les différents établissements publics se
retrouvent mis en concurrence pour attirer les fonds privés dont ils ont besoin pour
fonctionner et chacun doit se montrer plus efficace que les autres pour attirer les mécènes.
Cette logique, éloignée du principe de coopération entre les établissements qui est à la base de
la notion de service public, découle de la politique capitaliste libérale que mène l’actuel
gouvernement.
Par cette charte et ses efforts beaucoup plus importants depuis peu pour gagner des mécénats
et des parrainages, la direction de la BNF s’inscrit parfaitement dans ce processus.
C’est d’ailleurs ce que l’on peut voir à travers les dispositions les plus problématiques de ce
document, qui se trouvent dans la partie C, «règles déontologiques». Ainsi, dans le point 3, on
apprend que la BNF «veille à ne pas s’associer avec une entreprise, une fondation ou un
particulier susceptible de nuire à son image», mais rien n’explique en quoi consiste cette
nuisance. Pour la direction de la BNF, cela n’inclut sûrement pas les entreprises qui font leurs
bénéfices en spéculant sur les difficultés des gens, en exposant leurs salariés à des maladies
professionnelles, en polluant l’environnement ou en licenciant des travailleurs. Est-ce que
Total, qui pollue les côtes bretonnes et soutien la dictature birmane pourrait être mécène de la
BNF ? Est-ce que Continental, qui ferme son usine à Compiègne pourrait être parrain ?
Ces questions ne sont pas si théoriques que cela, puisque Orange est l’un des partenaires
retenus par la BNF dans le cadre de la réforme du Haut-de-Jardin à Tolbiac. Or, Orange, c’est
France Telecom. Et France Telecom, ce sont 25 suicides à cause des restructurations et de la
mobilité forcée due à la transformation d’un service public en entreprise privée, que ne cesse
de dénoncer nos camarades de SUD-PTT. Nous nous souvenons aussi du mécénat de Natexis,
qui est l’un des responsables de la crise bancaire, provoquant la crise économique qui touche
de nombreux salariés. Comme si ces entreprises ne nuisaient pas à l’image de service public
de la BNF.
Quant au passage sur le fait de «n’autoriser aucune activité qui mettrait en péril la sécurité
[…] des personnels et des usagers de la BNF», quelles sont les garanties ? Nous n’avons pas
oublié cette fameuse avant première du troisième film inspiré du roman le Seigneur des
Anneaux, lors de laquelle les agents du vestiaire avaient travailler dans le noir avec des
lampes, car le courant avait été coupé pour préparer la soirée de mécénat. Lors de cette soirée,
les salles de lecture avaient été évacuées avant l’heure normale de fermeture pour faire place
aux invités triés sur le volet, démontrant clairement que les intérêts privés d’une poignée de
privilégiés passent avant le droit d’accéder à la Culture du plus grand nombre.
Ceci jette un doute sur le point 5 «accès et utilisation des espaces de la BNF», puisqu’il est
prévu contradictoirement aux bonnes intentions du premier paragraphe un accès
«momentanément perturbé» pour les lecteurs.
D’ailleurs, cette préséance des intérêts privés sur les intérêts publics se voit bien dans le point
4.3 «Communication» l’on apprend que la BNF peut attribuer temporairement le nom d’un
mécène à un espace qui n’en a pas sauf dans les espaces où sont exposées les oeuvres
données, le nom est permanent. Si nous ne sommes pas contre cette mesure dans le cas
de dons faits par un artiste, un auteur, nous y sommes par contre totalement opposés pour les
entreprises privées dont l’affichage équivaut à de la publicité et pourrait être pris comme tel
par la majorité des lecteurs. Cela va à l’encontre des notions de neutralité et de non-
marchandisation du service public que la BNF devrait défendre. A quand un espace Dassault
célèbre marchand d’armes, un espace Areva oeuvrant dans la pollution nucléaire, un espace
CAC 40 à la gloire de la spéculation boursière ?
Enfin, pour montrer les difficultés que provoquent cette recherche grandissante de fonds
privés et cette intrusion du mercantilisme, il suffit de pointer la contradiction entre le point 8
«conflits d’intérêts», qui prévoît explicitement l’hypothèse d’un mécénat par un fournisseur
de la BNF et le point 1, qui au paragraphe C indique que la BNF «s’interdit de conclure un
mécénat ou un parrainage avec une entreprise, de nature à fausser une procédure d’appels
d’offres en cours ou à venir», car rien ne dit que par ce mécénat, ce fournisseur ne cherche
pas à se placer pour le renouvellement de son contrat.
Par conséquent, au vu du contenu de certaines dispositions de cette charte qui visent
explicitement à élargir l’intrusion des entreprises privées au sein de notre service public, nous
ne pouvons pas accepter celle-ci en l’état, car son éthique ne peut convenir au personnel, aux
lecteurs et usagers de la BnF. C’est pour cela que nous nous y sommes opposés lors de sa
présentation au CTP du 21 octobre 2009 et que nous avons obtenu, avec la participation
d’autres organisations syndicales, qu’elle ne soit pas validée à cette occasion. Mais elle doit
être représentée lors du prochain CTP qui aura lieu au mois de janvier, ce qui nécessite de
poursuivre l’action pour une charte éthique digne de ce nom.
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