La Passion du rural | Tome 2 | chapitre VIII
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Chapitre VIII
La Politique nationale de la ruralité :
l’aboutissement d’un long parcours
L’adoption d’une politique gouvernementale relative à une question ou à un domaine
spécifique qui concerne la vie d’une société, est toujours un événement important. Ce
geste vient affirmer la position de l’État et exprimer ses intentions à l’égard de cette
réalité, tout en définissant un ensemble de moyens et de ressources pour que les objectifs
visés soient atteints.
L’adoption d’une politique québécoise de la ruralité était un but légitime pour tous ceux
et celles qui souhaitaient la reconnaissance et l’appui gouvernemental à une ruralité en
processus de renouvellement dans toutes les régions du Québec. Ce vœu fut clairement
énoncé et vigoureusement exprimé lors des États généraux du monde rural en 1991. Cet
événement majeur fut prolongé à travers un travail constant de terrain auprès des
populations tant urbaines que rurales et de représentations documentées auprès du
gouvernement, tout au long des dix années qui suivirent.
Solidarité rurale du Québec, e quelques mois après les États généraux, fut le porte-
étendard des revendications pour une reconnaissance officielle des milieux ruraux
comme partenaires à part entière de la société québécoise, et pour le droit à la différence
et à la juste part des aides de l’État, ce qu’une politique nationale de la ruralité était de
nature à offrir. Pour atteindre ce but, beaucoup de travail était à faire, et plusieurs
étapes devaient être franchies.
Il fallait poursuivre les études pour améliorer la connaissance sur l’état des lieux de la
ruralité québécoise, dans sa globalité et sa diversité ; il fallait construire les
argumentaires pour convaincre le milieu politique du bien-fondé d’une politique de la
ruralité, démontrer notamment comment une telle politique pouvait contribuer à
améliorer le sort des communautés rurales et les rapports ville-campagne ; il fallait
connaître et apprécier les politiques et mesures rurales d’autres pays pour disposer
d’enseignements et de repères ; il fallait concevoir une vision, définir des orientations,
cibler des axes prioritaires d’intervention et préciser les moyens d’action. Ce contexte
était particulièrement stimulant et les collaborations avec Solidarité rurale du Québec et
le ministère des Régions, responsable du dossier de la ruralité, s’intensifièrent
1
.
Ce chapitre présente quelques textes et extraits de textes produits dans le contexte de ces
collaborations.
1
Je tiens à souligner la fructueuse collaboration, voire la complicité, que je nouai avec Gaston Plante,
coordonnateur gouvernemental des travaux préalables à l’élaboration du projet de Politique nationale de la
ruralité au ministère des Régions.
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Politiques canadiennes et étrangères en matière de développement
rural
En tant qu’organisme conseil auprès du gouvernement en matière de ruralité, la
coalition Solidarité Rurale du Québec (SRQ) était sollicitée par le ministère des Régions,
responsable du dossier du projet de politique de la ruralité, pour fournir des études et
des avis documentés. C’est dans ce contexte que SRQ me confia la réalisation d’une série
d’études sur les politiques de développement rural au Canada et à l’étranger. Ces études,
couvrant les expériences des politiques rurales du Canada et de quatre provinces cana-
diennes, de l’OCDE et de l’Union européenne, et de celles spécifiques des États-Unis, de
la France, de la Belgique, de l’Angleterre et de la Suède, furent accomplies entre les
mois de mars et octobre 1998
2
. Sont présentés ici, des extraits de deux de ces études :
celles portant sur les politiques de développement rural de l’OCDE et de l’Angleterre.
46. L’OCDE et le développement rural
3
(…)
Formuler une politique de développement rural
Au milieu des années 1980, les pays membres de l'OCDE partagent une préoccupation
commune : les changements structurels de l'économie rurale qui s'expriment principale-
ment par :
le recul de l'agriculture qui constituait l'ossature traditionnelle du milieu rural ;
la diversification des activités économiques par la création et le renforcement
d'un tissu de services et de petites entreprises manufacturières ;
la faible croissance des emplois et un taux de chômage très élevé ;
la diminution de la croissance de la population rurale et un risque de désertifi-
cation de plusieurs régions ;
les retards chroniques dans le développement des ressources humaines ;
l'inadaptation des structures de production à la demande des marchés.
2
Les trois premières études portaient les titres suivants :
1. Politiques, programmes et agences du gouvernement canadien ayant des incidences sur le
développement rural.
2. Interventions des gouvernements provinciaux et des partenaires locaux de quatre provinces
canadiennes en développement rural : Manitoba, Ontario, Nouveau-Brunswick, Île-du-Prince-Édouard.
3. Politiques de développement rural aux États-Unis, en Belgique, en Suède et en Angleterre
Elles ont été réalisées sous ma direction avec la collaboration de Juan-Luis Klein, Dominique Émond,
Sylvain Lefebvre et Francine Coallier, et regroupées dans un document ayant pour titre : Politiques de
développement rural au Canada et à l’étranger. Solidarité rurale du Québec, septembre 1998, 212 p.
La quatrième étude réalisée par Bernard VACHON et Francine COALLIER avait pour titre : Motifs,
orientations et éléments de stratégies préconisés par l’Union européenne et l’OCDE en matière de
développement rural. Octobre 1998, 58 p.
3
Idem note précédente, quatrième étude, pp. 1-25.
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Ces changements demandent des ajustements et « les pays membres éprouvent des diffi-
cultés à adapter leurs structures administratives et systèmes institutionnels. » (OCDE,
1988 p. 12)
Même si les pays membres considèrent de plus en plus l'économie rurale comme une
économie à part entière, les bouleversements qui l'affectent les obligent à repenser les
approches de développement et à revoir le cadre institutionnel dans lequel les politiques
rurales ont été jusqu'alors élaborées.
« ... les problèmes de prise de décision dans le domaine rural mettent au défi les
capacités de l'État et de ses institutions publiques à s'adapter au changement
économique et social et à redéfinir leurs propres rôles dans le processus politi-
que. » (OCDE, 1988 p. 12)
Cette nouvelle alité pousse le Comité Technique de l'OCDE à concentrer ses travaux
sur les questions de gestion publique rurale et, un an plus tard, sur le processus de
formulation d'une politique rurale. Seize pays vont participer à cette activité et le rapport
Formulation de la politique rurale. Nouvelles tendances
4
est préparé sous la
responsabilité conjointe du Comité Technique et du Comité de l'Agriculture.
Le processus de formulation de la politique rurale : premières
conclusions
À la fin des années 1980, la plupart des pays membres estiment qu'il est devenu
primordial de déployer des efforts pour définir de nouvelles politiques afin de faciliter
l'ajustement aux changements structurels des zones rurales, mais tous sont unanimes à
reconnaître qu'il est difficile de formuler des politiques correspondant à l'interdépendance
croissante entre les divers secteurs de l'économie rurale.
Pour des raisons historiques, la politique rurale de la plupart des pays reste dominée
(notamment sur le plan budgétaire) par des préoccupations rattachées à l'agriculture.
Cette situation ne prend pas en considération l'évolution de la structure économique
rurale et fait en sorte que les politiques rurales mises de l'avant ne peuvent venir à bout
des problèmes des milieux ruraux.
« Les politiques d'ajustement structurel doivent de plus en pluspasser les
cadres sectoriels dans lesquels elles étaient traditionnellement formulées. Les
plus grandes questions qui relèvent de la politique rurale, telles que l'emploi, la
stabilité des revenus, la production et la commercialisation agricoles, la
planification des ressources naturelles, l'habitat, l'éducation, l'aménagement du
territoire, les problèmes d'environnement, la déficience de l'infrastructure publi-
que, et la pénurie des services ainsi que la gouvernance locale, affectent et sont
affectés les uns par rapport aux autres. Une formulation plus efficace de la
4
OCDE ; Formulation de la politique rurale. Nouvelles tendances, Paris, 1988, 177 p.
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politique rurale doit reconnaître ces interdépendances et développer des
politiques globales et des stratégies qui répondent à de telles questions d'une
façon intégrée. » (OCDE, 1988 p. 39)
Dans certains pays, des expériences originales ont déjà été menées dans une perspective
plus globale, multisectorielle et horizontale. Elles permettent de gager certaines
tendances :
les politiques rurales doivent s'inscrire dans une approche intégrée et territoriale :
de nombreuses stratégies ont depuis longtemps été utilisées mais de façon trop
dispersée et trop cloisonnée pour être efficaces d'une part, et d'autre part, sans
évaluer les effets pervers d'une intervention ayant par ailleurs des bénéfices dans
un autre secteur ;
la formulation de la politique rurale doit élargir la catégorie d'acteurs appelés à
participer au processus : la prise en compte des seules organisations agricoles et
forestières n'est pas suffisante pour formuler une politique équilibrée, d'autres
groupes concernés par le développement rural sont en mesure d'aider à établir de
meilleures stratégies ne s'adressant pas essentiellement à la communauté agricole
mais à la population rurale dont elle fait partie ;
la répartition des tâches entre les ministères et les services gouvernementaux doit
refléter la réalité économique et sociale rurale d'aujourd'hui plutôt que « les
intérêts ruraux d'hier » : souvent, le développement rural est lié au ministère de
l'Agriculture alors qu'il serait souhaitable de voir des combinaisons institution-
nelles qui correspondent mieux à l'articulation entre l'ensemble des ressources
territoriales disponibles et les divers moyens de les utiliser ;
les secteurs public et privé doivent s'engager dans un processus de coopération :
le développement rural ne résulte pas uniquement d'une politique gouvernemen-
tale élaborée à l'échelon central mais aussi à partir d'initiatives locales et privées.
Le bilan du rapport souligne quelques directions à suivre par les gouvernements :
« Premièrement, un cadre est nécessaire pour une politique rurale multisectorielle
afin de permettre l'expansion d'activités entrepreneuriales rurales dans tous les sec-
teurs de l'économie rurale, la réduction des déséquilibres structurels dans l'économie
rurale, l'élaboration de réformes des politiques (...) à partir d'une base rassemblant un
plus large éventail de participants et prenant en considération l'environnement, les
ressources et d'autres facteurs similaires et également l'élaboration de statistiques
globales.
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Deuxièmement, une harmonisation des politiques est nécessaire à travers les dif-
férents secteurs entre les objectifs macro-économiques et les nécessités micro-
économiques, afin de faciliter les ajustements structurels.
Troisièmement, les relations intergouvernementales entre niveaux de prise de
décision et entre les différentes parties de l'administration chargées de politiques
sectorielles devraient être adaptées pour répondre aux changements de l'économie
rurale. » (OCDE, 1988, p. 40-41)
Le Programme de développement rural et la création du Groupe Conseil
sur le développement rural
L'OCDE crée le Programme de Développement rural en 1991 (année de la tenue des États
généraux du monde rural au Québec) en vue d'étudier les possibilités et les options
s'offrant au développement rural (l'organisme a continué à se pencher sur certaines
questions relatives au développement rural en menant notamment des travaux sur la
problématique des services en milieu rural dont les résultats ont été publiés dans le
rapport Nouvelle gestion des services dans les zones rurales en 1991, sous la direction du
Comité de la Gestion publique de l'OCDE).
Le travail de l'OCDE sur le développement rural est dorénavant orienté par le Groupe du
Conseil sur le développement rural composé de représentants de tous les pays membres.
La première tâche du groupe a été de préparer un rapport qui constitue :
« la première tentative de décrire de manière plus générale la situation des zones
rurales dans les pays membres et de proposer un cadre d'analyse au niveau
international des politiques rurales (...) en tant que rapport intérimaire sur les
problèmes économiques et environnementaux des zones rurales, ainsi que leurs
conséquences pour la société dans son ensemble. »
5
Politique de développement rural : motifs et orientations
Depuis 1990, le Conseil de l'OCDE reconnaît formellement que « le développement rural
constitue en soi une priorité structurelle » (1993a, p. 8). Les motifs qui président à cette
prise de position réitérée sont de différents ordres :
le retard économique de nombreuses régions rurales est inquiétant en regard du
développement économique général et de la cohésion politique et sociale ;
le patrimoine écologique, social, récréatif et culturel des régions rurales est d'une
grande importance pour l'ensemble de la société et fait partie des biens d'intérêt
collectif.
5
OCDE ; Politiques territorialisées de développement rural. Études de cas. (Série d’études) Paris, 1993.
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