IMPLANTS : « Les orages ,la brume ,la neige , quelquefois ça t’embêtera .Pense alors à tous ceux qui ont connu ça avant toi, et dis toi simplement : ce que d’autres ont fait on peut toujours le réussir . » Guillaumet , « Terre des hommes » Saint Exupery Ma vie sentimentale , agitée , s’est finalement stabilisée assez tard lorsque nos destinées Marie et moi se sont croisées . Il en fut à peu près de même pour ma carrière professionnelle qui ne s’est vraiment épanouie qu’avec l’arrivée de ce qui fut , pour ma spécialité, l’ophtalmologie , l’une des découverte du siècle : la technique chirurgicale de l’opération de la cataracte par implantation de cristallins artificiels . Ayant été l’un des tout premiers en France à me jeter corps et âme dans cette chirurgie , ma destinée professionnelle et ma vie en ont été bouleversés . Bien sûr , pour comprendre l’importance de cette révolution qui a apporté tant de progrès et de confort à une multitude d’handicapés de la vue , il faut savoir ce qu’est une cataracte , et sur le plan anatomique l’importance de cette lentille de l’oeil qu’est le cristallin . Expliquons nous très sommairement : un œil fonctionne comme un appareil photo (ou plus exactement c’est l’inverse , la caméra est conçue sur le modèle de l’œil ) . Le cristallin lentille naturelle de l’œil , parfaitement transparent , d’où son nom , tient le rôle de l’objectif dans un appareil photo afin de projeter les images de l’objet regardé sur la rétine , qui comme la plaque photo enregistre cette image pour la transmettre au cerveau . La cataracte est une détérioration progressive de la transparence du cristallin donc de la lentille , due à l’âge , tout comme nos phanères , par exemple les cheveux qui blanchissent . le cristallin pour sa part devient ambré au point d’atteindre la consistance d’un caramel : dans ce cas c’est la cécité par cataracte ( le terme de cataracte vient de ce que l'on croyait au moyen âge , déjà , que l'opacité du cristallin descendait sur l'œil telle une cataracte liquidienne opaque et l'on pratiquait alors l'opération de cette "maladie" par " l'abaissement de la cataracte "en le poussant dans le vitré avec un stylet perforant l'œil du patient , sans anesthésie ni asepsie , bien sûr , ce qui se terminait par une cécité dans 90 % des cas ) . Au 20eme siècle , jusque dans les années 1970 , l’opération de la cataracte consistait en l’ablation pure et simple du cristallin après ouverture du globe . Ensuite l’absence de cette lentille indispensable était remplacée par une lunette de forte puissance placée en avant de l’oeil si forte qu’elle déformait considérablement l’aspect des objets observés . Utiliser cette lunette demandait au malade un énorme effort d'adaptation pour des résultats visuels modestes : en somme on remplaçait une infirmité par une autre infirmité moins invalidante que la première , mais assez catastrophique tout de même . Le trait de génie est venu des circonstances de la guerre et d’un ophtalmologiste Anglais pendant la bataille d’Angleterre : il avait constaté que les pilotes de Spitfire abattus et blessés par des éclats de pare-brise , par plaies pénétrantes du globe oculaire , cicatrisaient bien et surtout qu’il n’y avait pas de rejet de ce corps étranger,donc parfaitement toléré par l’œil . Or ces pare-brise étaient faits , non de verre , mais d’une matière plastique , le poli-metyl-métacrylate ( PMMA). Il lui vint donc l’idée de fabriquer un cristallin artificiel en PMMA et de le greffer dans un œil opéré de cataracte . Ce fut un échec car la stabilité de la lentille intra oculaire n’était pas assurée . La méthode fut abandonnée et resta en sommeil pendant vingt ans . Toutefois les chirurgiens ne s’avouèrent pas totalement vaincus . Vingt ans après des japonais , puis des américains , des hollandais imaginèrent des solutions pour fixer cet implant à l'iris de façon stable. Après bien des échecs et des malfaçons , cette technique d’implantation de cristallins artificiels revint en force de part le monde : la France fut un des derniers pays à l’admettre en raison de l'opposition farouche de "patrons" âgés qui avaient du mal à se recycler dans une technique chirurgicale révolutionnaire exigeant une grande sûreté de main et , il faut bien le dire , pas toujours fiable dans ses débuts . C’est un peu aussi par hasard que je découvris moi-même cette nouveauté en Mars 1977 pourtant unanimement décriée et condamnée par la Faculté . En effet j’avais comme client Monsieur G.,le maire de Marmande , un homme dans la soixantaine affecté d’une très forte myopie , et pour lequel j’avais diagnostiqué , en outre une cataracte unilatérale . Je lui proposais donc l’intervention de cette cataracte , ce qui était assez simple dans son cas , puisque son énorme myopie devait compenser l’absence de cristallin , corrigeant en même temps sa cataracte et sa myopie pour cet œil et lui permettant de retrouver une vision acceptable de son œil opéré sans lunette . C’est en effet ce qui se produisît après son opération , mais la vision de l’œil non opéré devenait incompatible car toujours très myope et il ne pouvait donc utiliser les deux yeux ensembles . Afin de rétablir sa vision binoculaire je lui proposais de lui adapter une lentille cornéenne sur l’œil sain , solution toute nouvelle venue d’Amérique et qui commençait à faire son chemin en France . Afin de maîtrisez l’adaptation des lentilles cornéennes je m’inscrivis à un congrès sur le sujet , qui se tenait à Perpignan . Le dernier jour du congrès fut consacré à la présentation d’une nouveauté naissante sur le nouveau et l’ancien continent : « les implants intra-oculaires dans la chirurgie de la cataracte » . Un registre était mis à la disposition des congressistes pour s’inscrire à un cours privé en Hollande chez le Docteur Worst , pionnier en implantation de cristallins artificiels . J’inscrivit mon nom , et reçus trois mois plus tard une invitation à me rendre à Groningen pour assister à ce cours . Je m’y rendis en Février 1978 , et enthousiasmé par la méthode , je posais mon premier implant ( spécialement commandé chez le Dr Worst ) le 13 avril de la même année , chez une sympathique grand mère de 85 ans , non sans lui avoir expliqué tous les risques qu’elle encourait , en me faisant confiance pour la première opération de ce type que j’entreprenais : elle accepta avec enthousiasme . Ce fut quasiment un miracle . Encouragé , je choisis soigneusement la personnalité et le cas des clients auxquels je le proposais par la suite , mais là commença un long et décourageant parcours . Je me heurtais non seulement à beaucoup de lacunes dans cette méthode trop nouvelle , mais aussi à l’hostilité quasi unanime de la Faculté et des confrères environnants , restés en retrait par manque d’ambition , de volonté ou bien englués le cul dans la graisse et la routine , beaucoup n’ayant même pas fait l’effort de s’adapter à la micro-chirurgie qui nécessitait de réapprendre tous nos gestes décuplés par le microscope . Au fil des mois et même des années qui suivirent j’eus beaucoup de durs moments de découragement et de nuits blanches faisant face seul aux responsabilités et aux complications dues aux inconnues d’une méthode en pleine évolution et en outre à l’hostilité des professeurs de facultés . Mes confrères ne m’épargnaient pas. La sécurité sociale de son côté continuait à ignorer la méthode : matériellement la cotation et les honoraires restaient inchangés , donc rémunérés comme une simple ablation de cataracte . J’entamais un cycle infernal de congrès , de séminaires , de conférences , de voyages de part le monde (Angleterre, USA, Japon….). Après avoir été maintes fois au bord du découragement , décidé à renoncer , je repartais toujours à l’assaut de mon challenge car heureusement à mes côtés ma femme m’encourageait de son mieux lorsque j’étais prêt à abandonner . Mes clients ne cessèrent jamais non plus de m’accorder leur confiance aux vues des résultats obtenus. Peu à peu ma notoriété , dépassant les limites du département , commençait malgré tout à s’étendre dans tout le sud Ouest . Au fil des ans la fiabilité de cette chirurgie progressait. Timidement d’autres à Bordeaux , à Toulouse à Paris y vinrent aussi . On fit appel à mon expérience d’un peu partout en France , étant l’un des pionniers dans ce pays . L’aventure changeait de camps , et après m’avoir apporté beaucoup de soucis et d’anxiété, finissait par me donner raison : il fallut tout de même 10 ans pour que la Sécurité Sociale l’inscrive à sa nomenclature et aujourd’hui , opérer une cataracte sans implanter un cristallin artificiel serait considéré comme une faute professionnelle pouvant donner lieu à poursuite judiciaire . « La vie n’est pas un long fleuve tranquille »