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DIGITAL, au chevet de l'imprimé Marketing Magazine N°142 - 01/09/2010 - Damien Grosset
Une culture de la gratuité, de jeunes lecteurs issus de la génération «digital native», des journaux trop chers... Le
papier», et notamment la presse écrite, traversent une crise profonde. Dans ce contexte, l'ère du numérique ouvre
de nouveaux horizons. Si les habitudes de lecture ont changé, les éditeurs s'adaptent et affichent leurs ambitions
sur la Toile. Avec l'appui de l'iPhone et de l'iPad qui renouvellent l'offre.
«La presse n'est pas morte mais son modèle change. Elle entre dans une époque où le support électronique sera la règ le pour tous, et
le support papier, l'exception. » En concluant sur cette déclaration, lors des Etats généraux de la presse au mois de janvier 2009,
Bernard Spitz se veut alarmant. Car le grand ordonnateur de cette consultation voit juste: l'information écrite se situe dans l'épicentre du
tremblement de la presse. Certes, cette tendance n'est pas nouvelle. Entre la baisse de la diffusion payée, l'écroulement du chiffre
d'affaires publicitaire notamment, jamais l'information écrite n'aura connu une telle débâcle. Exemple: le journal Libération, qui passe de
près de 137 000 ventes quotidiennes en 2005 en France à moins de 112 000 ventes en 2009 (source: OJD). Pire, le journal Le Monde,
anciennement premier quotidien national, racheté en juin 2010 pour s'acquitter d'une dette phénoménale de 125 millions d'euros, connaît
une baisse de près de 33 000 lecteurs de 2005 à 2009, chutant de 321 000 ventes à 288 000 (source: OJD). Un phénomène qui, selon
Bernard Poulet, rédacteur en chef du magazine L'Expansion et auteur de La Fin des journaux et l'avenir de l'information (Gallimard) , n'a
rien de conjoncturel: « Il s'agit de données irréversibles, on ne pourra jamais revenir en arrière. » Et de surenchérir: « Le phénomène
continue d 'ailleurs de se renforcer avec la pénétration du digital dans la consommation de l'information. » Au point que les éditeurs de
presse recourent de plus en plus au Web face aux difficultés de distribution des journaux.
Dernier exemple en date: le mouvement de grèves des ouvriers du livre, en avril dernier. Empêchés de paraître, les quotidiens nationaux
étaient consultables en ligne gratuitement. Une façon de faire découvrir aux inconditionnels du support papier l'édition électronique de
leur journal. Et ça marche: selon un récent sondage Toluna, 41 % des Français consultent le site web de leur quotidien habituel en
l'absence de ce dernier dans les kiosques. Tabler sur Internet pour rebondir face à la crise de la presse écrite? C'est ce à quoi une
majeure partie des entreprises de presse s'emploient. A l'image du quotidien régional La Nouvelle République: « La presse est devenue
un produit générationnel. Confrontée à une baisse de son chiffre d 'affaires, elle doit muter rapidement sur I nternet afin de séduire un
lectorat plus jeune », soutient Nicolas Corneau, membre du directoire du groupe La Nouvelle République du Centre-Ouest.
Le digital, planche de salut des journaux?
Aux Etats-Unis, une étude montre à quel point la révolution numérique bouleverse les habitudes. D'après les conclusions du Pew
Research Center for the People & the Press, un thinktank qui analyse les comportements vis-à-vis de la presse, les Américains déclarent
s'informer davantage par le Net (40 %) que par les journaux (35 %). La France, malgré son retard sur son voisin américain, consomme
également de plus en plus l'information sur Internet. Selon l'étude TNS Sofres «Les enjeux du quotidien: les Français et Internet» menée
au début de l'année, 59 % des Français considèrent le Net comme une source d'information importante. «Nous assistons à un report des
attentions du papier vers Internet, analyse Patrick Eveno, maître de conférences à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne et spécialiste
de l'histoire des médias. Et ce sont les digital natives (15-25 ans) qui accélèrent ce phénomène. » En effet, selon l'étude, 72 % des 15-34
ans estiment que le Web est une source d'information importante (57 % des 35-59 ans et 50 % des 60 ans et plus). « Cette nouvelle
habitude est en partie liée au manque de temps disponible, regrette Bernard Petitjean, fondateur de Seprem Etudes & Conseil, cabinet
d'études spécialiste des médias imprimés, en ligne et audiovisuels. La lecture de l'information s'inscrit dans un contexte caractérisé par le
zapping. » Patrick Eveno J dresse un constat similaire: « A cause de son caractère immédiat, on consomme l'information sur Internet de
façon plus volage et plus plate, sans nécessairement rentrer dans le vif du sujet. » Pour autant, la formule séduit. Pour preuve, les taux
de fréquentation des sites d'information: 6,5 millions de visiteurs uniques par mois pour le site du Figaro et plus de 5 millions pour
Lemonde.fr (sources: Médiamétrie NetRatings et Nielsen-NetRatings)! Devant de tels succès d'audience, les sites d'information n'ont pas
tardé à élargir leurs offres, notamment par le biais des applications mobiles. Un pari réussi puisque selon l'étude «Mobile consumer
insight» réalisée par Médiamétrie et Nielsen Telecom Practice sur le premier trimestre 2010, 12,6 millions de Français sont des
mobinautes. Un chiffre qui contraste nettement avec les trois millions de 2008. Deux ans après le lancement de son application iPhone
(selon l'étude, ce terminal génère les deux tiers du trafic des sites), Lemonde.fr récolte 1,4 million de téléchargements et plus de huit
millions de visites mensuelles par le biais de ce support (source: OJD) . Face à cet engouement, Le Monde élargit sa panoplie au mobile.
En avril 2010, le groupe a mis en ligne sur l'App Store une nouvelle application... payante. La différence? Pour un tarif journalier de 79
centimes d'euros (15 euros par mois), elle donne la possibilité de feuilleter l'édition du jour et d'accéder aux trente derniers numéros.
Cette stratégie consistant à faire payer des services supplémentaires après avoir fidélisé ses mobinautes, via du contenu gratuit,
intéresse de plus en plus d'éditeurs. Pour le même tarif, Le Figaro propose la version numérique du journal du lendemain. « L'iPhone a
bouleversé la manière de lire un journal », explique Pascal Pouquet, directeur des nouveaux médias au Figaro. Afin de produire un effet
de contagion sur les autres supports, Le Monde propose un package, à la façon des opérateurs télécoms. Pour 29,90 euros par mois,
cette offre, baptisée Quadriplay, permet aux abonnés de jongler entre l'iPhone, le Web, le journal papier et l'iPad pour s'informer. « Pour
satisfaire les exigences de plus en plus complexes du public, nous avons inventé un écosystème de médias cohérent permettant aux
abonnés de retrouver n'importe où dans le monde l'édition du jour », assure Philippe Jannet, p-dg du Monde interactif.
L'iPad, messie de la presse?
Lancée le 28 mai 2010 en Europe (le 3 avril aux EtatsUnis), la tablette d'Apple a déjà remporté un vif succès. Au point que le cabinet
d'études américain iSuppli mise sur pas moins de sept millions d'unités écoulées dans le monde à la fin de l'année 2010, le double en
2011 et jusqu'à 20 millions d'exemplaires vendus en 2012. Au vu de ces estimations, Philippe Jannet relativise: « C'est l'effet inverse de
l'iPhone: à sa sortie, nous étions tous un peu sceptiques, puis nous nous sommes rendu compte de l'ampleur que prenait le phénomène.
Cette fois, avant la sortie de l'iPad, nous étions déjà trop enthousiastes... Il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit juste d'un outil de
distribution de contenus comme un autre. » Un avis que ne partage pas Christophe Léon, président de l'agence Pureagency.com,
spécialisée dans la convergence Webmobile, qui estime que l'objet a l'avantage de mettre en valeur les contenus: « Par rapport au Web,
l'iPad offre un confort de navigation inégalable. » Ecran large (presque la dimension d'une feuille de papier A4) et tactile, rendu des
couleurs éclatant pour les photos ou les vidéos, facile à manier: « On peut le poser sur les genoux et le feuilleter à la manière d'un vrai
journal », souligne-t-il. C'est là toute la stratégie de l'iPad: reproduire la simplicité d'utilisation d'un journal sur une tablette numérique. «
Nous sommes partis des mêmes codes que la version papier, notamment avec la même typographie, afin que l'internaute puisse tourner
les pages à l'aide d 'un doigt sans faire la différence avec un journal », explique Pascal Pouquet (Le Figaro). Une révolution dans la
consommation de l'information qui attise l'intérêt des éditeurs de presse. D'une part, grâce à l'économie des coûts d'impression et de
distribution que procure ce support. «Lors des ventes en kiosque, 50 % vont directement dans les poches de Presstalis (ex-NMPP,
principal distributeur de presse en France, NDLR), 20 % dans les coûts d'impression, constate Philippe Jannet. Ici, c'est le contraire:
Apple ponctionne 30 % de la vente des contenus, il reste RêP donc 70 % à l'éditeur. » D'autre part, pour son potentiel publicitaire. Les
éditeurs misent sur l'iPad pour négocier la publicité plus cher que sur les sites web. « Contrairement aux sites, la publicité ne vient plus
parasiter l'écran. Si l'on veut la voir en détail, un simple pivotement de l'écran suffit », souligne Christophe Léon. D'autant plus que selon
le président de l'agence Pureagency.com, elle est intégrée au contenu rédactionnel, et totalement interactive et géolocalisée.
Enfin, la tablette électronique pourrait être l'occasion pour les marques de presse de basculer vers un modèle payant. Un chemin semé
d'embûches que les éditeurs sont pourtant prêts à parcourir. « A terme, les consommateurs paieront pour un contenu de qualité comme
celui que propose l'iPad », assure Pascal Pouquet. Surtout les «applemaniaques», habitués à payer pour des services sur l'iPhone. «
L'expérience réussie de l'iPhone, à travers ses applications, pousse les éditeurs à réitérer l'essai », explique Meryem Amri, du pôle étude
de GroupM, agence de conseils médias. Sauf qu'à la différence du smartphone, l'iPad, onéreux à l'achat (de 499 à 799 euros), ne peut
prétendre pour l'instant créer un marché de masse. Peu importe, maintient Meryem Amri, « l'iPad touche un public «d'early adopters»,
principalement CSP+ et qui est prêt à payer cher pour ce produit, et donc pour le contenu correspondant ».
Imposer le payant sur le Web?
Le culte de la gratuité sur le Web s'effriterait-il? Sans nul doute, selon le magnat de la presse Rupert Murdoch. Face à la crise du papier,
l'homme, à la tête du plus grand empire médiatique du monde, News Corporation, a amorcé la bataille contre la gratuité: « L'époque des
versions gratuites des journaux va prendre fin », déclare-t-il dans une interview accordée à Fox Business Network, l'une des chaînes de
son groupe, ajoutant que dix à quinze ans seront nécessaires pour que les lecteurs abandonnent définitivement le papier. Et l'éditeur
tient parole. Depuis juin dernier, The Times est payant sur le Net. Un modèle que la France a du mal à suivre. D'après une récente étude
GfK, 89 % des internautes français estiment que les informations doivent être gratuites sur Internet. « La France est le pays qui souffre le
plus de la gratuité d'Internet, analyse Alexis Helcmanocki, directeur du pôle télécom, IT & Consumer Electronics chez GfK. Dans
l'inconscient collectif français, Internet c'est gratuit. » Un constat que partage nettement Jean-Marie Charon, sociologue des médias et
chercheur au CNRS: « Si la France est le pays où l'internaute a le moins envie de payer, c'est la faute des éditeurs de presse qui, pour
attirer le plus de lecteurs possibles sur Internet, ont fait dès le départ l'erreur de proposer leurs contenus gratuitement. » Pour pallier les
fautes du passé, pléthores d'éditeurs imposent de faire payer une partie de leurs contenus en ligne. C'est le cas de La Nouvelle
République qui, depuis juillet 2009, monétise une partie de ses contenus: « Juste les informations de proximité, précise Thierry Picard,
directeur délégué de La Nouvelle République Multimédia. Nous n'allons pas faire payer à l'internaute ce qu'il peut trouver sans frais sur
d'autres sites. » Ce modèle «freemium», associant gratuité et passage au mode payant pour la partie locale de ses contenus, La
Nouvelle République n'est pas le seul quotidien régional à s'y attacher. Depuis avril 2010, Paris-Normandie propose aussi une zone
payante pour sa partie locale (6 euros par mois ou 1 euro par jour). « Au départ, nous craignions une désaffection de nos lecteurs mais
ils ont compris que nous ne pouvions proposer une offre de qualité sans la faire payer, explique Michel Lépinay, directeur du quotidien
rouennais. Après tout, nos contenus sont payants sur le support papier, alors pourquoi pas sur le Web? »
Autre déclinaison du payant adoptée par un éditeur de presse: faire payer les articles papier transposés sur le Web. C'est ce qu'a
entrepris Lemonde.fr depuis le printemps dernier. Donner libre accès à de l'information fraîche tout en faisant payer des articles du
support papier, plus longs et plus approfondis: une mixture comestible pour les internautes? A moitié, selon Jean-Marie Charon. Pour le
sociologue, ce n'est pas tant la zone payante qui pourrait effrayer le consommateur, mais plutôt la longueur des articles, peu adaptée à
l'immédiate té qui caractérise le Net et, enfin, le désarroi des éditeurs à inventer un unique modèle économique. Jean-Marie Charon a
englobé ce phénomène sous l'appellation de «mille-feuille»: « Entre le micro-paiement, l'e-commerce ou l'abonnement, les éditeurs
superposent toutes les formes de revenus dans leur quête de rentabilité. » Y compris les sites web gratuits. Loin de pouvoir compter sur
les seuls deniers de la publicité, Rue89, site d'information participatif, incite ses lecteurs à mettre la main au portefeuille en leur
proposant d'acheter les briques d'un «mur virtuel». Pour un prix variant de 15 à 349 euros, ce mur permet aux internautes d'afficher une
annonce personnelle (sortie d'un livre, promotion d'un concert...).
La nécessaire complémentarité papier-Web
Une chose est sûre, le digital à lui seul ne saurait sauver la presse écrite. Selon Meryem Amri, la clé de la réussite demeure la
complémentarité entre le support papier et Internet: « Multiplier les points de contacts permet à l'entreprise de presse de développer son
audience et de devenir une marque globale. » A l'image du Monde, via son offre Quadriplay Mais encore faut-il pousser la
complémentarité jusqu'aux contenus, en privilégiant les articles courts sur la Toile et les textes plus approfondis sur le papier. Contre-
exemple, Thierry Picard de La Nouvelle République « ne fait pas de différence entre le style web et le style papier » et transfère
quotidiennement 1 500 articles du journal sur son site. Reste que d'autres marques ont réussi ce challenge. C'est le cas de
l'hebdomadaire féminin Be, qui affiche une audience de 446 000 visiteurs uniques sur son site (source: Nielsen-NetRatings) et une
diffusion de 171 000 exemplaires (source: OJD). « Si Be a réussi son double lancement print et Web, c'est parce qu 'on ne vient pas
chercher la même chose dans le magazine et sur le site », analyse Meryem Amri. Autre exemple, celui de Rue89. Depuis le mois de juin,
le site d'information remplit les kiosques de son mensuel, intitulé Rue89 Le mensuel, avec une priorité donnée aux reportages
d'investigation. Cette complémentarité entre papier et Web, Bernard Poulet y voit l'avènement d'un modèle à deux vitesses, avec une
information riche pour les riches et une information pauvre pour les pauvres. La monétisation de l'information serait-elle un gage de
qualité? En tout état de cause, sans modèle économique performant, la question reste en suspens.
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LE KINDLE, VULGARISATEUR DE L'E-LECTURE?
Disponible depuis octobre 2009, le Kindle d'Amazon est un livre électronique (ou plutôt une tablette électronique dédiée à la lecture) qui
permet de se connecter à Internet pour télécharger des contenus (livres numérisés, magazines...) vendus en ligne par le site américain
Amazon.com. Soit 620 000 références annoncées (uniquement en langue anglaise). L'utilisateur peut aussi transférer ses propres
documents sur le Kindle.
Le 20 juillet dernier, Amazon suscitait la polémique en annonçant vendre plus de livres électroniques (sur le support Kindle) que
d'ouvrages reliés. Or cette dernière catégorie ne représentait que 35 % des ventes sur le marché en 2009, contre 56 % pour les livres de
poche et 3 % pour les publications électroniques (source: Association américaine des éditeurs). Et même avec une croissance très forte,
les éditions numériques ne totalisaient en mai 2010 que 8,5 % des livres aux EtatsUnis. Polémique enflée par l'offensive d'Amazon
outreAtlantique en publicité, avec l'arrivée d'une nouvelle gamme de tablette électronique, mais aussi la baisse des prix du Kindle et les
vives réactions des éditeurs. Jeff Bezos, le fondateur et p-dg d'Amazon, a admis par la suite que seule une petite frange de lecteurs
serait intéressée par une tablette électronique dédiée à la lecture, faisant la distinction entre la demande pour le Kindle et celle pour les
livres électro niques du Kindle Store, consultables sur différents appareils. Une posture plus humble justifiée par la concurrence qui
s'annonce pour le Kindle d'Amazon: Apple (avec iBooks, sa propre librairie en ligne accessible via l'iPad) et Google (avec Google Books
qui annonce plus de 10 millions de livres numérisés en accès gratuit) menacent en effet la mainmise d'Amazon sur le livre électronique.
Sans oublier l'offensive d'éditeurs déjà présents comme Barnes & Noble (qui détiendrait 20 % de la distribution du livre numérique aux
EtatsUnis). Les détracteurs des e-books estiment que ce lancement ne va pas dans le sens de l'histoire, le lecteur n'ayant pas envie de
s'encombrer d'un objet de plus, alors qu'il peut avoir des services similaires sur son smartphone. Les défenseurs du Kindle pensent au
contraire qu'une tablette électronique dédiée à la lecture, au format poche, de surcroît plus légère qu'un iPad, plus autonome, moins
onéreuse (189 dollars) et avec un meilleur confort de lecture, permet de se constituer une véritable bibliothèque numérique.
Catherine Heurtebise
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