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Séminaire National Soins Non Programmés - 26 et 27 Octobre 2001 - GAP -
Séminaire S.N.P 25 et 26 0ctobre 2001 - GAP -
La psycho-sociologie de l’urgence
(Murielle FAURE, Anthropologue )
Rappel de la situation
De 1990 à 1998, le nombre de français ayant fréquenté un service d’urgence au
sein des établissements publics est passé de 7,2 millions à 10,3 millions (selon une
étude du Ministère de l’Emploi publiée le 6 juillet 2000).
Les appels au standard des SAMU ont triplé en 10 ans, passant de 3,5 millions
d’appels à 11 millions. Or, seulement 4 millions d’appels correspondent à des
demandes de nature vraiment médicale, les autres étant liés à la difficulté de joindre un
médecin libéral le soir ou le week-end et aussi à la forte progression durant les années
90 du nombre de personnes en situation de précarité.
Ce constat a sans aucun doute conduit certains politiciens à rappeler l’obligation
déontologique de la médecine libérale de garde.
Il n’est pas de mon ressort, en tant qu’anthropologue, de traiter de l’organisation
des soins non programmés, mais de tenter de comprendre les raisons sociologiques et
culturelles de l’afflux des patients aux urgences.
A) Les raisons de l’afflux des patients aux urgences
Ces raisons sont liés à quatre facteurs principaux :
- aux caractéristiques propres des patients (c’est-à-dire socio-démographiques,
catégorie socio-professionnelle, âge, ethnie…) par rapport à la représentation
qu’ils ont de la santé et donc de la maladie (ou à la santé représentée) ;
- à la perception qu’ont les patients de la gravité ou non de leurs symptômes ;
- à la perception qu’ont les patients des professionnels de santé ;
- à la perception qu’ont les patients du système médical qu’offre notre société.
1) La santé représentée
En ce qui concerne les caractéristiques propres des patients, il nous faut
distinguer la santé vécue de la santé représentée. Les conduites de santé sont
déterminées chez les individus par des systèmes d’attitudes acquises durant la
socialisation. Ces systèmes d’attitudes acquises sont elles-mêmes en lien avec les
représentations sociales du corps. La santé représentée, à laquelle nous allons nous
limiter dans un premier temps, s’expriment dans des attitudes qui se traduisent par des
conduites de santé.
La plupart des opinions sur la santé reflètent les situations concrètes de ceux qui
les expriment, notamment leurs positions respectives le long de la trajectoire de
l’existence humaine et plus encore dans la stratification de nos sociétés industrialisés.
Par exemple, les jeunes et les cadres possèdent des représentations positives de la
santé, comme « être bien dans sa peau » ou « un esprit sain dans un corps sain », qui
vont très souvent dans le sens du développement complet de la personnalité
individuelle. Les plus âgés ainsi que les manuels ont, eux, des représentations
négatives de la santé comme « ne pas être malade » ou « ne pas être suivi par un
médecin » qui mettent en œuvre plus souvent l’intérêt des groupes et des sociétés.
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Ainsi, les agriculteurs et les ouvriers définissent la santé par la non-maladie.
Pour eux, la santé est une valeur en soi car le corps est un outil de travail à part entière.
Le corps n’est donc qu’un outil oeuvrant indissociablement pour l’individu, lui-même,
et pour la société. La priorité absolue est : survivre par la force physique d’où la
référence de la santé aux aptitudes physiques (« pleine forme » ou « pouvoir
travailler ». En toute logique, les moyens pour rester en bonne santé passent par la
prévention car pour eux il est essentiel d’avoir une bonne connaissance de son
physique et donc de surveiller sa santé.
Les employés définissent la santé par un bien-être psychologique, la santé est
également une valeur en soi. L’hygiène demeure le moyen essentiel de conserver sa
santé.
Pour les cadres, la santé se définit par un usage hédoniste de la vie. La maladie
apparaît comme la contrainte radicale, un handicap qui oblige à ne pas pouvoir profiter
de la vie. La santé est perçue comme une liberindividuelle de se réaliser. L’équilibre
est essentiel pour que perdure l’harmonie intérieure de l’individu (par exemple entre
physique et mental) et l’harmonie extérieure (entre soi et la société). La vitalité,
élément essentiel de la santé permet de promouvoir chaque ego individuel vers un
mieux être ou un plus être.
Ce tableau, que je viens de dresser de manière très sommaire et qui mériterait
quelques nuances et précisions, démontre que les français n’ont pas une unique
représentation de la santé ou de la maladie. Cette santé représentée n’est pas sans
conséquence sur la perception qu’ont les individus de la gravité ou non de leurs
symptômes. Si les médecins possèdent une vision commune de l’urgence par rapport à
certains symptômes c’est-à-dire toute pathologie qui nécessite des soins rapides pour
éviter une évolution péjorative de la maladie ou toute pathologie qui met en jeu la vie
du patient, il n’en est pas de même pour les patients. Si le médecin dispose de critères
objectifs pour traiter une urgence, le patient ne dispose lui que de critères subjectifs.
La gravité ou non des symptômes que le patient ressent est dépendante de la
représentation qu’il a de sa santé sauf dans des cas très évident comme lors de fracture.
Ainsi, pour un cadre, la perte de sa vitalité due certains symptômes comme de la fièvre
ou un mal de tête récurrent peut devenir une pathologie urgente à soigner car c’est la
perte de sa liberté et de ne plus pouvoir profiter de tout. Pour un employé, un mal être
psychologique engendré par l’inquiétude de ne pas connaître l’origine des symptômes
qu’il ressent peut également devenir une pathologie urgente à soigner.
La santé représentée et la perception qu’ont les patients de la gravité ou non des
symptômes constituent les raisons sociologiques qui poussent les individus à consulter
en urgence. Ces raisons sont encore amplifiés par des facteurs culturels.
2) la perception qu’ont les patients de la gravité ou non de leurs
symptômes
Notre société est avant tout une civilisation de l’abondance, les biens de
consommation constituent la menace la plus redoutable pour la croissance de la durée
de vie. Le corps est devenu le lieu de règles et de normes par excellence. Nous devons
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prendre le temps de penser à notre santé car la biomédecine nous permet d’accéder au
désir de faire durer la vie terrestre, la seule à laquelle tous croient encore.
La publicité qui incite à la consommation valorise la santé, en la liant au bien-
être, à l’épanouissement, à la jeunesse, à la beauté. Une meilleure alimentation passe
pour accroître la résistance physique à la morbidité malgré les nouvelles agressions
venant des excès et des pollutions. La mode des cheks-up tend à se généraliser. Même
les publicités pharmaceutiques accentuent l’intérêt pour la santé, faisant de celle-ci un
véritable objet de commerce, ce qui se vérifie aussi dans certaines publicités
alimentaires, notamment celles des eaux minérales, des produits laitiers et de
l’ensemble des produits dits « naturels ». Les mass-médias attirent l’attention sur les
découvertes médicales, sur les exploits chirurgicaux. L’invitation permanente à une
certaine hygiène de vie renforce le besoin non seulement de la recherche de la détente,
des loisirs (pour ne pas être sédentaire) pour valider la fameuse expression « un esprit
sain dans un corps sain » mais encore la recherche des installations sanitaires dans le
cas l’individu subirait une certaine défaillance. La consommation médicale est,
pour l’individu, sur le même plan que les autres biens de consommation et peut se
résumer ainsi, « l’individu consomme ce qu’il veut, quand il le veut ou au moment il le
décide et il veut ». Ce qui peut encore se résumer à « l’individu consomme
c’est le plus immédiat : les urgences ». La sanest plus ou moins ressentie comme un
besoin fondamental ou un désir essentiel. La prise de conscience du besoin de la santé
se développe avec la consommation médicale et pharmaceutique et avec la
consommation des autres biens économiques, de sorte que les plus nécessiteux au
niveau économique semblent les moins exigeants dans le domaine de la santé. Cette
consommation médicale s’explique aussi par l’urbanisation de notre société : en
passant à l’abondance et à la ville, le médical s’est orienté vers le préventif au
détriment du curatif et vers le psychique au triment du somatique. Ainsi, la santé est
plus aisément envisagée comme un précieux capital qu’il convient de préserver. Dans
cette nouvelle perspective, la douleur, elle-même, naguère soit expression d’une
sanction ou d’un sort malheureux, soit condition d’un salut ou d’un rachat, prend le
sens d’un signal nécessaire dans la plupart des affections. D’ailleurs, les maladies qui
ne s’accompagnent pas d’un tel avertissement bénéfique passent pour les plus
redoutables, étant déclarées trop tard pour être guéries. Donc lorsqu’on a mal, il
convient de consulter immédiatement !!
3) La perception qu’ont les patients des professionnels de santé
Le médecin généraliste est considéré comme le médecin du premier recours. Si
le médecin et, en particulier, le médecin de campagne était autrefois un omnipraticien :
accouchements, petite chirurgie, secours d’urgence aux travailleurs agricoles
accidentés dans les travaux de la ferme soins au domicile du grand-père qui se mourait
d’un cancer, aujourd’hui, la plupart de ces événements sont traités par des spécialistes
libéraux ou hospitaliers. Pour les patients, le médecin généraliste est celui qui soigne
angines, grippes, rhino pharyngites, rhume, fièvre, maladies infantiles et petits
bobos… L’avis des patients concernant la compétence des médecins généralistes pour
les sutures de plaies est beaucoup moins unanime : « le médecin généraliste qui n’a
pas fait de suture depuis un mois, il ne va pas être très en confiance par rapport à ce
qu’il fait ». Ce qu’attendent les patients de leur médecin généraliste, c’est l’écoute, la
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discrétion en somme une relation humaine et de confiance. Le médecin généraliste est
celui qui gère la santé du quotidien.
Si les urgences hospitalières ont longtemps constitué le parent pauvre de l’hôpital,
elles sont, aujourd’hui, devenues la vitrine de l’hôpital. Comme le souligne, à juste
titre, le Professeur Alain Delhumeau, médecin chef du service des urgences porte du
CHU d’Angers : « les urgences constituent un véritable attrait sur les patients car elles
offrent une organisation permettant aux patients de bénéficier dans leur demande de
soins d’une unité de lieu et de temps. Certes, l’attente peut paraître longue mais
bénéficier en 5 heures d’une consultation médicale, d’examens biologiques, d’un
électrocardiogramme ou d’un scanner constitue une prouesse irréalisable en médecine
de ville en moins de 3 jours. Ce qui n’échappe pas à ceux qui ont recours à nos
services ! »
4) la perception qu’ont les patients du système médical qu’offre notre
société
De plus la santé n’est plus seulement considérée comme une réalité objective,
dépendant des conditions de plus en plus générales (facteurs démographiques, niveaux
de vie, environnement…) et conduisant à des disparités choquantes mais elle est aussi
vécue et ressentie dans l’intimité de chacun. En tant que réalité subjective, la santé
paraît certes variable d’une ère culturelle à l’autre, d’un milieu socio-professionnel à
l’autre, mais elle devient de plus en plus fortement revendiquée comme un droit que la
société a le devoir correspondant de satisfaire conformément aux possibilités
technologiques de l’époque. Chaque société contraint les individus à des manières de
penser, de sentir et d’agir qui lui sont propres. Dans notre société, l’individu malade se
défend à la fois contre la maladie mais aussi contre la société : la première étant, à ses
yeux, engendrée par les modes de vie imposés par la seconde. Les individus exigent
donc de la société qu’elle répare ses fautes. De plus, les possibilités technologiques de
notre société conduit l’individu à ne croire que ce qu’il peut voir. Notre médecine
n’échappe pas à cette vision du monde où le vrai est ramené au « visualisable ».
L’imagerie médicale est en passe de devenir une information pure détentrice de la
vérité. En tout cas, c’est ce que pense les patients ! L’examen clinique n’est plus aussi
performant du moins plus face à l’imagerie médicale. Pour calmer l’anxiété
ressentie par les patients, ces derniers exigent qu’ils puissent avoir recours à tout un
déploiement de moyens techniques variés et perfectionnées Car si le médecin peut se
tromper dans son examen clinique, l’image, elle, ne trompe jamais !!!
Ainsi notre système de soins est pris dans une sorte de cercle vicieux. Le
patient, en tant qu’usager, n’est pas un coupable qui a tort ou raison de venir aux
urgences. Il est juste un acteur dans un système d’offres et de demandes.
Les caractéristiques et motivations des patients qui se rendent aux urgences ou les
circonstances dans lesquels ils se rendent aux urgences illustrent bien l’approche
théorique que nous venons d’aborder.
En effet, les patients vont plus directement aux urgences hospitalières le week-end
qu’en semaine. Ce qui fait référence à la consommation médicale instituée par notre
système de soins.
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Les patients qui se rendent aux urgences hospitalières sont en moyenne jeunes alors
que les patients envoyés par un médecin généraliste sont en moyenne plus âgés que
ceux qui s’y sont rendus de leur propre initiative. La consommation médicale est
normalement plus ancrée chez les jeunes que chez des sujets plus âgées qui ont connu
un autre système de soin.
L’appel au médecin de garde s’effectue, lui, essentiellement, en semaine durant les
horaires de fermeture des cabinets médicaux pour des problèmes qui évoluent depuis
plus de six heures. Ici, les patients considèrent que le médecin doit s’adapter aux
contraintes familiales ou professionnelles. C’est au système de soin de s’adapter aux
besoins et exigences des patients. Ce raisonnement se retrouve également pour
certaines urgences hospitalières : « mon ami m’a dit : ça fait 3 jours que t’es malade, tu
vas pas rester tout le week-end comme ça ! Donc il m’a emmené aux urgences un
vendredi soir » (propos recueillis lors d’une étude sociologique menée sur la
permanence des soins et la prise en charge des urgences sur la ville de Rennes).
Les urgences pédiatriques représentent 30% des urgences en France. La progression
pédiatrique aux urgences est liée à la coordination de plusieurs facteurs qui sont, ici,
essentiellement culturels. Cette progression s’explique par une inquiétude démesurée
des parents qui optent donc pour une attitude de consommation vis à vis des urgences.
Mais les raisons profondes sont sociologiques et culturelles. En effet, la
déstructuration des familles (familles monoparentales ou le fait qu’aujourd’hui grands-
parents, parents et enfants ne vivent plus sous un même toit) entraîne une carence ou
une absence de conseils et de réconforts qui conduit à cette inquiétude démesurée ;
sans oublier l’évolution du rôle et de la place de l’enfant au sein de notre société.
Bref, l’engorgement actuel de services d’urgence hospitaliers est, semble-t-il
c’est-à-dire d’après ce que l’on peut entendre ou lire dans les médias, dû :
- à une organisation insuffisante de la médecine d’urgence préhospitalière ;
- aux habitudes prises et données à la population.
B) Les Maisons Médicales de Garde
Les Maisons Médicales de Garde peuvent effectivement constituer un palliatif à
l’organisation insuffisante de la médecine d’urgence préhospitalière. Néanmoins je ne
crois pas qu’elles permettront d’éviter la saturation des services hospitaliers d’urgence
et, ceci malgré les critiques qu’on lui porte. Si les patients se plaignent tous de l’attente
aux urgences hospitalières, cette attente est une attente « attendue » qui fait partie de la
représentation commune du recours aux urgences. C’est également une attente
relativisée : parce que l’on vient sans rendez-vous, parce qu’il y a toujours des cas plus
grave que le sien, parce qu’on est certes inquiet mais encore valide et que l’hôpital a
donc ses priorités…mais surtout parce que cette attente va néanmoins être un gain de
temps car il y a tout sur place ! C’est pourquoi, certains individus continueront à se
rendre dans les services hospitaliers d’urgence de leur propre initiative.
De plus, au dede son mauvais fonctionnement, la médecine de garde demeure
une médecine qui peut rendre service mais à laquelle on préfère son propre médecin :
elle est perçue comme une médecine rapide, d’appoint qui n’a ni les avantages du
médecin de famille ou du médecin traitant (connaissance du patient, confiance,
disponibilité), ni les avantages des services hospitaliers d’urgence (pluri-compétences,
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