Langue LATIN
Objet d’étude Interrogations philosophiques
Auteur Sénèque
Texte Lettres à Lucilius, LXXX
Sénèque, troublé dans sa méditation par les cris du public d’un spectacle de « sphaeromachia » - jeu de ballon-
provenant d’un stade voisin de sa demeure, compare l’exercice du corps et l’exercice de l’âme :
Illud maxime revolvo mecum : si corpus perduci exercitatione ad hanc patientiam potest qua et pugnos
pariter et calces non unius hominis ferat, qua solem ardentissimum in ferventissimo pulvere sustinens aliquis et
sanguine suo madens diem ducat,
quanto facilius animus corroborari possit ut fortunae ictus
invictus excipiat, ut projectus, ut conculcatus exsurgat ! Corpus enim multis eget rebus,
ut valeat ; animus ex se crescit, se ipse alit, se exercet.
Traduction(s)
Auteur(s) / Date(s) Gaillard et Martin, 2005
Mais voici l’idée que je tourne et retourne plus que toute autre : si le corps peut arriver par un entraînement à
cette endurance qui lui fait supporter les coups de poing et les coups de pied de plus d’un agresseur, ou bien
permet à un homme de passer toute une journée sous un soleil de feu, dans une poussière torride, trempé de son
propre sang,
combien est-il plus facile, pour l’âme, de fortifier son énergie, afin de recevoir
sans se laisser vaincre les coups de la Fortune et, terrassée, piétinée par elle, se relever
toujours ! Car le corps a besoin de mille choses pour être vigoureux : l’âme tire d’elle-
même de quoi se développer, s’alimenter, s’exercer.
Commentaire
La traduction tirée d’un recueil de morceaux choisis, respecte le texte et la pensée de
Sénèque. Lexicalement, on retrouve le vocabulaire de l’endurance, qu’il s’agisse de
l’entraînement - « fortifier son énergie » pour l’infinitif présent passif « corroborari » - ou de
ses effets – « sans se laisser vaincre » développant et contextualisant l’adjectif « invictus »,
« se relever toujours » pour le subjonctif présent « exsurgat », dont la permanence est
renforcée dans la traduction par l’adverbe « toujours » ; de même, les assauts de la
« fortuna » personnifiée par la majuscule initiale - « Fortune » -, « ictus », « projectus »,
« conculcatus », sont fidèlement rendus : « coups », « terrassée », « piétinée ». L’opposition
entre le corps et l’âme, marquée par la place de « multis » et de « ex se » dans la phrase
latine, est soulignée par la traduction de l’un par « mille », signe courant du grand nombre, et
de l’autre par « tire d’elle-même », le verbe au présent de l’indicatif rendant évident et
accentuant le caractère « autosuffisant » de l’âme (« ex se »… « ipse »). Syntaxiquement, la
traduction de la propositon subordonnée interrogative privilégie le groupe « quanto
facilius », au détriment du verbe « possit », et la répétition de la conjonction de subordination
finale « ut » est gommée par « afin de…et… », moins insistant.
Autre traduction Noblot, traduction revue par Veyne, coll. Bouquins, 1993
Mais il est entre toutes une considération que je tourne et retourne. Si le corps peut arriver par l’entraînement
à cette capacité de résistance qui lui fait endurer coups de poing et coups de pied de plusieurs assaillants ; qui
permet à un homme de durer tout un jour, en plein soleil, dans une poussière brûlante, tout dégouttant du sang
qu’il perd,
combien il serait plus facile à l’âme de fortifier son énergie, pour recevoir, sans
lui accorder victoire, les coups de la Fortune, et terrassée, foulée par elle, se relever
toujours ! Le corps ne conserve sa vigueur qu’au prix de multiples conditions. L’âme se
développe, s’alimente, s’exerce en tirant tout d’elle-même.