
L'histoire suivante a été pour moi révélatrice de nos carences : j'ai été amené à voir un patient pour vertiges,
nausées, céphalées. Chez ce patient anxieux le diagnostic de troubles neurovégétatifs collait parfaitement, et était
pratique … puisqu'il me permettait de conclure la consultation rapidement. Je l'ai donc rassuré, en lui expliquant
que son état de "stress" était sans doute la cause de ses troubles.
Il se lève, et au moment de fermer la porte, il me dit , "mais vous savez, mes collègues aussi ont les mêmes
problèmes". C'est toujours au moment de fermer la porte ! Alors je le reprends, je lui demande de rester encore
un peu. Qu'est ce que vous faites dans votre travail ? Je fais de la soudure, mais là j'étais sur les hauts-fourneaux
pour une réparation.
La suite de l'histoire, c'est qu'on lui a trouvé un taux de CO élevé dans le sang, le taux de CO correspondant au
tabagisme massif : il avait dit qu'il ne fumait pas, mais l'hôpital avait préféré ne pas le croire avec un tel taux de
CO dans le sang. Le problème, et ce que j'ai appris avec ce cas, c'est que le Haut Fourneau est justement
l'installation industrielle où il y a le plus de monoxyde de carbone.
J'ai découvert que je méconnaissais mes patients, et je me suis rendu compte que j'étais désarmé pour les
comprendre. J'ai pris conscience qu'il fallait voir ça et le documenter. Puis, peu à peu j'ai appris qu'on peut
profiter de l'expérience des autres, mais seulement si on construit un outil pour répondre à cette demande.
La dimension essentielle c'est qu'il faut arriver à le faire ensemble, pour construire un système qui augmente
réellement la qualité. Bien sûr, on a ensemble le droit de se tromper. Par exemple, au début, c'est la découverte
d'un mésothéliome chez un ouvrier de Atochem qui a provoqué la recherche des asbestoses sur Atochem. C'est la
mise en mémoire des informations qui nous a conduit à faire ce travail pour reprendre le problème. L'amiante à
Atochem, c'était une chose où l'on était passé à côté.
Le travail en réseau c'est une façon de pouvoir reprendre les erreurs. Quand un patient vient, j'ai acquis le fait
d'avoir le doute. Mais le doute en soi ne sert à rien, ce qui sert c'est que je le rentre sur ma liste, ensuite il est
envoyé au système, mais pas de façon passive : je lui dis "quand vous reviendrez, il faudra qu'on sache".
J'utilise aussi le SIC et le logiciel du SIC actuel comme un "pique-assiette" en regardant comment mes confrères
"gèrent" tel ou tel risque PAR, ou par quelle procédure ils sont arrivés au résultat. Je trouve également que –
parce que les cas sont documentés – j'utilise le recours au spécialiste ou au médecin du travail de manière moins
"délégataire", plus riche, plus pertinente qu'avant.
Aguilar :
J'ai d'autres thème à aborder, tous concernent les rapports de nos expériences mais aussi nos carences multiples,
dans ce que tu as dit, on voit des choses vivantes. Se connaître est déjà une chose valable. Pour tout aborder on
va avoir besoin de travailler par phases, je voudrais qu'on parle aussi de ça.
Prévost :
Pour un avenir proche, je me demande comment on va pratiquement trouver le moyen de nous aider. Peut-on
éditer des formulaires sur deux ou trois pathologies sur le secteur ? Peut-on nous fournir un type de formulaire
simple, pour chaque soupçon ? Peut-on nous fournir le modèle d'interrogatoire de la secrétaire ? Je dois sortir les
éléments du patient ou je dois prendre RDV chez la secrétaire ? Je peux consulter des ouvrages, parler avec mes
patients, mais l'enquête, je n'ai pas le temps de la faire, je préfère dire que s'il faut faire ça, je me retire. Je n'ai
jamais envoyé à Florence, je ne savais pas qu'on pouvait faire ça. Pour moi c'est un bon canal.
Mizzi :
Pour accepter notre Faqsv, on voulait une secrétaire. Au départ le milieu professionnel n'évoque rien pour nous,
il faut construire le cursus professionnel puis avoir la réponse de Marc. Le mieux c'est quand il ajoute que, pour
tel type de poste de travail, on a recensé tel type de pathologie.
Le problème c'est que cette approche est efficace mais locale, ailleurs il n'y aura pas ça. Il fallait travailler en
parallèle à une solution qui soit de permettre à un médecin isolé de faire la même démarche, faire l'enquête lui-
même. Mais c'est un travail qui se prépare, et l'on a trois ans devant nous.
On s'est donc bagarré pour conserver ces fonctions de cartographie locale, non sans difficultés.
En fait les 2 choses seront possibles à terme : soit tu envoies au pôle pour l'enquête, soit tu pourras aller sur
Internet, voir et faire cette démarche toi-même. Comment la faire ? On aura besoin des médecins du travail, de
l'inspecteur, mais pour démarrer et apprendre, le plus pratique c'est le pôle de coordination.
Prévost :
Je suis d'accord pour me référer à cette secrétaire et au cartographe, mais je ne veux pas d'une solution
informatique, vous savez combien je me méfie de cet outil.
Mizzi :
On peut continuer comme ça ! Il y a des réseaux avec des systèmes informatiques qui plantent, et les médecins
avancent quand même. L'informatique ne doit pas nous bloquer, j'espère qu'on ne se plantera pas, mais c'est aux