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LES VILLES CREATIVES
Georges VIALA, Président de l’Institut des Deux Rives
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Avant d’aborder la question des villes créatives, je voudrais préciser que les
membres de l’Institut des Deux Rives que je représente ne prétendent en aucune
manière être des spécialistes de cette question. Nous constituons un groupe de
personnes issues de la société civile qui s’intéresse au devenir de cette métropole
girondine et nous nous considérons plutôt comme des « passeurs » qui tentons de
comprendre des concepts émergents susceptibles de « remettre l’homme au centre
du jeu » C’est ainsi que nous posant la question du sens à redonner au
développement économique alors que les modèles traditionnels sont largement
remis en cause, nous en sommes arrivés à l’idée que le moment était peut-être
propice pour remettre la culture à sa juste place et en la considérant comme un
levier de transformation des modèles économiques et sociaux. Nous posant alors
cette question, nous avons découvert – un peu par le plus grand des hasards – que
le concept d’économie créative pouvait constituer un début de réponse. Cherchant
à comprendre ce que recouvrait ce concept, nous avons alors approché cette
question des villes créatives qui a émergé dans les milieux universitaires dans les
années 1990 au Royaume-Uni et aux Etats-Unis et dont Charles Landry est devenu
le chantre en ayant fondé en 1978 une société de conseil (Comedia) qui propose ses
services dans différents domaines : la créativité, la culture ou encore la
transformation urbaine. Ces précisions étant apportées, je me propose donc de
vous livrer quelques pistes de réflexions sur ce sujet des villes créatives.
Après avoir été longtemps cantonnée au seul domaine artistique, la créativité
semble donc être désormais le nouveau dogme du développement des territoires
après s’être imposée dans le monde des entreprises. L’attractivité d’une ville
semble de plus en plus dépendante de sa capacité à mettre en avant ses atouts en
termes d’économie créative alors qu’une compétition exacerbée se développe
entre les métropoles pour attirer plus d’investissements matériels ou immatériels.
Nos travaux sur cette économie créative inspirés notamment par ceux de la Cnuced
(Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement) nous ont
amenés à retenir quatorze secteurs emblématiques de ce nouveau paradigme
(publicité, mode, design, architecture, musique, …), tous ces secteurs se
retrouvant plutôt dans un contexte urbain. A partir de là, il n’est donc pas
étonnant qu’il ait été tentant de faire un raccourci en considérant que toute ville
était a priori créative. Nous allons voir que cette évidence ne l’est pas
obligatoirement, une ville ne pouvant se déclarer ou se prétendre créative que si
elle réunit un certain nombre d’ingrédients.
J’en citerai quelques-uns :
1/ Les fameux « clusters culturels » qui tout en se caractérisant par une très
grande diversité se développent plutôt dans des milieux propices. Cette notion de
« milieu propice » est évoquée par un économiste anglais de la fin du XIXème
siècle, Alfred Marshall (1842-1924 – il eut pour élève un certain Keynes qui fut par
la suite son principal critique), qui considérait que les districts industriels étaient
des terreaux propices à la créativité individuelle et collective de ses membres par
1
la recherche permanente d’une baisse des coûts de production, par l’accélération
des flux d’information et du capital et par le renforcement du lien social.
A Bordeaux, plusieurs clusters sont en cours de structuration. J’en signalerai en
particulier deux : Terres Neuves à Bègles (ancienne friche militaire) qui accueille
aujourd'hui plus de 50 sociétés et prés de 750 personnes permanentes dont 400
emplois directs dans les domaines de la production audiovisuelle, du spectacle
vivant, de la communication, de l’architecture, du design et des arts plastiques ;
Darwin sur la Rive Droite de Bordeaux : ce projet va consister à réhabiliter les
Magasins Généraux de la Caserne Niel (encore un site militaire !) en reconstruisant
près de 20.000 m2 de planchers. Le projet Darwin rassemblera des activités aussi
variées que des agences de création, un magasin général bio, une crèche écoresponsable, une cathédrale d’eau, une fabrique artistique (Pola) ou encore un
skate-park indoor.
2/ La classe créative
Cette notion de « classe créative » a été théorisée par le géographe américain,
Richard Florida qui a repris des travaux de Jane Jacobs datant des années 1960,
cette dernière ayant contribué à l’époque à repenser l’urbanisme de nombreuses
villes nord-américaines dont Toronto où Florida est professeur à la Rotman School
of Management. Florida considère que cette catégorie sociale - qui rassemblerait
40 millions de personnes aux USA et dont le noyau dur est constitué par ce qu’il
appelle les « bohémiens » (c’est-à-dire les artistes) au côté de scientifiques,
d’ingénieurs, d’informaticiens et de professeurs – joue un rôle moteur dans le
développement d’un territoire. Même si un certain flou entoure la définition de ce
groupe social, l’intérêt de la théorie de Florida est de valoriser l’importance du
capital humain dans la croissance économique urbaine. Par ailleurs, Florida
complète cette notion de classe créative par une batterie d’indicateurs permettant
de mesurer les prédispositions d’un territoire à être reconnu ou à devenir
créatif tels que :
-
-
l’indice de talent qui prend en compte le nombre d’étudiants/habitant, de
centres de recherche dont les responsables sont des chefs de file dans leur
discipline, d’édifices universitaires en construction ou récemment ouverts.
L’indice mosaïque qui permet d’identifier les minorités visibles qui
participent de la diversité culturelle
L’indice d’exode qui mesure la capacité d’une région à attirer des talents
L’indice « gai et lesbien » qui permet de mesurer le niveau de tolérance du
territoire et sa capacité à attirer des personnes non conformistes.
A propos de ce dernier indice, Marc Levine, professeur d’urbanisme à l’Université
de Milwaukee, considère qu’il n’y a pas de corrélation entre cet indice et les
indicateurs élémentaires du rendement économique urbain comme la croissance de
l’emploi ou le taux de pauvreté.
Pour conclure (provisoirement) sur cet ingrédient (classe créative) reconnaissons
qu’il connaît des limites en étant même parfois très controversé par son approche
trop élitiste qui peut contribuer à exclure une partie de la population. Dans le n°36
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de l’Observatoire, Guy Saez (directeur du laboratoire Pacte-CNRS de l’Université
de Grenoble) considère qu’en définitive « la classe créative est plutôt l’horizon
d’une socialité rêvée faite de flexibilité, de mobilité, d’imagination, de
singularité, d’implication personnelle, d’anticonformisme que de jeux sociaux
réels situés »
3/ La transversalité
Ce principe est à l’œuvre dans toute démarche d’économie créative et est
évidemment favorisé par l’existence de puissants réseaux sociaux d’origines
diverses connectés de manière virtuelle (d’où l’importance des infrastructures
technologiques) ou réelle (par l’existence de lieux de médiation : structures
culturelles, sportives, ludiques, etc…). De notre point de vue (à l’Institut des Deux
Rives), nous considérons que si au minimum 3 des 14 secteurs précédemment
identifiés ne sont pas mis en synergie, il est peut probable que des projets relevant
de cette économie créative puissent se développer (cf. exemple de Darwin). Il est
évident que ce principe de transversalité, que ce décloisonnement recherché se
déploie plus facilement dans un contexte anglo-saxon que dans un contexte latin
qui privilégie plutôt des approches en « silos »
Même si les ingrédients constitutifs d’une ville créative ont été identifiés, sont-ils
pour autant suffisants pour décréter qu’une ville est créative ? Bien sûr que non
pour deux raisons principales : 1/un socle culturel solide est le fruit d’une lente
action collective ; 2/ce modèle de ville créative semble difficilement transposable
d’un environnement à un autre (ex : le Guggenheim de Bilbao qui n’a trouvé sa
place que dans un contexte social particulièrement dégradé). Toutefois, force est
de reconnaître que cette nouvelle approche du développement des territoires s’est
répandue à une vitesse inédite parmi le personnel politique des villes voire même
au sein des organisations internationales : l’Unesco n’a-t-elle pas récemment (en
2004) lancé l’idée d’un « réseau des villes créatives » (21 villes actuellement
labellisées) dont l’objectif est « d’encourager l’exploitation du potentiel créatif,
social et économique que détiennent particulièrement les collectivités locales et
de promouvoir par ce biais les objectifs de diversité culturelle de l’Unesco » ?
Si je m’en tiens à la seule métropole bordelaise, ce concept d’économie créative
est désormais pris en compte dans de nombreuses collectivités locales (Conseil
Régional d’Aquitaine, CUB, Villes de Bordeaux, Bègles, Cenon, Carbon-Blanc) qui
tentent de le (le concept) promouvoir en encourageant ou en suscitant des
initiatives variées.
Pour conclure, je dirais que même si le concept de ville créative peut être
considéré comme une nouvelle forme de marketing urbain, il s’agit peut être et
avant tout d’une nouvelle utopie (pour reprendre l’expression de Christine
Liefooghe parue dans le n°36 de L’Observatoire) de notre époque et qu’à ce titre
cette utopie mérite d’être entretenue si elle permet de remettre l’art et la culture
au cœur de nos sociétés matérialistes.
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