1
CHARLES-MAURICE
DE TALLEYRAND-PERIGORD
1754-1838 telles sont les dates de naissance et de mort de Charles-
Maurice de Talleyrand-Périgord.
Une longue vie de 84 ans qui se déroula pendant l’une des périodes les
plus fécondes de l’Histoire de France.
Songez que cet homme assista au couronnement de quatre rois, Louis
XVI, Louis XVIII, Charles X et Louis-Philippe et, naturellement, au
sacre d’un empereur, Napoléon 1er.
Songez qu’il avait déjà 40 ans en 1794, l’année où Danton et
Robespierre furent guillotinés.
Qu’il en avait 45 lorsqu’il participa activement - au coup d’Etat du
18 brumaire, marquant l’avènement de Bonaparte,
60 lorsqu’il représenta la France au Congrès de Vienne, et 76 lorsqu’il
contribua à mettre un Orléans sur le trône de France en 1830.
Songez enfin que cet homme a mené une carrière politique quasiment
ininterrompue de 1789, date où il fut l’un des élus du clergé aux Etats
Généraux jusquà 1834, date où il quitta, à 80 ans, son dernier poste
d’ambassadeur extraordinaire à Londres.
Et pourtant jamais un homme public ne fut tant décrié de son vivant.
Objet de toutes les haines de ses innombrables adversaires politiques,
Talleyrand du subir presque toute sa vie, en France et en Europe, les
critiques les plus acerbes…, les caricatures les plus féroces…
C’est d’ailleurs la principale énigme du personnage.
Comment a-t-il fait, malgré sa réputation sulfureuse, pour être resté si
longtemps cet homme d’influence, ce conseiller des rois, ce
personnage incontournable sans avoir jamais été inquiété ni même
réellement disgracié ?
C’est à cette question (et à beaucoup d’autres) que nous allons tenter
de répondre aujourd’hui.
2
Commençons par le début
Une règle commune laisse entendre que pour comprendre un homme,
il faut aller chercher du côté de sa jeunesse.
Concernant Talleyrand, c’est frappant
Examinons ses origines dont il a toujours été si fier…
Les Talleyrand-Périgord sont de vieille noblesse.
Le nom de « Périgord » remonte même à Hugues Capetet pour les
aristocrates, l’ancienneté du nom prime sur l’importance du titre.
Dès lors, toute sa vie, Talleyrand se comportera « physiquement »
comme un parfait représentant de l’ancien régime, toujours poudré,
pommadé, tiré à quatre épingles, mettant un temps fou à se préparer…
En revanche et sans rentrer dans le détail de la généalogie familiale, il
se trouve que la branche à laquelle il appartient n’est pas la mieux
dotée financièrement, loin de là
Voilà pourquoi il sera en permanence hanté à l’idée d’être dans le
besoin et n’aura de cesse de tenter de s’enrichir en toute occasion…
Par ailleurs, et ce point est extrêmement important, le jeune
Talleyrand souffre d’une difformité du pied droit.
Il a un « pied-bot » qui le fera boiter et, on ne le dit pas assez, souffrir
toute sa vie autant physiquement que psychologiquement.
D’ailleurs, concernant la claudication, lui-même donnera une fausse
version à son entourage…il parlera pudiquement d’une chute de
commode….
Mais ce n’est pas tout. Cette infirmité est à l’origine de son destin
initial.
En raison de cet handicap, ses parents décidèrent que celui qui ferait le
métier des armes et le beau mariage, ce serait le frère cadet,
Archambaud, pourtant plus jeune que lui de huit ans !!
Quant à lui, on le destinerait à la prêtrise, conformément aux règles en
usage dans la noblesse d’ancien régime.
3
Vous pouvez imaginer l’amertume du jeune Charles-Maurice.
Ses parents n’ont pas une grande affection pour lui, ni même une
grande confiance apparemment et, comble de malheur, il n’est guère
croyant.
Vous conviendrez que ce jeune homme, de son point de vue, avait de
sacrées revanches à prendre sur un début de vie qui ne lui était pas
particulièrement favorable, malgré sa lignée
Ces blessures d’amour propre, jamais il ne les oubliera…
Mais revenons à sa formation initiale…
Jusqu’à 15 ans, il fréquente le collège d’Harcourt (le futur Lycée Saint-Louis) un
peu dans l’indifférence familiale, avec des précepteurs sans relief,
dans une solitude forcée qui va progressivement l’endurcir.
En 1770, à 16 ans, il rentre au grand séminaire de Saint-Sulpice pour
entamer des études devant le mener à la prêtrise.
Il en sort 4 ans plus tard, assez transformé, son bac de théologie en
poche.
Non que la foi se soit révélée en lui, mais visiblement, ses professeurs
lui ont inculqué deux types de comportement qui ne le quitteront plus
par la suite : le goût du « bon maintien » en société et un caractère
impavide.
De fait, personne ne l’a jamais vu s’emporter
Puis de 1774 à 1780, c’est l’ascension « ecclésiastique » de Charles-
Maurice, ascension d’autant plus rapide qu’il bénéficie du soutien
actif d’un oncle très bien placé, puisque archevêque de Reims, et futur
archevêque de Paris.
Dès lors les titres tombent pour notre abbé de circonstance : Chanoine
de la cathédrale de Reims en 1775, abbé commendataire la même
année, prêtre en 1779, vicaire général du diocèse de son oncle et enfin
agent général du clergé en 1780 à 26 ans seulement !
Arrêtons nous un instant sur cette dernière fonction qu’il va exercer
cinq ans jusqu’en 1785.
4
Elle est particulière et convient parfaitement à notre jeune abbé
ambitieux puisque ne nécessitant pas d’être un fervent croyant…
C’est une fonction clé d’intermédiaire « technique » entre les
assemblées ecclésiastiques et le monde laïc.
On y traite donc les « litiges » apparaissant entre le haut clergé et la
société civile, notamment la cour
Par voie de conséquence, son titulaire fait rapidement connaissance de
nombreuses personnes éventuellement bien placées en société.
Et c’est naturellement dans cette charge qu’apparaissent pour la
première fois, les exceptionnelles qualités de négociateur, de futur
diplomate, d’intuition, bref d’intelligence générale du personnage.
Son comportement et sa façon de défendre avec habileté son ordre
font que sa réputation grandit rapidement.
Personne ne doute à ce moment de la future grande carrière de ce
jeune abbé prometteur !
Pourtant ce qu’ignore nombre des personnes qui voient de l’avenir à
Charles-Maurice, c’est que c’est déjà un homme « caméléon » qui
mène de front plusieurs vies bien différentes.
C’est en effet un personnage assez mal connu de ses contemporains,
surtout à cette époque.
Beaucoup le voit comme un homme d’ancien régime, fin, cultivé,
discret, très discret, mais également indolent, voire franchement
paresseux.
Pourquoi pense t-on cela ?
Parce qu’il fréquente régulièrement des clubs d’influence, des salons
tenus par des dames d’assez haute noblesse (beaucoup de comtesses,
notamment) et parce qu’il joue !!
S’adonner au jeu (whist et craps notamment), en misant sans compter,
jusqu’à fort tard dans la nuit, est la marque la plus aboutie, en cette fin
de 18ème siècle, de l’appartenance à la classe oisive des aristocrates.
5
Mais pendant la période qui a couru de son ordination en 1780 jusqu’à
la veille de la révolution, au printemps 89, soit neuf années, ce qui
n’est pas rien, Talleyrand a rencontré beaucoup de monde n’ayant rien
à voir avec ceux et celles qu’il fréquente le soir.
Ce sont des financiers, des négociants, des spéculateurs et aussi des
hommes politiques
Il les a rencontré notamment pour se former à sa charge d’agent
général du clergé, mais également par goût personnel car comme déjà
précisé, Talleyrand est vraiment obsédé par le besoin d’être riche,de
faire de l’argent… d’autant qu’on peut perdre au jeu !
Quant à sa liaison avec la sphère « politique » elle s’est plutôt faite par
l’intermédiaire d’un homme qui allait bientôt faire parler de lui,
Honoré Gabriel Riqueti, comte de Mirabeau, mais aussi par la
fréquentation du milieu affairiste des « Orléans »…
En tous les cas, c’est à l’issue de ces différentes rencontres que
Talleyrand s’est forgé une conviction personnelle, résumée comme
suit :
Toute politique doit favoriser le « libéralisme économique » seule
doctrine à même d’enrichir les hommes entreprenants.
Voilà aussi pourquoi, toute sa vie, il sera un fervent adepte du système
politique anglais, un système suffisamment souple pour permettre le
développement de ce fameux libéralisme marchand.
Cela dit, malgré sa discrétion, ses accointances avec le clan
« Orléans », son goût pour une économie libérale et sa vie mondaine
le soir et la nuit,… finissent par faire jaser…
Son comportement général tant privé que public parvient même aux
oreilles du roi
Voilà pourquoi, probablement, il mettra un peu plus de temps que
prévu pour être nommé évêque d’Autun, en novembre 1788
précisément
Il était temps ! Juste quelques mois avant la grande secousse qui se
profile !!
1 / 37 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !