Christophe Léguevaques
COMMERCE EQUITABLE
UNE APPROCHE EN DROIT FRANÇAIS
ou
comment le droit peut-il servir le commerce équitable
en assurant son développement et sa protection ?
Le texte ci-après reproduit est le texte prononcé lors d’une Conférence à
Paris, le 1er février 2003.
Le ton volontairement oral de l’exposé a été conservé.
Les sources principales apparaissent en notes de fin ou dans la bibliographie
sommaire.
Commerce équitable 2 .
Si l’Afrique, l’Asie du sud-est,
le sous continent indien et
l’Amérique latine devaient
chacun augmenter leur part
dans d’exportation de 1 % ; le
gain en résulterait pour faire
sortir 128 millions de
personnes de la pauvreté
Rapport OXFAM, Pour un
commerce équitable, p. 5.
« Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable lui assurant ainsi qu’à sa
famille une existence conforme à la dignité humaine » Article 23 de la Déclaration
universelle des droits de l’homme.
Coupable !
Je plaide coupable.
La mondialisation est coupable de rapine, de destruction massive, d’accaparement, de
corruption, de spoliation, de violences, d’exploitation, de nivellement culturel
1
Et pourtant, il suffirait « de peu » pour en faire un moteur du développement du
Nord comme du Sud, une source de richesse et de bien être partagée par toute l’humanité,
un instrument d’éradication de la famine et la maladie, un ressort du progrès technique,
scientifique, un mouvement d’échanges équilibré
2
, respectueux des cultures et de
l’environnement. Pour cela, il « suffirait » de changer l’idéologie économique dominante tout
en gardant le cadre économique actuel.
Je m’explique ; l’économie de marché constitue le cadre économique des échanges
mondiaux ; elle repose sur la liberté (des prix, des services, des échanges) et l’initiative
privée ; elle respecte et valorise le travail, source d’intégration sociale et de reconnaissance ;
elle suppose le respect de la parole donnée, du contrat ; elle s’inscrit dans la durée. A tous ces
titres, l’économie de marché peut être émancipatrice
3
, à condition que les tenants du libre-
échange acceptent de jouer réellement le jeu. Il est trop
facile pour les pays du Nord d’imposer la liberté du
commerce au Sud et, dans le même temps, d’ériger des
murailles protectrices du commerce au Nord ; libre-
échange, oui mais « libre-échange réciproque »
4
; en
respectant la liberté du Sud qui n’est pas moins grande
que celle du Nord.
L’idéologie économique dominante est le libéralisme financier qui, au nom des 3 D
(désintermédiation, décloisonnement, dérégulation)
5
, prône la satisfaction immédiate des
plaisirs matériels, qui privilégie l’instantané sur l’avenir, qui favorise l’économie financière,
spéculative et virtuelle, celle des chiffres dans les ventres des ordinateurs, sur la réalité
Une approche en droit français 3 .
économique et la vérité des hommes. Or, la première vérité, dont il faut tenir compte et le
président Brésilien LULA est pour nous le rappeler avec force et conviction, réside dans le
fait insupportable que la famine sévit encore, la faim tue
6
.
Désolé, messieurs les économistes, la vie ne se résume pas à une équation
mathématique… L’exemple argentin démontre qu’une politique destinée à satisfaire la
finance spéculative détruit l’économie réelle et engendre la misère. Dans le cadre de cette
idéologie libérale, on habille de mots savants, la vieille loi de la jungle, on consacre la loi du
plus fort au nom d’un douteux ‘struggle for life’
7
. Bref, la consommation comme fin en soi et
les marchés financiers, comme horizon indépassable, deviennent les nouveaux Léviathan
8
,
ces « nouveaux monstres froids »
9
qui gouvernent le monde, subjuguent ou révulsent.
A cette idéologie qui présuppose l’égoïsme des hommes
10
, on peut opposer un idéal :
dans le respect des libertés de chacun, posons que la solidarité entre les hommes, entre les
générations, dans le respect de l’environnement, est un facteur de développement pour tous
et de bien être pour chacun. Au nom d’un humanisme
11
qui est à réinventer contre un
utilitarisme réducteur
12
, il faut à présent affirmer quelques idées simples :
1°) l’homme n’est ni une machine ni une marchandise
13
;
2°) il existe des biens hors commerce
14
(culture, santé, éducation, biens publics
15
,
…) ;
3°) l’économie est au service de l’homme et non l’homme au service de
l’économie.
Dans le cadre de cette résistance à la mondialisation coupable peut émerger une
mondialisation responsable : l’économie sociale de marché peut apparaître comme une
synthèse difficile entre la générosité et le sens du commerce.
D’ailleurs, nous allons voir que c’est l’une des difficultés du commerce dit équitable
de marier ces deux contraintes, de résoudre cet antagonisme. Dans le cadre d’une réflexion
globale sur la place de chacun des acteurs (producteurs, importateurs, consommateurs,
ONG, Etats), le citoyen, qui a perdu ses droits pour devenir un con-sot-mateur, peut tenter de
les reconquérir en devenant un consommACTEUR
16
.
Comme l’illustre le diagramme ci-après dessiné par novethic.fr, le commerce équitable
s’inscrit dans le cadre général de cette rénovation de l’économie.
Commerce équitable 4 .
Sources : www.novethic.fr
Commerce équitable ?
Cette expression peut paraître étrange. Sommes-nous en présence d’un pléonasme ou
d’un oxymoron ?
Un pléonasme est cette répétition aussi inutile que malhabile. En effet, le commerce,
diront certains, est nécessairement équitable
17
, les rapports économiques doivent être
équilibrés pour prospérer. C’était peut être la conception des auteurs du Code civil qui
faisaient prévaloir une égalité formelle
18
au détriment de la réalité. Mais, le droit économique
a permis d’illustrer l’existence de rapports de force, de dépendance économique, de
situations d’inégalité aussi réelles que structurelles
19
. C’est d’ailleurs pour cette raison que la
Une approche en droit français 5 .
loi est intervenue pour protéger, rééquilibrer ce rapport de force entre le consommateur et le
professionnel ou entre l’agriculteur (y compris celui de Corrèze) et la grande distribution
20
.
Mais, voilà, dans le commerce international, nulle loi n’est intervenue pour protéger
le producteur de café mexicain contre ‘el gringo’, ce représentant des grandes
multinationales, qui est moins sympathique que dans une célèbre publicité télévisée
Oxymoron
21
? Mais, oui, vous savez, cette figure de style en vogue chez les
publicitaires qui consiste à associer deux mots contradictoires : une obscure-clarté, la force-
tranquille, la guerre-propre et j’en passe… Commerce équitable, à première vue cela peut
paraître contradictoire. Le commerce est tout sauf équitable, le droit français ne reconnaît-il
pas le bonus dolus, l’habilleté commerciale ? Afin de comprendre cette expression, il faut en
analyser les deux termes et retracer un rapide historique de cette notion née du télescopage
entre des finalités apparemment différentes.
Précisions terminologiques
Etudions, tout d’abord le mot ‘commerce’.
« En droit romain, l’expression commercium a été employée (Ulpien, Règles XIX, § 4 et
§ 5 ; Digeste 4,1, fr. 6) pour désigner tous les rapports juridiques que les hommes ont entre eux
relativement à l’utilisation des biens »
22
. Initialement, le commerce était le droit de participer
aux opérations juridiques. De nos jours, en raison de l’opposition entre le commerce et
l’industrie, le sens a été réduit, par les économistes, à la faculté d’échanges de biens et de
services, le plus souvent en contrepartie de paiements monétaires
23
. Après un premier essor
à la veille de la Première guerre mondiale et surtout depuis une cinquantaine d’années, les
échanges commerciaux internationaux connaissent un essor phénoménal mais toujours dans
un sens unique : le Nord profite du Sud, qui reçoit les miettes de la charité des repus.
Le terme « équitable » soulève, quant à lui, de nombreuses difficultés d’interprétation.
Afin d’en comprendre la portée juridique en droit français, il n’est pas inutile d’en
rappeler les fondements philosophiques.
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