Marc 6, 30-34
Palaiseau, 16 janvier 2005
Robert Philipoussi
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Lectures : Evangile de Marc 6 30-34
6.30. Les apôtres, s'étant rassemblés auprès de Jésus, lui racontèrent tout ce qu'ils avaient fait
et tout ce qu'ils avaient enseigné.
6.31. Jésus leur dit : Venez à l'écart dans un lieu désert, et reposez-vous un peu. Car il y avait
beaucoup d'allants et de venants, et eux n'avaient même pas l'occasion favorable pour manger.
6.32. Ils partirent donc dans une barque, pour aller à l'écart dans un lieu désert.
6.33. Beaucoup de gens les virent s'en aller et les reconnurent, et de toutes les villes on
accourut à pied et on les devança au lieu où ils se rendaient.
6.34. Quand il sortit de la barque, Jésus vit une grande foule, et fut pris aux tripes pour eux,
parce qu'ils étaient comme des brebis qui n'ont pas de berger ; et il se mit à leur enseigner sur
beaucoup de choses.
Un texte rare de Marc. Rare parce que rarement choisi dans la liste des textes du jour. Ce texte
suit immédiatement la sordide décapitation de Jean le baptiste, et précède la fameuse
multiplication des pains. Celle-ci est d'ailleurs bien mal nommée d'ailleurs puisque le miracle
ne résidera pas dans la multiplication, mais dans le partage.
Nous allons ce matin simplement suivre le cours de ce récit, comme Si nous étions dans une
barque, et relever les points d'étonnement.
Marc parle ici des apôtres, et pas, comme il le fait habituellement, des disciples. Le mot
disciple veut dire comme le vous le savez élève. J'aime bien traduire ainsi puisque ainsi on
comprend immédiatement que Jésus était un enseignant, itinérant, et que les disciples, qui
sont allés jusqu'au nombre de 70 pour Luc, formaient une Ecole, comme il en existait
beaucoup à cette époque.
Maître, école, élève. Ca nous remet les pieds sur terre. Parfois les mots religieux, à force
d'être employés de façon quasi automatiques, perdent leurs sens.
Marc ici parle d'apôtres, et l'emploi de ce terme a suscité des myriades de commentaires
savants sur lesquels je passe. Je voudrais simplement vous faire percevoir que les évangiles
parlent d'une époque -le temps de Jésus, prophète Galiléen enseignant- à l'intention de gens
d'une autre époque. Une autre époque, 30 et 50 ans au minimum plus tard où les églises du
Messie Jésus commencent à se fonder dans la distinction. Il ne faut jamais oublier, même chez
Marc qui est le plus ancien des quatre évangiles cette superposition des temps et des
problématiques. En gros les évangiles nous racontent l'histoire qui se passe dans un temps « 1
» avec les problématiques d'un temps «2.»
Cela dit, n'importe quel historien fait la même chose. Mais pour les évangiles, c'est volontaire
et assumé. Avec les évangiles, et surtout le premier d'entre eux, celui de Marc, les premières
communautés chrétiennes se distinguent.
Dans ce deuxième temps, le temps « 2 » après la mort de Jésus, le mot apôtre, qui signifie
envoyé, prend tout son sens. L'évangile est devenu missionnaire, et ses envoyés parcourent la
Méditerranée. Ici manifestement, on a un clin d'oeil de Marc vers les communautés du temps
2 auxquelles son oeuvre s'adresse.
Mais lorsqu'on tire ce fil et qu'on lit le texte qui précède, on s'aperçoit qu'il s'agit d'un peu plus
qu'un clin d'oeil. Dans le texte précédent Marc parle des disciples de Jean. Et c'est juste après
qu'il parle des apôtres de Jésus. Qu'est-ce que cela veut dire?
La décapitation de Jean doit sonner pour les auditeurs du temps «2» le glas de la bonne
nouvelle de Jean le baptiste, dont il est démontré que les disciples continuaient à relayer la
parole de leur maître bien après la mort de Jésus. Jésus, rappelons-le, a été aussi un temps,
disciple de Jean le baptiste, avant de devenir un maître indépendant. Les évangiles racontent
cela d'une façon on va dire « iconique», comme un passage de témoin, mais en filigrane, ils
disent autre chose.
Les disciples de Jean dans le temps « 1 » enterrent leur maître. Les apôtres, dans le temps « 2
» annonceront la nouvelle de leur maître vivant, relevé d'entre les morts. Ce passage, comme
bien d'autres, tente de clore une polémique qui a dû s'installer au premiers temps de la
diffusion du message de Jésus hors des synagogues, dans le temps « 2 ».
Jean est mort , décapité, et enterré. Jésus est relevé d'entre les morts. En filigrane, c'est peut-
être aussi fort que la fameuse phrase « laissez les morts enterrer leurs morts. »
On ne sait en général pas lire ces traits polémiques. On oublie trop souvent qu'à l'époque où
ces textes ont été écrits, les disciplines comme la rhétorique, la philosophie, la poésie, le droit,
la politique, la stratégie avaient déjà, et largement, été inventées. En bref, les évangiles sont
des textes très sophistiqués, et notre façon de les sacraliser nous les rendent parfois un peu
opaques. Remis dans leurs contextes, ils deviennent brillants et parfois, comme ici, assez
violents.
Un commentaire de plus sur ce premier verset. Les apôtres viennent rendre compte de leurs
actions. Ils viennent faire leur rapport de stage à leur maître. Leur formation n'est pas
terminée. Apôtres certes, pour le clin d'oeil au temps « 2 » mais encore disciples pour le
temps « 1. »
Jésus leur dit: Venez à l'écart dans un lieu désert, et reposez-vous un peu. Car il y avait
beaucoup de gens qui allaient et venaient, et eux n'avaient même pas l'occasion favorable pour
manger.
Le verset 31 contient un thème favori chez Marc : la foule empêche, entrave, Jésus. Elle
déborde. Ça nous fait réfléchir. Jésus semblait d'abord avoir pour mission d'enseigner ses
disciples pour qu'ils aillent enseigner à leur tour. Mais la foule se manifeste comme un fleuve
qui déborde et demande un accès direct à l'enseignement. À tel point que Marc dit que les
apôtres disciples ne trouvent pas un moment favorable pour manger.
Ceci n'est pas anodin.
Dans l'expression grecque, nous avons là une forme du mot « kairos» qui désigne le temps
favorable par excellence, le temps propice, en clair, le temps de Dieu. Ce temps qui se
distingue du temps de faire et de produire. Un temps de lâcher prise, où l'autre temps, le temps
chronologique, chronophage, cesse son emprise. N'oublions pas que dans la mythologie
grecque le « Cronos » est ce Dieu qui dévore ses enfants.
Jésus veut ce temps de repos pour ses élèves en formation d'apôtre. Mais c'est impossible, il y
a trop de monde. Les disciples n'ont même plus le temps de manger, c'est à dire, connaissant
l'ironie subtile de Marc, le temps de vivre. Alors, il fuit en embarquant les 12. Vers un lieu
désert.
Peine perdue, la rumeur court, et les gens, la masse, fait le tour du Lac et les rejoint. Et la fin
du texte est très importante. Jésus, à ce moment là, change. Il croyait avoir désormais le temps
et l'espace, mais la foule est là, demanderesse. Jésus la voit. Où aller ? Il doit changer de
méthode.
Les traductions habituelles disent que Jésus est pris de pitié, ou ému de compassion. Mais il
s'agit d'une très mauvaise traduction. Littéralement, c'est « Jésus fut pris aux entrailles ». On
pourrait déjà traduire par « Jésus fut pris aux tripes », ce serait déjà mieux, mais encore faux.
Le mot sous-jacent qui évoque les entrailles désigne en fait les entrailles féminines, la
matrice, l'utérus. Jésus fut ému de cette façon là, comme une mère devant son enfant en
danger. Ce n'est pas de la pitié. C'est beaucoup plus fort.
Jésus a été saisi à ce moment-là d'une sensation vertigineuse de responsabilité. C'était un
maître formant des élèves en stage, le voilà désormais clairement en face de sa mission. Celle-
ci ne consiste plus à guérir quelques malades et à enseigner des élèves, mais à pro-tester, c'est-
à-dire témoigner devant, à pro-phétiser, c'est-à-dire à parler devant, à parler, parole et
paraboles venant exactement de la même origine. A relier, Dieu, les uns et les autres. A rendre
Dieu à l'humain.
Le voilà, le peuple de Dieu, le peuple de la terre, les voilà les fils et les filles engendrés par
mon souffle, rappelle-toi le temps où mon souffle, qui est aussi le tien, couvait la création. La
voilà, l'origine de cette violence matricielle que tu viens de subir. Mon peuple est désormais le
tien. Ils sont demandeurs, et j'ai déposé en toi le secret de la parole qui relève ou, en termes
religieux, ressuscite. C'est ton peuple, nourris-le, il a faim. Il est impatient.
Certes, tu n'auras plus de repos, les lieux déserts où tu te retirais pour prier, ou pour dormir, ne
seront plus déserts. Le temps favorable, tu ne le connaîtras plus pour toi. Désormais, tu es, toi,
le temps favorable pour eux.
Dans ce petit verset 34 de Marc, Jésus réalise la densité de sa mission. Non, il ne sera pas un
maître de plus, dont l'enseignement est réservé à des disciples triés sur le volet. Il sera celui
dont la parole/parabole rassemblera. Le temps de sa parole, sera le kairos de tous ceux et
celles qui l'entendront, à condition qu'ils aient des oreilles pour entendre. Oreilles dont les
disciples officiels seront parfois dépourvus.
La foule, et Jésus. Une histoire d'amour naissante. Maternelle. Matricielle. Ce n'est pas sur la
croix que Jésus donne sa vie. C'est dans ce passage. Le passage qui le transforme de maître à
envoyé. Il ne choisit pas le sacrifice. Mais désormais, il ne sait pas où ce débarquement, le
mènera. Jésus débarque dans le monde.
Une chose est sûre, il ne connaîtra plus le repos. Lui-même est devenu le sabbat de ses
contemporains. Comme tout inspiré, sa parole le dépassera. A ce moment là, probablement,
Jésus est heureux. Il vient de comprendre le sens de sa présence au monde.
La foule, de plus en plus nombreuse sera bientôt nourrie, d'enseignements nouveaux, et de
pains et de poissons. La parole de Dieu vient rendre le temps favorable.
AMEN.
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