PRÉVISION A LONG TERME DU GISEMENT DE DÉCHETS DES BÂTIMENTS AU COURS DE
LEUR CYCLE DE VIE
F Evaluation de l’impact environnemental
SALAZAR Claudia1 Ph.D. student
CHEVALIER Jacques1 Research engineer
ROUSSEAUX Patrick2 Pr.
1- CSTB Sustainable Development Department “Environment, Durability”
24, rue Joseph Fourier, F-38400 Saint Martin d’Hères, FRANCE
2- Université Poitiers- Département Gestion des risques Place Chanzy Niort, FRANCE
Patrick.Rousseaux@univ-poitiers.fr
Résumé
Aujourd’hui, la consommation de ressources par le secteur bâtiment, la quantité de déchets de chantier
(construction, réhabilitation et démolition) et l’absence d’optimisation de leur gestion sont des grands problèmes
auxquels la société doit faire face. En Europe par exemple, des 180 Mt de ces déchets générées annuellement,
seulement 25 % sont valorisés (malgré leur fort potentiel de valorisation) et les 75 % restants sont enfouis (d’une
façon illégale dans certain cas). Pour améliorer leur gestion, la connaissance des quantités, caractéristiques,
période et lieu de génération de ces flux présents et futurs est nécessaire. Malheureusement, cette connaissance
reste limitée. Par conséquent, il est difficile de mettre en place une gestion respectueuse de l’environnement.
En considérant cette situation, cet article propose d’une part une nouvelle méthode « au niveau micro » qui
permet la traçabilité des composants et la prévision des déchets d’un bâtiment et d’autre part l’ébauche d’une
méthode applicable à plusieurs bâtiments. Pour la description des flux, sont prises en compte les quantités, les
caractéristiques techniques pertinentes, la période et le lieu de génération. La méthode au niveau micro est
fondée sur la collecte de données des composants qui entrent dans le bâtiment (ce qui permet aussi de mettre en
place une traçabilité des composants) et sur la mise en place d’un modèle statique et dynamique du bâtiment
permettant de faire une simulation sur l’évolution du bâtiment et des déchets générés. Nous présentons le
déroulement et les principaux résultats d’une première application de la méthode sur un cas réel.
De plus, nous discutons les difficultés rencontrées actuellement pour mettre en place la méthode ainsi que les
perspectives de notre travail.
Mot clés : Environnement, Déchets de chantier (construction, réhabilitation et démolition), Flux et stock de
composant du bâtiment, Traçabilité, Modèle du bâtiment
Abstract
Nowadays, the great amount resources consumed by the building sector, the great quantity of Construction and
Demolition Waste (C&DW) and the lack of their optimal management are major worldwide problems. In
Europe, for instance, of the 180Mt of C&DW estimated per annum, only 25% are recycled (despite a major
recycling potential) and the remaining 75% are landfilled (in some cases illegally). In order to improve the
management of C&DW, knowledge about the present and future quantities and characteristics, as well as the
period and location of generation of these flows is necessary. Unfortunately these flows continue to be poorly
known. Consequently, it is difficult to set up an environmentally sound and optimal management while abiding
by regulations.
Bearing this in mind, the purpose of this article is to propose a new method which allows traceability of
buildings components and long term forecasting of C&DW for a building as well as an outline of a method
which concerns a set of buildings. The description of these flows is given by addressing quantities, relevant
technical characteristics, period and location of generation. The method for one building is based on the data
acquisition of the components which go into the building (which makes it possible to establish their traceability)
and on a static and dynamic building model which allows us to do a simulation of the possible evolution of the
building and the associated waste. The method for a set of buildings is based on the method for one building.
The implementation and the main results from a first application are presented here.
Additionally we will discuss the present difficulties related to setting it up, the necessary tools that must
be created and the prospects of our work.
Keywords: Environment, Construction and Demolition Wastes, Flows and stock of building components,
traceability, Building model.
1 Introduction
La majorité des problèmes environnementaux auxquels la société fait face aujourd’hui sont le résultat de la
transformation des différents flux de matières dans les différents secteurs de l’économie [OECD, 2000]. Le
secteur bâtiment est le plus gros consommateur de ressources et un des plus forts générateurs de déchets
[Dorsthorst, 2004]. La pratique du développement durable dans ce secteur est donc essentielle pour le
développement durable de nos sociétés. L’application de ce concept passe, entre autres, par l’amélioration de la
gestion des ressources et déchets liés à ce secteur. Malheureusement, les ressources sont consommées
aujourd’hui d’une manière presque irrationnelle, sans se préoccuper des besoins futurs. Par ailleurs, la gestion
actuelle des déchets n’est pas optimale. Des 180Mt de déchets de chantiers générés annuellement par l'Europe
des 15, seulement 25% sont valorisées. Le reste des déchets est enfoui dans les centres d’enfouissement
techniques (CET) et dans certains cas illégalement [Commission Européenne, 2000].
Concevoir une gestion optimale des flux entrant (les ressources) et sortant (les déchets) d’un ou plusieurs
bâtiments demande la connaissance des flux présents et futurs. Cela signifie connaître leurs quantités, leurs
caractéristiques, leur localisation dans le temps ; depuis l'extraction des ressources nécessaires à leur
fabrication jusqu’à leur élimination en tant que déchets. Cette connaissance demande de mettre en place une
traçabilité des flux.
Dans le secteur bâtiment, dans les faits, aujourd'hui, on ne connaît pas avec certitude quel type de matériaux et
de produits sont finalement introduits dans quel type de bâtiment. C’est pourquoi, quand on veut connaître leur
stock dans le bâtiment, il est nécessaire de réaliser des enquêtes sur le terrain [CIB 1981] [Thuvander] ou de
supposer leur composition à l’aide des informations disponibles dans les permis de construire, qui varient d’un
pays à l’autre [Ruch, 1995] et qui en général sont collectées et traitées par un organisme administratif (la DAEI
[2001] en France).
Concernant les déchets, plusieurs études, encouragées par la Commission Européenne, ont été mises en place.
L’étude française a été développée par Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie [ADEME,
2002]. Le groupe Symonds [1999] a réuni les résultats de tous les pays de la communauté. D’autres recherches
sur les déchets de démolition et de déconstruction d’un bâtiment ont été développées [Ruch, 1995][Rentz,
1998][CIB, 2002]. Une étude du Comite Scientifique et Technique des Industries Climatiques (COSTIC) a
réalisé une étude prédictive des déchets nérés par les équipements des bâtiments en considérant leur durée de
vie [Audegond, 1997]. Seules les quantité de déchets ont été considérée dans ces études. Concernant les
caractéristiques, la seule description est l’indication du type de déchet, qui malheureusement ne correspond pas
toujours à la classification européenne, rendant ces études difficilement comparables [Commission Européenne,
2000]. On peut reprocher à ces études une approche trop technique des durées de vie des composants de bâtiment
et une connaissance trop superficielle de la façon dont les déchets sont générés. Par exemple, la réhabilitation
d'un bâtiment, qui n'est pas toujours décidé pour des considérations techniques, génère des déchets de chantier.
Le mode d’assemblage des composants, qui peut affecter le temps de séjour du composant dans le bâtiment, est
un autre exemple de paramètre non pris en compte généralement.
L’objectif de cet article est de présenter une nouvelle méthode (ELDORADO), qui permet d’une part d’établir la
traçabilité des composants entrant dans les bâtiments et d’autre part de prévoir les déchets générés par un ou
plusieurs bâtiments au cours de leur cycle de vie. Elle vise à mieux décrire les caractéristiques des déchets. Elle
s’appuie, pour prévoir les déchets, sur la connaissances de flux de composants (leurs quantités, leur
caractéristiques, leur durée de vie, leur mode d’assemblage…) et de leur évolution dans le bâtiment. Cette
méthode permettra aux maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre d’estimer les déchets de leur bâtiment (dès la
conception) pour ainsi améliorer leur gestion. Ils pourront identifier plus facilement les filières de traitement des
déchets. Les résultats de l’application systématique à plusieurs bâtiments (lotissement, quartier, ville,
département, région…) permettront aux autorités d’identifier la quantité de ressources utilisées et prévoir les
déchets de chantier qui seront générés sur un territoire. La gestion des déchets de chantier (envisager les
meilleures filières de traitement existantes, planifier la localisation de nouvelles filières, estimer les coûts …)
sera alors facilitée.
2 Méthode
2.1 Méthode au niveau micro
Ce niveau a trois objectifs :
1- établir une traçabilité des composants du bâtiment
2- prévoir les déchets de chantier du cycle de vie d'un bâtiment
3- collecter les informations pertinentes pour une extension possible à plusieurs bâtiments.
Elle s’articule en 5 étapes:
Etape 1 : Collecte des informations sur le bâtiment et les flux entrants (les composants). Elle vise à collecter les
informations servant à identifier les flux entrant (les composants) dans le bâtiment ainsi que les informations
pertinentes à la description du bâtiment. La construction d’un bâtiment nécessite l’intervention de plusieurs
acteurs. La collecte des informations nécessite alors de la mise en place d’une stratégie de sorte que les acteurs
les plus concernés fournissent l’information correcte. On propose de collecter d’une part les informations sur le
bâtiment et d’autre part les informations concernant les composants du bâtiment (tableau 1). De cette manière,
les maîtres d’œuvre, les entreprises de construction, qui connaissent bien le bâtiment, pourront fournir
l’information nécessaire sur le bâtiment et les fabricants de composants, qui connaissent bien leurs produits
celles des composants.
Tableau 1. Informations servant à décrire le bâtiment et ces composants
Etape 2 : Obtention d’un bon niveau de complétude de l’information.
Il est très probable, surtout dans les premières applications, que certaines informations exigées ne soient pas
disponibles ou obsolètes. Par conséquent, les informations sur les composants réellement présents dans le
bâtiment (type, quantité, densité, masse, volume, pouvoir calorifique…) peuvent être incomplètes, erronées ou
indisponibles. Cette étape a pour objectif de les compléter afin de pouvoir continuer l’application de la méthode.
Il est proposé de remplacer l'information absente par des informations génériques. Ce remplacement doit être fait
en considérant certains critères. Pour le type et les quantités, il faudra analyser des bâtiments similaires. Pour les
caractéristiques, il est suggéré d’analyser les composants semblables en termes de matériaux constitutifs, de
masse et type de déchet. La littérature, les fabricants, les bases de données publiques et les règles de mise en
oeuvre des produits sont autant de sources possibles pour ces informations..
Etape 3 : Mise en place du modèle statique du bâtiment : représentation des différents états du bâtiment.
Le modèle statique d'un bâtiment doit être la radiographie du bâtiment à un moment donné. Il s'agit de passer
d'une liste de composants à un modèle permettant d'identifier, de visualiser et de positionner les composants et
leur mode d'assemblage. Deux modèles sont proposés (figure 1). Le premier est un modèle visuel. Il facilite
l’analyse visuelle du système et la construction des scenarii de l’étape suivante, Les sphères représentent un ou
plusieurs composants assemblés de timent tel que les portes, les fenêtres, les tuiles... Les liens représentent les
composants d’assemblage tel que le mortier, les vis, la colle… Les éléments d’assemblage peuvent être
séparables ou non séparables (considérant des critères techniques et économiques). Le deuxième est un modèle
matriciel. Le bâtiment est représenté par une matrice de N x N, N étant le total des éléments assemblés. Ce
modèle facilite le traitement informatique de l'information. L'élément Aij de la matrice indique le mode
d’assemblage qu’il y a entre les éléments i et j. Un vide indique des éléments non assemblés. Les éléments des
modèles sont reliés aux informations des composants qu’ils représentent. Ces modèles sont pertinents pour la
prevésion des déchets de réhabilitation, maintenance, entretien, déconstruction et molition mais ne permettent
pas de traiter des déchets de construction. Ceux-ci sont estimés par une approche différente dans l'étape 5.
Figure 1. Exemple des modèles visuel et matriciel du toit d’un bâtiment
Etape 4 : Mise en place du modèle dynamique du bâtiment : simulation de l’évolution du bâtiment.
Le modèle dynamique permet de passer d'une radiographie du bâtiment à la suivante. Ce modèle se fonde sur des
scénarios d'évolution du bâti. Le scénario doit indiquer le type de travaux qui seront réalisés et à quel moment du
cycle de vie du bâtiment. Avec cette information, on détermine les parties du bâtiment et composants concernés
et ainsi les déchets générés et les nouveaux composants mis en place (actualisation du stock et de la
radiographie). Cette étape fait appel à de nombreuses hypothèses qu'il convient de mentionner dans le scénario.
(figure 2). Il est très important de considérer la séparabilité des composants. Ainsi, le remplacement d'un
composant d'un groupe inséparable de composants entraine automatiquement le remplacement (et donc génère
les déchets) du groupe complet de composants alors appelé "groupe inséparable de déchets". Cette
considération est cruciale car les caractéristiques des déchets peuvent être considérablement modifiées.
Figure 2. Evolution du bâtiment représenté par le modèle visuel dynamique
Par exemple, une peinture de finition appliquée sur un mur en béton peut conférer à ce mur en fin de vie, censé
être un déchet inerte, une propriété le rendant déchet non dangereux voire déchet dangereux.
Etape 5 : Prévision des flux de déchets. Une fois les "groupes inséparables de déchets" déterminés pour chaque
étape du scénario proposé, il reste à les décrire (quantités, caractéristiques). Si le scénario tient compte du cycle
de vie entier du bâtiment, il s’agit des déchets de construction, des interventions ultérieures sur l'ouvrage
(maintenance, entretien , réhabilitation, rénovation…) et de la démolition.
Estimation des déchets de construction : En général, ils sont constitués de rebuts, de composants cassés,
d’emballages de conditionnement de composants arrivant sur le chantier et d’éléments associés au processus de
construction mais qui n’appartiennent pas à la construction : restes d'huiles de décoffrage, eaux de cure des
bétons, huiles d'engins, déchets de nettoyage (chiffons, éponges…), outils (brosses, rouleaux, gants…), pots de
peintures, verres de boissons consommées sur le chantier. Il est alors nécessaire d'analyser, pour chaque
composant, ses déchets associés et de déterminer leurs quantités et leurs caractéristiques. En général, la quantité
de pertes est proportionnelle à la quantité du composant. Pour un composant A nous proposons de déterminer les
quantités à l’aide des les équations proportionnalité (1), (2), (3) et (4) :
Qtravaux de finition = ηA QA; (1)
Qcomposants casés = αA QA; (2)
Qemballages = βA QA; (3)
Qoutils pour installer A= φA QA (4)
ηA , αA , βA et φA peuvent être obtenus par retour d'expérience sur les chantiers ou en utilisant la fiche de
déclaration environnementale et sanitaire du composant si elle existe. Ils dépendent notamment du composant de
l'organisation du chantier, du niveau de conscience environnementale des constructeurs et des ouvriers, de la
géométrie du bâtiment, du mode de la livraison des fournisseurs, des techniques et des dispositifs utilisés pour la
mise en œuvre. L'information nécessaire peut parfois avoir été collectée lors de la première étape.
Estimation des déchets des interventions et de la démolition Pour chaque élément des groupes inséparables de
déchets, les caractéristiques et les quantités doivent être analysées pour quantifier et caractériser les déchets.
Pour les quantités : si "le groupe inséparable de déchets" a k éléments assemblés et l éléments d’assemblage, on
détermine la quantité total à l’aide de l’équation (5). Mt est la masse totale, Qeai la masse de l'élément assemblé
(i), Qedj la masse de l'élément d’assemblage (j).
Pour les caractéristiques, on analyse celles des composants originaux pour en déduire celles du déchet. Par
contre, l'estimation des paramètres comme les dimensions n'est pas facile. Pour cette raison, il est proposé de
construire une base de données qui doit contenir les informations sur les dimensions habituelles moyennes
observées pour chaque type de déchet selon la technique de construction utilisée.
l
jj
k
iit QedQeaM
(5)
2.2 Méthode au niveau macro
Le niveau macro a comme objectif la prévision des déchets générés par un ensemble de bâtiments (lotissement,
quartier, ville, département, région…). Deux approches sont proposées : 1- L'approche déterministe. 2-
L'approche statistique.
Approche déterministe :
Cette première approche a pour but de réaliser la traçabilité des composants de bâtiments. Cette approche exige
l'application de la méthode au niveau micro à tous les timents considérés. L'information doit ensuite être
stockée, analysée, organisée et synthétisée afin de calculer les quantités totales et les caractéristiques des déchets
générés à chaque étape du cycle de vie du bâtiment.
Approche statistique
Cette approche exige l'application de la méthode au niveau micro à un échantillon aléatoire des bâtiments
considérés. Ensuite, cette méthode procède par extrapolation des résultats, en appliquant des méthodes
statistiques, de l'échantillon à l'ensemble des bâtiments. L'échantillon choisi doit être représentatif de l'ensemble
des bâtiments. Pour cela, il faut considérer leur taille, leur type, leur âge et leur mode de construction.
L'usage des SIG peut être dans les deux cas intéressant pour visualiser les résultats et notamment l'emplacement
du gisement de déchets.
3. Première application au niveau micro
Nous avons appliqué la première étape de la méthode à 4 immeubles neufs de logements publics français. Le but
était d'identifier l'accessibilité à l'information nécessaire et de réaliser la traçabilité de leurs composants. La
totalité de la méthode n'a été appliquée qu'à l'un de ces bâtiments (bâtiment à structure en béton comprenant 11
appartements sur 4 étages) ce qui nous a permis d’évaluer les difficultés de la construction du modèle et de
l’estimation des déchets. Tous les bâtiments étudiés étaient bien documentés comme c’est généralement le cas
pour les bâtiments publics. Pour avoir l'information, nous avons consulté des documents tels que le permis de
construire, le Dossier de Consultation des Entreprises (DCE), le Document des Ouvrages Exécutés (DOE) Les
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