La domination de la Finance au Brésil

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La domination de la Finance au Brésil
Roberto Grün
UFSCAR
Le Brésil est considéré comme un exemple extrême de « financiarisation ».Taux
d’intérêts et marges (spreads) bancaires considérés comme les plus élevés du monde,
prévalence des raisons et des contraintes issues du marché financier sur toute autre
considération et, plus récemment, la soumission visible d’un gouvernement fédéral issu de
l’extrême gauche du spectre politique aux dictats de cette entité que sont les « marchés ».
Comme les marchés sont essentiellement internationaux et que c’est par leur intermédiaire
qu’une grande partie des pressions globalisantes exercent leurs effets sur la société
brésilienne, je crois que c’est un bon exercice de sociologie que de regarder de près les
modalités selon lesquelles cette possibilité se réalise ou parait seulement se réaliser.
Vue de l’extérieur, l’expression la plus visible de la prédominance financière dans la
société brésilienne est le niveau extrêmement élevé des taux d’intérêts pratiqués dans
l’économie brésilienne et, un peu moins visible mais peut-être encore plus éclairant, le coût
énorme de l’intermédiation bancaire 1 . En comparaison avec les autres pays,, les banques
brésiliennes rémunèrent bien leurs investisseurs, mais accordent leurs prêts à un prix
exorbitant. Il faut le dire, le Brésil est une sorte de « paradis des rentiers », mais surtout des
banquiers, étant donné que ces derniers, en plus de recevoir des rémunérations élevées pour
leur intermédiation, jouissent d’une situation doublement favorable créée par l’afflux des
investisseurs tant nationaux qu’internationaux.
Comme on peut le prévoir, la société brésilienne débat périodiquement de la légitimité
d’une telle situation, des raisons de la changer et des manières de le faire. Du côté des
défenseurs du statu quo financier l’explication la plus répandue se fonde sur l’«incertitude
juridique » : comme les cadres juridiques de la société brésilienne sont peu fiables, les prêteurs
sont obligés de faire payer cher leur argent étant donné que le risque de le perdre est très
grand. A titre d’exemple de cette « incertitude », les décisions judiciaires défavorables aux
1
Pour les chiffres, voir l’annexe.
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créanciers ou simplement le manque d’empressement des autorités dans les procès en
recouvrement de dettes, la confiscation de valeurs liquides intervenue dans le cadre de ce
qu’on a appelé le « Plan Collor » (1989) et la menace d’un retour de l’inflation qui érode la
valeur des capitaux. Concrètement, on voit constamment des épisodes de ce genre montés en
épingle et transformés en scoops dans les media les plus divers de sorte que la perception de
l’incertitude est constamment répétée. Cela n’arrive pas par hasard : l’idée érudite de
l’«incertitude juridique » est, elle-même, réitérée par une perception culturelle très enracinée
selon laquelle le Brésil est le pays de la débrouille (jeitinho), de l’improvisation et du manque
de planification. Ces caractéristiques imputées à la société brésilienne sont systématiquement
opposées au « sérieux » dont sont crédités les pays centraux, dits du « Premier Monde », dans
lesquels les taux d’intérêt seraient « civilisés ». De sorte que pour avoir droit à des taux
« civilisés » il faudrait d’abord nous convaincre nous-mêmes d’abandonner les idiosyncrasies
nationales pour accepter le modèle dont nous créditons le « Premier Monde » (Grün 2007).
A la thèse juridique est opposée dans le débat l’autre hypothèse, selon laquelle les taux
d’intérêts élevés sont un effet de la concentration du secteur bancaire. Peu nombreuses à
prêter de l’argent les banques auraient ainsi les moyens d’imposer un prix élevé pour leur
marchandise. Il faut relever que cette thèse, encore que constamment invoquée par les
économistes, les politiques et les journalistes les moins impliqués dans la sphère financière,
fait l’objet de bien peu de publicité. Ce n’est pas le lieu ici de discuter la qualité intrinsèque ou
la validité respectives des deux thèses, mais il faut bien constater que la première occupe bien
plus d’espace et que, lorsque les gouvernements sont forcés de donner quelques satisfactions à
l’opinion publique au sujet des taux d’intérêt, ils proposent généralement des mesures qui
diminuent l’incertitude juridique, donnant ainsi raison au premier diagnostic.
Le discours favorable aux finances est normalement réputé « moderne » et « ouvert »,
caractéristiques qui s’opposent au caractère « villageois », «corporatif » et «attardé » des
défenseurs du contrôle des activités financières, normalement les porte-parole de l’industrie.
Les références au « moderne » et à l’ »international sont des armes rhétoriques qui font
toujours leur effet dans ce débat public sur lequel repose la discussion économique interne à la
société brésilienne. « Moderne » et « international » sont des catégories mnémotechniquement
consonantes avec l’idée de « jeunesse » et apparaissent habituellement comme l’arme des
secteurs des élites qui contestent les positions établies. La plupart du temps, la querelle
rhétorique renvoie à des débats de juridiction et à des types différents de capital culturel.
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Dans l’histoire récente du Brésil, il y eut la forte discussion entre juristes et ingénieurs
pendant la période des substitutions des importations (1940-1960) dans laquelle le premier
groupe s’identifiait à la tradition nationale et à l’économie agraire-exportatrice et le deuxième
à la modernité principalement anglo-saxonne et à l’industrialisation induite. Selon les
premiers, la monnaie nationale devrait être forte de façon à bien rémunérer les produits
agricoles exportés et, ainsi , entraîner la croissance de cette activité. Selon le deuxième
groupe, la monnaie nationale devrait être moins valorisée, de façon à empêcher que les
importations de produits manufacturés gênent le développement de l’industrie nationale.
Juste après celui-là, apparaît un nouveau conflit dans lequel les ingénieurs s’identifiaient au
développement national qui devrait préserver l’industrie et l’infrastructure économique par la
planification étatique. Finalement, dans les années 1960, arrive le nouveau groupe des
économistes portés par un discours sur l’autorité fiscale qui devrait conduire à la maîtrise de
l’inflation, dont la composante principale serait un État mal administré à cause de ses
volontés irréalistes d’intervention exagérée dans l’économie. Pour résoudre ce problème,
l’Etat devrait progressivement abandonner les velléités, maintenant identifiées négativement
comme corporatives, de diriger le développement et se donner pour tâche principale le
contrôle de la monnaie, laissant au marché la fonction de lancer le développement « naturel »
lorsque les conditions requises seraient réalisées, étant donné que le développement
« artificiel » recherché en d’autres temps n’aurait conduit qu’à la désorganisation sociale ,
dont l’inflation était le symptôme et la composante essentiels. Cette niche culturelle, produite
en grande partie par la diffusion de la pensée économique orthodoxe contemporaine crée le
milieu nécessaire au développement des finances et intronise ses interprètes brésiliens dans la
position d’intellectuels organiques du champ du pouvoir qui s’est formé dans les dernières
décennies. En conséquence de cette configuration, toute critique de l’orthodoxie est
généralement mal perçue et taxée d’attardée et corporative – péchés intellectuels et moraux
dont peu de brésiliens sont capables de porter le poids.
Mais la principale conséquence de ce résultat réside dans la permanence de l’énorme
asymétrie dans la distribution des revenus au sein de la société brésilienne. Bien que
statistiquement cette situation puisse être considérée comme insoutenable, la dynamique
sociale explique sa permanence. Les dernières nouveautés en matière de crédit populaire en
sont un exemple. Les salariés, en particulier ceux du secteur public, et les retraités titulaires
de pensions qui ont des revenus fixes garantis (formalizados) parviennent à obtenir des prêts
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dont les mensualités de remboursement seront prélevées directement sur leurs revenus
mensuels(le « crédit consigné). De cette façon l’éventualité du non paiement est réduite à
presque zéro et les taux d’intérêt sont beaucoup moins élevés que les taux normalement
pratiqués par les entreprises de financement qui opèrent avec les clientèles populaires. 2
Tandis que les dites « sociétés de financement populaire » exigent des taux d’intérêt qui vont
de 3,5 à 10% par mois, les taux du crédit consigné, accordé aux titulaires de revenus sur
lesquels les mensualités de remboursement peuvent être débitées directement, tournent
autour de 2,3 à 3% par mois (SOFIA 11/02/2008).Ces taux sont très élevés comparés aux
modèles internationaux et rémunèrent grassement les banquiers, mais même ainsi ils restent
bas par comparaison avec ceux auxquels la clientèle qui en use était habituée par le passé.
Cette configuration à la fois grotesque et compréhensible engendre une profonde acceptation
du système qui, au moins à court terme, favorise à la fois les titulaires de rentes et ceux qui
ont besoin d’emprunter. 3 En somme, vue de l’intérieur, la relation de la société brésilienne
avec son système financier parait s’être améliorée ces derniers temps, encore que la situation
puisse surprendre un regard familier d’autres latitudes ou d’autres relations de force entre
agents économiques.
Le national et l’international dans les finances
Dans une perspective internationale, quand on regarde les finances à partir des acteurs
les plus en vue dans les media, on observe dans le langage des marchés un modèle semblable à
Sao Paulo, Kuala Lumpur, Paris ou New York. Surgit alors la tentation de considérer
seulement cette fonction homogénéisante des marchés sur les pratiques des champs
2
L’unique possibilité de non-paiement, non encore réalisée à ce jour, serait l’éventualité dans laquelle
l’emprunteur obtiendrait une sentence juridique interdisant au créancier de récupérer son prêt
directement sur le bulletin de salaire ou le bulletin de pension.
3
Elle aussi met en lumière des changements significatifs dans la sphère familiale des familles dont un
des membres peut prétendre à ce type de prêt. Le cas est de plus en plus fréquent du retraité qui
sollicite un prêt en réalité destiné à un fils ou un petit-fils qui sans cela n’auraient pas accès à cette
source de financement bon marché par comparaison avec les sources auxquelles ils auraient accès par
eux-mêmes. Ce procédé devient même progressivement une nouvelle obligation familiale qui a des
conséquences importantes dans la structuration des noyaux familiaux et les relations de force en leur
sein.
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économiques et politiques des diverses sociétés. Mais je crois que cette logique cache plutôt
qu’elle ne révèle la logique sociale selon laquelle les marchés opèrent et les influences qu’ils
exercent sur le reste de la société. Un autre piège pour la sociologie de cet espace social réside
dans la tendance universitaire dans les sciences humaines de réaliser des études
ethnographiques systématiques et rigoureuses de groupes spécifiques d’agents qui opèrent sur
ces marchés comme, par exemple, les courtiers en marchandises ou en actions qui sont utiles
pour montrer comment ces groupes se comportent et pourquoi, mais fonctionnent moins bien
pour évaluer la dynamique de l’espace social pris comme un tout étant donné qu’ils finissent
par incorporer les arguments et les théodicées du groupe qui est toujours en conflit de
juridiction avec d’autres segments de l’espace.
Pour éviter, ou au moins relativiser les effets de ces deux pièges, je pense qu’un bon
procédé consiste à analyser la forme donnée au Brésil à quelques instruments financiers de
base qui promeuvent la « financérisation » de la société brésilienne. Ainsi les capitaux et les
stratégies qui s’affrontent dans l’espace des finances seront analysés « d’arrière en avant » à
partir des instruments et des institutions qui apparaissent et, éventuellement, ceux qui
avortent. La « jeunesse » de cet espace et de ses institutionnalités permet une analyse plus
rapide, étant donné que les traces de sa constitution peuvent être retrouvées par l’analyse de
l’activité du gouvernement brésilien et des organes multilatéraux tels le FMI, la Banque
Mondiale et l’OCDE, des acteurs individuels et collectifs qui y agissent, dans les actions et
les réactions dans les espaces d’action des dirigeants syndicaux et, plus récemment, aussi les
dirigeants des diverses ONGs qui s’occupent des causes sociales, environnementales ou de
genre, ainsi qu’à travers leurs reflets dans la presse politique, environnementale et d’affaires.
Les dispositifs financiers les plus amples qui sont importés, retravaillés et dotés de
significations nouvelles dans la société brésilienne sont la gouvernance corporative et
l’émission de fonds communs privée de placement en actions (private equity funds). Tous
deux ont la caractéristique d’être une architecture construite à partir d’ensemble
d’instruments pas toujours homogènes plutôt que des outils clairement définis quant à
l’heuristique, l’usage et les objectifs. De cette manière ils peuvent, du point de vue de
l’analyse, être considérés à la fois comme institutions et comme artefacts culturels. Comme
institutions parce que la logique de leur implantation dans la société brésilienne dépend de
réarrangements dans divers secteurs et espaces sociaux, tels les champs économique,
juridique et politique. Et une fois installés ils produisent des effets irréversibles dans ces trois
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sphères. Comme artefacts culturels, parce qu’ils se révèlent d’une grande plasticité. Cette
dernière caractéristique qui normalement, dans une approche positive ou opérationnelle, peut
être considérée comme une circonstance perturbatrice ou comme un résidu que le temps ou la
raison devront corriger, devient une piste fondamentale pour l’analyse sociologique étant
donné qu’elle constitue la fenêtre par laquelle nous pouvons observer avec plus de clarté les
idées et les relations entre les groupes en concurrence et en compétition pour donner sa forme
au champ financier dans sa spécificité brésilienne. Il s’agit donc d’une tentative pour rendre
compte de la dynamique culturelle qui sert de base à la domination financière, qui ainsi doit
être traitée comme un mode de domination au sens wébérien, dans lequel il faut chercher et
comprendre les formes de légitimation de l’ordre que les finances imposent à la société. En ce
sens, l’étude de l’empire que les finances ont constitué dans le Brésil contemporain peut aussi
être considérée comme une tentative de sociologie du pouvoir et comme l’exploration d’une
piste différente pour la discussion, qui dure depuis des décennies, sur « les » « ideias fora do
lugar » qui donneraient sa forme propre à la dynamique culturelle de la société brésilienne,
encore que son espace empirique spécifique soit une zone très prosaïque de l’espace social
(Schwarz 1977).
Chronologiquement, la gouvernance corporative arrive au Brésil avant et promet le
cycle vertueux tant espéré de capitalisation des entreprises brésiliennes par le biais des
marchés de capitaux ouverts, qui devrait les rendre beaucoup plus aptes à se développer,
innover et entrer dans la compétition nationale et internationale. Le corollaire, et peut-être
est-ce pour expliquer la dynamique sociale plus important que la prétendue fonctionnalité de
l’ensemble des dispositifs, est que ce cycle augmente drastiquement le fond de commerce de
tous les circuits d’intermédiaires (agents, financiers, avocats, économistes financiers, agences
et agents comptables, medias spécialisés) qui opèrent sur le marché financier. Comme dans
d’autres phénomènes de diffusion culturelle d’instruments économiques ou organisationnels,
surgit au niveau international une discussion sur la possibilité réelle de la gouvernance
corporative, l’instrument qui a été l’aboutissement des discussions spécifiques du champ
économique nord-américain, de fonctionner dans d’autres environnements dont les
particularités de l’histoire économique et sociale rendraient les outils nord-américains
exotiques et inefficaces (Roe 1994, Hollingworth et Boyer 1997). A l’exemple de ce qui arriva
dans la décade de 1980 à propos de l’administration industrielle japonaise, et particulièrement
de la « qualité totale », cette première discussion, nécessairement générique et doctrinaire, est
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progressivement dépassée par ue autre plus précise qui considère les exemples concrets déjà
plus ou moins constitués et concrets et visent les hybridations qui rendent compte à la fois de
la tendance internationale et des spécificités nationales ou locales (Jackson 09/2001 Grün 1992,
Cole 1995, Grün 2003).
Les fonds privés de placement en actions arrivent au Brésil un peu après, initialement
pour rendre viables les consortiums d’entreprises qui participèrent aux privatisations des
années 1990. dans cette évolution le fond de commerce est plus restreint au monde financier
et jusqu’à très récemment seuls les financiers plus internationaux et intellectuellement bien
préparés à leur fonction parvenaient à se risquer avec désinvolture dans cet espace. En
l’occurrence il s’agissait d’accoutumer la société et de créer un cadre juridique pour isoler la
fonction d’entrepreneur, confiée normalement à de nouveaux groupes financiers, de la
fonction de capitaliste-rentier que les fonds de pension furent obligés de développer au cours
de cette série d’épisodes (Grün 2007) Les jeunes banquiers d’investissements devenus très
internationaux créèrent cet espace au cours de ces épisodes de la décennie 1990 et, plus
récemment, il a bénéficié d’une énorme impulsion grâce au boom de l’éthanol et des énergies
renouvelables en général. C’est tout sauf un hasard si ce boom brésilien a coïncidé avec un
intense mouvement de même nature sur les marchés des pays centraux, alimenté tant par les
ressources des investisseurs externes que par la légitimité attachée aux instruments
développés par leur usage intense et qui faisait l’objet d’une vive publicité dans les pays
centraux. De cette manière , la nouveauté financière dans laquelle les investisseurs confient
leurs capitaux aux soins des gestionnaires de fonds en contrepartie d’un ensemble de
garanties considéré comme moins sûr que les investissements traditionnels finit par être
considérée comme un miroir de ce qui se passe sur les marchés plus développés et est bien
acceptée dans l’espace économique brésilien. Ainsi l’utilisation de ce dispositif financier
réussit à mobiliser avec succès des capitaux considérables chez les investisseurs privés. La
logique de la centralisation des capitaux et de la dispersion du risque qu’on retrouve dans les
fonds de private equity (fonds communs de placement en actions) est vieille comme le
capitalisme (Braudel 1979). Mais dans le passé brésilien, son utilisation restait informelle et
restreinte à la concentration de capitaux d’individus appartenant à de petits cercles sociaux
homogènes, tels les élites locales des municipes ou les groupes ethniques caractérisés comme
« nations commerçantes » (les Juifs, Arménies, Libannais). Typiquement, le mécanisme était
utilisé dans la construction civile comme forme de financement d’entreprises immobilières
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telles que la construction d’édifices à étages, ou pour l’achat d’un taureau reproducteur destiné
à féconder les vaches de plusieurs éleveurs ou dont le sperme devait être congelé et vendu et
les profits réalisés partagés entre tous. Dans la configuration créée par les novateurs
financiers récents ce mode de financement augmente considérablement ses objectifs jusqu’à
se transformer en un dispositif d’usage généralisé et beaucoup plus largement que par le
passé. En atteignant cet objectif il est probable que l’instrument subit un changement
qualitatif étant donné que la quantité des liquidités rassemblées permet la réalisation
d’opérations beaucoup plus audacieuses quant au nombre des partenaires, au volume de
capital engagé et à la diversité des objectifs. 4
Mais on ne rendrait pas compte de la dynamique sociologique de la financérisation
brésilienne si on n’était pas attentif aux processus micro-sociologiques, particulièrement au
niveau de l’entreprise et et des « unités commerciales » qui ont commencé à apparaître un peu
et qui ont préparé le terrain pour les innovations qui viennent explicitement des marchés
financiers. Le sens commun des « diagnostics sur le Brésil » affirme que nous sommes les
héritiers d’une caractéristique négative des sociétés ibériques qui engendre des bureaucraties
particulièrement pesantes, coûteuses et inefficaces. De la sorte, la recherche de solutions
organisationnelles modernes pour « révolutionner » l’espace de l’administration publique et
privée est une constante depuis le début du XXème siècle au moins , ce qui garantit le succès
des gouvernements qui « s’attaquent à ce problème « et assure une couverture médiatique
complaisante aux entreprises qui affirment réaliser des expériences novatrices dans ce
domaine. C’est ainsi que le terrain économique et politique brésilien est une terre fertile où
4
Mais il faut aussi rappeler le rôle de la BNDES –Banque nationale du développement économique et
social, la banque de développement la plus importante et aussi la plus respectée appartenant au
gouvernement fédéral, comme acheteuse de private equities. Ce faisant, la BNDES garantit les
entreprises sur deux plans : en faisant l’acquisition initiale des papiers elle réunit rapidement les
capitaux nécessaires aux affaires et par le choix des entreprises qu’elle appuie elle les légitime aux
yeux des investisseurs particuliers. Aussi plusieurs analyses sont-elles possibles ici. D’abord, quels
investissements sont sélectionnés par la BNDES et comment se réalise ce processus de décision, quels
sont les critères utilisés –est-ce d’abord la viabilité financière, ou l’impact sur l’activité économique
nationale, sectorielle ou régionale , ou des critères étroitement politiques sont-ils également pris en
compte dans la prise de décision ? Et, sur un plan plus général, la question sur le quand et le comment
la BNDES en est venue à accepter les PEs comme alternatives et comme modalités adéquates pour
exercer son activité de moteur et de financeur du développement.
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poussent toutes sortes de nouveautés internationales dans l’espace des organisations facilitant
la vie des entreprises de consultation et des gourous qui offrent des solutions pour réaliser ce
désir.
Sur cette toile de fond et selon le schème classique des possibilités organisationnelles
inhérentes au capitalisme proposé par (Weber 1995) et développé par Douglas (1996), nous
pouvons proposer une caractérisation rapide de la chronologie récente de l’espace
organisationnel brésilien. Après une période de prédominance de présupposée de la « qualité
totale » dans les entreprises, caractérisé par une logique sociale et cognitive de compromis
entre les raisonnements de marché et les principes hiérarchiques, nous assistons à la
progressive colonisation de l’espace des entreprises par les idées du premier groupe. Le
processus commence de façon claire avec la diffusion de système comptable ABC (Activity
Based Costing) dans la deuxième moitié des années 1980 (Armstrong 2002). L’objectif
explicite de « l’outil » est de mesurer séparément la contribution de chaque unité de
l’entreprise à ses résultats financiers et, implicitement commence la reconquête de l’espace
cognitif interne des organisations jusque là croyant dans les idées selon lesquelles les
collectifs de travailleurs produisent plus de valeur que l’action isolée de chacun d’eux. Alors
cette éventuelle potentialité collective devient moins évidente éclipsée par le succès de la
mesure de plus en plus exhaustive de la contribution marginale de chaque unité de travail ou
de capital aux résultats financiers de l’organisation (Grün 1999). La diffusion des présupposés
cognitifs et sociaux individualisants initiée par notre ABC va être grandement renforcée au
début des années 1990 par la fameuse « ré-ingénierie » qui déborde les limites des entreprises,
impulse les processus de réorganisation interne, principalement des entreprises néoprivatisées, et va être , cognitivement, suivie par par des outils plus spécifiques comme le
Balanced Score Card (BSC), le Six Sigma et l’Economic Value Added (EVA) qui continuent
et approfondissent la catéchèse (Lordon 2000 ; Norreklit 2000 ; Grün 2004). On peut trouver
une bifurcation significative de ces « techniques d’évangélisation » : il y a une séquence, qui
passe par le BSC et le Seis Sigma, qui indique clairement un type de composition avec la
vague antérieure de la qualité totale ; tandis que le EVA indique l’instauration complète du
point de vue financier sur l’entreprise. Et, évidemment, chacun de ces instruments autorise
des mouvements sémantiques qui peuvent faire coexister, encore que de manière limitée, des
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visions divergentes. 5 La séquence d’application des artefacts organisationnels dans cet espace
où la concurrence professionnelle a pour effet de rendre frénétique la recherche de nouveautés
a pour effet de produire des altérations comportementales et cognitives au sens de diminuer
les présupposés collectivistes sous-jacents à l’organisation du travail et ,ainsi, en familiarisant
les populations avec les présupposés de la financérisation, en particulier celui qui affirme que
l’individu est toujours plus important que le collectif, préparent l’avènement des nouveautés
financières (Grün 2004).
Le piège social de la financiarisation
La financiarisation finit par être également la résultante de tensions dans d’autres
espaces sociaux apparemment moins enclins à suivre cette voie. La première surprise vient de
l’espace de la représentation syndicale. Le déclin de la dictature militaire à la fin des années
1970 et au début des années 1980 conduisit a la renaissance de la contestation ouvrière. La série
dramatique d’événements survenus dans cet espace social a fini par produire toute une
nouvelle génération : un grand nombre de militants de base dans les syndicats et aussi de
dirigeants confirmés. Le reflux de ces mobilisations, qui se produisit dans les années 1990
avec le succès du contrôle de l’inflation, a poussé ce nouveau groupe doté d’une forte
dynamique ascensionnelle à chercher d’autres espaces d’action. Les fonds de pension des
entreprises publiques étaient un des possibles. A ce niveau ils étaient confrontés aux cadres
5
Le EVA est internationalement considéré comme le principal vecteur de la financérisation aiguë des
entreprises (Lordon , F. 2000). « La ‘création de valeur’ comme rhétorique et comme pratique.
Généalogie et sociologie de la ‘valeur actionnariale’ ». L’année de la régulation :Economie, Institutions,
Pouvoirs 4 : 117-170.
Williams, J.F.a.K. (2007) Private equity and the culture of value extraction. CRESC Working Paper
Series CRESC, The Universiity of Manchester Volume, DOI :
Normalement ce processus est produit par le biais d’une transformation organisationnelle importante
qui se réalise sociologiquement à partir d’une lutte de générations, dans laquelle une nouvelle
génération de cadres impose ses points de vue et déloge les anciens de leurs postes d’ commandement
et de prestige. Mais le premier cas d’implantation de cet outil au Brésil (le premier que j’ai pu
répertorier, ce qui signifie que très probablement il en existe d’autres qui peuvent ou non referendar
os insights du premier) n’a pas suivi le scenario attendu. Soares, J.P.R.F. 2006, A influência da
orientação à geração de valor ao acionista na praticas de gestão de pessoas. Escola Politécnica da
Universidade de São Paulo. Mestrado em Engenharia de Produção.
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traditionnels des cet espace et aussi aux nouveaux banquiers d’investissement apparus à la
même époque.
Dans le nouvel espace social et politique d’action, les cadres issus du mouvement
syndical se trouvèrent disputer la couronne de champions de la gouvernance corporative, cet
ensemble de dispositifs financiers, comptables et légaux qui premièrement visaient à
restaurer la suprématie des actionnaires au détriment des directions professionnelles des
entreprises de capital ouvert mais qui finirent par se transformer en cadres de référence pour
des mouvements de beaucoup plus grande ampleur. Dans une première lecture, la
gouvernance corporative se révèle un excellent véhicule pour conduire les prétentions de ce
groupe jusque là peu familiers des particularités de l’espace financier. La gouvernance
corporative parle du marché financier comme d’une arène comparable à la sphère civique,
dans laquelle il doit y avoir de la transparence, du respect pour le droit des minorités et
démocratie (Ocasio et Joseph, 2005 ). Du moment que les dirigeants syndicaux étaient déjà
familiarisés avec ce langage et le considéraient comme une expression positive, , sans parler
de la possibilité de, à travers lui, établir une position légitime dans le monde financier, il n’est
pas surprenant de les voir marcher derrière cette bannière dans divers sous-espaces auxquels
ils ont accès et, en outre, grâce à ce drapeau étendre l’objectif de leur légitimité dans des zones
sociales dans lesquelles leur présence antérieure n’était pas reconnue (Grün 2003, Jardim
2007). En termes étroitement économiques, la gouvernance corporative est habituellement
vue comme un remède efficace pour un problème considéré comme crucial pour l’économie
brésilienne : la difficulté de canaliser le capital de tiers pour financer les entreprises. Comme
celles-ci ne disposent pas de capital propre pour financer leur expansion à la mesure de ce qui
est requis par le potentiel de l’économie brésilienne et que le crédit bancaire est depuis des
siècles considéré comme très cher et rare, l’absence d’un marché des capitaux efficace dans
cette fonction est vue comme une déficience majeure du capitalisme brésilien qui serait
condamné à une croissance modeste tant que cette question resterait sans solution. Une fois
instaurée la bonne gouvernance corporative les investisseurs auraient une plus grande
confiance pour investit leurs ressources en actions au lieu des traditionnels investissements
immobiliers ou des dépôts à l’étranger et nos entreprises auraient accès à un pool d’épargne
beaucoup plus large et à des coûts moins élevés. Et, de la plus grande importance pour
justifier le comportement des syndicalistes, quand ceci se produira, nous aurons également
des augmentations au niveau de l’emploi et des salaires.
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Mais ce n’est pas seulement dans la question de l’emploi que l’impact de la
gouvernance corporative se fait sentir : une autre caractéristique attribuée au capitalisme
brésilien est son caractère « sauvage ». En l’absence d’un système de contrepoids efficace, les
capitalistes brésiliens exacerberaient la tendance à la cupidité qui est inhérente au système.
Chevauchant le destrier de la gouvernance corporative les dirigeants syndicaux reconvertis
en viennent à revendiquer le rôle de « dompteurs de la sauvagerie du capitalisme brésilien »
(Grün 2007, Jardim 2007). Dans un premier temps, cette tendance tenta de s’imposer dans les
années 1990 sur le théâtre des chambres régionales et de secteurs industriels qui furent
instituées à ce moment-là. Celles-ci eurent alors leur heure de gloire comme mécanismes de
coordination et de coopération entre des acteurs sociaux jusque là en conflit ouvert ou latent,
principalement dans le processus de redressement de l’industrie automobile locale, pour
bientôt après perdre leur aura de solution aux problèmes des régions et des branches
d’industrie et être dénoncées comme mécanismes « corporatifs », héritiers de la tradition
varguiste (Vargas, dictateur entre 1930 et 1945 et Président du Brésil élu pour la période 195054) , qui en vint à faire l’objet d’attaques systématiques durant le mandat de FHC à la
présidence de la République (1995-2001). Pendant cette période l’ « éradication du néfaste
héritage varguiste » en vint à constituer l’essentiel de la politique économique et sociale. Sur
ses pas arriva la prédominance des financiers, étant donné qu’ils sont porteurs à la fois des
instruments économiques nécessaires pour la privatisation des entreprises publiques, qui,
selon cette interprétation du Brésil et de ses problèmes, fournissent la base sociale et
économique des « corporativistes » ; et des justifications idéologiques nécessaires pour
l’acceptation des nouveaux modèles de coexistence - le credo néo-libéral selon lequel les
entreprises privées sont toujours plus efficaces que les entreprises publiques.
Dans cette niche culturelle néo-libérale, il était difficile pour les chambres régionales
et de secteurs de trouver les conditions pour rester actives et, de fait, elles disparurent
pratiquement du paysage national. Et, dans la trame politique c’est là qu’intervient la
gouvernance corporative se constituant en fonds de commerce des dirigeants syndicaux au
sein de l’espace autorisé par la prédominance financière. Entre les mains et dans la bouche des
dirigeants syndicaux, la gouvernance corporative promet d’être un instrument de contrôle
social de l’action des financiers. Dans ce cadre, parés de la légitimité conférée par leurs
mandats syndicaux, ils se posent en agents légitimes du contrôle social dans le milieu des
finances. En ce sens ces agents brésiliens seraient en passe de réaliser un désir que leurs
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COLÓQUIO SABER E PODER
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collègues français et nord-américains ont longtemps cherché à réaliser, encore que de manière
différente.
Mais le type de sociabilité créé par les finances attire de nouveaux groupes
d’individus, eux aussi jusque là très éloignés de ce monde et en opposition avec lui. Il s’agit de
groupes de dirigeants et de militants des ONGs, organisations non gouvernementales
consacrées aux causes sociales et environnementales qui depuis le début du XXIème siècle
ont donné son impulsion à la politique de responsabilité sociale et de soutienabilité des
entreprises. Dans un premier temps, on assiste à la diffusion rapide au Brésil du concept de
responsabilité des entreprises propulsé aussi par les échos des scandales entrepreneuriaux des
États-unis, en particulier celui de l’Enron. L’entreprise qui suscite de bonnes actions de la part
de ses collaborateurs paraît moins encline à commettre des fraudes comme celles qui furent
révélées au début du XXIème siècle. D’une manière plus générale, la responsabilité sociale et
environnementale constituerait un bon antidote au risque de déclin moral » : la possibilité que
l’entreprise se laisse aller à des pratiques dommageables pour sa survivance ou sa valorisation
à long terme étant considérée comme responsable d’accidents écologiques de grand impact
comme celui de Bophal en Inde ou les déversements de pétrole sur les côtes de l’Alaska ou du
Canal de la Manche. Partant de là, les théoriciens de la gouvernance corporative d’inciter aux
pratiques bienfaisantes censées diminuer les risque couru par les actionnaires quand ils
confient leurs ressources à la gestion des membres de l’entreprise.
Le succès du Forum Social de Porto Alegre consacra une série d’ONGs et leurs
dirigeants comme porte-parole légitimes de diverses causes et préoccupations sociales
brésiliennes. Nos agents sociaux et environnementaux finissent par entrer dans ce halo
prenant l’initiative de proposer à l’adoption des entreprises des formes d’action sociale et
environnementale ainsi que les instruments de mesure pour contrôler les résultats de ces
actions. Apparaît au Brésil et gagne très vite de la légitimité, le « bilan social entrepreneurial »
proposé par « Betinho », un militant des ONGs déjà fortement légitimé par son action passée
dans le combat contre la faim et dans la campagne en faveur de la politique de santé relative à
la prévention et au traitement du SIDA. Un des effets de ce développement a été que
l’ensemble de pratiques analogues que cet exemple a mis en lumière finit par déclencher un
processus systématique de traduction des préoccupations et des sensibilités sociales et
environnementales en un langage intelligible et utilisable par le monde des finances. Ce
processus est très visible, tant dans ses résultats que dans ses contradictions et ses limites,
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dans le processus auquel nous assistons en ce moment de construction de l’ « indice de
durabilité entrepreneuriale » - l’ISE – autour duquel se réunissent , et se séparent, les acteurs
financiers, sociaux, syndicaux ainsi que des acteurs traditionnels qui jusque là avaient le
monopole de proposition et de manipulation de normes techniques à suivre par la société, en
particulier l’ABNT – Association Brésilienne de Normes Techniques, outre d’autres acteurs
et agents liés directement ou indirectement à l’Etat, comme la CVM –Commission des
Valeurs Mobilières, une des agences gouvernementales brésiliennes chargées de contrôler les
marchés financiers.
On le voit, le mouvement qui a commencé au sein du marché financier conduit à un
ensemble de transformations qui traversent une bonne partie du tissu social, en particulier
dans le champ du pouvoir, impliquant les nouvelles élites qui en viennent à briguer des
positions dans cet espace toujours disputé. Mais la dynamique sociologique de ce processus
serait bien pauvrement décrite si nous ne prenions pas en compte que ces élites n’agissent pas
isolément (en ordre dispersé) dans l’espace social. Elles doivent se confronter avec des
groupes qui occupaient jusque là des positions analogues et aussi avec des groupes qui, dans
leurs espaces d’origine éloignés du champ du pouvoir et généralement en opposition avec lui,
contestent les nouvelles relations et les considèrent avant tout comme des processus de
cooptation au bénéfice des classes dominantes traditionnelles et de leurs agents dans le champ
du pouvoir. Les vicissitudes de l’implantation de l’ISE au Brésil révèlent plusieurs de ces
phénomènes. Premièrement, la discussion sur l’acceptation ou non dans l’indice d’entreprises
comme les producteurs de cigarettes a fini par provoquer une désertion considérable qui fut le
retrait de l’Ibase, l’ONG fondée par Betinho qui ne fut pas d’accord avec cette inclusion. Les
arguments des partisans de l’inclusion étaient que si le produit était légal sa vente ne pouvait
pas être tenue pour immorale en principe, et qu’un ensemble spécifique de pratiques
bienfaisantes patronnées par les entreprises pouvait constituer un contrepoids acceptable aux
dommages que les cigarettes causent à la santé de leurs consommateurs. Les représentants de
l’Ibase quant à eux alléguaient que le caractère intrinsèquement préjudiciable à la santé de la
consommation de cigarettes constituait un obstacle absolu à l’acceptation de ces entreprises
dans l’ensemble à évaluer. Sur un autre plan, l’ABNT revendique le monopole des systèmes
de mesure qui constitueraient l’ISE et tente d’écarter les acteurs représentant des secteurs de
l’action bienfaisante. Et, pour ce faire, elle tente d’utiliser le soutien légal qu’elle obtenait en
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COLÓQUIO SABER E PODER
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d’autres temps et qui n’a pas encore été formellement annulé, encore qu’elle ait été dépassée
par la dynamique sociale ?
Et au sein même du mouvement syndical, la CUT –Centrale Unique des Travailleurs,
qui a regroupé la majeure partie des militants des années 1970 et 1980, commence à craindre
un possible débordement sur sa gauche à cause de l’apparition et du succès relatif du
« Conlutas », un nouveau groupement syndical formé en grande partie de militants de
sensibilité trotskyste qui jusque là faisaient partie de la CUT mais qui a progressivement
rompu avec elle. Et ce nouvel acteur collectif tient avec la « capitulation des dirigeants de la
CUT devant le marché financier » une de ses principales bannières de contestation et
d’attraction des militants mécontents des innovations que les directions syndicales acceptent
bien plus facilement que les militants de la base (Leal 04/02/08).
Le surgissement et l’évolution des Private Equities.
Comme je l’ai signalé plus haut, l’évolution des fonds² privés de placement en actions
(private equity funds) au Brésil est une histoire plus récente et moins sujette à des
hétéronomies explicites que la gouvernance corporative. Mais sa chronologie aussi est
révélatrice du substrat culturel et politique qui est à la base de l’activité financière dans le
Brésil actuel. Au début de leur configuration actuelle, ils parurent être un instrument
d’imposition des intérêts des banquiers d’investissement aux administrateurs des fonds de
pension. Cette caractéristique se manifesta publiquement dans les luttes pour le contrôle des
entreprises récemment privatisées dans le secteur des télécommunications qui opposèrent le
banquier Daniel Dantas aux grands fonds de pension : les « joint-ventures » qui se
constituèrent pour enchérir dans les enchères de privatisation puis pour administrer ces
entreprises étaient constituées d’apports relativement petits de capitaux des banquiers et de
leurs proches associés et d’investissements beaucoup plus significatifs des fonds de pension.
Mais les contrats qui furent solennellement établis plaçaient la gestion de ces emprunts dans
la main des banquiers, une situation qui serait tout à fait impossible si les dispositions avaient
la forme des traditionnelles sociétés anonymes à capital ouvert. Évidemment ces
arrangements étaient avantageux pour les banquiers et préjudiciables aux fonds de pension.
Par la suite sous le gouvernement de Lula les dirigeants des fonds de pension et, pour la
plupart, répudièrent la forme « private equity » dans sa généralité (Santos 18/06/2007 ; Grün
2007). Mais cette situation ne devait pas durer. Au sein des fonds de pension il commence à y
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avoir débat sur les Fonds de private equity. Au début un seul des grands fonds de pension
accepte d’y investir (Martins 27/04/06). Plus tard le groupe entier adhère au système, encore
que de manière différenciée (Travaglini 11/02/08).
Comment peut-on comprendre ces changements d’opinion et de manière de faire ? Un
des intérêts majeurs de la réponse à cette question est de mettre en évidence une
caractéristique importante du champ financier au Brésil. Tandis que Daniel Dantas
maintenait par le fer et par le feu sa prééminence dans les entreprises qu’il avait créées,
d’autres « jeunes » banquiers d’investissement s’en distinguaient en proposant à divers
investisseurs, parmi lesquels principalement les fonds de pension, des fonds de placement en
actions différents dont faisaient valoir qu’ils auraient des « indices élevés de gouvernance
corporative ». Parmi les principaux tenants de cette nouvelle tendance on peut distinguer
Arminio Fraga et Antonio Kandir, qui réalisèrent eux aussi des opérations financières de
grande envergure qui finirent par aller dans le sens des intérêts des fonds de pension et
d’autres grands investisseurs. 6 Une fois en place, eux aussi devinrent des exemples à suivre
pour d’autres « players » du marché, les contraignant à adopter des clauses de sauvegarde
analogues. On voit ainsi apparaître une différenciation au sein du pôle novateur du champ
financier, qui montre en même temps sa vitalité – il est en effet suffisamment plastique pour
incorporer et absorber des critiques – et sa capacité à régler des différends qui jusque là
paraissaient séparer les pôles de manière permanente.
Cette évolution du processus de mise en place des fonds de private equity dans la
société et dans l’économie brésiliennes revêt un intérêt particulier parce qu’elle parait aller en
sens contraire de ce qui se passe dans les pays du « 1er Monde ». Aux Etats-Unis en particulier,
les fonds de PE sont considérés comme un antidote organisationnel aux excès régulateurs de
6
Les trois acteurs se situent dans la tranches des cinquante ans, sont docteurs en économie et
viennent de familles sans investissements préalables sur le marché financier. Je pense que la
principale caractéristique sociale qui distingue Daniel Dantas de ses collègues/concurrents est que,
tandis qu’il a fait toute sa carrière dans le secteur privé de l’économie, les deux autres ont occupé des
postes importants dans l’administration économique et la politique. Dantas semble avoir lancé
l’importation des fonds de private equity tandis que les deux autres ont profité de la tendance déjà
établie. Mais pour y trouver leur place ils ont du créer un sous-espace qui les différencie positivement.
Les formes de capital accumulées au cours de leurs parcours politiques les ont dotés des ressources
politiques et culturelles nécessaires pour formuler et rendre crédible leur approche des préoccupations
plus larges de la société.
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la législation « post-Enron » sur les sociétés (Sorkin 08/01/2007 ;Economist 27/11/2004). Des
entreprises dont la structure de propriété se ferme par l’action des fonds de private equity
sont considérés comme plus efficaces et plus intéressants pour leur dirigeants que celles dites
« ouvertes « qui doivent rendre des comptes méticuleux à leurs actionnaires. Dans un tel
contexte, la gouvernance corporative, considérée jusqu’à récemment comme la principale
caractéristique positive des marchés financiers et même de l’économie nord-américaine par
comparaison avec les autres économies du »1er Monde », en vient à être honnie comme un
ensemble de régulations excessives qui bureaucratisent les entreprises et les moins
compétitives que celles qui ont leur siège à Londres, cette ville reprenant ainsi la couronne (le
titre) de Mecque du capitalisme (Conway 05/07/2007 ; Poston 09/01/2006).
Conclusion
Au bout du compte, qu’est-ce qui est international et qu’est-ce qui est national dans le
mode de domination qui tient la société brésilienne ? Il est certainement un reflet brésilien
d’un phénomène mondial, mais il n’est pas non plus possible de l’expliquer uniquement par
les conditionnements extérieurs (externes). Les idées financières seraient-elles déplacées ici ?
Nous avons soupesé les nuances de ce jugement et nous avons constaté à quel point il
est difficile de répondre sans équivoque à cette question. Et les mots alors –le discours sur la
suprématie financière ? Celui-ci certainement est à sa place et fournit la base des divers
remaniements au sein des élites brésiliennes actuelles, remaniements qui permettent les
compositions entre les secteurs traditionnels et les secteurs plus récents de même qu’entre les
divers groupes qui ont accédé récemment au champ du pouvoir. En ce sens, les finances
fournissent un cadre de référence adéquat pour le processus de transformation sociale et
économique par lequel passe le Brésil en ce moment.
Au cœur du discours des finances se situe l’austérité dans la conduite de l’économie. Il
est intéressant de noter que même le gouvernement « de gauche » de Lula a maintenu cette
règle fondamentale qui balise les limites de ses audaces. Dans la conjoncture du deuxième
gouvernement de Lula cela signifie un énorme apport de dollars étrangers investis sur le
marché financier brésilien, dollars qui produisent une forte valorisation de la monnaie
nationale et la perte corrélative de compétitivité des produits industriels fabriqués au Brésil
face à leurs concurrents venus de l’étranger, de la Chine en particulier. Une justification
habituellement utilisée pour convertir à cette attitude les politiques issus de l’aile gauche du
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spectre politique affirme que les importations de produits étrangers de consommation et de
production abaissent le coût de la vie améliorant ainsi le niveau de vie des groupes salariés.
Ce discours satisfait le monde de la finance qui voit dans la stabilité monétaire la base sûre
pour les rentes, dans les taux d’intérêt élevés un attrait pour attirer les investisseurs étrangers
et cet édifice économique et culturel reçoit la caution de la référence au courant principal de la
pensée économique du « 1er Monde ». On voit que si les mots viennent de l’extérieur, les
débats sont internes.
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Annexe : Taux d’intérêt pratiqués au Brésil (annualisées, sauf indication ; soruce – Banque Centrale du Brésil)
Capital
(Déficit sur
circulant compte)
Année
Acquisitions Vendor
Hot
Money
Duplicata
Escomptable provenant de
transactions commerciaux
Promissory
Note
1999
47,64
58,65
40,67
28,24
52,42
53,81
58,15
2000
32,53
54,34
30,72
20,76
39,38
44,66
50,20
2001
37,70
63,74
34,43
25,10
46,11
50,14
56,13
2002
42,28
77,31
43,04
32,90
51,99
56,12
50,89
2003
35,80
69,67
29,29
22,37
53,61
44,15
55,52
2004
36,71
66,53
29,02
22,84
51,08
40,46
49,62
2005
34,68
70,30
28,16
22,47
47,44
39,52
49,02
2006
31,08
64,79
24,18
18,26
53,81
36,58
48,38
32,10
58,80
17,80
18,10
50,70
39,40
48,00
2007
07/2008
Année
(Deficit bancaire personnel)
Emprunt Personnel
Achat de voiture
1999
138,82
86,56
-
2000
152,71
67,72
35,05
2001
160,18
84,25
38,24
2002
163,93
91,84
55,53
2003
144,63
80,32
36,85
2004
143,97
68,37
35,63
2005
147,45
67,28
34,80
2006
142,04
57,18
32,32
07/2008
162,70
53,60
33,50
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Financial Spread 2006 (year) and Aug 2008
General
Corporate Loans
Personal Loans
27,2
13,5
39,6
25,6
14,5
36,6
Source: Brazilian Central Bank
Taux d’intérêt
(% au mois)
Consigné
Crédit personnel
(autres modalités)
Crédit personnel
(moyenne)
Fonte: Banco Central
Août 2007
Juillet 2008
Août 2008
2,27
4,22
2,10
4,40
2,11
4,55
3,43
3,64
3,69
Pendant août 2008, le total de “emprunt consigné” a atteint R$ 74,127 milliards (Euro
25 Milliards), c’est-à-dire une croissance de 23,7% face à Août 2007 et de 0,9% face à Juillet
2008. Ça a fait monter le pourcentage du “emprunt consigné ” dans le total de le stock de
crédit personnel à 54,9% .
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