Retranscription résumée de la rencontre-débat sur le

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Invitation
Théâtre et école, un grand malentendu ?
Deuxième rencontre-débat sur le rapport au théâtre
Le mercredi 26 avril 2006, de 13h30 à 16h30
Salle des Congrès du Palais des Beaux-Arts de Charleroi – Place du Manège – Accueil dès 12h30
Une collaboration du Centre culturel régional de Charleroi avec le Centre Dramatique de Wallonie pour
l'Enfance et la Jeunesse (CDWEJ) et d'autres partenaires
Inscription indispensable (par le talon-réponse ci-dessous, par téléphone ou par courriel)
La thématique semble rencontrer un réel intérêt. C'est pourquoi, après un premier rendez-vous fructueux et
constructif, qui, le 23 novembre dernier, a rassemblé des artistes, responsables de programmation,
animateurs/animatrices de services pédagogiques, responsables d'institutions, enseignant(e)s et élèves, nous vous
invitons à poursuivre le débat et la réflexion, échanger des expériences, envisager des propositions, des
collaborations et des démarches pédagogiques concrètes pour la saison 2006-2007…
Sont notamment invité(e)s, des artistes, au programme de la saison PBA + Eden 2005-2006 à Charleroi :
Frédéric Dussenne (Sokott) – Giuseppe Lonobile (La nuit des assassins) – Thierry Hellin (Cabaret du bout du
monde) – Dominique Serron (Le jeu de l'amour et du hasard) – Guy Theunissen (La résistante) – Michel Van
Loo (Théâtre de la Guimbarde), ainsi que Florence Klein (Juliette toute seule – Voyage dans l'histoire du
théâtre, spectacle-animation), Philippe Dumoulin (Théâtre du Public), les artistes collaborateurs/trices du
CDWEJ et les artistes partenaires des Centre culturels partenaires ("points de chute") du CDWEJ…
N'hésitez pas à répercuter largement cette invitation.
N'hésitez pas à nous envoyer (par courrier ou courriel) tout ce qui pourrait préparer et nourrir le débat :
questions, éléments de réflexion, anecdotes, demandes, propositions, textes de référence, bibliographie, …
Divers textes d'orientation et la transcription synthétique du débat du 23 novembre 2005 (enregistré) sont joints à
cet envoi !
Ordre du jour synthétique
(détail : voir documents ci-joints)
- tentative de synthèse des débats du 23 novembre 2005;
- réponses au questionnaire à destination des élèves (voir ci-joint);
- pistes pour prolonger la réflexion commune;
- projets, pistes de travail commun, collaborations, démarches pédagogiques concrètes pour 2006-2007,…
Pour tout contact
Centre culturel régional / PBA + Eden
Boulevard Bertrand, 1/3 – 6000 Charleroi
Secteur Théâtre / Pierre Noël : 071/202 983 – 0474/355 458 – [email protected]
Service éducatif / Nicolas Bondar : 071/202 984 – 0472/414 716 – [email protected]
………………………………………………………………………………………………………………………
Théâtre et école, un grand malentendu ? – Talon-réponse
Nom / Prénom :
Adresse complète :
Etablissement scolaire / Institution :
Je m'inscris à la (deuxième) rencontre-débat du 26 avril 2006
Avec : ……. collègues
/ …….. élèves
Théâtre et école : un grand malentendu ?
Rencontre-débat du 26 avril 2006
Questionnaire à destination des élèves
Si la rencontre-débat du 23 novembre fut riche (participation nombreuse, échanges denses et
constructifs), la proportion d'enseignant(e)s était faible – même si quelques professeurs y furent actifs – et il y
manquait essentiellement la parole et le point de vue des élèves.
Pour corriger cette lacune, nous espérons une présence plus importante, à la rencontre du 26 avril
prochain, d'enseignant(e)s tant de Charleroi que d'autres régions (Namur, La Louvière, Mons, Eghezée, Brabant
Wallon,…).
Mais pour les élèves cela semble plus difficile, c'est pourquoi nous proposons aux enseignant(e)s
intéressé(e)s de soumettre le questionnaire suivant à la discussion dans leur(s) classe(s) et de bien vouloir nous
en communiquer une synthèse des réponses, soit préalablement, soit de vive voix en participant à la séance du 26
avril.
1/ A quoi vous attendez-vous quand on vous parle de "théâtre", quand on vous demande ou
propose d'aller au théâtre ?
(Question des présupposés, des préjugés, des a priori sur le théâtre)
2/ Que souhaitez-vous, qu'espérez-vous (ressentir) quand vous allez au théâtre, qu'attendez-vous d'un spectacle ?
(Question des attentes)
3/ Quand, ou en fonction de quels critères, estimez-vous avoir été intéressé(e) par un spectacle, avoir pris du
plaisir au théâtre ?
(Question de la satisfaction)
4/ Quel est votre moment le plus marquant au théâtre, et pour quelles raisons ?
(Question de la mémoire du spectateur et des critères d'évaluation, d'analyse des spectacles)
5/ Une représentation théâtrale, pour être réussie, implique le calme, le silence, l'écoute,… Comment expliquez-vous les bavardages, le jeu
avec les GSM, l'inattention,… bref les attitudes et comportements dérangeants d'élèves au théâtre ?
Note : Il va de soi qu'il ne faut pas généraliser : bien sûr, tous les jeunes ne transgressent pas et d'autres catégories de
spectateurs adoptent parfois des comportements incorrects et irrespectueux.
(Question des comportements et des "conventions")
6/ Comment aimeriez-vous que l'on vous parle du théâtre, comment aimeriez-vous qu'on vous présente les
spectacles, pour vous y sensibiliser et vous les faire apprécier ?
Comment, à votre avis, "expliquer le théâtre d'aujourd'hui aux jeunes d'aujourd'hui" ?
(Question de l'initiation au théâtre et de l'éducation du spectateur)
Merci de cette collaboration !
Théâtre et école, un grand malentendu ?
Rencontre-débat du 26 avril 2006
Réflexions sur le débat du 23 novembre 2005
Par Nicolas Bondar – Service éducatif PBA + Eden – Charleroi
Le panel des personnes présentes lors de cette première rencontre autour de la question :
« Théâtre et école, un grand malentendu ? » nous a conforté dans l’idée qu’il s’agit là d’une
interrogation importante pour tous les partenaires culturels, qu’ils soient enseignants,
étudiants, animateurs, programmateurs, comédiens, metteurs en scène ou encore représentants
d’institutions officielles.
Si, pour la plupart des personnes présentes ce 23 novembre 2005 au Palais des Beaux-Arts de
Charleroi, les problèmes de chahuts, de bruits, d’inattention, de manque de respect… lors de
certains spectacles semblent reconnus, les raisons données à cela sont quelques fois
contradictoires.
Les enseignants, les animateurs culturels, les artistes, les metteurs en scène, les représentants
de diverses asbl … constatent cette situation. Ils y apportent leurs sentiments quant à la cause
et émettent une proposition de solution. Ce qui nous paraît très instructif et sujet à de
nombreuses réflexions ou pistes de solutions à creuser lors de notre prochaine rencontre, ce
sont la diversité et les contradictions dans les solutions proposées ainsi que les raisons qui
amènent parfois à ces débordements.
A la lecture de la retranscription du débat organisé le 23 novembre, vous pourrez vous rendre
compte que, si tout le monde semble d’accord pour reconnaître qu’il faut trouver des solutions
pour que les spectacles se passent dans les meilleures conditions possibles, aussi bien pour les
comédiens que pour les spectateurs, les solutions proposées sont très diverses suivant le rôle
que l’on a dans la transformation d’un élève en classe en spectateur de théâtre.
La nombreuse participation à cette rencontre nous permet d’avoir un regard plus large sur ce
qui se passe dans les salles de spectacles en Communauté française, sur les solutions
proposées par les partenaires culturels (chaque participant étant un partenaire, qu’il soit
étudiant ou metteur en scène), le vécu de chacun et l’envie très nettement exprimée de
continuer à approfondir et mettre en commun les raisons de ce « grand malentendu » mais
aussi à développer les solutions proposées par les divers partenaires.
Théâtre et école, un grand malentendu ?
Rencontre-débat du 26 avril 2006
Echos et éléments de synthèse du débat du 23 novembre 2005
Par Sarah Colasse - CDWEJ
 Echange d’expériences et hypothèses
-
L’obligation constitue un problème en soi :
 les élèves viennent en groupe : phénomène de « clan »
 pas forcément d’envie, de désir, donc… d’engagement.
Une des pistes possibles : que l’adolescent puisse choisir au sein d’un
abonnement les pièces qu’il désire découvrir.
-
Importance de l’éducation des publics : adultes y compris.
-
Etablir de meilleures conditions de représentations :
En amont => contamination du plaisir, d’une passion :
 Encadrement des élèves (par l’enseignant : préparation,
sensibilisation…)
 Formation des futurs enseignants
 Rencontres avec des artistes, animateurs…
Pendant => en se donnant le temps de l’acceptation, de l’adaptation
 Disposition des jeunes dans la salle parmi les autres spectateurs
 Jauges pas trop importantes
 Plus de représentations en matinée (mais attention à préserver le
mélange des publics)
A posteriori => aiguiser leur regard critique, les concerner jusqu’au bout !
 Discussion après la représentation avec artistes, animateurs…
 Discussion en classe et relais des avis auprès de la structure culturelle.
-
Il faut des moyens : du temps et de l’argent !
 Pour aller au théâtre
 Prévoir l’encadrement : animations, rencontres, etc.
 Pratiquer le théâtre en classe (importance du lien entre le « faire » et le
« voir »).
-
Importance de créer une habitude de théâtre dès le plus jeune âge => emmener
les enfants au théâtre (représentations de spectacles jeune public). Créer des
ponts entre théâtre pour jeune public et théâtre pour adultes.
-
Souci de l’artiste de « à qui il s’adresse » !
-
Retrouver la notion du « collectif » > < société actuelle plus encline à
l’individualisme.
-
Importance d’amener l’histoire du théâtre dans les écoles, à tous les niveaux
d’enseignement (Hautes écoles y compris).
-
Conscientiser les jeunes à la place du théâtre (de l’art) dans la société ; susciter,
à cet égard, leur réflexion et leur positionnement.
-
Recréer des repères : des rituels ? Une mise en condition avant le spectacle, un
« SAS », une alternative aux « 3 coups »…
-
Les enseignants doivent être soutenus et formés.
-
Les artistes doivent être sensibilisés à la réalité de l’école et réfléchir
constamment à leur(s) public(s).
-
Venir avec une classe et non pas une « meute » d’élèves (150 par exemple !).
-
Conscience d’une responsabilité à partager à tous les niveaux : professeurs,
élèves, organisateurs, artistes, parents.
-
Education globale au civisme.
-
Amener à développer un regard critique (concerné, participatif, …).
Théâtre et école : un grand malentendu ?
Rencontre-débat du 26 avril 2006
Quelques questions et pistes de réflexion pour approfondir le débat
Esquisse d'ordre du jour
- Mise en perspective de ce débat : que faire ensemble ?
- Peut-on envisager des collaborations, des projets concrets, des démarches pédagogiques concertées entre collègues responsables de
programmation et de services pédagogiques ? Constituer une bourse d'expériences ? Etablir une "charte", ou un règlement de "bonne
conduite" commun aux centres culturels à destination des professeurs et des élèves, mais aussi des artistes et des animateurs/trices ? Proposer
une grille de lecture, de décodage du langage scénique, des signes théâtraux… comme base d'un travail commun d'éducation du (jeune)
spectateur ?
- Comment expliquer le théâtre d'aujourd'hui, aux jeunes d'aujourd'hui ?
- En fait de théâtre et de spectacles, que veulent les jeunes ?
- Voir le questionnaire à destination des élèves (ci-joint) et la synthèse des réponses (dépouillement en cours).
- Le théâtre comme outil d'éducation (civique, culturelle,...) des jeunes (et des autres publics).
- Peut-on établir un parallélisme constructif entre le public scolaire et d'autres publics néophytes,
"inexpérimentés", "captifs" (divers publics associatifs par exemple) ?
- Dans le travail associatif aussi, il est important d'accompagner les premiers pas des spectateurs/trices à la découverte de l'univers théâtral.
- Responsabilité partagée des adultes – opérateurs culturels – en général : professeurs, animateurs/trices,
programmateurs/trices, parents, artistes,…
- Implication des artistes dans le processus de sensibilisation.
- Motivation et responsabilité des professeurs. Formation et sensibilisation des professeurs.
- Qui se préoccupe de savoir comment les créations sont reçues par les publics ?
- Confusion entre théâtre et programmes scolaires.
- Déscolariser le théâtre, même à l'école.
- Privilégier le plaisir plutôt que le didactisme.
- La mauvaise image de l'école rejaillit sur le théâtre … proposé par l'école.
- Il faut travailler à "déconnecter" programmes scolaires (littéraires) et programmations théâtrales… La programmation théâtrale n'est pas
l'illustration du cours de français... Le théâtre n'est d'ailleurs pas seulement un texte…
- Nécessaire éducation à l'image, pour les jeunes et les autres publics.
- Y a-t-il vraiment un intérêt et un plaisir pour les profs et les élèves à aller au théâtre ?
- Faut-il et pourquoi promouvoir le théâtre à l'école ?
- Rapport problématique au silence et à la langue au théâtre.
-Le théâtre implique une rupture avec le quotidien : langue, silence, attitudes, communauté éphémère contre
groupes constitués,…
- Il est nécessaire d'expliquer la valeur du silence, du rituel, de la communauté dans une approche du théâtre…
Mais comment ?
- Le théâtre postule, de la part du spectateur, un rapport à la langue, un sens de l'histoire, un socle de
connaissances, un sentiment de citoyenneté,… Cela n'est pas évident pour les jeunes, ni pour la plupart des
spectateurs d'ailleurs.
- La culture générale est indispensable dans le rapport au théâtre, mais est aussi nourrie par le théâtre.
- Autre réflexion sur la langue : à l'ère des SMS et autres langages simplifiés, argotiques, abrégés, "franglaitisés", les textes de Molière,
Marivaux ou Musset (et tous les autres) peuvent-ils encore (sans problème ou nuance) être considérés comme la langue maternelle et usuelle
des élèves ?
- Importance de mettre les jeunes (et pas uniquement eux) en situation de créativité.
- Organiser la parole et le feed-back (des jeunes) après les représentations.
- Importance de l'accueil, de la mise en condition, de la transition d'avec le quotidien.
- Les élèves arrivent au théâtre "comme au zoo", dans un espace "sacré", inconnu donc hostile donc à ne pas respecter… D'où l'importance
d'apprivoiser les lieux : visites préalables, séances de sensibilisation (quelques exercices sur le plateau, par exemple) et de découverte des
salles de spectacles; proposer des séances en journée, en début de saison.
- Privilégier ou proposer la constitution de groupes scolaires mixtes (fréquentation "familiale") : professeurs, élèves, parents,…
- Importance d'une préparation des jeunes : leur parler, les motiver mais pas scolairement. Rencontres avec des animateurs (trices), des
artistes…
- Pourquoi pas une présentation du spectacle juste avant la représentation…
- Il y a une demande d'augmenter le nombre des séances "scolaires" : que faire ? Est-ce une bonne idée ?
- Articulation entre programmation générale tout public et programmation de spectacles pour ados ("théâtre à
l'école") : décloisonnements souhaitables.
- Ecart école / société / culture / monde artistique.
- Attitudes, comportements, attentes, souhaits, intérêts, craintes, déceptions et incompréhensions des élèves et des professeurs vis-à-vis du
théâtre. "Représentations" (implicites) de ce qu'est le théâtre dans l'esprit et l'expérience des élèves et des professeurs : quand on dit "théâtre",
on pense à quoi, on induit quoi ?
- Ecarts et contradictions entre les différents pôles : entre professeurs et élèves, entre monde scolaire et monde
culturel/théâtral. Quand un(e) artiste ou un(e) animateur (trice) proposent des spectacles, ils (elles) proposent
quoi et attendent quoi des spectateurs? Quand un(e) prof demande à ses élèves d'aller au théâtre, il (elle) espère
quoi et attend quoi des élèves et des spectacles? Quand les élèves acceptent (bon gré mal gré ?) d'aller au théâtre,
ils s'attendent à quoi ?
- Dialogue et interactions possibles entre école, culture et société. L'ouverture de l'école à la culture et la société,
mythe ou réalité (syndrome de la cour de récréation) ? Et réciproquement ? Statut de la culture dans la vie
sociale et la vie scolaire ? Décalage entre vie scolaire et vie culturelle (syndrome des programmes) ? Décalage
entre vie scolaire et vie réelle (syndrome des horaires) ? Décalage entre institution culturelle et vie réelle ? Statut
de l'école (et de la culture) dans la vie et l'éducation des jeunes ? Qu'en est-il du rapport d'autorité (morale) ?
- Comment l'autorité est-elle vécue et assumée aujourd'hui par et à l'école ? Que se passe-t-il aujourd'hui dans le rapport des élèves à la
"discipline" qu'implique toute vie commune ? N'arrivent-ils pas au spectacle dans une (plus ou moins consciente) attitude de désintérêt, de
refus voire d'hostilité ou de révolte ? Quel est leur intérêt, leur motivation pour l'apprentissage, la "culture générale" (histoire, philosophie,
théâtre, littérature, musique, cinéma d'auteur,…) ? Quelles sont leurs connaissances de base ?
- Les textes du répertoire classique, même "revisités", sont-ils "audibles" aujourd'hui, particulièrement pour les jeunes spectateurs ? D'autres
types de productions – écritures contemporaines, créations collectives, formes pluridisciplinaires, thèmes d'actualité, … – ne seraient-elles
pas plus adaptées à leur(s) sensibilité(s) ? Quel équilibre entre classique et contemporain, entre réflexion et divertissement ?
- Quid du divertissement "intelligent" ? Et si on essaie l'humour, quel est le statut du rire et de l'humour au théâtre ? Quel humour parle aux
jeunes ? L'humour n'est-il parfois pas plus périlleux encore à programmer ?
- Que faire (en amont) pour combattre les attitudes désinvoltes et irrespectueuses, ignorantes par ailleurs tant des "conventions" du théâtre et
que des "règles" de la bienséance ? Est-il encore possible d'accueillir – sans dommage, sans turbulence et sans "parasites" (conversations
incessantes à voix basse, jeux avec les téléphones portables et autres comportements zappeurs variés) – des groupes d'étudiants dans une salle
de spectacle ? Des caractéristiques de lieux, de temps, de contextes, de circonstances sont-elles spécifiquement problématiques ?
- On pourrait formuler l'hypothèse que, pour certains profs, non seulement le seuil d'intolérance aux perturbations est en baisse (laxisme,
résignation, accoutumance, ou pire), mais le théâtre n'est pas dans leur esprit (fût-ce inconsciemment), une activité suffisamment "sérieuse"
pour qu'il faille s'inquiéter de quelques écarts de conduite…
- Le comportement dérangeant d'élèves gâche le plaisir des autres spectateurs : sentiment de colère
compréhensible et justifié !
Mais existerait-il une contradiction entre deux "nécessités" : respect des autres et sensibilisation des élèves ? Des
spectateurs peuvent être dérangés par le comportement d'élèves et leurs professeurs avoir par contre l'impression
que ceux-ci ont bien évolué par rapport au théâtre, ont réagi positivement. L'éducation des jeunes spectateurs
peut-elle ou doit-elle se faire au détriment des autres ? La salle de spectacle ou le temps de la représentation
sont-ils le lieu et le temps de cette éducation ? Sinon : où, quand, comment ?
- Les jeunes peuvent faire du bruit et embêter les autres spectateurs, et en même temps vivre un "bon moment"
de théâtre… Paradoxe !?
- Que se passe-t-il quand les jeunes sont calmes, comment vivent-ils le spectacle ? Sont-ils alors passifs ?
- L'ennui au théâtre.
- Satisfaction ou insatisfaction relatives, partagées ? Quelles attentes ? Seuil supportable de déception ?
- Problème d'image, de "représentation" a priori que se font les jeunes du théâtre. Attente "négative" : ce qu'est ou n'est pas le théâtre dans la
tête des apprentis spectateurs. Si l'on parlait de "spectacles" ou des "arts de la scène" plutôt que de "théâtre", peut-être la connotation seraitelle moins "dramatisée" ?
Cette attente implicite des jeunes porte sur les décors, les costumes, la salle, … Problème également de la durée, du "seul en scène",…
- Paradoxe : les jeunes s'attendent peut-être à un théâtre qui ne correspond pas à leur sensibilité mais ne se "réconcilient" pas forcément avec
le spectacle même s'il est plus proche de leur culture et de leur vécu. Ils s'attendent à une étrangeté, une distance et sont à la limite perturbé
d'une éventuelle proximité.
- Ecart forcément élitiste dans le rapport au théâtre ou écart entre des "élites intellectuelles" et la majorité de la
population par rapport au théâtre ?
- Aller au théâtre ou emmener des jeunes au théâtre n'a, pour la grande majorité, rien de naturel, ni de spontané, ni d'évident, socialement et
culturellement. Cela implique un apprentissage volontariste, un processus d'éducation et d'accoutumance, un effort, un travail de spectateur et
donc (forcément ?) un "élitisme", du moins une forme de sélection.
- Un spectacle de théâtre, ce peut être un peu long et cela implique de la patience. Ce peut être compliqué, complexe, contradictoire,
ambivalent, ambigu. Tout le monde ne comprend pas tout, tout de suite. Tout le monde ne comprend pas la même chose au même moment.
Le spectacle installe des interrogations plutôt que des certitudes. Les clés ne sont pas nécessairement données a priori mais parfois au fil de la
représentation voire après coup : compréhension progressive, différée, rétrospective.
Tout cela n'est pas dans la "culture" ambiante et peut dérouter les adolescent(e)s – et peut-être d'autres catégories de spectateurs – et ne pas
leur plaire. Pourtant c'est cela qui traduit la complexité contradictoire du réel, qui ouvre un véritable espace de liberté intellectuelle, poétique,
politique,… Retour à la case "élitisme" ou nécessaire phase d'expérimentation et d'ajustement ?
- Pour ces diverses raisons et d'autres, l'expérience d'aller au théâtre représenterait (parfois, souvent ?) une forme de déception pour les
jeunes, un goût de trop ou de trop peu, un (grand) écart … Peut-on formuler l'hypothèse que la déception est consubstantielle de toute
expérience de spectateur (trice) au théâtre… ? Il s'agirait alors de travailler sur le seuil de tolérance à cette frustration.
- Jean-Louis Langlais, animateur-directeur du Centre culturel de Péruwelz, fait le constat suivant : en général "chez nous" cela se passe plus
ou moins bien avec les jeunes au théâtre; mais, même quand cela se passe bien, personne n'est vraiment "pleinement satisfait" : ni les
animateurs (trices), ni les professeurs, ni les élèves… A quoi cela tient-il ?
- Un constat (faussement naïf ?) pour conclure et rebondir : avec certains spectacles, tout ce qui est évoqué cidessus semble plus simple; on peut faire ici référence à l'exemple récent (ou l'exception ?) du Jeu de l'amour et
du hasard de Dominique Serron …
Théâtre et école, un grand malentendu ?
Rencontre-débat du 26 avril 2006
Hypothèses sur le malentendu entre théâtre et école ou …
D'un certain malaise théâtral !
Par Pierre Noël – Secteur Théâtre PBA + Eden – Charleroi
Hypothèse 1 :
Sur la nature du théâtre, ses fonctions, sa pertinence sociétale
(Le théâtre pourquoi, pour qui ?)
Le théâtre participe de l'expression symbolique d'une communauté (que l'on peut espérer la
plus large et représentative possible), de ses préoccupations, de ses attentes, de son mode de
vie. Il a une fonction "poétique" (expression d'une réalité dans sa densité complexe au delà
des apparences, expression des émotions, "supplément d'âme" dans un monde malmené). Il
est un lieu de résonance démocratique de la conscience citoyenne (réflexion critique,
mobilisation collective). Il peut conjointement alimenter la culture générale, offrir un légitime
divertissement et installer des formes de convivialité, des moments de rencontre et de
solidarité autour d'un projet commun aussi éphémère soit-il, le temps d'un spectacle.
Mais, par ailleurs, le théâtre reste avant tout une pratique artistique "artisanale" (c'est-à-dire confrontée aux
limites humaines d'un art vivant pratiqué en direct sans grands effets spéciaux "spectaculaires") donc
anachronique. C'est un acte social exigeant, à contre-courant des valeurs, comportements et modes de vie
dominants. Il implique de mettre en oeuvre un mode comportemental aux antipodes de la "culture" ambiante :
écoute, patience, calme, attention, respect des autres, sens de l'auto-discipline collective librement consentie,
concentration, volonté de comprendre et de mettre en œuvre un savoir global (culture générale), capacité de se
laisser émouvoir, équilibre entre intériorité et extériorisation,… C'est ce qui fait sans doute sa raison d'être mais
aussi sa fragilité, comme une île momentanément isolée et protégée des turbulences et frénésies qui agitent la vie
quotidienne. Bref, en quelque sorte, on pourrait considérer le théâtre aujourd'hui comme un énorme malentendu,
dans tous les sens du terme. Particulièrement (mais pas exclusivement) auprès des jeunes.
Comment éviter le double risque de l'élitisme et de la démagogie ?
Hypothèse 2 :
Sur les effets pervers de l'obligation scolaire
L'école étant (théoriquement ?) obligatoire, elle est confrontée à l'ensemble des contradictions, des difficultés,
des dérives bref de la "turbulence" à l'œuvre dans la société globale. Le théâtre, lorsque l'école le rend (plus ou
moins) obligatoire, se trouve comme en écho lui aussi touché par cette "turbulence". Concrètement, il n'est donc
pas étonnant que lors de certaines représentations, une partie du public jeune développe une attitude dissipée,
bavarde, nerveuse, désinvolte, irrespectueuse des autres voire cynique et hostile.
Pas étonnant, mais choquant et dérangeant. Une attitude à combattre et éradiquer dans ses germes-mêmes. Sous
peine de voir la situation se dégrader rapidement. Et rendre impraticable les rapports entre le monde scolaire et le
théâtre (ou le monde artistique en général).
Il est donc impératif pour les enseignant(e)s de reconsidérer et assouplir la démarche d'obligation scolaire
appliquée au théâtre : inutile de forcer à tout prix l'ensemble des élèves à prendre un abonnement ni d'imposer
intégralement le choix des spectacles, inutile de vouloir à tout prix emmener toute une classe au théâtre; inutile
de précipiter les choix en début de saison; inutile de vouloir à tout prix choisir les "classiques" et faire ainsi du
théâtre l'illustration du programme scolaire;… Il vaut mieux prendre le temps de la conviction, de l'explication,
de la séduction. (Note : il va de soi que le public jeune n'a pas le monopole des comportements perturbateurs).
Il faut que nous trouvions et définissions ensemble – artistes, responsables culturels, enseignants et élèves – la
pertinence du rapport "théâtre/école", dans la connaissance ou la reconnaissance de la spécificité de l'expression
théâtrale. D'où l'importance et l'intérêt pour les services éducatifs et les animateurs (trices) responsables de
programmation de multiplier les propositions d'animations (en classe ou au théâtre) : dossiers pédagogiques,
mini-stages, spectacles-animation, rencontres pédagogiques préparatoires aux spectacles où les artistes peuvent
livrer de précieuses et souvent très accessibles clés de compréhension de leur travail, …
La guerre des mondes est-elle évitable ?
Hypothèse 3 :
Sur l'affrontement symbolique
Sans vouloir tout amalgamer, d'aucuns ont diagnostiqué une fracture symbolique entre certaines élites intellectuelles et une majorité de la
population, par exemple dans ce qui s'est joué autour du referendum sur l'Europe en France…
Hypothèse un peu provocatrice et paradoxale : le rapport au théâtre (et à d'autres formes artistiques) serait-il un marqueur de cette fracture ?
Serait-il l'expression du pouvoir et de l'identité symboliques d'une minorité d'initié(e)s, comme pourraient l'être l'étude des langues anciennes
ou la pratique du golf ? Qui forme et impose "le bon goût", qui décide des hiérarchies dans les productions culturelles ? L'attitude au théâtre
ne serait-elle pas l'expression d'un affrontement symbolique ? Des entités conflictuelles (les bons et les mauvais spectateurs, les profs et le
élèves, les responsables culturels et les écoles) ne cherchent-elles pas à exercer fût-ce passivement ou inconsciemment une violence
symbolique réciproque ? Le théâtre, qui peut être un art de résistance à la culture fast-food ou à la violence du monde, peut-il aussi être perçu
comme instrument obsolète du pouvoir culturel ?
Hypothèse 4 :
Sur le pouvoir symbolique et la fracture sociale
Dans l'actualité récente, la fracture semble devenir de moins en moins symbolique et de plus en plus objectivement matérielle : superposition
de clivages socio-culturels et socio-économiques. C'est évidemment plus flagrant dans certaines régions.
Pour faire (à peine ?) caricatural, outre le fait que les 5 ou 10 ou 30 € que coûte l'achat de places de théâtre ou d'abonnement ne semblent pas
être un investissement facile ou du moins prioritaire pour nombre de familles (carolos), on peut parfois avoir l'impression dérangeante que
des enfants de milieux modestes viennent assister en toute étrangeté (donc tendanciellement en toute hostilité) à un rituel culturel d'un luxe
(symbolique) quelque peu superflu voire incongru en ces temps de crise.
Or, nous sommes pourtant convaincus que le théâtre est un art pauvre voire paupérisé, et que la culture peut être un élément déterminant pour
sortir de ladite situation de crise.
Paradoxes, contradictions, interrogations d'opérateur culturel !?
Note :
La notion de "théâtre" employée ici peut être étendue à l'ensemble du champ artistique, et certainement à tous
les "arts de la scène".
Théâtre et école : un grand malentendu ?
Rencontre-débat du 26 avril 2006
Eléments de réflexion sur le théâtre et l'école
Le théâtre, une expérience qui vaut d'être tentée
On reproche aux élèves de chahuter certaines représentations : que répondre à cela ? A l’époque de Shakespeare,
quand le public n’était pas content, il se manifestait cent fois plus bruyamment et grossièrement que les jeunes ne
le font. Alors que dire ? Que le public de Shakespeare était évidemment libre et motivé : il venait par plaisir, il
payait sa place, il n’y avait à l’époque pas foule de divertissement et le seul "spectacle" qui, dit-on, concurrençait
les représentations théâtrales c’était les exécutions capitales à la tour de Londres : quand on décapitait les gens,
les théâtres fermaient car la concurrence était trop forte.
La seule chose que j’aie donc à dire – plutôt aux professeurs celle-là – c’est que je leur demande de ne pas
obliger les élèves à venir au théâtre; leur proposer, les pousser peut-être même à la consommation avec une
bonne approche marketing mais les obliger : non. Vous allez me répondre qu’alors les théâtres seront peut-être
bien vides, eh bien, tant pis pour eux; si l’art du théâtre n’est plus capable de s’attirer un public d’afficionados,
comme la corrida, alors qu’il meure, je ne vois pas à quoi cela sert de maintenir en vie artificiellement une forme
de spectacle dont plus personne ne veut. Il retrouvera peut-être un public plus tard, le jour où nous serons
durablement privés d’électricité, si nous revivons des périodes tourmentés, des guerres (ce que je n'irai tout de
même jusqu’à souhaiter pour faire bouillir ma marmite théâtrale)…
Alors, bien sûr, j’éprouve souvent une certaine tristesse à voir des salles peu garnies, ou
somnolentes, ou remplies à coup d’invitations Diner’s Club ou appâtées par la promesse d’un
bon buffet d’après spectacle mais bon, en tant que produit, dans une société de consommation
de loisirs, le théâtre souffre d’un vrai handicap : moins spectaculaire que le cinéma, moins
marrant que Coluche, moins confortable qu’une soirée télé-chips-Juliper devant un match de
foot à la télé et j’en passe… Mais il y a une petite chose que je voudrais dire encore – à tout le
monde alors : aller au théâtre, ce n’est pas seulement sortir pour se distraire, c’est faire une
expérience; une expérience de plus en plus rare : des vrais gens, vraiment vivants qui vous
racontent une histoire qui, si c’est une bonne histoire, vous parle de vous, dans un lieu à
dimension humaine (vous pouvez regarder les acteurs dans les yeux, vous les sentez et ils
vous sentent, ils vous voient, ils vous écoutent autant que vous ne les écoutez) et dans un état
de proximité avec d’autres personnes; c’est quelque chose de rare, quelque chose qui
s’apparente au jour de l’éclipse, les lunettes en moins. Alors, si comme le dit un grand auteur
de théâtre, mort il y a quelques années seulement, Heiner Müller, "toute la société actuelle
vise à empêcher les gens de faire des expériences", je crois que celle du théâtre vaut la peine
d’être tentée. Bien sûr, on peut mal tomber et je dirais que le théâtre, c’est comme les melons :
il faut en goûter dix pour en trouver un bon. Nonante fois sur cent, je m’emmerde au théâtre
car ce n’est pas parce qu’il y a des gens qui s’agitent sur un plateau et qu’on appelle cela du
spectacle vivant que c’est réellement vivant, c’est même souvent mortel. Mais quand c’est
bon, quand ça vibre, quand ça vit, alors là, c’est comme déboucher entre amis, un soir d’été,
une vraiment bonne vieille bouteille, c’est comme un lever de soleil sur la Méditerranée, c’est
comme une promenade sous les étoiles avec un être cher, et cela peut aussi parfois secouer
comme un soir de tempête où, planqué derrière la fenêtre, on voit défiler dans les airs des
arbres, des chiens, des antennes de télé, un soir où le monde s’en va en pièces détachées. Le
théâtre, c’est un luxe de sensations parfois agréables, parfois troublantes, parfois
questionnantes, une impression de complicité avec ceux qui vous entourent, c’est quelque
chose qui réchauffe et dont je crois, ce monde a sacrément besoin.
Frédéric Ruymen, metteur en scène et pédagogue
Août 2000
Retourner aux fondements de l’école
Luc Ferry, ex-ministre français de l'Education, n’est pas tendre avec l’évolution de l’école ces derniers temps.
Pour lui, "les limites du jeunisme ont été atteintes".
Qu’est ce qui ne va pas à l’école aujourd’hui ?
Pendant plus d’un demi-siècle, elle a accompli de véritables miracles; il faut lui rendre justice. De 1900 aux
années cinquante, elle a formé des générations de jeunes de manière incomparable, sans période équivalente dans
l’histoire de l’humanité. Elle a élevé le niveau de la culture de manière quasi miraculeuse. Ce fut donc une
véritable réussite. Aujourd’hui, l’école stagne, voire fait une régression…
Qui est perceptible à divers niveaux…
C’est incontestable dans la maîtrise de la langue aussi bien orale qu’écrite. Je me souviens d’un reportage réalisé
dans un lycée parisien vers 1968. Les élève que l’on interviewait étaient encore en costume cravate. On aurait dit
des petits adultes qui s’exprimaient comme des professeurs d’université. On en est loin aujourd’hui. Je citerais
ensuite la montée de la violence et des incivilités qui fait que la vie de l’enseignant est de plus en plus difficile et
que la carrière est de moins en moins attractive. Découlant de là, il y a aussi une inquiétante crise de vocation des
enseignants…
Comment expliquer ces reculs ?
Il y a 11 ans, on a retrouvé un peu par hasard dix mille copies de certificats d’étude des années 20 dans le grenier
d’une sous-préfecture de la Somme. Le certificat était alors ce qui correspondait à l’examen de fin du primaire.
On a eu la bonne idée au ministère de l’Education de vouloir faire une comparaison avec les générations
précédentes. En en enlevant tous les biais. Le test a montré ce qu’on redoutait : le niveau s’est effondré de
manière catastrophique. Les sociologues ont raconté bien des âneries pendant ces dernières décennies. Là où,
dans les dictées des années vingt, l’on faisait en moyenne cinq fautes, les jeunes actuels en font dix-sept. En
écrivant en langage texto, en SMS, le rapport à la langue a évidemment changé. En calcul, ce n’est pas meilleur
puisque 67 pc des enfants qui entrent en 6ème ne connaissent plus la multiplication.
Mais qu’est ce qui explique cette débâcle ?
Quand on se penche sur les explications usuelles, force est de constater qu’elles sont toutes fausses : il y a un
refus de la réalité. Invoquer la massification de l’enseignement n’a pas de sens. Ma grand-mère a eu jusqu’à 90
élèves dans sa classe. On invoque le déclin de la pédagogie mais on en parle depuis un demi-siècle. Puis, il y a
l’argument suprême de la télévision qui ne tient pas la route non plus parce qu’elle n’est pas en classe. La réalité
est que depuis les années 60 et la rénovation pédagogique, on a surdéveloppé les méthodes actives en partant de
l’idéologie de l’auto-construction. L’on fit croire que les enfants n’apprenaient bien que ce qu’ils construisaient
eux-mêmes. Il y a donc eu une multiplication à l’infini de méthodes suscitant la spontanéité des élèves. En les
amenant à mettre la main à la pâte, en introduisant du ludique partout et en excluant tout par cœur. Le seul
problème est que dans certaines disciplines, l’éducation est à 99 pc de l’héritage, du patrimoine, de la tradition.
Nous n’avons pas inventé le français; il nous faut donc rester humbles et respectueux à son égard. Pas d’orgueil
démesuré… Non aux micros-trottoirs de TF1 ! Le fond du problème est que la culture individualiste a démoli les
aptitudes à l’apprentissage. Le problème est dès lors insoluble pour les ministres de l’Education : ce n’est pas
l’école mais la société qui est en panne.
Faut-il revenir en arrière ?
J’ai détesté le lycée de mon enfance et je n’ai pas une nostalgie républicaine idéalisée mais l’idée de la
méritocratie a du bon. Les limites du jeunisme ont été atteintes. Il faut expliquer aux jeunes qu’on est pas un
grand chercheur, un grand musicien ou même un grand footballeur à 10 ans. Il faut absolument sortir du
syndrome de Peter Pan. Le seul vrai ticket d’entrée dans le monde des adultes, c’est le travail !
Mais le philosophe que vous êtes est frappé par la crise du sens…
Nous vivons dans une société de compétition mondialisée, très darwinienne où sans progrès l’on ne peut que
disparaître. Mais on ne sait pas où l’on va. Or, le sens c’est aussi indispensable pour passer dans le monde des
adultes. C'est la pensée élargie chère à Kant. Il faut élargir ses horizons et son humanité; c’est de surcroît la
réponse à la raison d’être du vieillissement…
Entretien de Christian Laporte, La Libre Belgique
1er septembre 2005
Sortir de l’école à huis clos
Ces derniers jours, deux événements retiennent l’attention des observateurs en matière d’ "intégration" :
l’embrasement des banlieues françaises, et les manifestations catholiques contre les réformes visant à laïciser le
monde scolaire espagnol. Ils ont en commun la question de l’école comme intégrateur social.
Premier lieu de socialisation extrafamiliale, l’école constitue entre autres le carrefour où se forment les idées et
les stéréotypes de tous ordres. L’intégration n’est en effet pas qu’une question d’emploi ou de logement. Elle se
joue d’abord dans les esprits.
Lors de la conférence de presse du 6 septembre contre l’interdiction du port du foulard à l’école, le Mrax a
formulé diverses propositions pour une "école mosaïque". Y figure un cours obligatoire centré sur l’étude
comparée des principales cultures, religions et philosophies du monde, notamment celles des religions qui nous
sont aujourd’hui proches, telles que le Maghreb, l’Afrique subsaharienne, l’Amérique latine ou l’Europe
orientale.
Le dossier de la philosophie et de la place des religions à l’école est un "monstre du Loch
Ness" de la politique éducative : trop cher, trop lourd à réformer, trop de lobbies à combattre.
Il est ardu, certes, d’oser remettre en cause, même en partie, l’organisation des cours de
morale et de religion. Cela signifie inévitablement se heurter à "l’alliance des chapelles" :
catholiques, protestants, juifs, musulmans, laïcs, etc… Tous se rejoignent dans leur désir… de
ne pas se mélanger sur les questions essentielles. Chacun tient pour un acquis quasi syndical
le sacro-saint droit de conserver "son" cours, destiné à "son" public. Osons une question de
bon sens à l’égard de ces seuls cours consacrés aux questions élémentaires de la vie : est-ce un
atout en faveur d’une société multiculturelle d’y séparer les élèves sur la seule base de leurs
convictions religieuses ou philosophiques ?
A cela, le Mrax répond par l’introduction d’un cours commun de philosophies et religions comparées et
d’anthropologie culturelle, le plus tôt possible dans l’enseignement obligatoire, de manière à permettre à
l’ensemble de la classe, en même temps, de bénéficier d’une éducation plurielle en lien avec notre société.
Ce cours aurait pour but de partager avec les élèves la diversité culturelle et cultuelle de l’humanité, d’apprendre
à "faire de la philosophie" et donc penser l’éthique, et d’apprendre à maîtriser des notions fondamentales de
l’anthropologie culturelle (l’ethnocentrisme, le relativisme culturel, l’empathie ou le décentrement, par exemple).
Le but est de donner à chacun les outils pour acquérir la capacité de mieux distinguer le naturel du culturel, pour
saisir d’autres modes de vie et de pensée que les siens sans tomber dans le piège de la xénophobie.
N’est-il pas curieux que le seul cours commun obligatoire abordant les diversités culturelles et cultuelles de
l’humanité, soit le cours d’histoire ? Cela véhicule aux élèves le sentiment que l’existence d’autres manières de
penser et de vivre ou de croire appartient au passé, que la diversité est en quelque sorte archaïque.
Malheureusement, aujourd’hui, l’école ne se donne pas les moyens, dans ses cours obligatoires, de combattre ou
prévenir en commun les préjugés racistes ou xénophobes à un âge où l’esprit critique se forme pourtant de
manière décisive. En réalité, même le cours d’histoire qui a le mérite de beaucoup porter sur ses épaules, est,
pour partie, insuffisant en ce qu’il n’intègre pas du tout ou pas suffisamment, dans notre histoire nationale,
l’histoire des (im)migrations, notamment comme élément essentiel de la compréhension de nos sociétés.
C’est un choix de société engagé que nous proposons. Il demande de surmonter les petits conservatismes qui, de
part et d’autre, craindront de diluer leur identité dans l’échange. L’erreur est de considérer une identité comme
une entité homogène et sans aspérités, alors que le propre d’une culture est d’évoluer par la rencontre avec
l’autre. L’erreur est de croire qu’on se perd dans l’échange, mais qu’on survivrait dans le repli. Toute culture
mérite mieux qu’un bocal. Toute culture est une prise de risque.
Nous estimons que "l'intégration" et la "multiculturalité", sous peine de ne rester que des slogans faciles, doivent
être portées au sein des écoles par l’invitation au contact, et non par le cloisonnement. Parce que, lorsque les
cultures se divisent, c’est l’ignorance et la bêtise qui règnent. Dans ce dernier cas, c’est la haine raciste et la
xénophobie qui gouvernent.
Radouane Bouhlal, président et François De Smet, vice-président du Mrax (Mouvement contre le racisme,
l’antisémitisme et la xénophobie)
Le Soir, 16 novembre 2005
Le théâtre, notamment, peut être un vecteur de cette ouverture.
L’école et le théâtre : la réconciliation ?
Le rôle et la place du théâtre ont été marqués (…) par une sorte d’ambiguïté constitutive. Or, progressivement, il
me semble que nous sommes en train de refonder la place du théâtre à l’école sur un contrat qui repose sur la
mise au jour de ses fondamentaux (…) J’en vois trois qui me paraissent particulièrement importants (...) Il
convient de bien les repérer pour mieux les prendre en compte.
Construire un espace symbolique
En premier lieu, il s’agit de construire un espace symbolique chez l’enfant. L’école qui était "théâtrale" sans le
savoir dans la tradition républicaine ne l’est plus du tout aujourd’hui. La classe, jadis espace très ritualisé, est
aujourd’hui très banalisée. Au collège, bien souvent, quand on ouvre la porte, trente à quarante énergumènes
rentrent et se précipitent sur les tables et les chaises n’importe comment. Il n’y a plus de place pour quiconque
dans ce qui est devenu, maintenant, un espace chaotique. Or ce qui caractérise le théâtre, tel que je le perçois, de
l’Antiquité à nos jours, c’est qu’il identifie des places, qu’il est une organisation dans l’espace. Quand nous
amenons les enfants au théâtre, ils sont très étonnés de découvrir un espace où l’on ne fait pas n’importe quoi et
dans lequel, par exemple, un faisceau de lumière isole tel ou tel endroit en produisant du sens. Le théâtre luimême, en tant que lieu, après la disparition presque totale des règles de l’espace religieux et de l’espace scolaire,
reste aujourd’hui, avec l’espace judiciaire, un des rares endroits où l’enfant peut apprendre à sortir de cet
agglutinement dans les rapports humains qui caractérise notre société et d’où plus rien ne peut émerger. A mes
yeux, l’un des fondamentaux du théâtre consiste à débrouiller le chaos relationnel et à restaurer un univers où il
existe des places : celle de celui qui écoute, celle de celui qui parle, de celui qui montre, de celui qui regarde, de
celui qui arrive, de celui qui part… l’existence d’un endroit d’où l’on est vu et d’un endroit d’où l’on ne l’est
pas.
Le théâtre restaure cet élément fondamental : la dimension symbolique de l’espace. Ainsi, la découverte de ce
qu’est un décor au théâtre, c’est la découverte de la fonction du symbole. Les objets ne se définissent pas
exclusivement par leur usage, mais aussi par la perception que l’on en a et par ce qu’ils sont capables de
symboliser. A cet égard, le théâtre contemporain est extrêmement formateur par rapport au théâtre traditionnel,
où l’imitation restait encore le maître mot, en particulier en ce qui concerne le décor. Le passage, assumé par le
TNP de Vilar, du décor imitatif au décor symbolique – passage amorcé par les précurseurs du théâtre populaire
comme Léon Chancerel et, avant eux, par la commedia dell’arte – est une étape essentielle. Au-delà du décor,
cela conduit au geste symbolique : le théâtre construit un espace où le geste a du sens.
L’espace théâtral en tant qu’espace symbolique, où les places sont identifiées, où les rôles peuvent être construits
à partir des places, où tout ne se vaut pas, où l’on met de l’ordre dans le chaos initial, répond, je crois, à l’un des
problèmes des enfants et des adolescents d’aujourd’hui. Ces derniers vivent, en effet, dans le chaos, dans un
monde où il leur semble que tout est dans tout et réciproquement. Or l’une des fonctions de l’éducation, c’est
précisément la séparation : séparer l’enfant de sa mère, séparer l’enfant d’un milieu ou d’un groupe qui le
retiennent prisonnier, le séparer aussi de ses propres obsessions pour le faire accéder à d’autres centres d’intérêt
que lui-même, le sortir de son chaos.
Au total, par le symbolique, le théâtre fait entrer dans l’intelligence, au sens où celle-ci consiste précisément à
pouvoir tenir le réel à distance, y introduire des lignes de forces, en faire émerger des invariants, se dégager de la
précipitation quotidienne pour pouvoir comprendre ce qu’est la structure, prendre de la distance pour mieux
entrer ensuite dans un monde où la vie n’est plus agglutinement incohérent mais "drame" assumé, relations entre
des hommes qui se reconnaissent chacun dans leur humanité.
Faire vivre la parole du texte
Deuxième élément fondamental, le travail sur la voix qui fonde le rapport du texte à la parole. Il s’agit bien, dans
le théâtre, d’habiter une parole, de la rendre vivante, contemporaine, même si elle a été proférée pour la première
fois dans des temps très lointains. C’est par la voix, au sens fort du terme, que s’acquiert la capacité de rendre
contemporain un texte en le faisant vivre au présent.
Faire entendre la voix du texte, la voix de l’homme qui l’a produit c’est-à-dire la restituer, incarnée et vivante,
voilà une expérience que l’on peut faire avec des élèves, leur permettant aussi d’entendre cette voix en quelque
sorte réincarnée. Cela (…) institue le théâtre dans une forme de coprésence du texte. Il s’agit d’apprendre à être
présent à un texte qui lui-même, renvoie à des questions anthropologiques, à des inquiétudes fondatrices, à des
éléments essentiels qu’un enfant rencontre dans sa vie et qu’il va enfin entendre, auxquels il va pouvoir donner
corps.
Il s’agit bien ici de l’incarnation du texte, non dans un sens religieux, mais dans le but de faire entendre une voix
et, dans la voix même, de faire entendre un silence, une hésitation. On sait que nos élèves sont souvent
allergiques au silence comme leurs enseignants. Les enseignants sont même parfois de "trop bonnes mères" , au
sens clinique du terme, c’est-à-dire qu’ils ont toujours peur du vide, peur de ne pas assez donner… et une minute
de silence dans une classe devient vite pour tous insupportable. Il faut la combler, par une parole qui parle
continûment. Or le théâtre donne, précisément, à entendre le vide, c’est-à-dire qu’il fait place à une parole qui
parfois se casse, s’interrompt, sort de la logorrhée pour permettre à un sujet d’advenir, mystérieusement.
Instituer un collectif permettant "la focalisation"
Le troisième des fondamentaux du théâtre c’est le partage. Pour moi, le théâtre, ce ne peut pas être la pièce que
je regarde seul devant la télévision. C’est autre chose. Le théâtre c’est, différemment de la lecture du roman ou
de la poésie, une autre manière de faire vivre la voix dans un espace collectif. Je crois – je vais peut-être dire des
choses qui choqueront les hommes de théâtre – que si on met plusieurs personnes à regarder ensemble une pièce
de théâtre, ce n’est pas simplement pour des raisons de rationalité économique, c’est parce qu’il s’agit bien de
l’institution d’un collectif dans lequel des spectateurs rencontrent ensemble un certain nombre d’évènements.
Cela peut paraître anecdotique, mais pour moi, ce ne l’est pas du tout, cela s’inscrit dans un rituel, dans une
forme structurée avec un début et une fin. Je crois à la nécessité d’instituer le collectif et également, de travailler
avec le public. C’est une des raisons – peut-être ne devrais-je pas le dire ? – qui me rendent très sceptique sur les
matinées scolaires : car le public, c’est aussi l’hétérogénéité d’un ensemble de gens qui se rencontrent à
l’occasion d’un événement qui les fédère et qui fait sens pour eux, à la fois individuellement et collectivement…
Et je pense que c’est important que nos enfants vivent cela.
En réalité, il s’agit de construire un vrai spectateur de théâtre contre le spectateur de télévision, un spectateur en
état de maîtrise concentrée et active contre un spectateur en état d’intermittence aléatoire et cependant captive.
En effet, les élèves d’aujourd’hui passent beaucoup plus d’heures dans l’année devant la télévision qu’ils n’en
passent à l’école. Un élève sur trois en primaire consomme entre une demi-heure et une heure et demie de
télévision le matin avant d’aller à l’école, et il y a des pointes, pendant les vacances de Noël, de seize heures par
jour ! Or, tout en regardant la télévision, cette "chose qui cause", on s’affaire : on va prendre un morceau de
fromage dans le réfrigérateur, on se dispute avec sa sœur, on téléphone à un copain, on revient, l’émission
n’intéresse pas, on change de chaîne, etc... Cela induit des comportements, à la fois intellectuels et
psychologiques, de très grande dispersion, dans lesquels ne s'opère pas ce que nous appelons dans notre jargon
"la focalisation".
Or le caractère collectif, ritualisé, structuré de l'espace et du temps au théâtre constitue, à cet égard, un antidote
particulièrement puissant à cette dispersion du regard et à cette fragmentation de l’image et de la parole que
constitue le télévision. D’une certaine manière , la télévision, c’est de l’anti-spectacle, un ronronnement auquel il
faut indéfiniment raccrocher l’attention de la personne par une surenchère de provocations, soit visuelles soit
auditives, tout en sachant qu’à chaque instant elle peut "décrocher". Le rassemblement dans le lieu théâtral a, en
revanche, une fonction mentale très forte : on met entre parenthèses toute une série d’autres activités et, pendant
ce temps, on se consacre à une activité commune que l’on vit de manière collective.
Il faut savoir qu’il n’y a plus tellement de lieux de cette nature aujourd’hui. Et être spectateur, à la fois
individuellement et ensemble, permet d’apprendre cette capacité de focalisation essentielle pour permettre à
chacun de se mettre vraiment "en jeu", donc aussi "en je", dans sa propre vie…
Extrait d'un entretien avec Philippe MEIRIEU, Le théâtre et l'école : éléments pour une histoire, repères pour un
avenir – In : Le théâtre et l'école – Histoire et perspectives d'une relation passionnée
Actes Sud – Papiers (Cahiers n°11), 2002
Une contribution au débat proposée par Jacques Bury – Promotion Théâtre.
Théâtre et école, un grand malentendu ?
Rencontre-débat du 26 avril 2006
Retranscription résumée de la rencontre-débat sur le rapport au théâtre
Mercredi 23 novembre 2005 à Charleroi
Personnes présentes (sauf omission) :
AUTHOM Isabelle (ASBL Ecrin, Centre Culturel d’Eghezée)
BAUDOUIN Aline (Programmation ado au Centre culturel de La Louvière)
BONDAR Nicolas (PBA+EDEN Service éducatif)
BURY Jacques (Promotion Théâtre)
COLASSE Sarah (CDWEJ)
DIAMANT Maurice (Ministère de la Com. Franç., cellule culture et enseignement)
DOPAGNE Jean-Pierre
DUBETZ Jean-Marc (Enseignant – Pierre de Lune, centre dram. Jeunes Publics)
DUCHENY Michèle (Association belge des professeurs de français – Promotion Théâtre)
DUSSENNE Frédéric (Metteur en scène, L’acteur et l’Ecrit)
GABRIEL Florence (Centre éducatif au de Namur)
GEVERS Anne (Centre culturel du Brabant wallon)
GODEAU Isabelle (Institut Notre-Dame de Fleurus)
KLEIN Florence (Auteur, metteur en scène de « Juliette toute seule »)
LECLERCQ Christian (Dir. gén. de la Culture, Cellule Culture et Enseignement à la
Com.franç.)
LEFEBVRE Céline (CCRCharleroi – Agence culturelle de Sambraisie)
MARCQ Catherine (H.E. Charleroi-Europe)
NOEL Pierre (CCRCharleroi – Secteur Théâtre)
PEREMANS Brigitte (Centre culturel de Rixensart)
SAUVAGE Michel (Inst. N.D. de Charleroi, accompagné de 7 étudiantes)
SCEVIN Annick (Etudiante)
THEUNISSEN Guy (Maison Ephémère – metteur en scène, comédien)
TILMAN Geneviève (ECLAT – Ecole, Culture, Lecture, Arts, Théâtre ASBL)
VERBEKE David (Centre culturel d’Ottignies-L.L.N.)
WATTIAUX Sophie (Etudiante)
WAUTERS Julie (CCRCharleroi – Agence culturelle de Sambraisie)
WERY Christian (Professeur enseignement secondaire - Pie X)
La rencontre débute par une intervention de Pierre NOEL. Pierre rappelle que cette rencontre est
organisée à l’initiative du Centre Culturel de Charleroi avec la précieuse collaboration du Centre
Dramatique de Wallonie pour l’Enfance et la Jeunesse. Avec l’accord des participants, les débats du
jour seront enregistrés.
Pierre Noël : «Théâtre et école, un grand malentendu ? », c'est une série d’hypothèses de travail et de
réflexion sur ce thème que je vous propose de mettre en commun cet après-midi. Il y a autour de cette
table des animatrices et des animateurs responsables de services pédagogiques ou d’institutions
intervenant dans le champ théâtral avec les écoles, il y a des responsables de programmation théâtrale,
il y a des enseignants, des étudiants, des artistes, un représentant de la Direction Générale de la
Culture,…
Je vous propose un tour de table afin que chacun puisse se situer par rapport à cette invitation, par
rapport à cette question un peu provocatrice : Grand malentendu ? Eventuellement, au départ
d’expériences vécues, d’interrogations dans le quotidien du travail ou du statut de spectateur.
Dans un deuxième temps, l’idée serait de nous revoir plus tard dans la saison, et de lancer des pistes de
travail commun, des réflexions un peu plus approfondies que celles émises dans l’invitation que vous
avez reçue ainsi que dans le dossier qui vous a été remis en début de réunion.
Ce tour de table permettra aussi de savoir comment vous vous situez par rapport à l’interpellation et
l’initiative que nous vous soumettons.
Avant ce tour de table, peut-être pouvons-nous commencer par vous dire d’où vient cette idée. Je
pense que dans le quotidien de notre travail, et les personnes présentes ici sont parfois des praticiens
de longue date, cette question fondamentalement démocratique en terme de politique culturelle, du
rapport de l’école au théâtre, des jeunes et de la culture est une question qui motive une bonne partie
de notre investissement mais aussi j’imagine que de temps en temps et c’est valable aussi en tant que
jeunes spectateurs, des insatisfactions, des déceptions, des colères peuvent être générées. C’est ce qui
s’est passé au cours de la saison dernière à Charleroi. Je ne pense pas que le public de Charleroi soit
meilleur ou moins bon qu'ailleurs… Mais qu’est-ce que c’est un bon public ? C’est aussi une réflexion
qui animera le débat. Il n’y a pas qu’à Charleroi que se posent des questions, que se posent des
problèmes, la diversité des provenances géographiques autour de cette table semble le confirmer.
Ce qui s’est passé c’est que l’on sent depuis quelques années qu’il y a un peu d’électricité dans l’air
dans les salles de spectacles. On ne sait pas toujours pourquoi ni comment, ça parlotte, l’évolution
technologique n’y est pas pour rien. Les téléphones portables ne sonnent pas en général mais sont
utilisés pour des jeux, l’envoi de sms, la moitié des visages s’éclaire. Quand on assiste à un spectacle,
il faut le dire clairement et crûment : « ça emmerde » les spectateurs qui sont là pour ça. Il y a un
moment aussi où en tant qu’artiste, programmateur (trice), responsable pédagogique, enseignant(e),
spectateur (trice) intéressé(e), le vase déborde. Et lors d’une représentation de « La tragédie d’Hamlet,
Prince de Danemark » une version commedia dell’Arte d’ « Hamlet » de Shakespeare, cela a mal
tourné. Chahut dans la salle, boulettes de papier lancées sur scène, cela a dépassé les limites du
tolérable ! J’ai donc pris l’initiative d’écrire aux enseignants responsables de ces groupes pour leur
faire part de ce ras le bol. J’ai reçu un certain nombre de réponses et sur le problème qui s’était posé ce
jour-là et plus généralement sur ce malaise qui règne de manière plus ou moins récurrente : Théâtre et
école, un grand malentendu ? Ces réponses, dont certaines figurent dans le dossier préparatoire à ce
débat, m’ont encouragé à aller plus loin dans la réflexion. En organisant des réunions avec des
enseignants de la région de Charleroi, en échangeant avec des collègues d’autres centres culturels sur
ce sujet, il est apparu qu’effectivement, c’était peut-être bien le moment de se mettre ensemble,
artistes, responsables de programmation, animateurs (trices), responsables d’institutions
enseignant(e)s, etc … et de se poser des questions : qu’est-ce qui va, qu’est qui ne va pas ? Pourquoi ?
Comment peut-on changer ?
Le tour de table débute.
Catherine Marcq : On sent un laissez aller dans le public mais il n’y a pas que chez les jeunes qu’il
se produit. Il existe aussi chez des adultes qui laissent leur Gsm ouvert, parlent quand ils en ont envie.
Christian Leclercq : Par rapport à la thématique, elle est fort intéressante et alimentera certainement
le travail qui est en cours au ministère, puisque la commission a décidé que nous organiserions un
colloque au cours du premier trimestre 2006 avec toutes les personnes du monde associatif et du
monde éducatif pour réfléchir aussi, bien sûr à nos statistiques du ministère mais aussi aux pratiques
culturelles dans l’école. Il y a là toute une réflexion à faire. Je renverrais directement au Etats
Généraux de la Culture puisque les premières conclusions viennent d’être diffusées et que cet axe
Culture-Ecole est un axe qui semble être fort important pour la Ministre et qui sera amené à être
développé dans les années qui viennent et très certainement par des transferts budgétaires qui iront de
l’éducation vers la culture. On est en droit de se dire qu’il y aura là un travail plus intense entre le
monde de l’éducation qui à certains moments pouvait considérer qu’il était peut-être assez fermé, que
la culture vivait dans les écoles de manière parcimonieuse alors qu’il y a semble-t-il maintenant une
volonté politique qui est d’accentuer ce processus-là et cela se concrétisera d’abord par les budgets
complémentaires et par toute une série de synergies de travail entre les différents services de la
Direction générale de la Culture c’est à dire de travailler de plus en plus l’aspect pluridisciplinaire de
la culture et ne pas la cloisonner en section.
Christian Wéry : Je suis professeur dans l’enseignement secondaire et je donne des cours de théâtre.
Paradoxalement, je n’ai jamais pris la responsabilité d’amener des élèves au théâtre. Je laisse le soin à
mes collègues de le faire.
Il y a 4 ans, j’ai décidé de ne plus prendre d’abonnement théâtre. En effet, je crois qu’il aurait fallu
inventer un nouveau mot dans le dictionnaire, j’aurai été « spectateuricide ». J’étais prêt à « tuer » un
élève tellement j’étais dégoûté de venir au théâtre. Malgré tout, j’ai repris un abonnement l’année
passée et cette année-ci. La saison passée, à l’occasion du spectacle « Gembloux » j’ai piqué une belle
colère et j’étais prêt à arracher les abonnements des élèves qui étaient venus à ce spectacle. Voilà, j’ai
beaucoup de colère et mon plaisir est gâché en tant que spectateur. C’est entre autre ce qui m’amène
ici aujourd’hui. J’ai essayé dans d’autres régions, par exemple à Andenne où le théâtre a été lancé il y
a 5 ans je crois. C’était un jeune public, des gens qui commençaient à venir tout au début dans une
salle de sport, l’ambiance était super !
Je me pose des questions et à la fois c’est très complexe, il y a tellement d’hypothèse que pour moi il y
a autant de réponses à trouver qu’il y a de problèmes posés.
Isabelle Godeau : Je suis enseignante et nous venons avec des élèves depuis de nombreuses années,
avec des bons et des mauvais moments. Je suis spectatrice ici à Charleroi et je ne vis pas du tout la
même situation que Christian. Je trouve que c’est un public qui a souvent du répondant. J’ai assisté à
des spectacles relativement difficiles comme « Andromaque » et j’ai trouvé qu’il y avait une écoute
formidable. Comme je viens avec des jeunes, ça me pose beaucoup de questions. C’est une
responsabilité et j’aime entendre ce qui se dit. J’ai assisté aussi à la représentation du 24 mars (La
tragédie d’Hamlet) où je n’avais pas d’élèves mais j’étais très mal à l’aise pour les comédiens.
Maurice Diamant : Nous soutenons dans le cadre des écoles à discrimination positive toute une série
d’actions qui portent notamment dans le domaine du théâtre, relations avec les écoles et d’autres
activités visant à inciter la rencontre du monde de l’enseignement et des élèves vers le théâtre.
Je suis ici disons de manière relativement passive c’est à dire d’une part pour représenter mais aussi
pour entendre, écouter et de voir surtout ce qui sera engendré ici, m’apporter des idées.
Guy Theunissen : Je suis metteur en scène et comédien et également co-directeur de la maison
Ephémère. Je fais partie également de la nouvelle association A.M.E.S., Association des Metteurs en
Scène qui est maintenant représentée auprès du ministère dans les débats qui ont lieu au niveau de la
réflexion sur les nouvelles structures théâtrales.
Quant au sujet qui nous occupe, ma première réflexion est qu’il y a une certaine nécessité économique
du rapport entre le théâtre et l’école. La maison Ephémère a pour mission depuis 15 ans de tourner le
plus possible que ce soit dans des lieux comme celui-ci ou dans d’autres centres culturels. Il est clair
que ces centres ont tous un contact avec les milieux scolaires, et donc, tôt ou tard, que le spectacle leur
soit destiné ou non, nous sommes confrontés aux milieux scolaires. Il y a une nécessité économique de
part et d’autre, de la part des responsables des centres culturels et de la part des artistes.
Anne Gevers : Au centre culturel du Brabant wallon, nous organisons une centaine de représentations
par an pour les écoles, pour les élèves du maternel jusqu’au secondaire. Nous organisons des
spectacles en matinée et en soirée. Je trouve que ces dernières années, ça se passe bien pour le
secondaire. Les élèves ont été préparés par des comédiens ou metteurs en scène auparavant.
Brigitte Peremans : Je suis animatrice au centre culturel de Rixensart. Je m’occupe entre autre du
théâtre scolaire. Pour le secondaire, nous n’avons pas énormément de représentations car nous n’avons
que 2 écoles qui participent.
J’étais intéressée par l’intervention de Monsieur Wery. En effet, il y a chez nous une école qui a
également des cours de théâtre et eux, ne viennent pas au théâtre. Je trouve que ce sont les premiers
qui devraient faire le pas et être présents et je me posais des questions sur cet état de chose.
Nous choisissons nos spectacles dans ce qui est proposé à Huy. Je trouve qu’il y a là une approche
particulière par rapport au public scolaire. Il y a aussi parfois des spectacles que nous proposons aux
adultes le soir et nous organisons une représentation supplémentaire pour les scolaires. En règle
générale, cela se passe relativement bien. Nous n’avons pas connu de gros problèmes ces derniers
temps.
Michel Sauvage : Je suis enseignant dans le secondaire dans une école en discrimination positive, je
suis accompagné de quelques élèves qui voulaient voir ce qu’il en était du débat sur le théâtre.
Monsieur Leclercq a parlé de subsides supplémentaires. En ce qui nous concerne, l’école qui est en
discrimination positive s’est vue couper cette année-ci tous les subsides qui lui étaient octroyés pour
les activités culturelles. Je ne reçois plus un cent cette année pour pouvoir amener les élèves au théâtre.
Les frais sont totalement pris en charge par les élèves. Il n’y a plus rien à l’école pour aider les élèves
dans ces frais.
Je profite d’être ici pour insister sur une idée que je défends depuis toujours. On apprend qu’il y a eu
pas mal de problèmes avec des étudiants qui ont été confronté avec un public d’adultes plus aguerri au
théâtre. Il y a eu des incidents mais je pense que si en tant qu’enseignant on prend la peine de préparer
ses élèves au comportement adéquat du spectateur et aussi à les initier au spectacle qu’ils vont aller
voir, à soulever des problèmes dont on va parler dans le spectacle, ça résout déjà pas mal de problèmes
et on évite pas mal de risques de mauvais comportement. Je représente aussi quelques uns de mes
collègues qui aimeraient que les représentations en scolaire s’élargissent encore car on a des élèves qui
sont demandeurs et qui ne sont pas prêts à faire l’effort de venir au théâtre en soirée. Pour toute une
série de raison. Certains font des stages ou travaillent en entreprises, les journées scolaires sont
longues, il y a les problèmes de transport également. Organiser plus de séances scolaires éviterait les
problèmes que vous avez connu et en plus ça permet d’ouvrir le théâtre à des gens qui, si on ne fait pas
quelque chose à leur égard, risquent de passer tout à fait à côté de cette chance et de cette expérience
intéressante qui consiste à aller au théâtre et s’ouvrir à une culture à laquelle ils ne sont pas
nécessairement habitués ne serait-ce que par l’école ou l’option dans laquelle ils sont et aussi les
habitudes culturelles familiales. Je crois qu’ici, on a tous un boulot important à faire à cet égard.
Sophie Wattiaux : Je trouve que vis-à-vis du théâtre et de la culture en général, toute l’éducation
entre en jeu. Je préfère aller au théâtre petit à petit et apprendre en voyant les acteurs jouer que d’avoir
une pile de papier à apprendre. Chaque élève a sa façon de réagir par rapport au comédien et par
rapport à ce qu’il voit. Je pense aussi que la durée d’un spectacle est importante. Quand c’est trop
long, on risque plus de s’ennuyer, on discute avec ses voisins, on joue avec son gsm. Ça doit frustrer
les comédiens car c’est un manque de respect.
Jean-Marc Dubetz : Je me souviens, il y a quelques années, avec l’école nous sommes allés voir un
spectacle du Théâtre National. J’avais l’impression que cela s’était plutôt bien passé même si suivant
l’endroit où l’on était, il y avait quelques perturbations. Suite à ce spectacle, nous avons reçu un
courrier à l’école pour nous informer de l’attitude des élèves. Plusieurs écoles avaient reçu ce courrier,
ils avaient ciblé suivant notre position dans la salle. Je n’aime pas trop ce procédé, car ce qu’il risque
d’arriver, c’est qu’on ne prenne plus de risques et que donc on n’aille plus au théâtre.
Par ailleurs, avec « Pierre de Lune », on se pose la question parce qu’on programme également des
spectacles aux heures scolaires. Il y a eu aussi des cas où des pièces amenaient des perturbations du
style pétards, quelqu’un qui amenait des œufs etc …On se pose la question à ce moment-là sur
comment réagir pour mettre fin au problème au moment où il se pose, avec des réactions d’enseignants
dont certains encadrent très bien leurs élèves pendant et avant les représentations et d’autres qui sont là
parce que c’est leur tour d’y être. Ceux-là n’ont pas forcément envie d’être là, ils se placent à la fin de
leur groupe et n’interviennent pas du tout. Il est vrai aussi que des spectacles plus difficiles n’ont pas
posé de problèmes. Il faut donc nuancer. Les réactions des étudiants peuvent être positives même si
pour les autres spectateurs cela paraît perturbant. Je me souviens d’un enseignant super motivé qui
avait préparé un spectacle et qui était très content des progrès des ses élèves au moment de la
représentation alors que les autres spectateurs étaient dérangés par le groupe. D’un côté il y avait un
progrès énorme et de l’autre, ça n’était pas expliqué et donc dérangeant. Il faut donc relativiser. Un
spectateur qui n’est pas en relation avec le monde de l’enseignement peut avoir des réactions
différentes.
Avec le Centre Dramatique, on mène différents projets d’animations. Entre autres, un projet où les
élèves sont invités à créer quelque chose, à aller sur scène. Pendant ce processus-là, qui dure une
année scolaire, il y a toujours obligation qu’ils aillent voir des spectacles qui ont un rapport avec le
thème et il y a aussi formation pour les enseignants qui accompagnent le groupe. C’est une des
formules qui permet à ces jeunes d’avoir un autre regard sur le théâtre ou sur d’autres formes d’art. Je
pense aussi qu’il existe un risque, si on ne trouve pas de solution à ces problèmes, que les
programmateurs ou les centres culturels ne prennent plus de risques et suppriment certaines séances.
Personne ne serait gagnant mais par contre, il faut être attentif au nombre d’élèves que l’on accepte par
représentation ou par rapport à la jauge.
Je suis heureux de constater que des élèves soient présents à ce débat ainsi que des artistes. On doit
leur poser la question du sens de leur présence et de tout ce rapport de l’art à l’école et de cette
sensibilisation qui est au cœur du débat d’aujourd’hui.
Florence Gabriel : On aborde un questionnement sur lequel on tourne depuis longtemps. A Namur
ça nous arrive aussi d’avoir des perturbations. Lors d’un spectacle où j’avais fait la police pendant
toute la représentation, je me suis demandé si ces élèves avaient du plaisir à venir au théâtre. Je ne
ressens pas du tout leur envie, le besoin ou la raison d’être là. Pour moi c’est une question
fondamentale. Je remarque aussi que lorsque l’enseignant est convaincu par un spectacle, qu’il aime le
théâtre et pas parce que c’est au programme scolaire, qu’il partage cet enthousiasme, on a beaucoup
moins de problèmes. Quand on a un enseignant qui réserve 150 ou 200 places pour toute une année et
que les élèves sont accompagnés par des collègues qui s’en foutent complètement, c’est dans ces caslà que l’on a de gros problèmes. A Namur, on a instauré qu’un professeur vient avec une classe et ne
réserve pas pour d’autres classes ni d’autres professeurs. Depuis ça va un peu mieux. Je pense aussi
qu’on ne va pas voir n’importe quel spectacle avec n’importe quels élèves. Je trouve aussi que les
enseignants manquent parfois de formation sauf les supers motivés. Je veux dire par là que dans les
études d’enseignants, il n’y a pas cette approche de savoir ce que c’est que le théâtre, la démarche
citoyenne de venir dans un théâtre. Je trouve qu’il y a un énorme travail à faire à ce niveau-là. Au
théâtre de Namur, on envoie des comédiens préparer les élèves mais pas de la même façon que les
enseignants, pas de manière didactique mais en faisant un mini cours de théâtre qui les prépare à voir
la pièce. En général, cette formule marche bien. Maintenant cette animation n’est pas obligatoire et
donc c’est encore les professeurs convaincus qui la demandent. Je pense que si chaque professeur est
bien conscient du pourquoi il amène ses élèves, il y a alors de la part des élèves un intérêt
supplémentaire.
On se pose la question aussi de l’endroit dans la salle où placer les élèves. En effet, au théâtre de
Namur, ils sont placés au 1er ou 2ème balcon. Ils apprécient donc différemment le spectacle que s'ils
étaient au parterre.
Florence Klein : J’avais envie de lancer pour la discussion, un extrait de « Lettre aux directeurs de
théâtre » de Denis Gemoun. C’est le condensé de sa colère … Il y a tout un monologue avant, mais ça
peut-être une base de discussion : « Le théâtre est pour l’Etat, pour la presse et pour soi, ce qui
compose tout ensemble un petit milieu clos mortifère, autophage où chacun file ses apparitions, sa
métaphysique c’est à dire sa carrière sous les yeux généreux et attendris des instructeurs et de leurs
élèves ».
Aline Baudouin : Au centre culturel de La Louvière, je m’occupe de la programmation des matinées
scolaires pour les ados, avec un réseau d’écoles très diversifié et je constate qu’il y a un certain
nombre d’écoles de l’enseignement technique qui fréquente ces matinées. J’ai toujours cru au théâtre
comme outil de réflexion et de maturation de ces futurs jeunes adultes. Je crois beaucoup au théâtre
comme outil d’éducation permanente vis à vis de ces jeunes. Je me souviens aussi de très mauvaises
séances en matinée, il y a 15 à 20 ans, lorsque j’étais moi-même en secondaire et je me suis juré que si
un jour j’avais les moyens de contribuer à ce que ça marche je ferais tout pour cela.
J’ai envie de dire que le malentendu sur lequel on nous propose de discuter ne date pas d’aujourd’hui
et n’est pas uniquement une question d’époque et de mal-être d’une société.
Au delà de la simple démarche de programmation, j’essaie toujours de travailler à d’autres niveaux
comme par exemple l’intervention et la valorisation notamment en collaboration avec le CDW
d’artistes dans les écoles secondaires. Je suis certaine que ça contribue très nettement à une relation de
respect mutuel dans le cadre d’une programmation pure.
Dans un autre créneau, je crois très fort à notre place de centre culturel comme outil de valorisation
d’expériences individuelles. Pour moi, être programmateur de théâtre pour ados n’a pas de sens si à un
moment donné je ne parviens pas à dépasser dans ma démarche le fait que les jeunes soient assis dans
un siège. Il est important de soutenir des projets, de proposer une aide-service même si ces projets
théâtre émanent d’une classe de chimie et que sur le plan strictement théâtral cela peut être sans grande
qualité parce que c’est mené par des personnes qui ne sont pas formées. Je ne trouve pas ça anodin du
tout. Je considère au contraire qu’il est d’une grande importance de soutenir ce genre de projet.
Isabelle Authom : Je suis romaniste de formation. Je constate que dans la formation des enseignants,
il n’y a pas ou très peu de place pour la culture en général. J’ai enseigné pendant plusieurs années et
maintenant je programme pour le maternel, le primaire et le secondaire. Je constate par mes diverses
expériences professionnelles et par les services dont j’ai pu bénéficier via le CCRCharleroi que le
public est un public « otage ». Quand on constate que le théâtre a un taux de pénétration d’à peu près
2%, on demande comment on peut espérer que 100% des élèves que l’on amène et qui sont, je le
répète des otages, soient béas d’admiration et d’enthousiasme parce qu’on les amène de force au
théâtre. Cela convient aussi bien pour les matinées scolaires que pour le théâtre en soirée. Ce qui se
passe aussi, c’est que des enseignants, non contents d’imposer un spectacle, l’imposent en plus en
soirée. Et quelques fois n’y assistent pas eux-mêmes. Il faut tenir compte des situations familiales
aussi. En effet, il n’est pas toujours facile, après une journée d’école de pouvoir revenir pour une
soirée théâtrale, il faut trouver pour certains, un moyen de locomotion etc … C’est dans ce sens-là que
je crois que la responsabilité est surtout celle des adultes qui n’ont pas été eux-mêmes formés. La
responsabilité est de notre côté, que l’on soit parents, enseignants ou encore animateurs culturels parce
que l’on manque de temps. Je répète que la formation des maîtres et des animateurs est à revoir
complètement.
Jacques Bury : Avant d’être retraité et de travailler à « Promotion Théâtre », j’ai une longue vie
d’enseignant et de directeur d’école. Pendant cette période, j’ai donné des cours de théâtre. En tant que
professeur de français, je donnais, aux 2 dernières années du secondaire, un cours dont l’ossature était
faite par rapport aux spectacles qu’on allait voir. On en parlait avant et après. J’ai donc une longue
pratique de ce qu’est la fréquentation du théâtre avec des élèves. Ce que je retire de cette expérience,
c’est qu’il y a un certain nombre de dimensions qui entre en ligne. Il y a d’abord la dimension
« motivation », la motivation du prof et donc en partie la motivation des élèves. Il y a la dimension
« encadrement et accompagnement », physique d’abord mais aussi toute la démarche de préparation,
de mise en appétit. Il y a la dimension « initiation et sensibilisation », savoir ce que c’est le théâtre,
apprendre ses codes et le comportement des jeunes et pas uniquement d’eux d’ailleurs fait qu’il y a un
choc entre un comportement de spectateur et un comportement de la vie courante.
Geneviève Tilman : Je suis responsable d’une structure qui s’appelle « ECLAT ». Je suis également
romaniste de formation et j’enseigne depuis 30 ans. J’emmène mes élèves au théâtre et je suis
convaincue du bienfait de la présence du théâtre à l’école et hors de l’école. Le principal souci était
que les enseignants ne connaissaient pas la richesse de ce qui se passe en Communauté française au
niveau des services éducatifs, au niveau de ce qui leur est offert et permis. Le monde scolaire est
relativement clos et je trouvais important que les enseignants soient épaulés.
Pour en revenir au thème du débat, je suis convaincue que la présence ou la préparation d’un spectacle
en classe, en présence d’un des comédiens est très importante. J’ai remarqué lors des spectacles que
lorsqu’on arrive à la scène préparée en classe, il y a là quelque chose qui se passe entre eux et qui ne
rate jamais. Je vais au spectacle en soirée mais je suis partisane des matinées scolaires, avec
préparation, formation des profs, motivation. Ces paramètres-là, si on les garde, pour moi c’est gagné.
Michèle Ducheny : Je suis enseignante en préretraite. J’aime beaucoup le théâtre et pourtant, j’y
emmenais très peu les élèves parce que leur comportement me rendait malade à chaque fois.
Frédéric Dussenne : Je suis metteur en scène et professeur au Conservatoire de Mons. Depuis 15 ans,
j’ai beaucoup rencontré de spectateurs jeunes ou moins jeunes ou les deux mélangés. Je ne peux pas
dire que j’ai eu à me plaindre. J’aimerais aujourd’hui exprimer une conviction un peu plus détaillée.
Dans les questions qui sont posées, il y a notamment la définition de ce que peut être le théâtre. Je
crois que c’est beaucoup plus qu’un spectacle, c’est un attroupement autour de la parole, ça constitue
une communauté provisoire et c’est un des instruments qui donne immédiatement conscience de ce
que peut être la démocratie. Qui dit attroupement dit attroupement d’individus qui finissent par
constituer une collectivité. Ça peut parfois poser problème lorsqu’il y a des groupes préconstitués,
c’est à dire que les mélanges ne se font pas en fonction du théâtre mais sont déjà là avant. Donc il faut
briser les cercles déjà constitués pour arriver à faire cet attroupement autour de la parole. C’est une des
raisons pour lesquelles je ne suis pas très partisan des matinées. Je crois qu’il est important pour de
jeunes adultes d’être mélangés à d’autres jeunes adultes. Je crois que l’attroupement démocratique doit
se faire en fonction d’individus qui font une démarche individuelle et la communauté se constitue au
cours de la représentation. Si elle préexiste, il y a quelque chose qui rate. Dans ce contexte-là, le
rapport entre théâtre et école est fondamental. L’école est l’endroit où l’on rencontre encore toutes les
couches de la société. Le problème que l’on évoque aujourd’hui est quand même dû à un recul du
besoin de collectif ce qui est un fait de société. Pourtant l’expérience théâtrale est une expérience
collective et donc elle demande une initiation. Ce n’est pas si évident que cela. Il y a une perte du désir
de collectif. Je remarque ça depuis 20 ans. Il ne faut pas négliger cela et ça concerne les adultes aussi
bien que les jeunes. Il y a un travail à faire sur le fait qu’aujourd’hui la culture générale n’est pas au
collectif mais à l’individuel. Par rapport à tout cela, je dirais aussi que si on veut réussir
l’attroupement, la collectivité autour de la parole, il faut aussi réfléchir à ce que les données
économiques n’empêchent pas que nous travaillions dans des jauges qui permettent cette rencontre
réelle avec les êtres humains qui sont sur le plateau. Ce n’est pas la même chose de faire vivre une
expérience d’attroupement autour de la parole à 1000 personnes qu’à 150. Si on veut réussir
qualitativement les rencontres entre le théâtre art vivant et les spectateurs, il faut aussi penser aux
jauges. Mais cela devient un problème économique, il faut remonter plus haut c’est un problème de
subventions, c’est très compliqué.
Le théâtre c’est aussi un texte, c’est aussi une langue. Une langue qui n’est pas tout à fait la même que
le langage quotidien. C’est un langage qui dilate ou qui condense les sensations. Je pense que cette
perte du texte, de la langue est aussi un des facteurs qui peut parfois entraver l’expérience théâtrale.
La dernière question que je voulais absolument aborder aujourd’hui est la fameuse question du
répertoire. Qui peut encore aujourd’hui comprendre un certain nombre de références qui sont dans le
répertoire classique ? Il y a un travail fondamental à faire dans lequel nous devons nous impliquer
ainsi que les enseignants mais bien au delà de ça, dans lequel une politique globale de la culture et de
l’éducation doit s’impliquer. Je suis amené à lire des projets de mémoire d’étudiants qui sont sortis de
secondaire et je n’arrive pas à les lire. Ce ne sont pas des fautes d’orthographe, mais des questions de
grammaire, de langue, de rapport à la construction de la pensée et donc je comprends le désarroi de ces
mêmes personnes devant un langage très structuré comme par exemple un texte de Racine ou même
un trac électoral.
J’ai envie de faire une proposition. Les contraintes économiques ne se limitent pas à la jauge. On disait
tout à l’heure : « il faut choisir les spectacles », c’est vrai, je comprends mais j’ai aussi envie de
dire : « je dois choisir les spectateurs ». Si on veut arriver à cela, il faut ruser avec des impératifs de
production. Les endroits où on rencontre le plus les différents publics sont souvent les institutions les
moins dotées, ce qui a des conséquences au niveau de la production ou de l’accueil. Nous sommes
plusieurs à penser cela et à vouloir faire la démarche d’arriver à des formes plus légères à condition de
pouvoir rencontrer ces publics-là. C’est une question que je jette dans ce débat. Je crois qu’il y a des
formes de théâtre qui peuvent aller très loin dans la pénétration du tissu social mais je pense qu’il faut
se coordonner un peu.
Sarah Colasse : Je représente le Centre Dramatique de Wallonie pour l’enfance et la jeunesse. Ce qui
vient de se dire est très riche et donne envie de rebondir sur pas mal de choses qui se recoupent, qui se
complètent et se contredisent parfois. En tout cas, cette notion de formation et de sensibilisation, on
essaie vraiment d’y travailler au Centre Dramatique avec les points de chute, les centres culturels
locaux et régionaux avec lesquels on avance à plusieurs niveaux : la diffusion, les ateliers artistiques
qu’on propose dans les écoles de la maternelle au secondaire et la formation des enseignants, des
artistes et des médiateurs culturels. Il y a également des formations dans les hautes écoles pour les
futurs enseignants et aussi des formations pour les formateurs de ces futurs enseignants. C’est dans
l’esprit d’être à plusieurs niveaux car il n’y a pas de recette magique qui fait que tout d’un coup les
choses vont se déclencher. L’initiative prise par Pierre Noël d’organiser ce débat faisait écho aux
discussions que l’on avait dans les différents points de chute. Cette idée de se dire qu’on est confronté
à un problème et que pour aller plus loin, on va vers la rencontre, on trouvait cela très intéressant et
très constructif.
Avant cette rencontre, j’ai entendu certaines réflexions, dont celle-ci entre autres : le chahut lors de
certaines représentations, cela avait toujours existé et ça existera toujours. Devant ce défaitisme,
j’apprécie cette tendance de se dire : « voilà, on se lève par rapport à cela et on y réfléchit ensemble ».
Par rapport à l’obligation de ces jeunes d’aller théâtre, il faut se dire que ne pas aller dans l’obligation
c’est prendre le risque du non accès. On se bat justement pour que tous les jeunes aient accès à la
culture. Je me suis posée la question de savoir comment faire pour que l’étudiant soit plus participatif
et du coup puisse choisir entre plusieurs spectacles d’un abonnement. Est-ce que cela est faisable au
niveau de l’équipe pédagogique qui encadre ? J’imagine que c’est plus complexe au niveau de
l’organisation. Ce serait une sorte de mélange entre l’obligation et le choix personnel de l’élève dans
un panel de spectacles proposés.
Je me rappelle d’une représentation du spectacle « Le jeu de l’amour et du hasard », une représentation
très agitée avec des jeunes qui discutaient, une jeune fille qui, à côté de moi, hurlait ses commentaires.
En même temps, c’était cette contradiction avec l’enthousiasme que ces jeunes avaient à la fin du
spectacle, ils étaient quasi debout à la fin de la représentation. C’est un peu l’équilibre en tout cela
qu’il faut voir. Nous avons notre manière de voir les choses, on a nos regards, nos attentes par rapport
à un comportement qu’il faut avoir au théâtre. Il faut trouver un moyen par rapport aux jeunes pour
retrouver une manière de se respecter l’un l’autre parce que voilà, il y a une question d’éducation, une
question d’une société qui évolue. Il faut rester dans cette écoute mutuelle entre artistes, médiateurs
culturels, enseignants mais aussi avec ces jeunes. Il faut redire aussi qu’avec le théâtre jeune public, il
y a une écoute et une concentration que l’on apprend très jeune. Il faudrait qu’il y ait moins de
cloisonnement entre le théâtre jeune public et le théâtre adulte de manière générale et dans le respect
l’un de l’autre.
Jean-Pierre Dopagne : Je vais au théâtre depuis l’âge de 5 ans. Ce que j’entends ici par rapport aux
jeunes, je voulais dire que je l’avais vécu aussi avec un public adulte. Il est vrai que l’on dit qu’il faut
apprendre les codes du théâtre. Il y a une phrase d’une de mes élèves qui m’a toujours interpellé. Elle
me disait : « Moi quand je vais au cinéma, l’écran me montre ce que je dois regarder. On fait le travail
pour moi. Au théâtre, je ne sais pas ce que je dois regarder ». Il y a des codes comme ça que les
enseignants ne leur apprennent pas. La formation des maîtres dans les écoles normales et dans les
universités n’a guère évolué depuis l’époque où moi-même j’y étais. Cette préparation des profs est
importante. Les références culturelles, je suis le premier à les souhaiter. Quand on regarde les
programmes de l’enseignement secondaire actuellement, l’accent est mis à 95% sur l’usage
fonctionnel de la langue et donc la manière de parler n’a plus comme premier objectif la connaissance
et l’apprentissage d’une œuvre littéraire. D’autre part, il y a un problème énorme quand on parle
d’élèves au théâtre, c’est que le théâtre est mis en relation avec l’école. Pourtant l’école, depuis pas
mal d’années a mauvaise presse. Pour les élèves, le théâtre est encore un lieu où l’on va les assommer.
Où est le plaisir au théâtre ? La notion de plaisir est essentielle et non seulement dans le contenu de la
pièce mais aussi dans tout ce qui est para-théâtral comme l’accueil par exemple. Il y a aussi le dernier
code qu’on devrait connaître, c’est le code du respect et du silence. Il faut reconnaître que le silence ne
fait pas partie du code de la jeunesse et plus du tout du code de notre société. En classe également on
demande aux élèves de ne plus être silencieux, il y a les cours interactifs et puis tout d’un coup, on les
emmène au théâtre où là on leur demande de se taire. Il y a une espèce de contre code culturel. Je me
pose une question et je la dis en public pour la première fois : « et si finalement, le spectateur pouvait
parler au théâtre ? ». Le silence au théâtre est assez récent. Et si notre écriture contemporaine faisait
une place à la parole du spectateur ?
Interventions diverses par rapport à ce qui vient de se dire :
Le théâtre où les spectateurs peuvent intervenir existe déjà, il y a le théâtre forum.
Si le code change, il faut enseigner le changement.
Et pourquoi pas le silence ? Je crois que les élèves sont capables de silence. Il suffit de surveiller un
examen et on se rend compte qu’il n’y a pas de problème pour qu’ils se taisent. Mais les bruits qui
n’ont rien à voir avec le spectacle, comme les gsm qui sonnent, cela est très dérangeant.
La question du silence est immédiatement liée à la condensation d’expérience dans la langue. Si on
donne une place à la salle, il faut donner une place à l’acteur. On serait donc amené logiquement à
l’improvisation. Je crois que le silence dans certaines formes théâtrales est une possibilité pour les
spectateurs de gagner du temps et de vivre de manière raccourcie un certain nombre d’expériences de
vie qu’ils ne pourraient pas vivre autrement.
Le monde des jeunes est le monde de la télévision. C’est le spectacle auquel ils sont le plus habitués.
Observons-nous également lorsque nous regardons un film à la télévision, vous allez voir que vous
allez commenter les moments non dialogués. On commente quand il n’y a pas d’information.
Cela fait 15 ans que je tourne et que je suis confronté au public scolaire et je n’ai jamais eu de
problème. Pourtant il y a eu des spectacles qui n’étaient pas particulièrement amusants, qui n’étaient
pas d’un accès facile. Pourquoi nous ça fonctionne et parfois ça ne fonctionne pas pour d’autres? Il y a
une méthodologie que nous avons mis au point petit à petit, c’est que ce sont les acteurs, le metteur en
scène qui vont presque systématiquement rencontrer chaque spectateur dans les classes. C’est
important que ce soit eux qui aillent faire ces rencontres. Il y a ainsi une familiarisation, on rend
familier l’acteur qui est sur scène. La communauté provisoire dont on parlait tout à l’heure commence
dans cette classe. Je commence toujours mes animations en parlant du spectacle et puis on parle du
théâtre en général et pas nécessairement de grandes théories, on rend familier le métier d’acteur, on
répond à leurs diverses questions qui vont de notre vie de tous les jours, notre travail à des questions
plus personnelles. Dans les contrats que je signe avec les comédiens, il y a une clause qui les oblige à
participer aux animations scolaires.
Il y a une dernière chose aussi. Il y a la question du public. Cela veut dire qu’on tente avec des auteurs
contemporains, avec des formes contemporaines et des approches du théâtre d’aujourd’hui de séduire
ce qu’on appelle « le grand public ». Dans le choix des spectacles, il faut être attentif à ce que les
compagnies qui présentent leur travail aient ce questionnement.
Bien sur que c’est idéal que les comédiens viennent dans les classes mais il faut dire qu’il y a une
minorité d’artistes qui se posent la question de savoir comment préparer un public jeune à venir voir le
spectacle qu’ils proposent. Par exemple sur « Sokott » à Namur, on a eu la chance que Frédéric
Dussenne passe presqu’une demi journée à nous expliquer ce qu’il avait conçu et comment on pouvait
faire passer ça aux jeunes, mais ce n’est pas souvent que nous avons cette possibilité. Voilà pourquoi
aussi on nous envoie parfois en animation d’autres comédiens que ceux du spectacle.
Mais exigez-le de la part des comédiens !
Non, ça ne marche pas.
Alors ne prenez plus ces compagnies-là.
Avant, quand j’étais enseignante, Pierre Noël venaient dans les classes pour présenter l’ensemble de la
saison théâtrale. Il choisissait des spectacles accessibles avec des comédiens ou des metteurs en scène
souvent disponibles. Pierre et moi, nous leur ouvrions l’appétit et puis les élèves choisissaient. Ça a
donné lieu à des rencontres extraordinaires. Et puis il y avait aussi le fait que les étudiants n’avaient
pas de spectacles imposés. Cela demandait une organisation d’accompagnement pour chaque
spectacle.
Il faut au départ un animateur motivé, des enseignants qui vont aux spectacles avec les élèves et une
rencontre avec un comédien motivé lui aussi.
On a beaucoup parlé des codes, du silence, de demander d’éteindre son gsm, ça me fait penser à ce
qu’on me disait quand j’étais petite et que je demandais « pourquoi ? », on me répondait que c’était
une question de principes, ça avait le don de m’énerver. Pour moi, dire à des élèves qu’on ne mange
pas dans un théâtre, qu’on ne parle pas, que l’on doit couper son gsm et que ce soit simplement une
question de principes ça n’a pas de sens. C’est pourquoi je pense qu’une approche vraiment de
sensibilisation à ce que peut être le théâtre par la rencontre avec des artistes est quelque chose
d’important. Prendre conscience que lorsqu’on va au théâtre, on se retrouve face à des êtres vivants, il
y a des vraies personnes, ce n’est pas comme au cinéma. Il ne faut pas se voiler la face, il faut mettre
en perspective de plus en plus le théâtre avec le cinéma et il faut marquer ce contraste. Il y a
énormément de choses qui ont été mises en place en Communauté française pour soutenir
l’introduction du théâtre dans les écoles mais je crois qu’il serait vraiment temps qu’on introduise une
réflexion sur l’image cinématographique. Ce serait une façon de montrer aux élèves ce que c’est que le
montage, le cadrage. Faire se rencontrer une réflexion sur le théâtre et sur le cinéma permettrait une
autre approche du théâtre. Ils savent qu’ils retirent du plaisir du cinéma et ils ne savent pas pourquoi.
J’ai vu des élèves ne pas comprendre un spectacle parce qu’ils avaient eu une vision comme si ils
avaient vu un film. Il y a des codes différents.
Par rapport à la formation des enseignants, le problème n’est pas, à mon avis, d’initier les enseignants
à la culture. Le problème est que dans aucune université en Belgique on ne parle du théâtre en tant que
spectacle. On en parle dans sa dimension littéraire. L’histoire du théâtre c’est plus que du texte, c’est
de la scénographie, c’est de la lumière, c’est du jeu d’acteurs. Toute cette dimension est complètement
occultée. Tant que cette dimension est occultée, il est impossible que le spectateur apprécie
l’esthétique théâtrale et ce qui se fait quand se fait un spectacle. Et enfin, je trouvais que la discussion
sur le silence était très intéressante parce que je crois que chaque spectacle a une esthétique différente,
les metteurs en scène également. Donc certains spectacles demandent le silence, d’autres permettent
l’introduction de la parole mais chaque spectacle est singulier.
J’étais très heureuse que l’on se demande pourquoi les auteurs n’écrivent pas des pièces où le public
peut parler; je trouverais cela fabuleux que ce qui se passe dans les écoles avec les adolescents se
répercute sur les gens de théâtre. Je pense par exemple à Dominique Serron : quand elle monte un
spectacle, lors de la première réunion que l’on a pour la dramaturgie, elle dit : « et les élèves ? ».
Donc, elle pense pendant toute sa démarche de création au fait que des élèves vont être là. C’est une
démarche de création singulière. Je comprends que certains artistes veulent pouvoir créer en se disant
qu’ils ne veulent pas de jeunes à leurs spectacles. Une question fondamentale est de savoir à qui on
s’adresse et de savoir si le spectacle que l’on monte peut être destiné aux jeunes.
Je crois que la question du dédicataire d’un spectacle vient du créateur. Des artistes qui ne se soucient
pas du public, il y en a moins qu’on ne le pense surtout aujourd’hui où la pression en politique
économique est terrible à ce niveau-là. Dire qu’on ne soucie pas de ça est faux dans 90% des cas. Il y a
évidemment 10% de privilégiés qui peuvent se permettre de ne pas s’en inquiéter. Nous sommes sur
une branche extrêmement friable. On sait qu’on a un rapport au public et en ce qui me concerne, c’est
une joie. Il faut faire attention de ne pas se mettre à la place de l’artiste. Je voulais dire aussi que les
modes d’approche ne sont pas les mêmes parce que les attentes ne sont pas les mêmes. Et pas
seulement les attentes des spectateurs mais aussi celles du réseau d’institutions. Les attentes d’un
réseau du style centre dramatique, scène nationale française ne sont pas celle d’un centre culturel local
et donc les rapports au public sont différents. Par exemple, je ne peux pas demander à Susy Falk qui
joue dans « Sokott » d’aller faire des animations dans les classes alors qu’elle a 83 ans, je ne peux pas
mettre cela dans son contrat. Il y a d’autres exemples comme celui-là.
A un moment donné, quand on a travaillé longtemps et qu’on a rencontré les spectateurs assez
souvent, on se repose la question des priorités surtout dans un contexte budgétaire très difficile. Les
modes d’approche doivent être différenciés suivant le type de spectacles que l’on propose aux gens et
d’autre part, les spectacles sont souvent obligés de correspondre au réseau dans lequel ils souhaitent
s’inscrire.
Je voudrais intervenir par rapport au monde enseignant. On est dans un public convaincu ici. Pour que
tout cela continue parce qu’on y croit, parce qu’on a envie que tous les élèves assistent au moins une
fois dans leur cycle scolaire à une représentation théâtrale, on ne peut entrer dans les écoles que si les
enseignants le veulent bien. Vous n’entrerez jamais si les enseignants ne sont pas convaincus. On peut
organiser des dizaines de réunions comme celle-ci, si les enseignants ne sont pas convaincus, jamais
on n’aura de résultats. Je crois vraiment, par expérience, que dans chaque école il y a au moins une
personne, un relais, un professeur locomotive. Il faut que ces professeurs-là aient pour tâche de
convaincre les autres. Il faut travailler entre enseignants à l’intérieur de l’école. Il faut donner
l’information à ces enseignants passionnés et motivés. Eux arriveront sans doute à convaincre les
autres et à leur faire part du travail que les artistes proposent. Il faut que ce réseau d’enseignants, ce
réseau culturel grandisse. Pour cela, il faut aussi les ménager, peut-être leur offrir des places, il faut les
aider et les épauler, il ne faut pas se contenter de leur dire ce qu’ils doivent faire. Avec cette solution
de réseau culturel vous arriverez à toucher un maximum de jeunes.
Frédéric, quand vous dites que c’est difficile de faire du théâtre, j’ai envie de vous dire qu’il est aussi
difficile de programmer. Ce qui me pose vraiment problème, c’est le cadre et quand on parle
d’animations, de signature d’un contrat par les comédiens pour faire des animations, je trouve ça
génial mais je me vois mal demander à ces comédiens, sans avoir les moyens de les payer, de venir
faire des animations dans les écoles. En tant que programmateur, je ferais tout ce que je peux pour
avoir un spectacle parce que j’y crois, par rapport au message, au travail. J’ai envie de dire que par
rapport à tout cela, il y a une piste que je voulais vous donner même si elle peut paraître très naïve,
c’est d’inviter chacun à jouer de sa créativité. Pour moi, la créativité est une chose qui peut ne pas
coûter de l’argent. Quand le CDW nous invite en formation au côté d’enseignants, au côté d’artistes et
avec des médiateurs culturels, sans dire qui on est ni ce qu’on fait, là je trouve qu’il y a un début de
quelque chose de très chouette. Cette démarche créative est très importante. Je rencontre des
enseignants qui sont complètement usés et qui n’ont plus envie d’emmener leurs élèves au théâtre. Je
me réjouis de l’initiative de cet après-midi. J’ai décidé, lors des prochains spectacles scolaires de
demander aux spectateurs, avant le spectacle, de partager ensemble un moment de silence. Ça durera
10 ou 15 secondes mais je suis certaine qu’on va vivre quelque chose qui restera une expérience
unique à ce moment-là de la représentation. Je suis peut-être naïve mais je vais essayer. On parle aussi
d’accueil et dans ce cadre-là, une visite des lieux peut être importante. Contrairement à ce qu’on disait
tout à l’heure, je crois que la visite d’un comédien ou d’un animateur qui ne fait pas partie du spectacle
peut aussi apporter des choses positives. Par expérience, je dirais qu’on tire énormément de bénéfice
de mettre les jeunes en situation de création. Apprendre à jouer à des jeunes et leur permettre d’être
regardés par un petit public, on peut arriver à des résultats. C’est à travers ce genre de petites
démarches qu’on peut commencer à faire quelque chose.
Je pense que pour un comédien qui vient en classe, il ne s’agit pas uniquement de commenter ou
d’annoncer un spectacle Il y a parfois des comédiens qui mettent en situation de jeu. Dans des
pratiques d’ateliers qui se font pour des projets à long terme, je pense qu’il est très important pour les
élèves de se trouver dans des situations de stress de jeu et de se rendre compte que le regard des autres
dans la classe peut apporter une dimension toute autre. Cette expérience-là permet d'apprendre le
respect quand on va écouter d’autres élèves jouer ou des comédiens au théâtre. Toutes les formes
d’aides qui permettent ce genre de pratique sont à encourager. Par rapport à l’idée des professeurs
relais, je trouve l’initiative intéressante et généreuse mais elle a ses limites parce que la réalité des
écoles est différente. L’école est soumise à une série d’injonctions, de propositions, de surenchères.
Avec le temps, ce professeur relais risque de s’user, de se trouver confronté aux conflits qu’il peut y
avoir entre collègues ou avec les directions. Je pense que cela ne suffit pas. On doit convaincre les
pouvoirs organisateurs de l’importance de la place de l’art dans les écoles. Dans les fait, je constate
qu’on augmente les heures d’une série de disciplines (sciences, étude du milieu, langues …), pour ça il
existe des moyens et des heures, c’est finalement ça qui est prioritaire. On a beau avoir dans des
décrets missions des obligations pour l’école, très souvent ce n’est pas la réalité et c’est très rarement
appliqué. Je dirais aussi qu’il y a de nombreuses initiatives de formation qui sont prises dans les hautes
écoles auprès des normaliens. Mais là aussi il y a des contraintes budgétaires et donc il y a plein de
choses intéressantes et les directions doivent freiner les projets. Donc tant qu’il n’y a pas une
conviction politique, un message qui dit qu’effectivement il faut qu’il y ait une place pour l’art, il y
aura une série de freins qui vont apparaître.
C’est vrai que pour la formation de formateurs de futurs enseignants que les deux centres dramatiques
(pour l'enfance et la jeunesse) ont organisé conjointement, l’appui de Marie-Dominique Simonet a fait
beaucoup parce qu’il y a quelque chose qui est cautionné.
Par rapport à la présence des artistes dans les écoles, qui dit artiste ne dit pas spécialement pédagogue.
C’est un danger aussi d’avoir parfois des artistes qui arrivent dans les écoles comme des « messies » et
là c’est plus du tout intéressant, c’est tout à fait l’effet inverse.
Il faut aussi que les directions soient conscientes de l’importance de l’accès au théâtre. Chez nous, les
élèves n’ont droit qu’à un seul spectacle par an et le choix doit être avalisé par la direction. Nous
venons de connaître justement un problème. En effet, nous devions aller voir un spectacle et la
directrice, il y a 15 jours, a annulé le spectacle parce qu’elle n’en voulait pas pour son école car il y
avait eu trop d’absences. Si les directeurs font pression, il n’y a pas moyen d’aller à l’encontre de leurs
décisions. Ok pour un professeur relais pour autant qu’il y ait une direction également motivée.
Par rapport à ce que j’ai entendu, je voudrais dire que ce n’est pas encore catastrophique. Il n’y pas
encore eu des morts au théâtre. Mais moi, j’ai une tolérance presque zéro. Si à quelques rangées de
moi, je vois quelqu’un qui joue avec son gsm, ça me dérange, je râle et ça me gâche le spectacle. Là
c’est moi le problème. L’année passée, des élèves de ma classe, accompagnés par un autre professeur
ont chahuté. Je faisais partie du conseil de discipline qui a pris des sanctions vis à vis de ces élèves. A
la sortie, le directeur m’a dit : « ce ne sont pas les élèves qui doivent être sanctionnés mais le
professeur qui les accompagnait ». Je suis d’accord avec cela. Cela nous montre que ce problème est
complexe et le fait de partir dans tous les sens risque que l’on soit frustrés en sortant d’ici. Je pense
que quand une représentation dérape, il y a des responsabilités à tous les niveaux. Tout d’abord la
responsabilité des profs, comment peut-on réagir ? Il y a la responsabilité des élèves, ils ont beau être
éduqué, ils sont encore capables de faire des conneries. Mais j’aimerais quand même dire et faire
passer ce message, c’est qu’au bout du compte, l’élève doit être libre de venir ou non. J’ai déjà
entendu des élèves râler de devoir aller au théâtre le soir et quand je leur demande pourquoi ils y vont
s'ils n’en ont pas envie, la réponse est : « si on y va pas, on va être recalés ». J’ai envie de me mettre en
colère contre le prof qui fait ce chantage. Il y a la responsabilité des organisateurs qui doivent pouvoir
intervenir et ne pas hésiter à refuser l’accès de la salle aux perturbateurs ou alors provoquer une
discussion pour que ça ne se reproduise pas. Il y a aussi les parents, ceux qui râlent parce qu’ils
doivent payer et ça, ça nous échappe. L’élève devient un tampon entre les parents et le prof.
Une dernière chose aussi, il faut savoir que les élèves, après la deuxième rénové peuvent terminer les
quatre années suivantes sans plus avoir du tout de sensibilisation à la culture. Dans toutes ces
responsabilités, il y a celles où on peut agir et d’autres non. Il faut savoir celles où ça vaut la peine de
mettre de l’énergie. Avant chaque spectacle, on pourrait lancer une parole vers les spectateurs, cela les
toucherait peut-être. Dire que le théâtre est fragile, que les comédiens sont de chair et d’os, que si on
perturbe il n’y aura peut-être pas la qualité du spectacle qu’ils attendent. On peut dire aux élèves qu’ils
ont le droit de ne pas aimer un spectacle mais il faut leur faire comprendre qu’ils peuvent le dire après
et pas pendant la représentation. On peut en discuter et débattre après le spectacle sur le pourquoi on a
ou on n’a pas aimé.
Les clés pour comprendre le silence au théâtre c’est arriver à comprendre que l’acteur est silencieux.
C’est très difficile à comprendre parce que l’acteur dit des mots et on a l’impression qu’il a le pouvoir
de la parole. Demander le silence aux spectateurs, ce n’est pas leur demander d’aimer le spectacle,
c’est leur demander de laisser à l’acteur la chance du temps. Que ça puisse s’inscrire dans une certaine
durée et que la réaction soit différée.
Avant, il y avait le rituel du lever de rideau et des coups frappés avant le début du spectacle. Ça faisait
une transition. On annonce que ça va commencer. La solution n’est pas unique, ce sont des synergies
qu’il faut mettre ensemble. C’est une petite idée parmi plein d’autres. Il y a une relation à créer entre
les profs et leurs élèves. Moi, et ils le savent, j’ai envie d’être fier d’eux en sortant d’un spectacle et je
ne veux pas les décevoir non plus de mon côté. Il y a donc tout un travail à faire et cela prend du
temps. J’aimerais aussi que quand une école prend un grand nombre d’abonnements, l’animateur
rencontre le professeur pour connaître ses motivations. Je voulais proposer aussi l’abonnement
progressif. Les élèves prennent 2 ou 3 spectacles et si ça se passe bien, on peut prolonger. Si ça ne va
pas, on stoppe.
Le problème de chahut lors de spectacles, ce n’est pas nouveau. Il y a 25 ans au PBA, des séances du
Théâtre National étaient copieusement chahutées. On parle d’éducation au théâtre, d’ouverture
d’esprit, etc … alors que tout ce qui est proposé aux jeunes à l’heure actuelle c’est justement de
s’enfermer dans des boites, TV, PC … Ce n’est pas évident de réaliser une chose d’un côté et de le
voir démolir de l’autre. Les enseignants ne sont pas la seule solution à ces problèmes, il y a aussi le
théâtre que l’on propose. Il y a une évolution dans le théâtre, une évolution dans la façon dont vivent
les jeunes et ces réalités ne se rejoignent pas forcément. Je crois que les animateurs ou
programmateurs ne doivent pas devenir des policiers de salles et attribuer des bons points aux bons
spectateurs. Il faut, à certains, un temps d’adaptation ou quelques spectacles pour comprendre les
règles. L’éducation au théâtre se fait aussi en venant au théâtre. Il y a des choses à apprendre sur place.
Je crois vraiment qu’il y avait plus de chahut avant. Le gros problème actuellement, c’est l’arrivée des
gsm. Sans cela, il y aurait 50% de soucis en moins.
On joue de moins en moins des textes d’auteurs. On a l’impression qu’on surfe sur des tendances ou
des effets de mode et je ne sais pas si c’est un bien ou non.
En ce qui concerne les enseignants, je dirais que la passion et l’enthousiasme, ça ne se crée pas. On l’a
ou pas. On a parlé du silence mais il faudrait aussi parler du civisme. On ne saura bientôt plus ce que
ça veut dire. Il y a une perte de repères. Cela se ressent au quotidien.
Quand on prend l’habitude d’amener les enfants très tôt au théâtre, l’œil se forme aux spectacles, à la
scène, au travail des comédiens. Plus tôt commence ce travail de sensibilisation, plus le jeune
spectateur sera intéressé de voir autre chose dans sa démarche culturelle.
Le théâtre pour certains est quelque chose d’inaccessible. Un lieu comme le PBA peut paraître froid ou
solennel, en tout cas pas habituel pour toute une série de jeunes. Il serait peut-être important de faire
découvrir le lieu en dehors des spectacles afin que les jeunes puissent se rendre compte de la
performance d’être sur scène. Leur faire prendre conscience que ce lieu leur appartient aussi.
Il faut rassurer les élèves sur les spectacles, leur dire qu’ils ont l’intelligence, le cœur et les
connaissances pour pouvoir apprécier. Si l’élève ne sait pas où regarder quand il vient voir un
spectacle il faut alors aussi se poser la question de la mise en scène et pas seulement discuter sur les
codes du théâtre. Il faut aussi regarder où on place les élèves dans les salles. Par exemple, à Namur, ils
sont placés au 2ème balcon, là où on est vraiment mal situé. A la limite, j’ai envie de dire « mais qu’ils
chahutent », car ça peut aussi apparaître comme de l’incivisme.
Si on le veut vraiment, on peut essayer d’éviter les pressions dues aux impératifs économiques. Nous
pouvons faire des spectacles avec des formes plus légères mais il faut une réponse du côté de la jauge
et il faut un rapport au spectateur plus intime et plus précis, que l’on peut maîtriser humainement.
Le chahut était plus violent avant. Le chahut était l’expression souvent organisée et violente de gens à
qui on apprenait systématiquement et de façon permanente à se taire. On n'apprend plus aux jeunes à
se taire, on leur apprend plutôt à s’exprimer. Je suis d’accord avec ce changement de perspectives mais
il faut garder mesure. Parfois, il est important d’apprendre à se taire. Nous devons nous préoccuper,
enseignants, animateurs … de créer des transitions ritualisées entre le moment où on attend et le
moment où le spectacle commence. Créer les conditions pour que le spectacle soit reçu avec le
maximum de chance de se dérouler positivement et opérer la séduction que tout le monde attend en
principe.
Le recul sur l’actualité et sur l’histoire est très important. Il faut dire aussi qu’il y a un problème au
niveau des artistes eux-mêmes. Je suis très surprise parfois de leur inculture. Dans les écoles de théâtre
francophones, les cours d’histoire du théâtre sont une catastrophe. On n’enseigne pas l’histoire de la
scénographie à la Cambre, On n’enseigne pas l’histoire de la mise en scène dans les écoles de théâtre.
Tant que les artistes ne se sentent pas concernés par leur propre histoire, je ne vois pas comment les
jeunes pourraient prendre conscience du fait que le théâtre a une histoire et que cette histoire a
plusieurs milliers d’années.
Il y a des choses à la fois intéressantes et très contradictoires qui ont été dites cet après-midi. On a fait
des constats, lancé des pistes pour continuer de réfléchir, pour envisager de travailler ensemble et faire
évoluer les choses.
J’aimerais que, lors d’une prochaine rencontre, on rebondisse sur les attentes. Quand un professeur
emmène des élèves au théâtre, qu’est-ce qu’il en attend ? Quand un élève vient au théâtre, qu’est-ce
qu’il en attend ?
On ne peut pas à chaque fois être à 100% satisfait de tout ce que l’on voit, ni un spectateur
expérimenté, ni un spectateur qui vient pour la première fois. Forcément, le théâtre peut générer une
déception mais ce n’est pas nécessairement un problème d’être déçu, le tout est de travailler sur le taux
d’acceptation de cette frustration.
Les jeunes, la plupart du temps, viennent au théâtre par l’école mais il faudrait découpler le rapport
entre théâtre et école. Faire en sorte que le théâtre ne soit pas connoté comme activité scolaire. On
disait que l’école avait mauvaise presse, comment voulez-vous que le théâtre qui est proposé par
l’école puisse, lui, avoir bonne presse.
Ce serait bien qu’il y ait une prochaine réunion sur ces réflexions.
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