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SHOUSHOU 8 JANVIER 2011
Bon, d’abord merci à vous tous d’être là, et merci d’abord aussi à
Shoushou de me laisser un peu parler. Me connaissant, Shoushou m’a
demandé de ne pas parler trop longtemps, « pas plus d’une heure »
m’a-t-elle dit! J’ai trouvé que ça allait être un peu long, et j’ai donc
raccourci, pour aussi laisser la parole à mes amis, j’oserais dire mes
« amours », d’anniversaire de ce soir, Rachid et Gérard, et Mickelle, et
Richard. Et puis ce soir, on a autre chose à faire que parler, surtout ici …
Pourquoi pourtant est-ce que j’ai demandé à Shoushou de prendre la
parole ? Parce que c’est pour moi un anniversaire très particulier: je viens
d’avoir 60 ans - je ne sais pas si en belge on peut dire sextante, sextante
ans! -, et que j’ai vu qu’il fallait bien que je fisse quelque chose de ce
chiffre, ou que je le déchiffre : 60 ans, pour moi, c’était associé à
vieillesse, fin de vie, mort, en tous cas quelque chose qui annonce une fin.
En plus pour moi, ça a été associé à cancer…
Et ce sont deux frères qui m’ont aidé pour faire quelque chose de cela:
- mon frère Yves, qui est ici, et qui est passé par là avant moi (aussi bien
par le cancer que par les 60 ans ! ) et qui m’a dit qu’avoir 60 ans, ça ne
changeait rien d’autre que de passer de quinquagénaire à sexagénaire, et
que, me connaissant, « sex »agénaire allait très bien m’aller.
Ça m’a vraiment fait du bien, cette idée d’un âge où le sexe s’entendait
clairement, où le sextante ans est encore bien tentant, et où on est bien
envie…
Ceux d’entre vous qui ont lu la rubrique « philosophie » du site de
Shoushou, savent que pour Catherine et moi, les mots sont de vrais
médicaments, et ce mot là, sexa-génaire, m’a guéri, ou presque …
- Et puis un autre frère : celui de Shoushou qui est venu lors des 40 ans de
Shoushou (eh oui, Shoushou pourrait presqu’être ma fille ! ), son frère qui
n’était jamais venu ici ni dans ce type d’endroit. Et ça m’a montré que
c’ était possible.
D’où l’idée de fêter mes sextante ans ici, en invitant mes enfants, et aussi
mon frère et sa femme pour qui cela allait être possible, et aussi la sœur
de Catherine et son mari, et aussi par extension les amis et les personnes
qui ont croisé ma vie ces dernières années. Comme je l’ai parfois écrit
dans certaines invitations, l’idée a été de réunir dans une unité de temps et
de lieu, comme on dit au théâtre, et dans une même image, ce qui a
composé au moins en partie ma vie de ces dernières années, et de le faire
ici chez Shoushou, dans un lieu qui a joué un rôle important pour
Catherine et moi. Et au passage de transmettre à mes enfants et aux amis
une sorte de testament au bon sens de « témoignage ».
Alors maintenant qu’on est réunis, je voudrais dire quelques mots de cela,
de ce qui, peut-être, nous et vous réunit et vous relie les uns aux autres, et
pourquoi ici.
Lorsque Catherine et moi nous sommes rencontrés, on souffrait de ce
qu’en France on appelle une A.L.D., une « affection de longue durée » !
Il y a différents mots pour diagnostiquer cette maladie, selon les diverses
classifications : hétérosexualite, ou hétérosexualisme, ou plus
classiquement hétérosexualité! On n’en pouvait plus des places assignées
par cette ALD, être homme, être femme, on ne se reconnaissait plus dans
les codes sociaux; affectifs, amoureux, sexuels, par lesquels nos vies nous
avaient faits passer. Il n’y a pas beaucoup de traitements pour cette ALD,
c’est une maladie à la fois auto-immune, comme le SIDA ou certains
cancers, et une maladie commune, et orpheline! On avait pris différents
traitements: tromper son conjoint (c’est le traitement prôné
habituellement), faire une psychanalyse, et on n’en sortait pas. Souvent
ces traitements n’ont qu’un effet: renforcer la manière dont cette maladie
empêche de relier l’amour et le désir. Dans de nombreux cas
d’hétérosexualite, soit on aime ce qu’on ne désire pas, soit on désire ce
qu’on n’aime pas: c’est le vaudeville du théâtre de boulevard.
Et la rencontre avec le lieu de Shoushou a été un nouveau traitement, qui
nous a fait avancer. Ici, on a pu commencer à se désassigner de nos
places, et pas en cachette ou seulement en fantasme.
Par exemple : dans la vie sociale, quand on est considéré comme mec, on
n’a pas le droit de se maquiller, ou de porter des talons hauts, et encore
moins les deux. Ici j’ai le droit de me maquiller et de porter des talons
hauts. J’ai même le droit de ne pas me maquiller et de ne pas porter de
talons hauts (enfin, ce droit là, je n’ose pas encore en jouir, je n’en suis
pas encore là, à la différence de Rachid et Gérard, qui eux, y arrivent, ça
se voit !).
Mais bref, on peut dire que chez Shoushou, l’interdit extérieur devient un
droit intérieur.
Et cette inversion de l’interdit en droit, c’est un des meilleurs traitements
pour la maladie dont je parlais toute à l’heure.
Mais ce n’est pas magique, il faut le dire. C’est tout un travail.
Alors avec Catherine, parallèlement à nos soirées chez Shoushou, on a
augmenté les doses par plusieurs moyens, en élargissant le traitement: on
a participé au séminaire de Jacques Derrida à Paris, jusqu’à sa mort
(Derrida est un philosophe qui a beaucoup travaillé sur cela : le rapport
entre l’interdit et le droit), on a aussi pensé qu’il ne fallait pas seulement
venir ici, mais aussi en parler: on a créé, grâce à Shoushou, la rubrique
« philosophie » de son site internet, et on a créé un autre site où on
partage tout cela avec ceux qui nous lisent.
Et puis on a commencé à relayer cela dans nos activités professionnelles:
on est tous les deux profs, et ces questions de genres et de sexualité sont
devenues une composante de notre travail : Catherine est devenue
correspondante de ces questions et de l’égalité entre filles et garçons,
dans son lycée, avec des actions pédagogiques qui sont allées jusqu’au
ministère à Paris. De mon côté, j’ai mis en place des séminaires sur les
questions de genre et de sexualité pour mes étudiants, où depuis trois ans
Shoushou intervient (en général, Shoushou cache qu’elle est aussi
prof…), . Et dans mon travail en psychiatrie, on vient d’organiser une
journée à La Sorbonne, avec l’OMS, l’Organisation Mondiale de la
Santé, pour que l’OMS révise les classifications actuelles sur la
transsexualité, l’intersexualité, les paraphilies etc. On va peut-être bien y
arriver. Et on a participé avec Shoushou aux gayprides de Bruxelles et
de Lille etc etc…
Tout cela nous a fait rencontrer le mouvement LGTBIQ, qui regroupe les
lesbiennes, les gays, les Trans, les Bis, les Intersexes et les Queers, dont
certains responsables sont ici.
Faire mon anniversaire comme ça ce soir, aller à la gaypride, faire venir
Shoushou pour travailler avec mes étudiants, essayer de sensibiliser nos
lieux professionnels et personnels aux questions de genres et de
sexualités, c’est, je crois, suivre la trace des mouvements féministes, puis
homosexuels, qui ont abouti à ce qu’on appelle parfois le mouvement
« queer » (Q U E E R). : c’est quoi ce mouvement ? Les queers étaient
des gens qui étaient stigmatisés, méprisés, parfois même tués, pour leur
orientation sexuelle, et ils ont su inverser l’interdit en droit, la honte qui
les humiliait en fierté, (pride). C’est le moment où on réussit à inverser
nos symptômes et nos stigmates en fierté, en joie dirait Spinoza, et en
jouissance, dirait Freud. C’est une inversion, et en fait une
« révolution »…
Je crois que c’est ce que j’ai voulu faire ce soir, un anniversaire queer qui
prenne à revers et finalement à l’endroit ce que la vie habituelle s’emploie
à mettre à l’envers, lorsqu’elle nous oblige à cacher, cloisonner, séparer,
taire, mettre au placard.
Ce soir est un maillon de plus, pour Catherine et moi, de notre coming
out, notre sortie du placard, comme disent les gays…
Ces dernières années, on a rencontré des personnes avec lesquelles on a
essayé de faire cela, d’arrêter de fonctionner à l’envers, et souvent ça n’a
pas marché. Je me suis dit que ce soir pouvait être l’occasion de se
refaire signe, un signe « queer » qui fasse que ce ne soit pas le silence, la
séparation et l’étrangeté qui aient le dernier mot, comme ce qui se passe
en général. Ne pas se contenter d’être dans nos camps respectifs, on
pourrait dire ici d’être soit flamands, soit wallons, mais être
mondialement ou « mon-diablement » belges, au moins le temps d’un
soir, même si on n’a pas la même langue…Un lieu comme chez
Shoushou peut laisser penser que c’est possible, et même jubilatoire,
voire même jouissif…Et c’est ce qui peut nous et vous relier ce soir.
C’est en tous cas le lien que ma vie aura fait entre vous.
Voilà, j’ai fini… Ah si, un dernier mot !
Je veux aussi remercier les habitués de chez Shoushou de m’avoir écouté,
et je veux leur demander de faire attention au fait que ce soir, il y a un
certain nombre de personnes qui ne sont jamais venues dans un endroit
pareil. Alors, ne leur sautez pas dessus sans leur demander leur
permission et la permission de celles qui les accompagnent, et profitez
plutôt du fait que parmi elles il y a plein de profs, de philo, de lettres,
d’arts plastiques; de sciences, il y a des psychanalystes, des travailleurs
sociaux, des militants politiques ou syndicaux, et à ma connaissance
aucun policier ni juge : vous pouvez tout leur raconter et en profiter pour
régler vos comptes avec les blessures narcissiques de votre scolarité! Et
pour ceux pour qui cela serait encore insupportable, il y a aussi un
médecin, une kiné, des ingénieurs et même des chefs d’entreprise en
retraite, ça peut aider!
Et puis à mes enfants et à tous, je veux vous dire : n’attendez pas d’avoir
60 ans pour être sex-agénaires !
Voilà! Je vous aime, merci d’être venus, et maintenant à Rachid, à
Gérard, à Richard et à Mickelle : bon anniversaire !!
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