2) On parle de valeur intrinsèque d'un objet quand celui-ci est valorisé pour lui-même et non simplement pour
ses usages. Toutes les choses que nous valorisons ne le sont pas du seul point de vue de leur utilité. Certaines le
sont en raison de leur importance symbolique, esthétique ou culturelle. Nous les valorisons pour elles-mêmes,
pour ce qu'elles signifient, pour ce qu'elles représentent, pour ce qu'elles sont.
Quelques exemples vous aideront à mieux faire la distinction entre valeur instrumentale fit valeur intrinsèque.
Un billet d'un dollar est évidemment estimé pour sa valeur instrumentale: on peut l'utiliser pour acheter quelque
chose. Considérons cependant le cas du propriétaire d'une petite entreprise qui conserve et exhibe le premier
billet d'un dollar gagné dans cette entreprise. Ce billet possède non seulement une valeur instrumentale (puisqu'il
peut toujours servir à faire un achat), mais également une valeur intrinsèque par ce qu'il représente pour le
propriétaire. Imaginez qu'on lui offre quatre pièces de 25 sous en échange de ce billet. Ces pièces, bien qu'elles
aient exactement la même valeur instrumentale que celui-ci, n'ont tout simplement pas la valeur intrinsèque du
billet.
Envisageons également le cas de l'amitié. Si nous valorisons nos amis seulement pour leur utilité, nous
méconnaissons grandement la nature de l'amitié. Considérons les monuments historiques ou les objets culturels
ou esthétiques. La Cloche de la Liberté (Liberty Bell), le Taj Mahal, le David de Michel-Ange possèdent une
valeur intrinsèque qui dépasse de loin leur valeur instrumentale.
Il semblerait que la valeur instrumentale et la valeur intrinsèque dépendent toutes deux des humains qui les
perçoivent. Quoique toute valeur dépende du sujet qui évalue, les humains valorisant les choses pour diverses
raisons. S'il n'y avait pas d'humain, ni l'amitié, ni la Cloche de la Liberté, ni le Taj Mahal, ni le David n'auraient
de valeur. Mais cela ne signifie pas qu'ils soient valorisés uniquement pour leur utilité pour les humains, et que
toute valorisation de la part des humains soit faite du seul point de vue instrumental.
Manifestement, plusieurs de nos préoccupations environnementales reposent sur la valeur intrinsèque que nous
reconnaissons dans la nature. Les régions sauvages, les paysages pittoresques et les parcs nationaux sont
valorisés par plusieurs personnes parce que, à l'instar de la Cloche de la Liberté, ils font partie du patrimoine
national et de l'histoire. Le grizzli peut avoir une valeur instrumentale négligeable, mais savoir que cette espèce
d'ours existe encore au parc national de Yellowstone est important pour bien des personnes. La valeur
symbolique de l'aigle à tête blanche dépasse de loin toute valeur instrumentale qu'il pourrait avoir. Les régions
sauvages non développées et inexplorées sont hautement valorisées, même par ceux qui jamais ne les visiteront,
ne les exploreront, ni ne les utiliseront.
Quand nous disons que l'environnement est dégradé à cause de l'activité humaine, nous nous référons souvent à
la perte de la valeur intrinsèque. Quand des parties du Grand Canyon sont érodées par les inondations
provoquées par le déversement des eaux des barrages hydroélectriques en amont, quand les pluies acides
attaquent les anciens monuments grecs et romains, quand les bords de mer sont remplacés par des promenades,
des casinos, l'activité humaine détruit une partie de la valeur intrinsèque de la nature.
Malheureusement, l'invocation de la valeur intrinsèque suscite souvent du scepticisme. Il semble qu'il nous
manque un langage pour exprimer ce type de valeur. Bon nombre de personnes considèrent qu'une telle valeur
est purement subjective, que c'est une question d'opinion personnelle: «La beauté (d'un être) réside dans le regard
de son admirateur.» Ainsi, quand une valeur instrumentale mesurable (comme le profit) entre en conflit avec une
valeur intrinsèque, impalpable et insaisissable (comme la beauté d'une région sauvage), trop souvent la valeur
instrumentale gagne par défaut.
3) Un objet possède une valeur inhérente s'il est bon en soi (ou s'il renferme un bien), indépendamment de toute
évaluation de là-part des humains. La valeur instrumentale et la valeur intrinsèque dépendent des humains qui les
évaluent. Certains philosophes cherchent à défendre une théorie de la valeur indépendante des humains. Ils
défendent ce que nous appellerions la valeur inhérente.
Des controverses importantes entourent les questions de valeur inhérente, et pas seulement en matière
environnementale. Certains auteurs soutiennent qu'il n'est pas sensé de parler d'une valeur qui soit absolument
indépendante de l'évaluation humaine. À leurs yeux, tous les jugements de valeur dépendent des sujets humains.