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stimulant la réflexivité des militants quant à leur propre pratique. Le rôle du chercheur consiste à faire
apparaître ce qu'il y a de plus contestataire au sein d'un mouvement sans toutefois s'identifier au groupe
particulier avec lequel il travaille, en maintenant une forme de tension. « La tension entre le groupe et
le chercheur est un élément important de la vie du groupe : sans elle, l'analyse serait beaucoup plus
difficile et peut-être même impossible » (Touraine 1978, p. 236). Chez Touraine, on retrouve donc
encore la nécessité d'une rupture qui marquerait une distinction entre connaissance scientifique et
connaissance commune, mais ici l'engagement et la solidarité sont mis en valeur. Plus engagée dans la
rupture des frontières entre connaissance scientifique et connaissance pratique, la recherche-action a été
fondée dans les années 1940 avec l'idée que recherche et action pouvaient être rassemblées en une
même activité d'expérimentation (Lewin 1948). La recherche devient alors une action délibérée de
transformation de la réalité ainsi que l'étude de cette transformation. Plus récemment, le brésilien Paolo
Freire a significativement contribué à cette approche en développant une Pédagogie des opprimées
(1980) où il amenait les gens à prendre conscience de leur oppression et à réaliser un processus
permanent d'action culturelle. La recherche-action est aujourd'hui fréquemment utilisée par et auprès
des groupes associatifs qui y voient un moyen de réaliser des études concernant leurs propres besoins.
Ces approches rejoignent à notre avis la sociologie pragmatique dans leurs conceptions de la
connaissance en reconnaissant aux groupes sociaux la capacité de formuler une critique sociale et en
rejetant l'idée d'une rupture épistémologique nécessaire à la production de la connaissance (Boltanski et
Thévenot, 1991). Plutôt que de s'intéresser aux poids des structures, les sociologues pragmatistes
s'intéressent au sens commun, à ce que les gens disent de ce qu’ils font. C'est dans cet esprit que
Boltanski s'est détaché de la sociologie critique de Bourdieu pour proposer plutôt une sociologie de la
critique, qu'il définit comme « l'instrument pour analyser les opérations qu'accomplissent les acteurs
lorsque, se livrant à la critique, ils doivent justifier les critiques qu'ils avancent, mais aussi lorsqu'ils se
justifient face à la critique ou collaborent dans la recherche d'un accord justifié » (Boltanski 1990,
p.124). Cette approche considère que les acteurs sont à même d'expliquer leurs motivations et de
formuler une critique sociale. Dans cette perspective, le travail du sociologue se situe au second plan de
la proposition d'une critique : il consiste à susciter une réflexivité parmi les acteurs afin de les faire
eux-mêmes formuler ce en quoi consiste le monde social qui les entoure. La sociologie de style
pragmatique cherche plus spécifiquement à éclairer ce que les acteurs disent de leurs pratiques,
comment ils les comprennent, autorisant ainsi l'hétérogénéité des discours et une compréhension
réflexive du social (Nachi 2006).
Le tableau 10.1 résume les trois postures que nous avons présentées en exposant ce qui les distingue