CEFOCOP – Promotion 2005-2007 – Fiche de lecture

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CEFOCOP – Promotion 2005-2007 – Fiche de lecture – Février 2006
L’hypocrisie scolaire,
Pour un collège enfin démocratique
Marie DURU-BELLAT et François DUBET
François Dubet et Marie Duru-Bellat comptent parmi les grands auteurs actuels en
sociologie de l’Education. Lui est un écrivain prolifique depuis une vingtaine d’années sur ce
thème, un de ses plus grands ouvrages traitant de l’inégalité des familles face au système
scolaire pour lequel les classes populaires seraient les moins armées 1 . Ell a publié entre
autres2 un ouvrage généraliste mais complet sur la sociologie de l’école3, y incluant un rappel
historique des politiques éducatives en France.
François Dubet et Marie Duru-Bellat, sont donc deux sociologues émérites de
l’Education en France et prolongent dans cet ouvrage une collaboration initiée lors d’une
consultation sur le collège4 lancée par la ministre S. Royal, ministre de l’Education Nationale
de l’époque.
Ce livre est l’occasion de dépasser les constats et les préconisations de ce rapport
officiel, de mettre à plat l’ensemble des tensions qui traversent le collège et de faire un état
des lieux sur ce que fait le collège (1ère partie et 2ème partie). En effet, avec le collège unique la
France a voulu préserver le modèle d’une excellence scolaire réservée à l’élite et en même
temps s’ouvrir à tous, confrontant en un même lieu le principe démocratique d’égalité et la
méritocratie. Ce livre leur permettra de présenter dans une troisième ce que doit être pour eux
le collège en France.
A partir des années 50, la France veut augmenter le niveau de qualification de sa
population et crée au fur et à mesure des réformes un seul et même lieu après l’école primaire:
le collège unique, le collège de toute une classe d’âge. La querelle qui oppose à l’époque les
instituteurs du primaire aux professeurs du secondaire est révélatrice de la problématique du
collège : une école démocratique pour tous et le moyen de donner la chance à chacun de faire
partie de l’élite. La victoire des professeurs du secondaire marquera une conception
pédagogique du collège comme celle d’un petit lycée. Mais comment ce collège a-t-il réussi à
intégrer une population plus hétérogène, plus ou moins éloignée de la culture de l’école ? La
première partie de l’ouvrage fait le recensement des différentes tensions réunies sur ce
maillon du système éducatif.
1 Dubet, F. (1997). Ecole, familles le malentendu, Textuel.
2
Un autre ouvrage a permis aussi à M. Duru-Bellat d’être reconnue, qui traite de la différence entre filles
garçons dans l’école : "L’école des filles", (1989) L’Harmattan.
3
Duru-Bellat, M. et Van Zanten, A. (1999). Sociologie de l’école. Colin.
4
En effet, ces deux auteurs ont fait partie d’un comité de pilotage (ainsi que A. Bergounioux, R.F. Gaultier)
chargé d’animer une centaine de débats dans des collèges. Les données des auteurs ont fait l’objet d’un rapport
publié par la Documentation française en 1999 : « Le Collège de l’an 2000 ». Ce rapport apporte des
recommandations concrètes, notamment sur l’articulation à renforcer entre le CM2 et la 6ème, des heures de
remise à niveau en 6ème et des aides individualisées en 5ème…
1
L’accueil de toute une classe d’âge dès la 6ème, et l’impossibilité depuis une quinzaine
d’années d’orienter les élèves vers des filières particulières (suppression du palier
d’orientation de 5ème des 4ème techno…), font que le collège doit garder tous ses élèves
jusqu’en 3ème. Au travers des discours des enseignants transparaissent les paradoxes portés par
le collège. En effet, il y a consensus sur la nécessité d’intégrer tous les élèves. Mais, la
présence d’élèves faibles semble un des principaux obstacles à leur travail. A cette faiblesse
d’une partie des élèves, s’ajoute le déclin massif de la motivation scolaire, touchant même les
bons élèves ne semblant travailler pour leur part que pour la note. Or ces collégiens, avant
tout ces adolescents se pensent principalement au présent, la nécessité des études leur paraît
souvent théorique voire abstraite. Face à eux, des professeurs ayant choisi leur métier en
fonction de leur goût pour une discipline, goût qu’ils veulent transmettre. L’exercice paraît
donc difficile quand la motivation scolaire des apprenants est faible.
Outre l’accueil d’élèves plus hétérogènes, l’école actuelle est aussi envahie par les
problèmes sociaux que vivent ses élèves. Elle ne peut vivre en vase clos, en dehors du
système qui l’intègre. Auparavant, l’école était un modèle de culture, elle l’incarnait et la
transmettait. Elle pouvait être perçue comme juste car elle offrait une chance aux meilleurs,
laissant les causes essentielles de l’injustice et des inégalités, hors de ses murs, à la société.
Ce monopole de la culture est maintenant déstabilisé par l’influence des médias. En
effet, les valeurs portées par l’école sont remises en cause par les médias où prédominent la
réussite individuelle facile et l’acte consumériste. La culture juvénile semble donc s’éloigner
de la culture scolaire, remettant en cause comme cela ne l’avait jamais été la légitimité de
l’école et son autorité.
Historiquement, le collège s’est construit pour des élèves qui iraient en lycée général.
Il est donc défini par ce qui le suit (définition des matières à enseigner en fonction des besoins
des lycées généraux) et non l’inverse. Pour certains professeurs, cette conception élitiste
impose des programmes trop ambitieux ne correspondant qu’à une minorité d’élèves. Ainsi,
les enseignements techniques et professionnels se définissent par leur opposition aux matières
générales qui, elles, sont valorisées. L’orientation dans la voie non générale ne peut être
perçue que comme une voie de relégation, il paraît donc difficile de parler d’orientation
positive.
Grâce à l’ouverture de l’école républicaine pour une meilleure sélection des élèves,
celle-ci ne doit plus se faire en fonction des origines sociales mais au mérite. En contre partie,
l’école doit permettre à chacun d’obtenir un diplôme et donc de s’intégrer, voire de permettre
l’ascension sociale. Mais l’école démocratique crée elle-même ses inégalités. Alors qu’elle
2
ouvre le droit à l’éducation à tous quelques soient les origines sociales, elle sanctionne et
hiérarchise les élèves puisque toute une classe d’âge est invitée à participer à cette
compétition scolaire. Donc, cette ouverture qui devrait la rendre plus juste l’amène à
sélectionner elle-même les élèves.
Ainsi, les écarts se creusent entre les établissements scolaires, surtout selon leur
implantation. Les familles quant à elles usent de stratégies pour éviter les collèges
« ghettoïsés », par le jeu du choix d’options, pratiques également partagées par le système,
puisque certaines options permettent ainsi à des établissements de garder en leur sein des
classes « vitrine », protégées, élitistes.
Les auteurs prennent une position forte en accusant l’école elle-même, comme source
d’inégalités et de ressentiments. Selon eux, ces discriminations expliqueraient en partie
l’entrée de la violence à l’école. Les élèves en échec scolaire ont tendance à se vivre comme
responsables de cet échec. Deux solutions s’offrent à eux : intégrer cette image négative et
attendre tranquillement la fin de leur scolarité, ou la refuser et se retourner contre l’école et
ses personnels.
Ainsi, pour Dubet il semble important d’offrir un accès à tous dans une école pour
chacun. C’est dans ce sens qu’ont été mises en place les ZEP et les politiques de
discrimination positive, selon lesquelles l’équité face à l’éducation est préférable à l’égalité.
Pour une école vraiment démocratique et non méritocratique.
Tous les acteurs de l’école partagent ainsi l’idée que l’école se doit de donner à chacun
une culture commune et qu’elle ouvre des voies de mobilité sociale aux plus méritants. Mais
cette école démocratique est envahie d’autres missions, comme celle d’agent d’intégration
sociale et morale (comme le montrent les démarches d’éducation à la citoyenneté).
Ainsi, dans cette première partie sont exposés les différents paradoxes réunis au sein
du collège, il nous semblait donc important de nous attarder plus longuement sur ce point,
afin de véritablement saisir l’enjeu d’un collège démocratique.
Pour la deuxième partie de l’ouvrage, les auteurs font un bilan du collège et nous
expliquent les adaptations que le collège a dû mener depuis sa création. Nous reprendrons
dans cette partie les points qui nous semblent essentiels pour ce sujet.
La réforme Berthouin amenant la scolarité obligatoire à 16 ans (1959) et celle d’Haby
(1975) pour un collège unique posent les prémisses du collège actuel. Mais c’est seulement en
1991 qu’il existe vraiment, ave la suppression du palier d’orientation de 5ème. Auparavant, il
était encore possible d’orienter les élèves vers des CAP puis vers des 4ème technologiques.
3
Ainsi, ce n’est que depuis peu de temps que la composition sociale des classes de 6ème reflète
la structure de la population active. La sélection semble donc avoir disparu au collège unique,
mais pour se faire à sa sortie. Elle se déplace au niveau des choix des options, à l’entrée en
seconde. Mais, « tout se passe comme si la sélection et la répartition des élèves entre les
différentes classes visaient à préserver la filière générale de toute élargissement social… »5.
Contrairement à ce qui est diffusé médiatiquement, le niveau scolaire des élèves monte,
par contre les échecs ne sont plus tolérés. Même si le niveau de connaissances des jeunes
sortis de l’école sans aucun diplôme a tendance à régresser, on peut considérer que le collège
a su garder plus d’élèves tout en préservant le niveau de connaissances de tous. Or, il y a
encore quelques dizaines d’années il n’était pas problématique qu’un élève peu intéressé par
les études abandonne avant son certificat d’études. L’école actuelle ne peut plus se permettre
de ne pas amener tous les élèves vers un diplôme, meilleure protection contre l’exclusion du
marché de l’emploi. Or, le taux de sortie d’élèves sans diplôme stagne aux alentours de 8% et
ces élèves sont composés pour plus des deux tiers d’enfants d’ouvriers ou d’inactifs. De plus,
les familles utilisent fortement les demandes de dérogation. Les milieux favorisés tendent de
se scolariser ensemble, accompagnées de certaines familles de milieu défavorisé voulant
« s’en sortir ». Ainsi, les stratégies familiales accentuent les disparités entre collèges et
confortent la ségrégation sociale, voire ethnique.
Pour Dubet, une part importante des inégalités sociales ne se justifie aucunement par
des inégalités de performances, mais résulte spécifiquement des demandes d’orientation. Les
familles de milieu populaire, qui se sentent moins capables de pronostiquer les chances de
réussite de leurs enfants, renoncent souvent d’elles-mêmes à demander les orientations les
mieux cotées. Selon lui, en respectant le choix des familles, on ferme les yeux sur le fait que
des inégalités sociales d’orientation s’ajoutent aux inégalités de réussite.
D’un point de vue institutionnel, l’Education Nationale a toujours été un service public
très centralisé. Ce système central est le garant d’une certaine homogénéité d’enseignement,
d’éducation. Mais, l’explosion du secondaire et l’apparition de l’échec scolaire a obligé l’Etat
a laissé une plus grande autonomie aux établissements, laissant une place plus importante à
l’innovation,
l’expérimentation,
l’adaptation.
Nous
sommes
dans
l’ère
de
l’état
« modernisateur », qui donne les moyens et les objectifs (programmes) mais laisse au local
5
Pour exemples :
- le poids des enfants d’ouvriers en 4ème générale (28%) est le même qu’en 1961-1962.
- sur une classe d’enfants d’ouvriers aujourd’hui, 38% vont en B.E.P., 28 % en 1ère technologique et 16% en
générale
4
une plus grande liberté de mise en oeuvre. Certains enseignants ne sont pas sans craindre un
développement des inégalités entre établissements et donc entre élèves et sans appréhender un
fonctionnement managérial. En effet, les grands lycées de par leurs classes préparatoires ont
de fortes dotations. A contrario, les collèges sensibles sont souvent de grande taille et ont les
personnels les plus jeunes et donc les moins expérimentés. De plus, contre toute volonté
ministérielle, seulement un quart des établissements auraient des classes hétérogènes,
notamment dans les collèges de banlieue pour éviter la fuite des meilleurs élèves. Ainsi,
l’« effet établissement » existe, tel que certains collèges font plus progresser que d’autres.
La troisième partie de l’ouvrage est la partie la plus engagée. C’est le moment pour les
auteurs d’exposer ce que doit être pour eux le collège, puisqu’ils sont persuadés de la
nécessité et du bien fondé d’un collège unique. Il faut selon eux, arrêter l’hypocrisie et
réellement suspendre la sélection durant le collège et ne la faire apparaître qu’ensuite. Le
collège doit être avant tout un lieu d’éducation et cette éducation doit être transversale (il ne
faudrait pas distinguer la vie scolaire et l’espace des apprentissages). D’une manière générale,
le collège doit garantir une école commune, qui ne doit pas être définie par l’institution mais
par tous, d’où la nécessité pour chacun de s’interroger sur ce que doit être l‘école. Face à
l’hétérogénéité des élèves, ils prônent une diversité des modes d’intervention pédagogique.
De plus, les deux sociologues préconisent la mise en place tout de même de filières, de
parcours diversifiés, l’ouverture à des voies diverses et non hiérarchisées, ils parlent même de
diversifier les « formes de l’excellence ». Autrement dit, le collège ne devrait plus se définir
comme le petit lycée, mais devrait permettre à chacun d’acquérir une culture commune tout
en développant ses compétences propres.
Ainsi, selon les auteurs « le choix du collège est une nécessité économique (un socle
commun permettant l’accès au diplôme et une intégration dans le monde de l’emploi), une
exigence civique (doter les élèves d’une culture commune et permettre l’intégration sociale)
et un parti pris éthique » dans le sens où, seule une réelle volonté politique de réforme
pourra faire du collège un système démocratique.
Donc, cet ouvrage est un excellent moyen de comprendre les difficultés que rencontre
le collège. Nous ne pouvons qu’être d’accord sur l’intérêt d’un collège pour tous, posant les
bases d’une culture commune mais permettant à chacun de trouver sa voie dans une
orientation choisie et donc positive. En tant que future conseillère d’orientation ce livre
m’interpelle sur de nombreux points. En effet, il me semble essentiel d’être conscient de
5
l’autocensure que s’imposent certaines familles et de la nécessité d’ouvrir les possibles. Pour
autant, on ne peut penser qu’une simple information exhaustive suffirait à augmenter cette
ambition. L’information aux parents participe également d’une éducation, c’est à nous
professionnels de l’éducation de rendre l’institution lisible et de s’ouvrir à ceux qui n’y
viennent que rarement et qui sont souvent ceux qui la comprennent le moins (comme le
montrait Dubet dans son ouvrage « école, familles, le malentendu »).
De la même manière, je m’inscris dans la droite ligne des auteurs lorsqu’ils
considèrent que la voie générale ne peut être la seule filière d’excellence. D’autres filières
existent tout autant valorisantes. Aucun professionnel de l’orientation ne pourrait définir les
filières professionnelles et technologiques par leur opposition à la voie générale. C’est dans
ces filières que les pédagogies sont les plus variées. On pourrait penser que les mini-stages en
lycée professionnel, la nouvelle option « Découverte Professionnelle 3 heures », selon
laquelle tout élève 6 qui le souhaite peut découvrir des secteurs d’activités, le Monde de
l’entreprise… sont autant de moyens de faire en sorte que les élèves découvrent par euxmêmes les systèmes de formation et puissent construire un projet. C’était également dans le
projet de nouveau brevet, où des coefficients différents pourraient être affectés selon les
aptitudes et intérêts des élèves (prédominance des matières technologiques…).
Par contre, on ne peut que s’alerter sur une orientation n’intervenant qu’après le
collège. Celle-ci n’est envisageable qu’à partir du moment où le projet d’orientation de l’élève
est bien envisagé comme un processus prenant du temps. Effectivement une orientation trop
précoce est néfaste, mais une orientation non préparée et subie l’est tout autant.
De la même manière, les auteurs prônent à la fois une culture commune et la mise en
place de filières. Nous le comprenons (sans aucune preuve d’exactitude) comme l’obligation
de donner à chacun une culture commune lui permettant de devenir un citoyen éclairé, de
comprendre le monde actuel… et de permettre d’adapter la formation et ses déclinaisons aux
besoins de l’élève. Mais il est vrai que ce passage reste ambigu. On peut regretter que cette
culture commune ne soit pas plus explicitée.
Ainsi, cet ouvrage est incontournable pour comprendre le collège d’aujourd’hui, il
montre comment le collège face à ses difficultés tente de s’adapter mais que seule une
réforme volontariste pourra lui permettre de devenir démocratique.
6
Selon la directive ministérielle. Dans les faits, cette option est souvent proposée aux élèves en difficulté pour
qui une orientation dans une voie professionnelle précise est à anticiper.
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