I-3) La philosophie comme histoire de la philosophie

4) La philosophie comme histoire de la philosophie
Nous avions vu la semaine dernière comment la philosophie se définissait comme la
« servante de la philosophie » en étant cantonnée dans un rôle herméneutique. Ce rôle est loin
d’être négligeable, car, comme on l’a vu, il ouvre, pour la philosophie devenue
herméneutique, un champ d’investigation très important qui annonce, pour une large part, les
sciences humaines et sociales quand elles adoptent une démarche de « science de l’esprit ».
Nous avions également vu dans quelle mesure l’herméneutique profane se développait à partir
de l’injonction d’Ange Politien : « avant d’être philosophe, il faut être interprète ».
Se développe, à partir de cet afflux de textes byzantins, un travail spécifique à la
philosophie : d’une lecture ou relecture de textes philosophiques anciens, textes lacunaires,
parfois énigmatiques, dont il convient de restituer la lettre et l’esprit. La méthode jadis
appliqué aux Ecritures se laïcise au profit de la philosophie. Le philosophie devient «
relecteur » de la philosophie, et ce, de plus en plus, au fur et à mesure que l’on se rapproche
de la philosophie contemporaine. C’est ce point que je souhaiterai examiner au cours de cette
séance : quelle est la part de l’histoire de la philosophie dans la tâche philosophique ?
Je distinguerai dans un première trois manières faire de l’histoire de la philosophie
[Voir Martial Guéroult, histoire de l’histoire de la philosophie, Aubier, 1988, 3 volumes]
1) L’histoire de la philosophie inventaire patrimonial : accumulation.
Il y eut dans l’Antiquité des recueils d’opinions des philosophes (Théophraste,
Opinions des physiciens ; Pseudo-Plutarque, Placita philosophorum ; Cicéron, De Finibus ;
Diogène Laërce (vers 250) : De la vie et des opinions des philosophes.
Un autre ensemble de ce genre nous vient de la patristique chrétienne. Puisque la
seule philosophie qui vaille est la philosophie chrétienne, on va être tenté de lire l’histoire de
la philosophie passée de deux manières :
Une histoire de la philosophie comme Historia stultitiae (des bêtises)
Historia sapientiae (des sagesses) : toutes les sagesses qui rappellent ou annoncent
(bien que de manière incomplète) la vérité chrétienne. C’est une histoire des anticipations, qui
se base sur l’idée qu’il existe une sorte de philosophia perennis. On trouve cette démarche
chez Justin (v. 15).
2) L’histoire de la philosophie comme répertoire des topiques : Aristote (l’histoire de la
philosophie comme organon)
Repérage des topiques (les lieux communs). Identification des positions concurrentes
sur un problème.L’histoire des idées est le préalable à la recherche philosophique, ce qui
suppose une documentation et même une érudition qui prend désormais une place
considérable dans la vie d’un philosophe : Aristote était appelé « le liseur » (Pseudi-
Ammonius, Vie d’Aristote, V. Rose, Aristotelis frag. p. 428).
3) L’histoire de la philosophie comme histoire de l’esprit humain :
Postérité de Leibniz (ontologie dynamique)
C’est le moment l’histoire de la philosophie devient un genre littéraire à part
entière : le premier est Brücker, Historia critica philosophiae (1742-1744 en 5 volumes, puis
6 pour la seconde édition).
G. E. Lessing (1729-1781) : Figure majeure des Lumières allemandes, philosophe,
théologien, dramaturge, critique, son œuvre a une influence considérable sur Hegel. Son
dernier ouvrage édité, l’Education du genre humain(1780), repose sur une analogie entre
l’histoire humaine et le destin individuel : l’histoire est à l’humanité ce que l’éducation est à
l’individu. Les grandes textes spirituels sont ainsi envisagés comme des « manuels scolaires
». L’Ancien Testament parle à l’enfance de l’humanité, il présente un Dieu autoritaire, jaloux
et toute une série de mythes ; le Nouveau Testament parle à la jeunesse de l’humanité en
proposant une conception plus abstraite du divin (la trinité) et des paraboles plus élaborées ; la
philosophie (des Lumières) doit désormais parler à l’âge adulte de l’humanité : « cet âge de la
perfection où l’homme fera le bien parce que c’est le bien ».
Hegel : La philosophie de l’histoire de la philosophie.
Qu’est-ce que la dialectique ?
La dialectique rythme toute la philosophie de Hegel et, selon Hegel, toute la vie. Elle en est comme la
respiration. Le principe de la dialectique est que l’on ne peut se poser qu’en s’opposant. Une métaphore, utilisée
par Hegel lui-même, permet de comprendre ce mouvement qui ne définit pas seulement (comme chez Platon ou
Aristote) une méthode pour accéder à la science, mais le mouvement même du réel. 1) Le «germe» correspond
au premier moment (ce que Hegel appelle « l’en soi ») : il contient «en puissance», mais de manière non
déployée, toute la richesse de la réalité à venir ; 2) le germe passe ensuite à « l’existence » (« Dasein ») qui est le
développement diversifié des potentialités : c’est le moment de la différence et de l’opposition ; 3) Le troisième
moment est le « pour soi » qui marque le retour à l’unité : c’est le fruit, qui est à la fois le produit ultime du
développement et le porteur de nouveaux germes. Le « pour soi » à la fois dépasse et conserve les deux moments
précédents. Exemple.
Art, Religion, Philosophie
Selon Hegel ces trois grands domaines de la culture obéissent à une seule et même visée : exprimer
l’absolu ou le divin, c’est-à-dire l’idée qu’il y a, en l’homme, « du plus grand que l’homme ». Ils se distinguent
simplement dans leur mode d’expression.
L’art représente le divin dans une œuvre, c’est-à-dire qu’il traduit cette grandeur supra-humaine dans
une matérialité qui s’adresse aux sens. Tout art en ce sens est sacré, mais le sacré échappe nécessairement à l’art,
puisque celui-ci exprime le sacré dans un élément (le sensible) qui n’est pas le sien. C’est ainsi qu’il faut
comprendre la fameuse thèse hégélienne de la «mort de l’art» selon laquelle l’art appartiendrait à une époque
révolue de l’histoire humaine. Elle ne signifie pas que l’art est voué à disparaître. L’art nous plaît et continuera
de nous plaire, mais il ne fait que nous plaire, il ne définit plus essentiellement notre rapport au monde et à la
transcendance.
Face à cet épuisement de l’esthétique, c’est la religion qui prend le relais. Elle va aller beaucoup plus
loin que l’art, car elle exprime le divin, non dans une œuvre, mais dans le for intérieur (la foi). Pour ce faire, elle
va avoir recours, comme le Christ, à des paraboles, à des mythes, à des métaphores qui parlent à la conscience
des hommes. Mais cette expression reste encore limitée, car la religion s’adresse aux hommes comme à des
enfants (voir l’encadré sur Lessing). Ici non plus Hegel ne prédit pas la disparition des religions ; il constate
seulement que le discours religieux a cessé de nous guider comme avant dans toutes les étapes de notre vie
individuelle et collective.
Penser la grandeur de l’homme
Seule la philosophie et évidemment, pour Hegel, la sienne pourra accomplir la tâche de penser et
de dire convenablement le divin : c’est dans l’élément de la raison, ou comme dit Hegel, du concept, que
l’absolu se retrouve « chez lui ». L’homme alors grâce à la philosophie devient véritablement « grand ». Grand,
au sens d’adulte, parce qu’il accède enfin à l’autonomie et à l’expérience qui caractérise cet âge ; grand aussi, au
sens l’on parle de la grandeur d’un « grand homme», c’est-à-dire d’un individu qui se dépasse lui-même, qui,
comme on dit, se « transcende ».
Bref, la religion d’un peuple libre, c’est la philosophie ; la philosophie, c’est la philosophie hégélienne
qui en achève l’histoire conflictuelle ; la philosophie hégélienne c’est le point de vue de l’humanité enfin
parvenue à l’âge adulte, réconciliée et transcendée. Tel est le sens de la formule célèbre sur la «fin de l’histoire»
(voir F. Fukuyama). Elle ne signifie pas qu’il ne se passera plus rien dans la vie des peuples ou dans la vie de la
pensée, mais que l’humanité est parvenue à un état de lucidité (le savoir absolu) tel que tous les événements
pourront désormais être interprétés et compris. Etre adulte, avoir de l’expérience, ce n’est pas avoir tout
expérimenté, c’est être capable de faire face à la nouveauté.
4) L’histoire de la philosophie comme déconstruction : la généalogie nietzschéenne
Conclusion : le maintien du tragique (il n’y a pas de fin de l’histoire) — pour une histoire
philosophique de la philosophie (Kant).
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