Chapitre 7
Climat et cycles astronomiques
Didier Paillard
Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement, Orme des Merisiers, 91191
Gif-sur-Yvette, France
7.1 Un peu d'histoire.
7.1.1 De la découverte des glaciations aux premières théories du climat.
La paléoclimatologie est sans aucun doute née avec la découverte des glaciations au XIXème
siècle. En effet, si les savants d'alors avaient bien conscience que la Terre ait pu subir de
nombreux bouleversements, notamment à travers les successions des différentes espèces
fossiles animales et végétales, c'est avec la mise en évidence de périodes glaciaires que l'idée
de changements climatiques a pu véritablement prendre corps. En effet, les traces laissées par
l'écoulement des glaciers de la dernière période glaciaire, moraines, blocs erratiques, stries et
faciès glaciaires, ont été clairement identifiées dans de nombreuses régions d'Europe et
d'Amérique du Nord, pour avancer l'idée que le climat, au moins en ce qui concerne
l'hémisphère nord, ait pu être considérablement plus froid dans le passé. Certes, le point de
vue des savants du XIXème siècle sur les glaciations était bien différent du nôtre, car très
fortement ancré dans une perspective "catastrophiste" de l'évolution de la Terre, que l'on
imaginait alors ponctuée de "déluges" et autres cataclysmes, comme le souligne l'extrait ci-
dessous.
« L'apparition de ces grandes nappes de glace a entraîner à sa suite l'anéantissement
de toute vie organique à la surface de la terre. Le sol de l'Europe, orné naguère d'une
végétation tropicale et habité par des troupes de grands éléphans, d'énormes
hyppopotames et de gigantesques carnassiers, s'est trou enseveli subitement sous un
vaste manteau de glace recouvrant indifféremment les plaines, les lacs, les mers et les
plateaux. Au mouvement d'une puissante création succéda le silence de la mort. Les
sources tarirent, les fleuves cessèrent de couler, et les rayons du soleil, en se levant sur
cette plage glacée (si toutefois ils arrivaient jusqu'à elle), n'y étaient salués que par les
sifflemens des vents du Nord et par le tonnerre des crevasses qui s'ouvraient à la surface
de ce vaste océan de glace »
(L. Agassiz, Etudes sur les glaciers, 1840)
Pour les géologues de cette époque, les changements climatiques étaient avant tout liés aux
changements de la topographie. En effet, si la dérive des continents n'était pas encore
d'actualité, les savants tentaient alors d'expliquer leurs observations de terrain à l'aide de
mouvements verticaux des continents: soulèvement des montagnes, érosion, changement du
niveau marin, etc… Sous l'influence de Charles Lyell, ces changements sont devenus avant
tout lents et progressifs. Le catastrophisme s'effaça au profit d'un gradualisme, qui suppose
que les modifications de la surface terrestre obéissent aux lois physiques aujourd'hui mises en
œuvre, mais appliquées sur des durées immenses. Ce nouveau point de vue s'opposait à toute
influence externe (en particulier divine), ce qui explique sans doute largement la réticence des
géologues face aux premières théories astronomiques des glaciations:
« But though I am inclined to profit by Croll's maximum excentricity for the glacial period,
I consider it quite subordinate to geographical causes or the relative position of land and
sea and abnormal excess of land in polar regions »
(C. Lyell to C. Darwin, 1866)
L'idée que le climat découle avant tout de la géographie et de la topographie est bien entendue
fondée. Il suffit de regarder l'étymologie du mot climat (
κλιµα
= inclinaison, ie. hauteur du
soleil au dessus de l'horizon, c'est-à-dire la latitude du lieu) ou de chercher "climatologie"
dans un organigramme universitaire pour se convaincre que cette idée est toujours valide.
Néanmoins, les principes physiques sous-jacents au fonctionnement du système climatique
sont eux aussi mis à jour au XIXème siècle, avec notamment Joseph Fourier qui établit les lois
de la diffusion de la chaleur, explique comment celle-ci est redistribuée par les fluides
superficiels que sont l'atmosphère et l'océan, et discute également du rôle essentiel de l'effet
de serre:
« la température peut être augmentée par l’interposition de l’atmosphère, parce que la
chaleur trouve moins d’obstacle pour pénétrer l’air, étant à l’état de lumière, qu’elle n’en
trouve pour repasser dans l’air lorsqu’elle est convertie en chaleur obscure »
(J. Fourier, 1824)
C'est dans ce contexte que sont avancées les deux principales théories physiques, qui sont
toujours d'actualité, et qui permettent de rendre compte de l'existence des périodes glaciaires:
la théorie astronomique et les variations de la concentration atmosphérique en CO2.
7.1.2 – De Adhémar à Milankovitch: le rôle de l'insolation
Si l'opinion que le climat est influencé par les astres est sans doute très ancienne, la première
théorie scientifique astronomique des âges glaciaires a été formulée par Joseph Adhémar s
1842. En effet, comme cela sera explicité un peu plus loin, la précession des équinoxes a pour
conséquence de modifier la position du périhélie (point de l'orbite terrestre le plus proche du
Soleil) par rapport aux saisons: si aujourd'hui la Terre est au plus près du Soleil aux alentours
du 4 janvier, cette date évolue lentement pour parcourir l'ensemble de l'année en environ
21 000 ans. Il y a 10 500 ans, au contraire d'aujourd'hui, la Terre était donc loin du Soleil en
janvier et proche de lui en juillet. Adhémar suggéra que ce mécanisme devait modifier le
climat. Plus précisément, actuellement les hivers de l'hémisphère nord ont lieu lorsque la
Terre est proche du Soleil, et à l'inverse ceux de l'hémisphère sud lorsque la Terre est éloignée
du Soleil. Adhémar proposa que cela expliquait l'absence de grande calotte glaciaire au nord,
à cause d'hivers plus doux et plus courts, et à l'inverse la présence d'une grande calotte
antarctique. La situation devait être exactement opposée il y a 10 500 ans, ce qui lui permit
d'expliquer des périodes de grande extension glaciaire qui venaient d'être mise en évidence
par les géologues.
La théorie d'Adhémar sera critiqué pour de nombreuses raisons, certaines largement
infondées. Mais c'est avant tout sur les fondements même de sa théorie que ses détracteurs,
Charles Lyell et Alexander von Humbolt, auront des arguments décisifs. En effet, le
mécanisme de précession fonctionne de façon anti-symétrique entre les pôles, mais aussi entre
les saisons. On peut facilement montrer que, si par exemple l'hiver reçoit moins d'énergie,
cela est exactement compensé par un excès d'énergie reçu en été. Si le contraste saisonnier
varie avec la précession, l'intégrale annuelle de l'énergie reçue ne change absolument pas.
Pourquoi alors y aurait-il un quelconque effet climatique ?
C'est James Croll qui proposa en 1864 une solution en suggérant que, si le forçage
astronomique était effectivement anti-symétrique par rapport aux saisons (et par conséquence
nul en moyenne annuelle), les processus climatiques ne l'étaient sans doute pas. Si
l'accumulation de la neige s'effectue avant tout en hiver, la fonte se produit en été. Croll
insista fortement sur le rôle de l'accumulation hivernale, de sorte que l'argumentation
d'Adhémar restait essentiellement valable: des hivers plus longs ou plus froids favorisent une
plus grande accumulation de glace qui permet l'avènement d'une glaciation. Par ailleurs,
conscient des développements récents de la mécanique céleste (notamment par Pierre Simon
de Laplace, et Urbain le Verrier), Croll va introduire l'effet des variations de l'excentricité de
l'orbite terrestre. Celle-ci module l'intensité des constrastes saisonniers. En effet, pour une
orbite circulaire, l'effet climatique de la précession est tout simplement nul, puisqu'il n'y a ni
périhélie (point le plus proche) ni aphélie (point le plus éloigné). Plus l’excentricité est
grande, plus les effets climatiques de la précession le seront. Croll associe donc les grandes
glaciations aux maxima d’excentricité. Il repousse ainsi la dernière glaciation à 80 000 ans
dans le passé, et suggéra une glaciation plus intense encore il y a 240 000 ans. Bien que Croll
ait proposé une théorie astronomique beaucoup plus solide et évoluée, il ne parviendra pas à
convaincre la communauté scientifique de son époque. Pourtant, les alternances glaciaires-
interglaciaires découvertes dans certains sédiments plaidaient en faveur d’un mécanisme plus
ou moins périodique. Mais les premiers éléments de datation disponibles à cette époque, en
extrapolant des taux d’érosion ou en comptant des varves lacustres, indiquaient une glaciation
beaucoup plus récente.
C’est Milutin Milankovitch [1941] qui formulera la théorie astronomique encore aujourd’hui
d’actualité. La principale critique que l’on puisse faire à la théorie de Croll est de considérer
l’hiver comme la saison la plus importante. Milankovitch s’appuiera sur les observations des
neiges éternelles et des glaciers de montagne pour montrer que la fonte estivale est beaucoup
plus déterminante sur le bilan de masse de la glace que ne l’est l’accumulation neigeuse. Il en
déduit correctement que la saison critique est l’été, ce qui renverse complétement les
raisonnements d’Adhémar et de Croll. De plus, Milankovitch introduit un troisième paramètre
astronomique important pour le calcul des variations de l’énergie solaire reçue en un lieu
donné : l’obliquité de l’axe terrestre, c’est-à-dire son inclinaison par rapport au plan de
l’orbite terrestre. Les bases de la théorie astronomique moderne sont alors jetées.
7.1.3 – De Tyndall à Arrhénius: le rôle du gaz carbonique
Si l’importance du rôle de l’effet de serre était bien comprise au XIXème siècle, c’est John
Tyndall qui mesura le premier l’absorption et l’émission infra-rouge de différents gaz. Il
démontra ainsi que l’azote ou l’oxygène sont essentiellement transparents aux rayons infra-
rouges et que l’effet de serre de notre planète est causé avant tout par des gaz présents en très
petites quantités, en premier lieu la vapeur d’eau, mais aussi le gaz carbonique, le méthane, le
protoxyde d’azote ou l’ozone. Jacques Joseph Ebelmen, géologue français, fût le premier, dès
1845, à proposer que des changements de la concentration atmosphérique en CO2 devaient
avoir des conséquences sur le climat [Bard, 2004] mais ce sont les mesures de Tyndall en
1861, qui permettent d’envisager d’en quantifier l’effet. Ce dernier suggérera alors que tous
les changements climatiques découverts par les géologues pouvaient s’expliquer par des
changements des teneurs atmosphériques en gaz à effet de serre.
Ces arguments seront repris notamment par le géologue américain Chamberlin, qui mit en
évidence la succession d’au moins cinq stades glaciaires aux Etats-Unis. Mais c’est le
chimiste suédois Svante Arrhénius [1896] qui alla jusqu’à calculer l’effet du gaz carbonique
sur le climat. A partir des données géologiques sur les positions des moraines en période
glaciaire, il évalua le refroidissement à 4 ou 5°C, et calcula que cela pouvait s’expliquer par
une diminution d’environ 40% de la concentration atmosphérique en CO2. C'est également
dans cet article qu'il envisage un réchauffement climatique futur lié aux émissions
anthropiques de CO2 (de l'ordre de 5°C pour un doublement de CO2, un chiffre étonnament
proche des estimations les plus récentes qui sont de l'ordre de 3,5°C).
Il est intéressant de constater que ces deux théories antagonistes des âges glaciaires existent
depuis le milieu du XIXème siècle et restent toujours valables. Il reste aujourd’hui encore à
élucider comment celle-ci s'articulent et se complètent.
7.2 – Paramètres astronomiques et insolation.
Avant d'aller plus loin, il est utile de passer en revue les différents paramètres astronomiques
qui influencent l'énergie reçue au sommet de l'atmosphère par la Terre, énergie que l'on
nommera par la suite "insolation".
7.2.1 – Excentricité
Selon la première loi de Kepler, l'orbite terrestre est une ellipse. Celle-ci est caractérisée par
un paramètre de taille, le demi grand axe, souvent noté a ; par un paramètre de forme ou
d'applatissement, l'excentricité, souvent notée e ; puis par trois paramètres qui définissent la
position de cette ellipse dans l'espace, dont 2 pour définir le plan orbital (l'inclinaison i par
rapport à un plan de référence, et la longitude du nœud ascendant
Ω
défini par l'intersection de
ces deux plans), et un autre pour définir la position absolue du périhélie (la longitude
π
). En
fait, dès que le système est constitué de trois corps matériels (le Soleil avec deux planètes) ou
plus, le mouvement n'est plus rigoureusement une ellipse, et il n'existe d'ailleurs pas de
solution analytique au problème de canique céleste à N corps, pour N>2. Il convient alors
de faire des calculs perturbatifs ou des résolutions numériques approchées. La notion d'orbite
terrestre garde néanmoins tout son sens, car les perturbations sont du second ordre. Il est donc
utile de raisonner en terme d'orbite elliptique, qui se déforme et bouge au cours du temps.
Les perturbations induites par les autres planètes ne modifient pas le demi grand axe de
l'ellipse a, mais uniquement la trajectoire terrestre, c'est-à-dire l'excentricité e et les
paramètres d'orientation de l'ellipse (i,
Ω, π
). Donc a sera une constante (en tout cas sur des
centaines de millions d'années). Par ailleurs, l'orientation de l'ellipse dans l'espace n'a a priori
aucune conséquence directe sur le rayonnement solaire reçu par la Terre. Le seul paramètre
orbital qui est susceptible de modifier l'insolation est donc l'excentricité e.
L'excentricité e est définie par le rapport entre la distance du foyer au centre de l'ellipse c, et
le demi grand axe a, comme indiqué sur la figure [7.1]. Si elle vaut aujourd'hui 0,0167 (soit
un applatissement de 1,67%), elle a variée entre des valeurs quasi nulles et des valeurs de
l'ordre de 0,06, avec des peudo-périodicités de l'ordre de 100.000 ans et 400.000 ans.
Figure [7.1]: Une ellipse peut-être définie comme le lieu des points dont la somme des
distances aux deux foyers est constante: r+r' = 2a. L'excentricité est définie par le rapport
e = c/a. Le demi petit axe b est donc donné par le théorème de Pythagore: b = a(1-e2)1/2.
L'excentricité est le seul paramètre susceptible de modifier l'énergie reçue globalement, en
moyenne annuelle, par la Terre. En effet, le demi grand axe étant constant, la distance
moyenne Terre-Soleil dépend directement de l'excentricité. La seconde loi de Kepler
(conservation du moment cinétique) s'écrit:
r2dv
dt =2
!
a21"e2
T
En intégrant sur une orbite complète, on en déduit directement la "constante solaire" S0, qui
est définie comme l'énergie reçue en moyenne par la Terre:
!
S0=S
T
a2
r2dt
0
T
"=S dv
2
#
1$e2
0
2
#
"=S
1$e2
L'énergie reçue par la Terre en moyenne annuelle, S0, dépend de l'énergie S (supposée ici
vraiment constante) reçue à la distance a du Soleil et de l'excentricité e. Une plus forte
excentricité entraîne une orbite plus aplatie, en moyenne plus proche du Soleil, et donc une
énergie solaire globale reçue par la Terre plus grande. Les variations restent néanmoins très
faibles, puisqu'au maximum, pour e = 0,06, on calcule S0 = 1,0018 S, soit une augmentation
de 0,18% seulement. Ces faibles variations n'ont quasiment aucun rôle sur le climat. Par
contre, comme on le verra un peu plus loin, c'est à travers la modulation des effets de la
précession que l'excentricité possède un rôle climatique essentiel.
Il est intéressant de noter que le système solaire est chaotique. Cela signifie que le calcul des
paramètres orbitaux en général, et en particulier de l'excentricité, n'est possible qu'à des
instants pas trop éloignés de la période actuelle. En effet, les erreurs augmentent de façon
exponentielle avec le temps, et toute prédiction est impossible au delà d'une certaine durée.
Pour l'excentricité, cette durée est de l'ordre de 20 à 30 millions d'années seulement, ce qui est
finalement très court par rapport à l'âge de la Terre. Au delà, les variations d'excentricité
restent bien entendu de même nature (avec des pseudo-périodicités identiques, voisines de
100.000 ans et 400.000 ans), mais il devient impossible de dire si, par exemple, il y a 600
millions d'années, l'excentricité était minimale (proche de zéro) ou maximale (proche de
0,06). Autrement dit, la phase des oscillations devient a priori imprédictible à long terme
[Laskar et al., 2004].
7.2.2 – Obliquité
Au-delà des paramètres de l'orbite terrestre, il faut aussi prendre en compte la position de l'axe
de rotation de la Terre par rapport au plan orbital, ou écliptique. Cette position est donnée par
deux paramètres axiaux, d'une part l'obliquité, noté
ε
, qui représente l'inclinaison de cet axe
par rapport à l'écliptique, et d'autre part la précession des équinoxes, qui indique sa position
absolue par rapport aux étoiles. La position de l'axe de la Terre est modifiée par l'attraction
différentielle de la Lune (et, dans une moindre mesure, du Soleil) sur le bourelet équatorial.
En effet, notre Planète est légèrement aplatie, à cause de la rotation terrestre, et l'attraction
gravitationnelle de la Lune sur la Terre n'est donc pas exactement symétrique. Le bourelet
équatorial, incliné par rapport à l'orbite lunaire, subit des forces d'attractions qui induisent un
couple sur l'axe de la Terre et en modifient l'orientation. Contrairement aux paramètres
orbitaux comme l'excentricité qui ne dépendent que de la mécanique du point, les paramètres
axiaux (obliquité et précession) dépendent donc de la forme de la Terre, ce qui introduit de
nouvelles sources d'erreurs et d'incertitudes. La durée au-delà de laquelle le calcul des
paramètres axiaux devient impossible est donc probablement plus courte que pour
l'excentricité et les calculs deviennent délicats au-delà de quelques millions d'années. En
particulier, la forme de la Terre change légèrement sous l'influence des glaciations avec,
durant les maxima glaciaires, d'énormes masses de glace accumulées sur les continents de
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