accompagner la vie 06 05 10 - Eglise protestante unie du Bocage

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Accompagner la vie, approches protestantes.
Pour cadrer le propos, je voudrais lire une citation, puis émettre quelques
considérations théologiques rapides sur ce que la foi chrétienne protestante entend
par résurrection.
La citation tout d’abord. Elle est du théologien allemand Dietrich Bonhoeffer, célèbre
à la fois pour avoir pensé le christianisme dans un monde a-religieux et pour avoir
participé à l’attentat contre Hitler.
« Le premier service que l’on doit au prochain est de l’écouter. De même que l’amour de
Dieu commence par l’écoute de sa Parole, ainsi le commencement de l’amour pour le
frère consiste à apprendre à l’écouter … Les chrétiens, et spécialement les prédicateurs,
croient souvent toujours « offrir » quelque chose à l’autre lorsqu’ils se trouvent avec lui ;
et ils pensent que c’est leur unique devoir. Ils oublient qu’écouter peut être un service
bien plus grand que parler … Qui ne sait pas écouter son frère bientôt ne saura même
plus écouter Dieu ; même en face de Dieu, ce sera toujours lui qui parlera… Nous devons
écouter avec les oreilles de Dieu, afin de pouvoir nous adresser aux autres avec sa
parole. »
Et puis, quelques considérations théologiques succinctes.
Pour dire tout d’abord que si la confession en la résurrection du Christ est au centre
de la foi chrétienne, elle ne conduit absolument pas à sous-estimer la mort. Elle
permet au contraire de prendre la mort au sérieux, à la différence des doctrines
d’immortalité qui affirment indirectement que nous ne sommes pas véritablement et
complètement mortels, que nous ne mourrons pas totalement, que notre mort
(grâce par exemple à l’immortalité de l’âme ou à la réincarnation) est partielle, qu’elle
n’est qu’un passage.
Or, la résurrection conduit à dire clairement : la vie … après la mort !
Par ailleurs, les sociologues et d’autres chercheurs ou acteurs de terrain ont
abondamment montré que nous vivons dans une société qui se cache la mort. Que ce
soit l’éloignement des cimetières du cœur des villes, les décès à l’hôpital, sans oublier
les fantasmes concernant le fait de rester toujours jeune, le refus de vieillir … Or, rien
dans les Evangiles ne va dans le sens d’une minimisation de la mort. Ni le récit de
Lazare devant la tombe duquel « Jésus pleura », ni Gethsémané où Jésus versa des
« larmes de sang », ni l’horreur de la croix. Et l’une des spécificités du christianisme est
peut-être bien d’affirmer nettement la réalité de la mort. Au travers de rites qui ne la
cachent pas, comme le cercueil au temple, l’accompagnement au cimetière ou au
crématorium.
Donc, prendre la mort au sérieux. Mais prendre la mort au sérieux, c’est affirmer la
vie, la prendre au sérieux, en reconnaître le privilège, la valeur d’autant plus grande
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que cette vie n’est pas définitive. Devant la mort, notre discours de chrétien est
menacé par une double tentation : sous-estimer la mort en ne regardant qu’à la seule
vie éternelle ou en ne voyant dans cette mort qu’un passage. Sous-estimer notre vie
présente, en ne considérant là aussi que notre seule vie éternelle et en tenant pour
négligeable notre vie sur cette terre.
Proclamer la résurrection, c’est ne tomber dans aucun de ces pièges. Croire en la
résurrection, c’est au contraire dire non à toute aliénation religieuse qui opposerait
de manière exclusive le corps et l’âme, le présent et l’au-delà, la terre et le ciel. Pour
éclairer, une citation, du pasteur Martin Luther King : « La religion s’occupe à la fois du
ciel et de la terre … Toute religion qui fait profession de s’occuper de l’âme des hommes
sans s’occuper des taudis auxquels ils sont condamnés, des conditions économiques qui
les étranglent et des conditions sociales qui les mutilent est une religion aussi stérile que
la poussière .» Ou pour le dire légèrement différemment : la résurrection, au sens
d’une lutte contre les forces de mort, ne concerne pas seulement l’au-delà de notre
mort, mais aussi le présent de notre vie.
Ces choses dites, j’ai un peu le sentiment d’être arrivé avec quelques affirmations qui
pourraient sembler péremptoires. Il faudrait certainement plus les développer, les
expliquer, les motiver. Elles constituent cependant l’arrière plan de la pratique
pastorale en cas de deuil, une pratique faite d’accueil inconditionnel, d’écoute,
d’accompagnement, d’échange d’une parole. Avec cette volonté de dire et de
partager que Dieu n’est pas au terme de notre route, mais qu’il est avec nous chaque
jour.
Voici tout d’abord ce qu’énonce sobrement la Discipline de l’Eglise Réformée de
France dans son article 10 : « De l’annonce de l’Evangile aux familles en deuil »
§ 1 – S’adressant aux vivants, les services célébrés à l’occasion d’un décès ont pour
but d’annoncer l’Evangile de la résurrection en vue de la consolation des affligés, de
l’édification de l’Eglise et de l’évangélisation.
§ 2 – Ils doivent garder un caractère de simplicité et ne pas comporter de
panégyrique. L’Eglise ne refuse jamais son assistance à ceux qui la demandent dans le
deuil.
Celui qui préside le service garde une entière liberté de prononcer une allocution ou
de lire seulement les textes liturgiques.
J’ai coutume de dire que nous avons la chance, nous autres protestants, en raison du
fait que nous nous définissons avant tout comme une religion de la Parole, de
pouvoir construire des cérémonies, on pourrait presque dire sur mesure. Non pas
qu’il n’y ait pas une trame liturgique, des musiques et des cantiques habituels dans
ce type de circonstances, un ordre habituel.
Mais cette trame, ces musiques, ces cantiques, cet ordre sont une sorte de colonne
vertébrale autour de laquelle vont pouvoir s’organiser une personnalisation de la
cérémonie, une rencontre entre un officiant souvent seul, parfois entouré par une
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communauté, et une famille pour faire en sorte qu’une parole circule, soit audible et
nourrissante au sens où elle permettra non pas de survivre, mais de vivre à nouveau.
Pour faire en sorte que la réalité de la mort et l’affirmation de la vie, la prise au
sérieux de nos limites et l’affirmation selon laquelle l’événement de Pâques concerne
le présent de notre vie, soient paisiblement annoncés, tout en disant clairement non
à l’immortalité de l’âme et à la prolongation du corps.
Croire en la résurrection nous rappelle en effet que nous sommes vraiment mortels,
que nous n’avons pas en nous-mêmes de quoi survivre et que la résurrection n’est
pas notre œuvre, mais celle de Dieu. Croire en la résurrection est ainsi une manière
d’affirmer le salut non par nos œuvres, mais par la seule grâce de Dieu en JésusChrist, une manière de dire que notre réalité la plus profonde et la plus ultime est en
Dieu. La résurrection nous dit que nous mourrons corps et âme, mais que Dieu nous
récrée dans sa vérité totale.
Concrètement, comme est-ce que cela se passe ?
La plupart du temps, ce sont les pompes funèbres qui téléphonent au nom de la
famille pour s’assurer de la disponibilité de l’officiant. Rares sont les familles qui
prennent contact avec le pasteur avant de se rendre aux pompes funèbres. Ces
manières de procéder sont naturellement des indicateurs, mais là n’est pas le plus
important. L’important va se situer dans un premier temps dans la rencontre. La
rencontre avec la famille, représentée par un membre, ou par plusieurs personnes.
Chaque fois que cela est possible, je me déplace à domicile pour rencontrer les
personnes dans leur contexte, dans leur milieu de vie. D’autres fois, cela se passe
dans mon bureau. L’accueil et l’écoute me semblent essentiels.
Il n’y a pas deux préparations d’enterrement pareilles.
Car il n’y a pas deux circonstances pareilles. Chaque personne est unique.
Certaines personnes, ignorantes des habitudes protestantes, seront avant tout
soucieuses de bien faire, par respect pour le défunt.
D’autres arrivent, après avoir débattu en famille, porteuses de diverses propositions
de textes, de musiques, de cantiques.
Certaines se définissent d’emblée comme athées, d’autres pas très au clair, beaucoup
dans la croyance confuse d’une sorte de continuité entre la vie et la mort.
L’important est que ces personnes puissent parler librement, qu’elles parlent de la
personne qui vient de décéder, qu’elles puissent dire leurs souvenirs, leurs révoltes,
leurs regrets, faire état des difficultés qu’elles pouvaient avoir avec elle, dire leur
soulagement lorsque les souffrances étaient trop fortes, qu’elles puissent être
authentiques, dresser un premier portrait de ce qu’elles gardent, de ce qu’elles ont
reçu, comme de tout ce qui reste inachevé, voire raté.
On attend du pasteur qu’il soit un professionnel, de l’accueil, de l’organisation. Qu’il
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écoute et qu’il rassure. Il a également durant ces moments-là, même s’il se définit
comme un laïc et non comme un clerc, une « fonction symbolique » qui renvoie les
personnes à quelqu’un d’autre que lui-même, à l’idée qu’ils se font de Dieu, de la
religion.
La manifestation de ce Tout Autre s’exprime (ou essaie de s’exprimer) dans l’accueil
inconditionnel, dans l’absence de jugement, dans l’énonciation simple que le dernier
mot sur nos vies ne nous appartient pas, dans la confession discrète que ce Dieu
entre les mains duquel est remis celui ou celle qui vient de décéder est le même Dieu
qui vient nous rencontrer aujourd’hui.
Ce temps de rencontre qui peut se reproduire à plusieurs reprises si le laps de temps
entre la réalité du décès et le service proprement dit est suffisamment long, ou si cela
s’avère nécessaire de se revoir pour préciser des éléments, est également l’occasion
d’expliquer le mouvement d’un culte d’enterrement protestant qui ne se veut pas
anesthésie, il s’agit bien de dire la mort et la tristesse, mais consolation. Il s’agit bien
de partager le fait que la mort n’est pas le dernier mot sur nos vies.
Je le disais plus haut.
Nous avons la chance de pouvoir construire des célébrations « sur mesure ».
Qui comporteront des textes bibliques. Parfois pris pour eux-mêmes, ils ont
suffisamment de force, parfois commentés sous forme de prédications.
Qui comporteront des textes liturgiques pouvant exprimer la palette des sentiments
humains : la foi chrétienne ne demande pas de tout accepter sans protester, mais au
contraire de garder le lien avec Dieu au besoin en se dressant face à lui pour lui hurler
sa souffrance, son désaccord, la demande de réponse, pour lui dire que son silence
fait mal.
Qui comporteront des textes ni bibliques, ni liturgiques selon les souhaits des familles
qui peuvent à l’occasion lire des poésies, des extraits de livres que le défunt ou la
défunte aimait. Ou selon le propre choix de l’officiant qui trouvera dans certains
textes la possibilité de reprendre dans un autre langage, moins direct mais plus
évocateur ou symbolique, des éléments qui sont apparus dans la discussion comme
le caractère compliqué et désagréable de la personne défunte, les brouilles familiales,
les regrets pour ce qui n’a pas été accompli, et les mettre ainsi sous le regard de Dieu.
Qui comporteront quelques interventions de personnes de la famille, d’amis qui
apporteront leurs souvenirs, leurs remerciements, leur personnalisation.
Qui comporteront des musiques qui là aussi pourront être choisies par la famille en
souvenir de la personne disparue.
Qui comporteront des cantiques, si un nombre minimal de personnes est susceptible
de les chanter.
Le tout dans un ordre qui dira nettement la réalité de la mort, la fragilité de la vie, la
tristesse, mais aussi le remerciement pour tout ce que la personne a été, et
l’espérance, l’attente de la résurrection, dans une sorte d’ordre symbolique
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préfigurant au travers de paroles, de musique, de gestes, de regards, ce qui mettra
des mois, voire des années, à être accompli pour les personnes les plus touchées.
Très sensible au fait que le début et la fin du déroulement habituel d’un service
funèbre sont les plus difficiles à vivre, je propose toujours aux familles d’être avec
elles du depuis la mise en bière jusqu’au cimetière ou au crématorium. La plupart
acceptent, certaines préfèrent rester dans l’intimité familiale.
Le jour de l’enterrement proprement dit, plusieurs schémas sont possibles.
La plupart du temps, le déroulement est, entre guillemets, « classique ». Il se
déroulera depuis la chambre funéraire, (parfois la maison), passera par le temple
avant de se rendre au cimetière ou au crématorium. Il est celui dans lequel la plupart
se retrouvent, car justement habituel, sécurisant.
Depuis plusieurs décennies maintenant, la crémation est reconnue sans problème par
le protestantisme. Nous sortons de l’année Calvin. Le Réformateur a demandé à être
enterré dans la fosse commune, de façon anonyme, cousu tout nu dans un linceul à
même la terre et sans solennité. En demandant cela, il était cohérent avec la Réforme
qui avait rompu avec tout culte des morts, il était cohérent avec son « Traité des
reliques » dans lequel il s’était moqué avec jubilation de la superstition des reliques
des saints. Il voulait rendre impossible un pèlerinage sur sa tombe. Il voulait
également libérer les fidèles de toute crainte comme de toute adoration des morts, il
voulait les libérer de l’obligation onéreuse d’en passer par une institution, Eglise ou
autre, qui serait là pour faire payer aux vivants les rites funéraires. Il voulait que la
mort soit l’occasion de sentir enfin l’égalité de tous devant Dieu, l’humilité de s’en
remettre à lui, de laisser la place à d’autres dans ce monde, la simplicité d’une
confiance sans reste.
Ceci n’est pas une manière de justifier la crémation, mais peut être une manière de la
recommander, parce qu’elle illustre une manière de laisser la place à d’autres et de se
concentrer sur d’autres essentiels.
On peut également proposer (et trouver) un autre schéma, un ordre différent : la
mise en terre au cimetière ou l’incinération au crématorium précèdent le service au
temple. On parlera alors de culte d’action de grâces.
Les théologiens et les psychologues s’accordent pour reconnaître qu’il est
indispensable d’affronter la mort en face pour entamer un véritable processus de
deuil. Vu sous cet angle, la présence du cercueil au temple (et au crématorium)
conduit effectivement à toucher du doigt la réalité de la disparition et l’on sait
combien, en ces circonstances, une annonce précipitée, péremptoire ou maladroite
de la résurrection peut nier la douleur, esquiver la peine.
Reste cependant que le mouvement du culte d’enterrement est d’accompagner de la
souffrance vers l’espérance. Et on peut se poser la question de savoir si le rituel que
nous suivons habituellement, même s’il préfigure un processus qui prendra des mois,
ne connaît pas quelque contradiction en faisant suivre à un moment d’apaisement un
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moment bien plus dur puisqu’il concerne et matérialise fortement la séparation
définitive au travers de la mise en terre ou de la crémation.
L’inversion de cet ordre habituel n’est pas la négation de la mort et de sa réalité, elle
est nommée au cimetière ou au crématorium. Elle offre cependant, le jour même ou
plusieurs jours après, la possibilité de se retrouver au temple, là où chaque dimanche
la communauté se retrouve, pour un service plus apaisé, plus tourné vers la vie,
action de grâces pour tout ce qui a été donné et confiance que tout est et demeure
entre les mains de Dieu.
Les suites de ces services durant les semaines et les mois varient selon les lieux, selon
les communautés, selon les pasteurs.
L’idéal serait que les personnes endeuillées soient visitées régulièrement. Cela n’est
malheureusement pas toujours possible, pour des raisons de disponibilité ou parce
que les familles sont éparpillées. Il s’agit avant tout d’être attentif aux personnes qui
sont seules. Certaines paroisses organisent des groupes de parole.
A Caen, depuis deux années, un dimanche est spécialement consacré à ce que nous
avons appelé un « culte pour les endeuillés » puis « culte d’espérance pour les
personnes en deuil ». Ce jour-là, les personnes qui ont été éprouvées durant l’année
sont plus particulièrement invitées. Avec le recul, nous mesurons combien ce temps
est important, combien cela réconforte les personnes qui répondent à cette
invitation à la fois par ce qui se dit et se partage ce jour-là, mais aussi par le simple fait
de savoir qu’elles ne sont pas oubliées, que la prière de l’Eglise prend visage et prend
corps.
Enfin, si notre théologie pratique recommande qu’un endroit matérialise le nom de la
personne disparue, au jardin du souvenir, au cimetière, si nous sommes en discussion
concernant la dispersion des cendres, sur les moments et les lieux où le pasteur doit
parler et intervenir, si nous attirons l’attention sur le fait de ne pas prévoir dans les
moindres détails les cérémonies dans les contrats obsèques, les protestants n’ont
pas pour habitude d’aller fleurir les tombes, de se rendre dans les cimetières.
Certes, ils ne les laissent pas dans l’abandon, mais ces lieux-là ont peu d’importance à
leurs yeux. Comme le disait un de mes professeurs à la faculté de théologie : « S’il y a
bien une chose dont je sois sûr, c’est que nos morts ne sont pas là ».
Eric Trocmé, jeudi 6 mai 2010
4èmes journées francophones caennaises sur le deuil
et l’accompagnement des personnes endeuillées.
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