réalisé le moindre profit, et très probablement ne le feront jamais ». Et la récession qui lui a
succédé est parmi les plus longues. A cette « exubérance irrationnelle », il y a plusieurs
coupables : l’Etat américain, qui a poussé trop loin sa politique de réduction des déficits et de
déréglementation, qui a subi les pressions des « prétendus petits génies de Wall Street » et des
groupes d’intérêts conservateurs. Le laxisme comptable a orchestré directement la constitution
de la bulle spéculative, favorisant le profit à court terme des banquiers, analystes et présidents
des grands groupes, aux dépens des investisseurs, victimes des asymétries d’information.
Selon Stiglitz, c’est le « fanatisme du Marché », cautionnant la recherche ultime de l’intérêt
individuel à court terme, qui a fait perdre la tête au capitalisme.
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L’arrivée de Clinton à la Maison Blanche devait marquer un tournant : son
programme était orienté vers le long terme : la croissance, l’emploi et la prospérité. Stiglitz
déplore l’urgence de la situation laissée par Reagan et Bush père (déficit budgétaire, faible
croissance, réforme fiscale néfaste) qui a fait perdre de vue à la nouvelle Administration ses
idéaux et ses valeurs. Les Nouveaux Démocrates ont embrassé les revendications néolibérales
dans la lutte contre le déficit budgétaire, notamment sous les pressions de la Federal Reserve.
Il était supposé responsable de la fixation de taux d’intérêts trop forts, à leur tour défavorables
à l’investissement. Pour Stiglitz, cette politique était dangereuse, car son succès dépendait
d’une grande élasticité des investissements à la baisse des taux d’intérêt, afin de compenser la
réduction des dépenses de l’Etat et la hausse des impôts. Mais la recherche de l’équilibre
budgétaire a été un succès, et la reprise a eu lieu, accréditant les revendications de la FED.
L’auteur constate aujourd’hui les limites de cette politique : la reprise a plus été provoquée
par les effets d’investissements anciens que par la réduction du déficit. Seule la croissance
peut inspirer la confiance, et un déficit temporaire aurait pu favoriser l’investissement dans
une perspective de long terme.
L’économie des années 1990 a souffert de la prédominance du court terme sur le long
terme. Et c’est ce qui caractérise les acteurs principaux de la période. Greenspan et la FED
privilégiaient la lutte contre l’inflation, oubliant les objectifs de croissance de l’emploi.
Craignant que la réduction du chômage ne provoque la flambée des prix, elle prônait une
politique de hausse des taux d’intérêt, risquant de fragiliser l’économie au moment de la
reprise.
La déréglementation a joué un rôle dans l’explosion de l’activité à court terme. Il est évident
que la mutation des structures économiques nécessitait une réforme des réglementations en
vigueur depuis les années 1930, mais déréglementer les secteurs des nouvelles technologies
revenait à ne pas prendre en compte l’existence d’échecs du marché : le résultat en a été une
course folle aux marchés, créant des situations de monopole, de surinvestissement et de
gaspillage des capitaux. Le poids du secteur des télécommunications a ainsi doublé en dix ans,
a concentré plus du tiers des investissements, et le marché s’est excessivement concentré : des
surcapacités sont rapidement apparues, ce qui ne constituait pas des bases stables pour le long
terme.