« Quelle gouvernance mondiale ? » - Les limites des institutions internationales (FMI, OMC, OMS). Les organisations internationales forment des regroupements des plusieurs personnes morales – les Etats – et dont le but principal est la coordination des actions touchant à plusieurs pays. Leur essor fut contemporain de l'accélération du phénomène de mondialisation après 1945, même si leur structure davantage coopérative qu'intégratrice – si l'on laisse de côté l'Union Européenne – a pu causer quelques soucis en temps de guerre froide. Cette caractéristique montre en tout cas que leur multiplication répond au sentiment des Etats d'être dépossédés d'une partie de leur souveraineté, et de fait, leur volonté de reprendre les rennes de la gouvernance mondiale : « l'union fait la force », en quelque sorte. On ne peut non plus laisser de côté leur contemporanéité d'avec la décolonisation, faisant apparaître, non plus seulement un Ouest et un Est, mais des Nords et des Suds. Il est, à ce titre, toujours intéressant de consulter le statut de ces institutions, non seulement parce qu'il définit les buts et principes de l'organisation internationale, et que tout leur fonctionnement sera déterminé en droit par ce qu'on appelle le principe de spécialité, mais tout simplement pour constater que malgré ce principe de spécialité, on peut sans doute dégager un but commun à toutes ces organisations même en filigrane. Quel est le rôle des institutions internationales et pourquoi ne sont-elles pas aussi adaptées qu'on l'eut voulu à la nouvelle donne internationale ? Comment ne pas voir derrière les objectifs de développement au Sud et de stabilité ou de maintien de la prospérité au Nord une quête de croissance ? Qu'est-ce qui en limite l'efficacité et même, pourquoi peut-on parler d'une « elusive quest of growth » (« une quête de croissance inaccessible »), pour reprendre la formule de W. Easterly ? I. La croissance comme solution aux maux de l'humanité : objectif premier des institutions internationales. A. « Promouvoir la stabilité des changes, maintenir entre les États membres des régimes de change ordonnés et éviter les dépréciations concurrentielles des changes » (Art. I, §3, Statut du FMI). En 1944, la conférence de Bretton-Woods mettait en place la convertibilité du dollar en or, afin, pensait-on de faire de la monnaie américaine un pillier du système monétaire international qui devait favoriser la reconstruction. L'idée était qu'avec un taux de change fixe du dollar en or, les Etats pourraient acheter ou vendre des dollars américains, la concurrence monétaire serait atténuée, et de fait les échanges favorisés. On sait, en effet, que la dévaluation ou la revaluation d'une monnaie – parce qu'elle est une mesure protectionniste, comme elle vise à favoriser les importations ou les exportations, donc à déséquilibrer la balance commerciale de façon aritifcielle – n'est pas pour favoriser le commerce à long terme. Selon Montesquieu, « l'effet naturel du commerce est de porter la paix ». N'est-il pas aussi de porter une croissance, nécessaire à la reconstruction d'une Europe ruinée par deux conflits et de même pour le Japon ? Cinquante ans plus tard, on constate que la reconstruction a bien fonctionner, si bien sûr, on se place avant la crise. En 1947, la Banque Mondiale a accordé son premier prêt à la France, un prêt de 250 millions de dollars. On a donc bien cette idée – commune aux théories exogène et endogène de la croissance – que l'essor économique dépend pour tout ou partie de l'investissement en capital physique. Puis, lorsque la production aura été permise, il faudra favoriser l'échange. D'où une combinaison de politiques internationales d'aide à la reconstruction des facteurs de production et de stimulation des échanges par la stabilisation des taux de changes. Des politiques d'inspiration plutôt libérales, encore que l'on puisse noter l'accent mis sur la coopération internationale, au détriment de la concurrence, mais qui ne s'explique que par la volonté d'établir une concurrence viable sur la scène internationale. B. « Mettre en place un partenariat mondial pour le développement » (8e objectif du Millénaire). Le même schémas peut-être repris pour les pays dits en développement. Comme le rappelle l'objectif 8 des Nations Unies pour le développement, l'idée est de « mettre en place un partenariat mondial pour le développement ». Ce développement des pays « en retard » consisterait en un rattrappage économique et technologique avec l'aide de pays qui seraient déjà industrialisés. D'où, peut-être, la démultiplication d'organisations internationales spécialisée, non plus dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, mais bien dans cette idée de développement, entendu longtemps comme croissance du PIB. La clause de la nation la plus favorisée, prônée par l'Organisation Mondiale du Commerce, suppose l'interdiction de toute mesure protectionniste vis-à-vis des pays de main d'œuvre à bas coût, de sorte que ceux-ci puissent bénéficier d'une plus grande compétitivité qui leur permettrait d'avoir une croissance très importante dans un premier temps. Ce qui fait le lien avec les reconstructions européennes et japonaises, c'est que des institutions comme la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International s'occupent aujourd'hui davantage de ces économies en développement (cf graphe ci-contre sur les douze premiers emprunteurs au FMI depuis 1947). Cette aide internationale, soumise à des conditions drastiques en matière de droits de l'Homme, peut parvenir à une stabilité de pays qui garantirait leur croissance, et donc leur développement. Le 1e avril 2009, Louis Michel, commissaire européen en charge du Développement et de l'Aide humanitaire, avait appelé les pays européens à honorer, malgré la crise, leurs engagements en matière d'aide au développement au profit des pays les plus pauvres, affirmant que « l'impact de la crise sera catastrophique pour l'Afrique », preuve que le respect de cet objectif de développement est une nécessité : « certains pays croient pouvoir faire des économies sur l'aide au développement, mais tôt ou tard, on le paiera, notamment par une hausse des flux migratoires vers l'Europe ». En d'autres termes, l'actions des organisations économiques internationales, supposée harmoniser le marché international pour plus d'efficience, reste aussi nécessaire que dépendante du financement des Etats qui les ont créées : c'est au G20 du 2 avril 2009 qu'a été décidé de porter à 1 000 milliards de dollars les ressources du FMI. II. « La Grande Désillusion » : « réformons les institutions internationales » (J. Stiglitz). A. Un statu quo international maintenu par les Institutions Internationales. Pour autant, ce rôle indéniable des institutions internationales est-il pleinement rempli ? D'abord, comme l'a rappelé Louis Michel, les pays en développement dépend presque entièrement des financements occidentaux. Certains accusent même les OI de manquer de légitimité : on a l'exemple du directeur de la Banque Mondiale traditionnellement américaine, et de celui du FMI, européen. Au FMI par exemple, la prise de décision se fait à la majorité qualifiée : en disposant chacun de 15% des droits de vote, l'Europe et les Etats-Unis y disposent de fait d'un droit de veto sur les décisions prises. On aurait donc une gouvernance internationale parfaitement illégitime, ce qui est d'autant plus flagrant avec les mesures du Conseil de Sécurité des Nations Unies qui peuvent avoir un impact économique. De surcroît, les règles prônées par l'OMC, notamment la clause NPF, sont très peu respectées par les Etats fondateurs : combien de fois l'Europe et les Etats-Unis ont-ils été condamnés par l'OMC, l'une et l'autre pour leurs subventions agricoles ? En outre, l'on a vu que les institutions internationales étaient le produit de leur temps : un temps de guerre froide. Cela explique les propos de Stiglitz assez durs à leur égard : « Le problème, ce n’est pas la mondialisation mais les institutions économiques internationales, notamment le FMI, qui ont imposé un certain nombre d’idées: le fanatisme du marché, une certaine vision du capitalisme à l’américaine, vu comme le meilleur, voire le seul, système économique universel ». Elles ont de fait participé à ce mythe du capitalisme libéral comme menant nécessairement à la démocratie, fait que Naomi Klein, dans son ouvrage la stratégie du choc, critique au plus haut point. Cette idée d'un possible rattrapage des pays en développement ne doit pas être abandonnée, mais si la globalisation a permis une forte croissance de certains d'entre eux, elle a aussi entraîné la mise en place de la théorie des avantages comparatifs dans une nouvelle forme – celle du modèle Hecksher-Ohlin-Samuelson – où il y aurait des pays qualifiés et des pays qui ne le seraient pas, pour faire très simple, ce que ne manque pas de rappeler Benjamin Mkapa, ancien président de la République Unie de Tanzanie : « le programme d’enseignement primaire ne donne pas forcément des compétences techniques à ceux qui suivent l’éducation de base, il n’est donc pas très surprenant que certains parents et enfants jugent l’instruction inutile et préfèrent, entrer prématurément sur le marché du travail non qualifié ». B. « Réformons les institutions internationales ». « Refondre le capitalisme », réformer les institutions internationales, telles sont les propositions suscitées par la crise. Pour reprendre la critique de Stiglitz, « certaines règles inégales du commerce, comme celle régissant la propriété intellectuelle, sont le fruit de pressions des laboratoires pharmaceutiques et de l’industrie des loisirs. Elles vont à l’encontre des intérêts de la communauté scientifique et de ceux qui se soucient de la santé et du bien-être des pauvres ». Il y a donc un premier problème au niveau de l'effectivité des règles internationales, du à la fois au lobbying des multinationales qui n'ont pas, il est vrai d'intérêt à innover si leur innovation ne leur garantit pas un monopole temporaire suffisant, mais aussi aux Etats eux-mêmes. Les plus riches, en plus de détenir le pouvoir décisionnel, préfèrent bien souvent payer des amendes que de respecter les règles qu'eux-mêmes se sont pourtant données. Le principal problème de l'économie globale reste finalement l'absence de gouvernance économique globale légitime qui fait, toujours selon Stiglitz, que « la mondialisation a été trop rapide et mal gérée ». Si gouvernance économique mondiale il y a, on peut lui faire le même reproche que celui adressé par Jean-Paul Fitoussi à la gouvernance européenne : trop de règles (qui, au demeurant, ne sont pas respectées), pas assez de choix. L'on sait de fait, dans quel sens les réformes devraient se faire. Mais pour me répéter, les institutions internationales sont des organisation basées sur la coopération, non l'intégration, avec un abandon de souveraineté relativement limité. Des règles plus respectées et issues d'un choix plus démocratique seraient ce vers quoi il faudrait tendre. « Je modifierais le système des votes. Comme les Etats-Unis sont le seul pays à disposer d’un droit de veto au sein du FMI, celui-ci reflète forcément leurs intérêts. Et comme ils sont représentés par le Trésor américain, ce sont les intérêts des milieux financiers qui priment. Je changerais aussi le système de représentation. Si le FMI ne s’occupait que de questions techniques comme les assurances, on ne trouverait rien à y redire. Mais ses politiques touchent aussi à l’éducation, à la santé, etc. Or, les populations affectées n’ont aucune voix au chapitre, absolument aucune », nous dit Stiglitz. Toutefois, on s'est bien aperçu avec la réforme proposée par Kofi Annan en 2006 pour les Nations Unies qu'une telle révolution dans la gouvernance mondiale requerrait un élan de bonne volonté de la part des Etats qui tiennent encore les rennes : « il faut qu’il y ait une reconnaissance, dans les pays du Nord, de la nature des inégalités et des problèmes mondiaux ».