« Introduction », Paroles d’en haut, p. 7-23
DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4813-3.p.0007
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INTRODUCTION
À l’heure d’une démultiplication frappante des paroles politiques
–petites phrases, discours ou tweet relas et diractés à l’envi par
le biais d’internet et des diérents médias, une plongée historienne
dans ces paroles reve, à bien des égards, de l’entreprise citoyenne. Elle
s’impose d’autant plus que ces paroles cristallisent aujourd’hui une
curiosité fascinée (pour les grands discours ou pour leurs auteurs, ces
« plumes » longtemps dans l’ombre) autant qu’une indiérence désabue
(pour une parole politique réduite à la « langue de bois »), révélatrices,
pour certains, de la crise de confiance que traversent nos démocraties.
Jeter une lumière autre sur ces paroles omniprésentes, tel était le
pari du colloque organisé à l’Université d’Orléans et au Sénat les 6 et
7décembre 2012. Pour cela, l’inscription dans le temps long s’est impo-
sée, autant qu’une définition large de l’objet: non pas les seuls discours
politiques, ces interventions cadrées et nores émanant du Prince, mais
bien les « paroles d’en haut », ces mots par lesquels les pouvoirs, qu’ils
soient religieux, administratifs ou politiques, s’adressent à leurs interlo-
cuteurs. Cet « en haut » ne doit pas tromper pour autant: l’expression
situe la source de ces paroles, mais ne les y cantonne pas. Nul cloison-
nement, nulle opposition schématique entre le monde « d’en haut » et le
monde « d’en bas », dans ce travail qui vise, bien au contraire, à rendre
les dynamiques qui entourent ces paroles et à cerner la rencontre qui
se joue, par le biais des mots mais aussi par-delà, entre les pouvoirs et
ceux auxquels ils s’adressent. Aussi le cheminement se fait-il des formes
de ces paroles à leur réception, en passant par leur fabrication et leur
mise en scène. Lui seul permet de cerner les processus par lesquels une
parole se construit, se façonne dans, et pour, un espace public ; lui seul
permet de cerner les modalis par lesquelles les individus interprètent
et reconstruisent les paroles qui leur sont oertes. Il ne le pouvait,
cependant, à nos yeux, qu’en mobilisant plusieurs disciplines, aussi les
approches historiennes se mêlent-elles aux approches linguistiques et
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littéraires. Il ne le pouvait également qu’en confrontant les regards:
ceux des chercheurs avec ceux des analystes et des praticiens. Aussi
place a-t-elle été faite aux journalistes, plumes et anciens ministres qui,
tour à tour, ont écrit, prononcé et décrypté ces « paroles d’en haut ».
C’est ainsi qu’ont été organisées deux tables rondes animées par Jean
Garrigues, l’une faisant dialoguer Chantal Jouanno et Jean-Pierre
Sueur autour de la fabrication-gestation des Paroles d’en haut, l’autre
unissant Roland Cayrol et Christine Albanel autour des questions de
réception et d’impact de ces paroles. La mise en écho des interventions
révèle ainsi toute la densité de ce qui se joue dans le « laboratoire » des
pouvoirs, en même temps que l’ampleur de ce qui leur échappe et qui
touche, en profondeur, aux processus de politisation. Elle rend ainsi, à
chacun, ces « paroles d’en haut », dans un pays où « tout Français est
gros mangeur de paroles autant que de pain. Mais tous ne mangent pas
le même pain. Il y a une parole de luxe pour les palais délicats, et une
plus nourrissante pour les gueules aamées1 ».
En 2002, un Premier ministre se réclamant de la province évoquait
son souci de prendre en considération la « France d’en bas2 » qui venait
d’exprimer son exasration en un premier tour ravageur des élections
présidentielles, un 21avril. Paradoxe, ce porte-parole du pays profond
est lui-même un pur produit des élites traditionnelles françaises
3
, fils
de ministre, ancien président de région, mais aussi ancien directeur du
marketing d’une grande entreprise privée. Une décennie plus tard, la
question de la fracture des élites financières, administratives et politiques
et des citoyens reste très présente, avec le contraste saisissant entre le
ot de la parole publique délivrée d’en haut et le silence réprobateur
du peuple croissant des abstentionnistes4. En France, pays des passions
1 Romain Rolland, Jean-Christophe, 2e volume de La fin du voyage, Buisson ardent, TomeI,
Cahiers de la Quinzaine, 1910, p.1277.
2 Sylvianne Rémi-Giraud, « France d’en haut/France d’en bas: Raarin tout terrain »,
Mots. Les langages du politique, 77, 2005, p.93-105. Frédéric Monier et Jens Ivo Engels, La
politique vue d’en bas. Pratiques privées et débats publics: 19e-20esiècles, Paris, Armand Colin,
2012.
3 Pierre Birnbaum, Les sommets de l’État. Essai sur l’élite du pouvoir en France, Paris, Le Seuil,
1970. Pierre Legendre, Miroir d’une nation. L’ENA., Paris, Mille et une nuits, 1999.
4 Sur le phénomène de l’abstentionnisme, voir le classique d’Alain Lancelot, Labstentionnisme
électoral en France, Paris, Presses de Sciences Po-Armand Colin, 1968 ; Anne Muxel,
« Abstention: défaillance citoyenne ou expression démocratique ? », Cahiers du Conseil
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INTRODUCTION 9
politiques, la parole publique « n’est pas seulement comme ailleurs, un
moyen de se communiquer ses idées, ses sentiments et ses aaires1 »,
c’est une « espèce d’arme à bout portant
2
», un instrument éminemment
politique qui suscite l’enthousiasme des foules, le grondement du peuple
ou le silence des isoloirs3. Cette parole d’en haut laisse le plus souvent
dans l’oubli les « plumes de l’ombre », soutiers de la parole politique,
du Parlement et des ocines locales, tous ces scribes qui fabriquent,
mettent en scène, assurent la diusion et préparent la bonne réception
des dits et écrits de leurs patrons4.
Les laboratoires IRAMAT et POLEN de l’universid’Orléans et le
CHPP ont souhaité saisir cette actuali, en lui redonnant la profondeur
de champs nécessaire à la réflexion, à la mise en perspective historique.
Il y a bien des raisons à cela, en dehors du fait avéré qu’à Orléans, des
paroles venues de très haut ont eu des conséquences politiques nationales,
que des rumeurs se propagent et que la parole publique porte, de Péguy
à Jean Zay5, en passant par la parole universitaire de Pothier6 et par la
parole épiscopale de Dupanloup.
Préciment, l’origine de ce projet est liée aux étudiants, à une
formation spécialisée de master, Conseil Politique et Communication,
devenue en 2011 Métiers de l’Accompagnement Politique / Conseil-
Assistanat-Rédaction (MAPCAR), qui leur est destinée, originale à
plus d’un titre, à cheval sur deux UFR, au carrefour de disciplines
universitaires et du monde professionnel des collectivités publiques, de
la politique locale et de la communication. La présence, depuis 20 ans,
d’un institut universitaire professionnalisé collectivités territoriales et celle
de nombreux chercheurs travaillant sur la parole politique et les normes
assuraient d’emblée la faisabilité scientifique de ce projet de colloque
constitutionnel, « La citoyenneté », no 23, février 2008 ; Laurent Jorin, « Quand les fils à
papa rêvaient de servir l’État », Revue Charles, « Sciences Po la fabrique des élites », no 5,
printemps 2013.
1 Germaine de Staël, De l’Allemagne, I, XI, Londres, 1813/Paris, Firmin-Didot, 1881.
2 Honoré de Balzac, Albert Savarus, Œuvres, tomeI, Paris, Furne, 1842.
3 Jean-Marcel Jeanneney, Écoute la France qui gronde !, Paris, Arléa, 1996.
4 Antoine Buéno, « Les Dix commandements du nègre politique », Revue Charles, « Les
Ouvriers de la politique », no 3, octobre 2012.
5 Olivier Loubes, Jean Zay, l’inconnu de la République, Paris, Armand Colin, 2012.
6 Robert Feenstra, « Rayonnement et influence de l’enseignement du droit à Orléans », in
L’université d’Orléans. 1306-2006, regards croisés sur une histoire singulre, Orléans, PUO,
2008, p.37-43.
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10 PAROLES D’EN HAUT
qui s’est proposé de réfléchir autour des paroles du pouvoir, des discours
oraux ou écrits, émis par des locuteurs autorisés ou ociels. Nous avons
souhaité embrasser largement la « parole d’en haut » en décloisonnant
à la fois les frontières du politique et des périodes chronologiques, à la
recherche, sans doute, de « concordances des temps », des premières lois
grecques au petit écran de nos « étranges lucarnes1 ».
Nous avons poussé la symbolique du local et du national jusqu’à la
partition des deux journées entre un lieu de paroles universitaires en
province, à vrai dire dans le domaine royal, et une enceinte parlemen-
taire nationale, le Sénat, en approchant d’abord la diversité des formes
de paroles d’en haut2, puis la fabrication des discours3. On sait depuis
la Grèce que la politique et le théâtre ne sont jamais étrangers, que la
mise en scène de la parole est une préoccupation commune.
Sous la monarchie orléaniste, « moment » du déploiement de la parole
parlementaire et journalistique, Cormenin, publiciste, pamphlétaire,
maire et député du Loiret, à la fois légitimiste et démocrate, introduit
son Livre des orateurs en armant que: « Peindre les orateurs, c’est
écrire l’histoire. [
] L’éloquence est l’art d’émouvoir et de convaincre.
J’ai dû rechercher d’abord les causes qui constituent, dans chaque pays,
l’éloquence parlementaire, d’après le caractère de la nation, le génie de
la langue, les besoins sociaux et politiques de l’époque, la physionomie
de l’auditoire », les professions qui y disposent, les classifications des
orateurs et ses auxiliaires, la tactique, la diction et le port, et comparer
l’éloquence parlementaire avec les autres genres d’éloquence: « l’éloquence
de la presse, l’éloquence de la chaire, l’éloquence du barreau, l’éloquence
délirative des conseils d’état, l’éloquence ocielle, l’éloquence en plein
air, l’éloquence militaire4 ».
Comment approcher au plus près cette parole d’en haut, ces mots
publics destinés aux citoyens d’en bas, paroissiens, administrés,
1 À l’occasion de l’ouverture de l’Historial Charles de Gaulle aux Invalides, l’Inaet la
Fondation Charles de Gaulleont décidé de s’associer pour réaliser un site internet de
référence sur « la parole gaullienne ».
2 Marc du Pouget (dir.), « Paroles de préfets », Revue de l’académie du Centre, Chateauroux,
1999.
3 Jean Garrigues (dir.), Les grands discours parlementaires de la Troisième République. Vol.I:
De Victor Hugo à Clemenceau. Vol.II: De Clemenceau à Léon Blum, Paris, Armand
Colin, 2004.
4 Timon (pseud. de Louis-Marie de Lahaye de Cormenin), Livre des orateurs, Paris, Pagnerre,
1842, p.1.
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