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Quelle responsabilité sociétale pour les entreprises tunisiennes cotées ?
Ezzeddine BOUSSOURA, Doctorant en Sciences de Gestion
UREMO, IHEC Carthage
LEG-FARGO, Université de Bourgogne
Email : ezzeddine.boussoura@ihec.rnu.tn
Olfa ZERIBI BENSLIMANE, Maître de Conférences Agrégée
UREMO- IHEC Carthage
Résumé
Cette contribution présente et discute les résultats préliminaires d’une enquête menée auprès
des entreprises tunisiennes cotées portant sur leurs pratiques de responsabilité sociétale des
entreprises. Elle vise essentiellement à identifier les représentations qu’ont les dirigeants
tunisiens du comportement responsable de leur entreprise par rapport à un modèle de
responsabilité sociétale des entreprises (RSE) de référence qui est celui de Carroll (1979).
Il est également question dans ce papier, de procéder par des analyses différenciées par
secteur d’activi et par taille pour identifier la priorité accordée à chacune des quatre
dimensions. Nos résultats confirment la quadridimensionnalité de la RSE avec une dominance
de l’aspect gal. Le secteur d’activité et la taille ont tendance à faire modifier l’ordre de
priorité accordé à chacune des dimensions.
Mots clés : Responsabilité sociétale des entreprises, entreprises cotées.
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Introduction
Le concept de responsabilité Sociétale des Entreprises
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(RSE) a une histoire longue et variée
(Carroll, 1999). Il est possible de considérer les discours contemporains sur la responsabilité
sociétale, dont devrait faire preuve une entreprise, comme un prolongement de réflexions qui
se sont développées durant les années cinquante avec Bowen (1953). Depuis ce temps, le
concept a commencé à s’imposer dans le domaine Business and Society et Business Ethics
comme un champ d’investigation à part entière et on assiste à l’éclatement des travaux
cherchant à définir et à conceptualiser cette notion. Néanmoins, l’appropriation par les
chercheurs du vocabulaire issu de la RSE semble indiquer une absence flagrante quant à la
signification et les différents aspects couvets par le concept. Plusieurs définitions, modèles et
mesures voire des théories de la RSE ont été avancées, avec peu de consensus en la matière.
Notre attention sera portée, dans le cadre de ce travail, à la conceptualisation pionnière de la
RSE développée par Carroll (1979), faisant décliner la responsabilité sociétale en quatre
composantes : économique, éthique, légale et philanthropique (ou discrétionnaire), pour
déceler les pratiques sociétales des entreprises tunisiennes cotées. Nous cherchons en
particulier à identifier les représentations qu’ont les dirigeants tunisiens du comportement
responsable de leur entreprise par rapport à ces quatre dimensions. Il est également question
dans ce papier, de procéder par des analyses différenciées par secteur d’activité et par taille
pour détecter la priorité accordée à chacune des quatre dimensions
Notre travail s’inscrit dans la continuité des recherches portants sur le concept de RSE,
ancrées dans la littérature anglo-saxonne depuis une cinquantaine d’années et en particulier
dans le domaine « Business Ethics » et « Business and Society » (Carroll, 1979 ; Wood, 1991 ;
Clarkson, 1995).
L’originalité de l’approche réside principalement dans la tentative de transposer, tout en
adaptant, une conceptualisation anglo-saxonne de la RSE dans le contexte spécifique du pays
émergent.
Après avoir donné un bref aperçu sur le concept de RSE en mettant en valeur ses mutations
sémantiques ou son évolution graduelle dans la littérature, nous présenterons, dans une
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Dans ce travail, nous privilégions la traduction responsabilité sociétale, à la place de responsabilité sociale, du
terme anglo-saxon « Corporate Social Responsibility », puisqu’il fournit une version plus ou moins globale de
l’ampleur du concept et désigne les responsabilités de l’entreprise à l’égard de multiples « Stakeholders » (y
compris l’environnement écologique), au-delà des relations employeurs/employés préconisées par le terme
social.
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seconde partie, les résultats de notre recherche avec des interprétations et des commentaires
puisées des travaux antérieurs.
1. RSE, quel ancrage théorique ?
1.1. RSE, quel ancrage historique ?
Donner au concept de la RSE une définition exacte est un exercice aussi complexe que
périlleux, c’est bel et bien une notion aux contours flous. Plusieurs chercheurs ont tenté
depuis une cinquantaine d’années de fournir des définitions du concept sans pour autant qu’un
consensus ne se gage (Bowen, 1953 ; Davis, 1960; McGuire, 1963; Jones, 1980;
Friedman, 1962; Manne, 1972; Preston et Post, 1975 ; Carroll, 1979; Wartick et Cochran,
1985; Wood, 1991; Swanson, 1995; Clarkson, 1995 ; Husted, 2000). En effet, le concept a
une histoire longue et variée (Carroll, 1999), il semble possible de situer les discours
contemporains dans le prolongement d’un ensemble de réflexions qui se sont développées
depuis les années 1950 avec Bowen (1953) considéré être le père fondateur du concept.
Il est toutefois pertinent de signaler que la notion de RSE sous sa forme élémentaire s’insère
dans des débats encore plus anciens. La préexistence implicite du concept s’enracine dans des
développements antérieurs datant des années 30 et 40. L’idée que l’entreprise doit gérer les
dimensions sociétales de son environnement s’enracine dans un ensemble de réflexions plus
antiques. Les travaux de Bernard (1938) « the Fonctions of the Exécutive » portant sur
l’importance du rôle social du dirigeant qui va au delà de la recherche de profit, l’article
fondateur de Clark (1939) « Social Control of Business » introduisant la notion d’éthique
organisationnelle, ou encore celui de Kreps (1940) « Mesurement of Social Performance of
Business », représentent les réflexions originelles qui vont donner naissance à la RSE sous sa
forme actuelle.
Un retour historique sur les origines implicites du concept de RSE montre que la religion a
exercé une influence tout à fait significative sur cette notion. Bowen (1953) reconnaît lui-
même le rôle central joué par les religions protestante et catholique dans la formation et la
diffusion de la notion américaine de RSE. En effet, les premiers discours et théorisations de
la responsabilité sociale du 20ème seront largement marqués par les concepts protestants de «
public service », et de « stewardship ». Ces concepts stipulent l’idée d’un contrat implicite,
caractérisant la relation entre l’entreprise et la société. Elles reposent sur la conviction que la
propriété n’a rien d’un droit absolu et inconditionnel et qu’elle ne peut être justifiée que dans
la mesure l’administration privée des biens permet d’accroître le bien-être de la
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communauté. Tout propriétaire a donc pour devoir de satisfaire les besoins de la société dans
son ensemble, dans la mesure il doit répondre de ses actes devant Dieu et la société
(Acquier et al., 2005).
1.2. RSE, quelle mutation sémantique ?
Le concept de RSE a fait l’objet de plusieurs tentatives de définitions, se situant chacune dans
une perspective bien spécifique et renvoyant à une approche bien déterminée. Ce qui rend la
tentative d’établir une grille une tâche difficile. Néanmoins, pour parvenir à dresser un état de
l’art des discours véhiculés, il est pertinent de porter notre intérêt aux évolutions et aux
mutations sémantiques (au sens de Gond et Mullenbach, 2004) subies par le concept au cours
de sa genèse. Gond et Mullenbach (2004) évoquent trois phases majeures marquant
l’élargissement des conceptions qui s’opèrent à travers l’accumulation progressive des
connaissances autour de la RSE. On assiste, d’une part, à un passage d’une vision restreinte
centrée sur les obligations ou les principes de la RSE à une vision axée sur les processus qui
privilégie les actions de réponse aux pressions sociétales ou « Corporate Social
Responsiveness », et d’autre part, à l’émergence d’une nouvelle conceptualisation plus élargie
(performance sociétale des entreprises (PSE) ou « Corporate Social Performance ») qui
intègre, en plus des principes et des processus, les résultats des comportement soctaux.
La première conceptualisation renvoie aux discours qui portent sur les principes ou la portée
(contenu) de la RSE. On retrouve ici les différentes définitions qui :
- situent la RSE dans une optique économique ou de profit (Friedman, 1962, 1970) ;
- s’interrogent sur les engagements auxquels l’entreprise est tenue et qui vont au delà des
obligations légales, contractuelles (Bowen, 1953 ; Jones, 1980 ; McGuire, 1963 ;
Backman, 1975 ; Davis, 1960) ;
- mettent l’accent sur les principes de la responsabilité publique des entreprises (RPE)
qui impliquent un double engagement (primaire et secondaire) envers la société
(Preston et Post, 1975)
- et finalement, privilégient le caracre volontaire de la RSE (Manne et Wallich,
1972 ; Carroll, 1979 ; Jones, 1980 ; Frederik, 1994),
La deuxième phase est une phase transitoire qui retrace la migration des discours vers la
notion de sensibilité sociétale ou la « Corporate Social Responsiveness ». Cette nouvelle
représentation, qui décrit la capacité d’une firme à répondre aux pressions sociétales (Carroll,
1979), relève d’une vision processuelle. On ne s’intéresse plus à la RSE en tant que contenu,
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mais en tant que processus de réponse. Frederick (1994) souligne que les définitions ne sont
plus axées sur ce qu’il est important de faire mais sur la manière d’agir.
La troisième phase marque l’intégration de l’ensemble des conceptualisations antérieures
(principes et processus) au sein de la notion de performance sociétale des entreprises (PSE).
C’est effectivement à Carroll (1979) que l’on doit cette approche intégrée qui s’impose dans la
litrature comme référence incontournable.
La PSE serait, selon ce modèle, « une configuration organisationnelle de principes de
responsabili, de domaines sociaux se posent des problèmes et de philosophies de
réponse face à ces problèmes sociaux ».
Les principes de la RSE (la première composante du modèle) représentent « ce que la
société attend des organisations en matière économique, légale, éthique et volontaire, à un
moment donné » (Carroll, 1979, p. 500).
Ces quatre dimensions se définissent selon les termes de l’auteur de la façon suivante :
1. La dimension économique repose sur les fondements du régime capitalistique (Friedman,
1962, 1970). En effet, la firme doit répondre aux exigences de la société en terme de
production de biens et services, en contre partie de la génération d’un profit.
2. La dimension légale consiste en un respect total de la législation en vigueur, la société
exige que l’entreprise réalise sa mission dans un cadre légal.
3. La dimension éthique renvoie à un ensemble de normes éthiques qui régissent tous les
comportements. C’est la dimension qui est la plus importante selon Carroll.
4. La dimension discrétionnaire fait référence aux comportements volontaires suivis par
l’entreprise, c'est en fait les actions sociétales entreprises par l’entreprise sans obligations
légales ou éthiques (Ex. les donations aux charités).
Plus tard, Carroll (1991) établie une pyramide retraçant la priorité accordée à chacune des
responsabilités. La responsabilité économique constitue le socle, la base sur lequel repose les
autres dimensions et qui est indispensable à la survie de l’entreprise. La responsabilité légale
constitue le deuxième niveau de contrainte, et exigé par la société. La responsabilité éthique
occupe le troisième niveau. C’est le niveau fondamental pour cette fondation selon Carroll. Le
niveau ultime constitue la dimension philanthropique. L’entreprise se doit être généreuse et se
voit appelée à allouer une part de ses ressources à la collectivité.
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