Présentation de l’ouvrage J’ai envie de savoir
Bruno HUBERT, Fred POCHE, Les Editions de l’atelier, 2001
Ce livre se présente sous la forme d’un échange de lettres avec un ami philosophe
professeur à l’Université Catholique de l’Ouest et relève de la démarche d’histoire de vie :
« J’aimerais, à travers quelques échanges de lettres, que nous parlions de ce qui nous fait vivre, principalement à
travers cette passion commune pour la connaissance. » (page 8) m’a proposé Fred Poché. Il s’agissait
pour chacun d’interroger son rapport au savoir en le confrontant à celui de l’autre, sachant que
nous avons une différence fondamentale : lui est chrétien, je suis pour ma part athée. Ce livre
prend en compte le caractère dialogique de l’acte de parole qui, oral ou écrit, est adressé à un
interlocuteur. Prennent place ici les notions de co-production, de co-investissement
1
selon
lesquelles le récit se construit dans la relation à autrui : il est fait pour et avec quelqu’un, il
postule la coopération d’un autre que sa présence interactive constitue en co-auteur. Les
singularités de la vie et les leçons des livres ne prennent sens que dans leur confrontation :
« Chacun d’eux se construit de page en page, de lettre en lettre, en fonction de la réaction du partenaire. Le
lecteur comprend vite qu’il n’est pas témoin de l’un sous l’influence de l’autre, mais qu’il assiste à la
métamorphose simultanée de l’un et de l’autre par la magie de l’entrelacs de leurs pensées, de leurs doutes
partagés, de leurs interrogations. »
2
Il s’agissait bien d’entrer dans une démarche d’analyse à partir
du récit fait à un pair, de retrouver après coup une cohérence derrière l’enchaînement des
événements, sans prétention d’expertise, mais en se revendiquant comme sujet capable de se
dire et d’écouter l’autre, l’énonciateur derrière l’énoncé. Sous l’impulsion de l’écriture de
l’autre, des interrogations engendrées par son histoire, nous avons cherché à comprendre
chacun notre propre histoire : « Chaque objet n’a d’existence que dans son rapport à l’autre, notamment à
cet “objet” particulier qu’est l’observateur, celui qui veut savoir, qui cherche à comprendre. Rien n’a de réalité en
soi. »
3
J’ai pu ainsi éprouver la discontinuité du temps et que l’individu ne se construit pas
sur un axe de progrès où chaque étape serait à la fois le dépassement et l’accomplissement des
précédentes: « Lorsque tu évoques la mémoire, je pense aussi à son rapport à l’identité. Se souvenir, faire
mémoire ”, c’est éprouver un certain maintien de soi, une continuité. C’est mesurer que, malgré les divers
changements (le temps, les relations, les événements…), l’on est toujours la même personne. »
4
1
PINEAU Gaston et Marie-Michèle, Produire sa vie : autoformation et autobiographie. Montréal, Editions coopératives
Albert Saint-Martin, 1983
2
JACQUARD Albert in HUBERT Bruno, POCHE Fred, J’ai envie de savoir, op.cit., postface
3
HUBERT Bruno, POCHE Fred, J’ai envie de savoir, ibid op. cit., p. 93
4
Idem, p. 25
Au travers de cet échange j’ai véritablement pris conscience que le rapport au savoir
s’inscrivait dans l’histoire de vie pour peu qu’on ait l’occasion de déchiffrer son récit de vie.
Fred Poché relie sa curiosité intellectuelle à son institutrice du cours préparatoire qui pensait
qu’il n’était pas capable d’apprendre à lire : « Ce goût pour le savoir, cette passion d’apprendre, cette
boulimie de lecture que j’ai aujourd’hui n’est sans doute pas sans lien avec cet accroc que j’ai eu dans le pull-
over de mon existence. »
5
On perçoit des différentes anecdotes qu’il raconte, comment il inscrit
son choix de la philosophie dans son histoire individuelle et comment sa vision de la
philosophie semble directement héritée de cette histoire du sujet : « La philosophie, c’est aussi
cela : des occasions de sortir de la quotidienneté. De poser les questions fondamentales de notre existence. »
6
Quand Fred Poché se définit à la fin des échanges comme « ouvrier de la pensée » il revendique
son histoire, sa tradition, sa famille catholique et ouvrière ; tout le récit participe au maillage
de cette identité, de cette identité professionnelle, de ce rapport au savoir.
En ce qui me concerne, mon rapport au savoir est aussi à rechercher dans mon histoire
familiale : « Mon enfance ressemble à celle de Marcel Pagnol et de François Seurel. J’en ai gardé une
curiosité quasi encyclopédique, comme si tout se complétait à merveille dans l’équilibre du monde. C’était un peu
un gigantesque jeu de construction dont mes parents me fournissaient les pièces. Je sais maintenant que, si je
suis enseignant aujourd’hui, c’est parce que je ressens toujours l’esprit qui régnait dans cette classe, parce que,
pour moi, la joie de vivre reste inséparable du bonheur d’apprendre, parce que je veux que la fête continue. »
7
Chez moi il n’y a pas d’un côté les apprentissages formels de l’école et de l’autre ceux
informels de la vie quotidienne, car les deux ont toujours été confondus dans mon histoire
personnelle ; la vie toute entière s’est vélée apprentissage. J’habitais l’école, elle était pour
moi aussi bien le lieu de l’apprentissage du participe passé qu’un territoire de jeux avec mes
frères, parsemé d’autres apprentissages : le vélo, les plantations de glands ou les combats
d’épée… Je n’ai jamais ressenti, sauf dans mon parcours de collégien et de lycéen, cette
dichotomie entre l’école et la vie, et c’est ce rapport à l’apprentissage que j’ai essa
d’impulser comme professeur : « ce qui m’intéresse, c’est qu’à leur tour, mes élèves soient capables de
dire je”, qu’ils prennent conscience que l’apprentissage se poursuivra bien après l’école »
8
Ce rapport à
l’école et au savoir s’est consolidé dans le début de mon parcours professionnel où j’ai exercé
notamment dans des classes maternelles ; difficile avec les petits de concevoir le scolaire
comme un espace seulement dédié aux savoirs formels ! : « Si ce que l’on propose ne les intéresse
pas, ils vont rapidement monter sur les tables ou courir partout. A ce niveau, il est évident que les connaissances
5
HUBERT Bruno, POCHE Fred, ibid op. cit.,, p. 19
6
Idem p. 20
7
Idem p. 15
8
Idem p. 22
construisent un véritable rapport au monde et aux autres. Ces petits élèves m’ont fait comprendre qu’on
n’apprend pas sans enthousiasme, qu’il ne faut pas faire semblant, et qu’à cette condition, l’école devient une
aventure. »
9
Quand je suis devenu professeur de Français, j’ai gardé en moi cette conception de
l’école, ce qui a eu une influence sur mes pratiques ; quand j’abordais de nouvelles classes,
j’ai souvent été frappé par leur représentation de ma discipline : le Français, c’était écrire
sans fautes d’orthographe ou pondre à des questions sur un texte, mais rarement une aide à
déchiffrer le monde extérieur, une aide pour mieux vivre.
Cette publication a constitué pour moi une expérience irremplaçable d’une part pour
mieux saisir comment au fil de ma vie j’ai veloppé un rapport au savoir qui m’est propre,
d’autre part parce que mon intérêt pour l’histoire de vie comme outil de formation date de
cette expérience personnelle. J’ai pris conscience de l’intérêt de ce retour sur soi dans la
construction de son identité, de son identité professionnelle, de son rapport au savoir et à
l’école, par conséquent de la contribution que pourrait apporter une telle démarche dans le
cadre de la formation des professeurs.
9
HUBERT Bruno, POCHE Fred, ibid op. cit., p. 22
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