LA REFORME L'unité apparente de l'Église au Moyen Âge prend fin avec la Réforme protestante que Martin Luther instaure en Allemagne puis que Calvin prolonge. L'Europe plonge alors dans cent cinquante ans de guerres de Religion. En 1500, l'Église catholique domine l'Europe centrale et occidentale après avoir réussi à surmonter les oppositions des lollards en Angleterre, des hussites en Bohême et de plusieurs autres mouvements religieux dissidents. Mais de nombreux signes de désaccord continuent à apparaître qu'elle ne parvient pas à juguler. Les opposants de l'Église catholique ont plusieurs griefs à l'égard de celle-ci, dont le principal était son immense richesse et la corruption qu'elle entraîne. Des changements comme celui de l'établissement du pape en Avignon et le grand schisme d'Occident (la double papauté à Rome et en Avignon) ont entamé son autorité et plusieurs papes de la Renaissance semblent davantage s'attacher au pouvoir et aux biens matériels qu'à mener une vie conforme aux commandements de la Bible. Ces privilèges, légaux ou usurpés, dont bénéficie le clergé, ainsi que sa position dominante dans la conduite du culte où les laïcs ne sont que de simples spectateurs, suscitent un réel ressentiment. Dans le même temps, la communauté des laïcs, elle, s'enrichit, se cultive et aspire à jouer un rôle plus actif dans la vie religieuse. Si l'utilisation exclusive du latin limite de fait la lecture et la connaissance de la Bible, un désir d'une forme de culte plus simple, plus personnelle et moins ostentatoire - comme devait le pratiquer les premiers apôtres du christianisme - apparaît cependant peu à peu. Dans un tel contexte, la crise religieuse en Europe est inévitable. Martin Luther (1483 - 1546) est l'homme qui déclenche cette crise. Moine augustin, professeur à l'université de Wittenberg en Saxe, Luther, malgré sa culture et ses grandes connaissances, reste confronté à un profond conflit spirituel sur la certitude de son salut. Pour lui, le salut n'est possible que par la foi et la foi est un don de Dieu qui ne peut s'acheter. Cette idée fondamentale, apparemment simple, est en fait à l'époque hérétique puisqu'elle implique que toutes les cérémonies et pratiques prescrites par l'Église pour aider au salut sont inutiles. I. Les origines de la Réforme et ses fondements. La "justification par la foi" devient la clé de voûte de la doctrine luthérienne. Elle n'impose pas forcément en elle-même un conflit ou une rupture au sein de l'Église. Jeune prêtre augustin encore inconnu du public, Luther n'exerce aucune influence particulière. Sa conception du salut peut encore être prise comme une interprétation, certes stricte, mais encore acceptable par Rome qui tolère diverses interprétations des Écritures. Le conflit avec la hiérarchie catholique dépend plutôt de l'attitude de Luther : ou bien il prêche sa doctrine modestement sans attirer l'attention sur lui, ou bien il la rend publique. En fait, la rébellion initiale de Luther porte sur un autre point : les indulgences, ces documents que les fidèles peuvent acheter pour s'acquitter des pénitences que le clergé leur impose pour laver leurs péchés. Cette pratique offre une source de revenus importante aux dirigeants de l'Église et suscite de nombreux abus. À l'époque de Luther, pour certains, l'achat d'une indulgence mettait fin aux souffrances de leur famille ou de leurs amis au purgatoire (endroit où les âmes des morts expient leurs péchés avant d'être admises au paradis). En 1517, un frère dominicain du nom de Johannes Tetzel (v. 1465 - 1519) vendait des indulgences en déclarant sans vergogne aux fidèles crédules : "Dès que l'or sonne dans la bassine, l'âme s'envole directement au paradis." En octobre 1517, Luther rencontre des hommes persuadés que les simples morceaux de papier qu'ils détiennent peuvent les sauver de la colère divine. Luther est si furieux qu'il affiche sur la porte de l'église de Wittenberg une déclaration en latin dénonçant en "quatre-vingt-quinze thèses" le système des indulgences. C'est ainsi qu'un lettré faisait connaître à cette époque son opinion sur une question théologique et invitait à en débattre. Mais cette attaque de Luther rencontre un plus large écho que les cercles savants et ses idées se propagent à une vitesse incroyable grâce à l'invention récente de l'imprimerie. Des milliers de pamphlets et de livres sortent des presses et donnent une ampleur insoupçonnée aux débats de doctrine du XVI e siècle, qui ont des répercussions fondamentales dans le monde. Les dirigeants de l'Église interprètent alors la position de Luther comme une remise en cause de leur autorité légitime mais ils ne parviennent pas à le réduire au silence par des menaces. Porté par une vague de soutien populaire, Luther précise ensuite ses idées et élargit le champ de ses attaques. Plus tard, il franchit une étape décisive en rejetant l'autorité infaillible du pape et les traditions de l'Église, affirmant que seules les Écritures saintes - la Bible - font autorité pour la foi et la pratique chrétiennes. Puisque de nombreuses doctrines et pratiques de l'Église catholique ont été instaurées à des époques post-bibliques (et sont donc pour Luther corrompues ou empreintes de superstition), il faut retrouver une religion entièrement réformée. II. L’extension de la réforme de Luther : La diète de Worms En 1520, Luther est menacé d'excommunication à moins de se rétracter publiquement. En 1521, il comparaît devant la diète (assemblée) impériale de Worms, présidée par le jeune empereur du Saint Empire romain germanique, Charles Quint. Luther y fait une très vibrante déclaration de foi terminant son intervention par la formule : "Je ne puis autrement. Que Dieu me vienne en aide." Malgré son plaidoyer, il est condamné par la diète. Mis au ban de l'Empire, excommunié par l'Église, Luther trouve refuge au château de la Wartburg appartenant à son protecteur Frédéric III de Saxe. Il traduit le Nouveau Testament donnant à la langue allemande sa première grande œuvre. Ce travail de traduction des Écritures en langues vernaculaires (propres à un pays) mené par Luther et d'autres disciples de la Réforme est très important : dans les pays protestants, les petites gens ont pu lire eux-mêmes "la Parole de Dieu" et, surtout, le but ultime de cette traduction était de répandre la lecture de la Bible de façon à ce qu'elle influence les discours et la pensée de chaque jour pendant des siècles. Quelques années plus tard, Martin Luther fonde une Église qui incarne la renaissance de l'Église originelle, non corrompue, face à l'Église catholique. L'office luthérien se déroule dans un lieu sobre, il est dit en allemand et le culte est simplifié. En fait, plus Luther explique et développe sa position, plus il apparaît que tout le cérémonial et l'appareil institutionnel de l'Église doit être supprimé ou modifié. Le nombre des sacrements est réduit de sept à trois, la messe devient essentiellement une cérémonie de commémoration et les prêtres ne sont plus des êtres à part et sont autorisés à se marier. Les monastères et les couvents sont dissous. Luther épouse une ancienne nonne, Katharina von Bora, en 1525.De nombreux aspects du christianisme médiéval disparaissent, notamment la prière aux saints et à la Vierge Marie, ainsi que la confession, les indulgences, les pèlerinages et la vénération des saintes reliques. III. L'appui des princes sauve Luther Luther évite les conséquences du bannissement et de l'excommunication grâce à la protection de plusieurs princes allemands, notamment ceux de Saxe et de Hesse. Même si les princes se convertissent par conviction religieuse, ils en tirent des avantages matériels. En effet, ils peuvent s'approprier les biens de l'Église et prendre sous leur coupe l'Église luthérienne. N'ayant aucun protecteur contre l'Empereur et l'Église catholique, Luther n'a d'autre choix que de soutenir l'autorité princière de l'État comme autorité suprême. Cette évolution apparaît très nettement quand la réforme religieuse entreprise par Luther fait naître des idées et des mouvements plus radicaux. En 1524 - 1525, des révoltes paysannes éclatent en Allemagne centrale et méridionale : Luther les dénonce avec véhémence, craignant d'en être rendu responsable, et publie même en 1525 une Exhortation à la paix . Au même moment, le radicalisme religieux et social conduit aux positions extrêmes des anabaptistes qui rejettent le baptême de l'enfant et réclament la communauté des biens. Ils ont été férocement persécutés. IV. La guerre religieuse en Allemagne L'affrontement entre catholiques et luthériens en Allemagne est inévitable, avec des succès divers. En 1529, les princes luthériens et des villes libres protestent contre la décision de Charles Quint, prise lors de la deuxième diète de Spire, cherchant à leur enlever la liberté religieuse qu'il leur avait concédée lors de la diète de 1526. De cette réaction vient le nom de "protestant", qui désigne depuis tous ceux qui pratiquent la religion réformée. L'Église luthérienne, souvent en grand péril, ne réussit à s'implanter que parce que Charles Quint ne consacre pas tous ses efforts à combattre l'hérésie. En fait, les princes allemands, qu'ils soient protestants ou catholiques, ne souhaitent nullement que Charles Quint devienne trop puissant. Pour la même raison, la France catholique est prête à s'allier aux luthériens afin d'affaiblir la puissance impériale. Luther meurt en 1546 à Eisleben, mais les guerres continuent en Allemagne jusqu'à la signature de la paix d'Augsbourg en 1555. Cette paix consacre le partage de l'Allemagne entre le luthéranisme et le catholicisme. Elle montre aussi que les Européens sont encore loin de l'idée de tolérance : dans chaque État, c'est le prince qui choisit la religion et l'impose à ses sujets. À cette époque, la plus grande partie du nord de l'Allemagne est luthérienne et le luthéranisme devient la religion officielle des États scandinaves. En Suisse, Ulrich Zwingli (1484 - 1531) introduit en 1522 - 1523 à Zurich une légère variante de la religion réformée : il est en désaccord avec Luther sur certains points doctrinaux. De fait, les divisions religieuses se multiplient à travers l'Europe. En Angleterre, c'est le roi Henri VIII qui rompt avec le pape et se proclame chef de l'Église d'Angleterre. Après une période de changements et de revirements, la reine Élisabeth Ire qui accède au trône en 1558 institue définitivement l'Église anglicane. L'avènement du calvinisme Le protestantisme devient non seulement la religion officielle de ces États mais, au milieu du siècle, il s'étend aussi à l'Écosse, à la France, aux Pays-Bas, à la Lituanie et à la Bohême. Dans ces pays et dans d'autres régions où l'issue du conflit est encore incertaine, le luthéranisme débouche sur une forme de protestantisme plus austère et plus militante : le calvinisme, fondé sur les enseignements issus du livre du Français Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne (1536). Calvin (1509 - 1564) est encore plus influent après 1541, lorsqu'il s'installe dans la cité-État de Genève, en Suisse, et la transforme en une "cité de Dieu", considérée par de nombreux protestants comme un modèle de société. Calvin affirme que le salut (ou la damnation) ne relève pas du choix humain mais qu'il est décidé à l'avance par Dieu. Les "Élus" sont ceux que celui-ci a choisi de sauver. Malgré son pessimisme apparent, cette doctrine de la prédestination incite les calvinistes à se conduire comme s'ils faisaient partie de ces élus, s'obligeant ainsi à un niveau élevé de moralité et de discipline. Le calvinisme se caractérise aussi par son organisation, qui, au lieu de permettre à l'État de gouverner les Églises, donne le pouvoir religieux, politique et social au pasteur et à la congrégation. L'État calviniste idéal est - à l'instar de la ville de Genève - une théocratie dans laquelle l'Église dirige l'État et contrôle de nombreux aspects de la vie quotidienne. La rigueur et l'autodiscipline des calvinistes les rendent inébranlables face à la persécution et en font des combattants déterminés et courageux dans les conflits religieux. On les appelle souvent "les troupes de choc de la Réforme". Face au défi du protestantisme, l'Église catholique, stimulée par une nouvelle poussée de zèle, lance une contre-offensive : sa propre Réforme. Le concile de Trente (1545 - 1563) redéfinit la doctrine catholique et écarte toute possibilité de compromis avec le protestantisme. La Compagnie de Jésus, fondée par l'ex-soldat espagnol Ignace de Loyola (1491 - 1556), est officiellement reconnue en 1540 et les jésuites forment à leur tour les "troupes de choc" de la Réforme catholique. L'Espagne, sous le règne du dévot Philippe II, défend alors la cause catholique à travers l'Europe. L'Europe en guerre Les guerres de Religion ont duré plus d'un siècle, jusqu'en 1648. En France, ce sont des guerres civiles entre catholiques et huguenots (protestants), où les troupes espagnoles interviennent souvent pour soutenir les catholiques (1550 - 1589). L'Espagne affronte également les hérétiques dans un conflit qui l'oppose aux Provinces-Unies en révolte et dans une guerre maritime contre l'Angleterre. Puis avec la guerre de Trente Ans (1618-1648), c'est l'Allemagne qui redevient le théâtre principal des opérations. Le Danemark, la Suède, l'Espagne, la France et d'autres États participent à un conflit où les revendications religieuses se mêlent aux stratégies politiques. Les guerres civiles d'Angleterre (1642 - 1648) illustrent à la fois d'âpres dissensions religieuses (cette fois entre différentes composantes du protestantisme) et des contradictions politiques et sociales. À la fin de la guerre de Trente Ans, si le catholicisme reconquiert certains territoires perdus, l'Espagne est dans une phase de déclin, et toute possibilité de reconstituer un puissant Saint Empire catholique romain a disparu. La diversité religieuse de l'Occident doit être acceptée et les États reconnaissent qu'ils ne peuvent éliminer les minorités à l'intérieur de leurs propres frontières. Les passions s'épuisant, la division de l'Europe en plusieurs confessions favorise la tolérance religieuse à partir du XIXe siècle, qui est l'un des grands effets de la Réforme. Dates clés