
Libération, 11 août 2009
Une douce brise souffle sur la crise
«Décélération de la récession», «vitesse de contraction ralentie»… les analystes rivalisent de prudence et de
périphrases pour évoquer une éventuelle reprise. Il n’empêche, depuis le milieu de l’été, l’ambiance générale a
changé et la perspective d’une sortie de crise est évoquée par certains pour la fin de l’année. Méthode Coué ou
véritable tendance ?
Les raisons d’y croire
Ce sont surtout à des chiffres que les économistes s’accrochent pour déceler les bonnes nouvelles. Aux Etats-
Unis, d’abord. Le PIB fond toujours, mais moins vite (-1,5 % au 2e trimestre, contre -6,4 % le précédent), le
rythme des suppressions d’emplois ralentit. Et le taux de chômage connaît même une légère baisse. Barack
Obama, malmené dans les sondages, navigue entre satisfaction («Nous avons évité le pire au système financier»)
et prudence («Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir»).
Un groupe d’une cinquantaine d’économistes indépendants, auteur du Blue Chip Economic Indicators, est venu
ajouter hier une couche d’optimisme : 90 % d’entre eux misent sur la fin de la récession au 3e trimestre, la seule
vraie incertitude restant «la vitesse, la force et la durée de la reprise économique».
Et ailleurs ? L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) confirme une tendance à
l’amélioration dans les pays de sa zone, avec des «signaux de reprise plus forts en Italie et en France». Les
exportations allemandes ont enregistré leur plus forte hausse depuis trois ans. En Chine, la production a connu en
juillet son meilleur mois de l’année. Au Japon, le PIB repart, doucement, à la hausse. Rassurées par ces
indicateurs et une série de résultats d’entreprises encourageants, les Bourses mondiales rebondissent, atteignant
la semaine dernière leur plus haut niveau de l’année.
Automobile, banque : les dessous d’une reprise
L’activité industrielle montrerait-elle des signes de redémarrage ? Prenons le cas de l’automobile française : en
juillet, les immatriculations de véhicules particuliers ont affiché une progression de 3,1 % par rapport à
juillet 2008 (+2 % depuis le début de l’année). Vraie sortie du tunnel ou simple «reprise technique», comme
disent les économistes ? «Il y a un mouvement de stabilisation dans la crise, mais c’est un phénomène technique
de restockage, estime Nicolas Bouzou, économiste d’Asterès. Les stocks ayant beaucoup baissé dans le monde
ces derniers mois, les entreprises sont bien obligées de refaire des stocks.»
Une autre raison explique ce léger mieux : le succès de la prime à la casse, présente dans 15 des 27 membres de
l’Union européenne… et, depuis fin juillet, aux Etats-Unis. Mais elle n’est pas éternelle. En France, le secteur
appréhende déjà l’arrêt progressif de la prime, prévu à partir de janvier. Même si les gros du secteur se sentent
tirés d’affaire et en cours d’assainissement financier, la santé des petits sous-traitants est précaire. Christine
Lagarde, la ministre de l’Economie, le dit elle-même : ils «souffrent d’un manque de fonds propres» et auront
«des besoins en trésorerie accrus, probablement à la fin octobre». Côté finance, les bons résultats de certaines
banques françaises ou américaines (profits colossaux pour les quatre grosses du secteur : 2,7 milliards de dollars
- environ 1,9 milliard d’euros - pour JPMorgan Chase, 3,2 milliards pour Bank of America et Wells Fargo et
4,3 milliards pour Citigroup) ne doivent pas cacher la multitude des plus petits établissements. Les banques
régionales aux Etats-Unis par exemple, pour lesquelles la situation reste précaire, vue la montée des impayés…
qui pourrait atteindre ensuite les plus grosses. Enfin, les bénéfices des grands établissements sont essentiellement
dus à leurs activités de banque d’investissement, et donc aux marchés, et pas à l’activité de financement de
l’économie «réelle» : prêts pour les particuliers, pour les investissements des entreprises (lire page suivante)…
L’emploi reste le point noir
Ce fut la bonne surprise de juillet en France : une légère baisse (-0,7 %) du chiffre officiel des inscrits à Pôle
Emploi, soit 18 600 chômeurs de moins. De son côté, l’intérim a, en mai, légèrement augmenté par rapport à
avril (+2,8 %), après des mois de chute libre (mais il baisse tout de même de 29,9 % par rapport à mai 2008). Le
gouvernement lui-même a pris ces chiffres avec prudence. Décryptée, la hausse de juin est avant tout statistique
(Libération du 28 juillet). Ensuite, les récentes annonces de restructurations n’apparaîtront dans les chiffres que
dans deux, trois mois, une fois les négociations et les préavis achevés. Et les experts prévoient qu’à la rentrée de
nombreuses entreprises couperont dans leurs effectifs. «La fin 2008 et le début 2009 ont été marqués par une
forte destruction de l’emploi intérimaire, les entreprises faisant tout pour ne pas s’attaquer aux CDI», note
Marion Cochard, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Résultat, la
productivité française a baissé : -2,2 % contre +1,6 % en rythme annuel en temps normal. «Même si elles ont
déjà été conséquentes, les suppressions de postes n’ont donc pas encore été ajustées à l’ampleur de la récession.
La productivité est désormais tellement dégradée que les entreprises ne vont plus pouvoir éviter de supprimer