Le Monde, 22 août 2009

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Le Monde, 24 juillet 2009
En route pour les " trente glorieuses "
1er décembre 1949 : la fin des tickets de rationnement, cinq ans après la Libération, ouvre enfin une nouvelle
ère d'abondance pour les Français
Aucune liesse particulière ne semble avoir rassemblé les Français ce jeudi 1er décembre 1949. Et
pourtant, ce jour fut celui de la fin d'un symbole majeur de la seconde guerre mondiale, mais aussi de
l'après-guerre : celui des tickets de rationnement. Ces derniers, instaurés à l'automne 1940, perdurèrent en
effet plus de quatre ans après la fin des hostilités.
En titrant sur trois colonnes à la " une " l'étude de " la mise en vente libre du sucre, de l'essence et du café
" par le conseil des ministres, Jacques Fauvet avait pressenti que ce 1er décembre 1949 était une date-clé,
qui marquerait le basculement d'une économie de pénurie vers une ère d'abondance - les " trente
glorieuses ", période économiquement faste.
Les événements ultérieurs lui ont donné raison, même si un bémol apparaissait dès l'édition du lendemain
: il faudrait attendre un peu pour que le café ne soit plus rationné, en raison de " vives tensions sur les
marchés internationaux ". Cette restriction n'empêcha pas ce même conseil des ministres du 1er
décembre de supprimer le haut-commissariat au ravitaillement, " définitivement liquidé le 31 décembre ".
Une décision discutée : le commissariat occupait encore 8 200 fonctionnaires en mars 1949 (contre 21
800 en 1946), peut-on lire dans Le Monde du 4 mars 1949.
Les " trente glorieuses " font oublier une partie de la réalité. Le pays libéré en 1944 était dans un état
calamiteux. " Le quart du capital immobilier est détruit ; les réseaux de transport disloqués, les réseaux
électriques gravement endommagés, les mines de charbon également ", rappelle Cyrille Sardais,
professeur adjoint à HEC Montréal, dans son mémoire sur " Les pénuries de l'immédiat après-guerre en
France ".
France colbertiste
Confronté à une telle situation, le maintien d'une répartition autoritaire des quantités et des prix des
ressources disponibles, et donc des tickets de rationnement, s'imposait. A défaut, les prix des aliments
auraient flambé, entraînant une pénurie ; ou alors, pour être sûrs d'être servis, les habitants auraient passé
leur temps à faire la queue devant les commerces, solution peu judicieuse quand la main-d’œuvre est
nécessaire pour reconstruire le pays. Conséquence : la carte de pain, supprimée en mai 1945, est rétablie
dès le mois de décembre de la même année, pour n'être supprimée que le 1er février 1949. En août 1947,
" la ration de pain est à son plus bas niveau depuis 1940 ", rappelle l'historien Fabrice Grenard, dans La
France du marché noir (Payot, 2008).
Les restrictions ne visent pas seulement les biens alimentaires. Jusqu'en avril 1949, il faut une licence
pour acquérir une automobile. Ce qui n'empêche pas d'avoir à attendre deux ans pour obtenir sa voiture !
Car tout fait défaut : la tôle, les pneus, l'énergie pour faire tourner les usines. Une auto est un bien rare,
mais d'un prix abordable, car fixé par le gouvernement. Une voiture d'occasion, qui peut être achetée sans
licence, coûte plus cher qu'une neuve !
Cette focalisation des moyens de l'Etat sur l'industrie automobile, considérée comme un moteur de la
croissance, se fait au détriment de la construction de logements, qui manquent cruellement. Cela conduit
là aussi le gouvernement et les élus à intervenir, en votant, en septembre 1948, la loi, désormais bien
connue sous le nom de " loi de 1948 ", imposant une échelle de loyers, et dont bénéficient encore certains
locataires aujourd'hui.
A partir du 3 avril 1948, date de la signature du plan Marshall, la situation s'améliore. Les 2,7 milliards de
dollars accordés à la France par les Etats-Unis permettent d'importer blé, charbon, machines et tracteurs,
entre autres, et de relancer l'économie. Dès le début de 1949, les bonnes nouvelles se multiplient : le 1er
avril, la confiture et les pâtes sont en vente libre ; les produits laitiers suivront, le 15. A partir de mai,
seuls les produits importés restent rationnés. Les quantités ne sont plus fixées, mais les prix le resteront
pendant des décennies. Celui du pain ne sera libéré que le 1er décembre 1986.
Tout cela ne fera qu'exacerber l'image d'une France colbertiste, où les gouvernements pèsent de tout leur
poids sur les décisions économiques. Où les dirigeants de groupes longtemps publics étaient aussi des "
grands serviteurs de l'Etat ", souvent issus des grandes écoles publiques (ENA, Polytechnique...). Ceux-ci
finirent néanmoins par adopter les règles de gestion anglo-saxonnes, visant à accroître la valeur de
l'entreprise pour ses actionnaires - et pour eux-mêmes ! Et non plus en priorité à servir le pays et ses
habitants.
La crise financière actuelle et les dégâts écologiques de la société d'abondance pourraient remettre au
goût du jour ces " vieilles valeurs " que les ultralibéraux croyaient avoir envoyées au musée. La sortie de
crise passera par une utilisation plus rationnelle des ressources, et des " permis d'émission " de CO2. Mais
sans carte ni ticket. Pour l'instant.
Annie Kahn
Le Monde, 14 août 2009
Le PIB a progressé de 0,3 % au deuxième trimestre
Une hausse surprise due au redressement de l'industrie automobile et au maintien de la consommation
Est-ce l'amorce d'une reprise encore ténue et la sortie progressive de la récession ? En dépit de prévisions
pessimistes, la croissance est redevenue positive au deuxième trimestre avec une augmentation de 0,3 %
du produit intérieur brut (PIB). Cette évolution est essentiellement due à l'amélioration du solde du
commerce extérieur.
C'est la première inflexion enregistrée depuis un an, selon les comptes publiés par l'Insee jeudi 13 août,
après les reculs de 1,3 % du 1er trimestre et de 1,5 % au dernier trimestre de 2008. " La France se
distingue de ses voisins. Elle est sortie plus tôt du rouge ", s'est aussitôt félicitée Christine Lagarde sur
RTL. La ministre de l'économie considère que : " Cette hausse conforte pleinement le gouvernement dans
sa politique économique en faveur de l'activité et de la compétitivité du pays. " Les mauvais indices du
début de l'année avaient conduit le gouvernement à tabler sur une récession de 3 % en 2009. Le constat
établi en août pourrait infléchir cette crainte, même si, assure-t-on à Bercy, les signes restent fragiles.
Après huit mois de baisse, la production de biens et services est repartie à la hausse, de l'ordre de 0,5 %,
grâce au redressement de l'industrie (+1,1 %). Le rebond est particulièrement spectaculaire dans
l'automobile qui, sous l'effet de la prime à la casse, enregistre une hausse de 5,6 % après une chute de 9,7
%. L'effet se répercute sur les exportations notamment vers l'Allemagne, qui a mis en place une prime à
la casse plus élevée qu'en France. Au total, le montant des exportations s'est amélioré de 1 % après une
chute de 7,1 % au premier trimestre.
La reprise est aussi liée au maintien du niveau de consommation des ménages qui a plutôt bien résisté
avec un rebond de 0,3 % au cours du trimestre et surtout de 1,4 % en juin, là aussi grâce aux achats dans
l'automobile. Autre effet positif sur a consommation : en juillet, les prix ont, pour le troisième mois
consécutif, poursuivi leur cycle à la baisse, de l'ordre de 0,4 %, selon les chiffres publiés mercredi. Sur un
an, la décélération atteint 0,7 %. Le repli de juillet est amplifié par la poursuite de la chute du prix des
carburants (-24,6 % en an) et l'effet des soldes.
En revanche, les hausses restent fortes dans le secteur des services (+2,3 % sur un an) avec celle
traditionnelle en juillet des loyers (+3,1 %). Selon l'Insee, la réduction de la TVA dans la restauration,
passée de 17,6 % à 5,5 %, se traduit par une baisse réelle de 1,3 % dans les restaurants de 0,7 % dans les
cafés.
" Il est difficile de parler de reprise avec certitude, car la hausse de la production industrielle est
essentiellement concentrée dans l'automobile. Le climat des affaires ne se redresse que progressivement
", tempère Benoît Heitz, chef de la division synthèse conjoncturelle de l'Insee. Les signes positifs du
deuxième trimestre ne sauraient atténuer les conséquences de la crise qui continent de peser. Selon
l'Insee, les capacités d'investissement des entreprises privées restent toujours en recul, de 0,9 %, mais le
repli était de 3,6 % à la fin de 2008.
Le marché de l'emploi devrait continuer de se dégrader et le taux de 10 % de chômage pourrait atteint
d'ici à la fin de l'année. Selon l'UNEDIC, 591 000 emplois pourraient être détruits en 2009. Le déficit des
finances publiques public s'est aggravé en début d'année à hauteur de 86,6 milliards d'euros, au lieu de
32,8 milliards lors de la même période de l'année précédente.
Malgré cette importante dégradation, Eric Woerth, ministre du budget, est bien décidé à ne pas varier de
cap. Il a réaffirmé mercredi que " le gouvernement ne prévoit évidemment pas d'augmentation d'impôt qui
conduirait à rajouter de la crise à la crise. " Selon lui, " les autres pays (...) ont des déficits bien
supérieurs. La vraie réponse, c'est de solliciter la croissance ". Le ministre table sur des " réformes
structurelles ", comme celle des retraites, des collectivités locales ou " le non remplacement d'un
fonctionnaire sur deux qui est une réponse directe à cette crise ".
Michel Delberghe
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Les Echos, 31 août 2009
Les doutes grandissent sur la solidité de la reprise économique mondiale
La publication, désormais récurrente, de statistiques économiques encourageantes pousse les marchés
financiers à une euphorie qu'ils n'avaient pas connue depuis plus de deux ans. Pourtant, les économistes
pointent du doigt les nombreux risques qui pèsent sur la reprise.
Simple feu de paille ou retour durable de la croissance ? Depuis quelques semaines, l'optimisme s'est installé sur
la planète économique. Les indicateurs avancés de conjoncture surprennent les économistes agréablement, la
production industrielle se redresse, au point que certains pays, comme l'Allemagne, la France et le Japon, ont
affiché des croissances économiques positives au deuxième trimestre. Il n'en fallait pas plus pour doper des
marchés financiers habitués à la morosité depuis la mi-2007. Ayant retrouvé des couleurs en mars, ces derniers
atteignent actuellement des plus hauts sur l'année 2009. Nouvelle manifestation de l'exubérance irrationnelle des
marchés ou euphorie légitime ?
Pour Véronique Riches-Flores, qui dirige les études économiques à la Société Générale, il n'y a pas que de
l'irrationalité dans cette réaction d'enthousiasme. Compte tenu de la violence sans précédent du choc qu'a connu
l'économie mondiale, « de simples rebonds techniques vont conduire à des ajustements économiques rapides qui
nous surprendront positivement ». Après des mois de déstockage, les entreprises n'ont pas d'autre choix que de
se remettre à produire, quand bien même ce serait à des niveaux plus faibles qu'avant la crise. Le secteur
automobile, dopé par les plans de relance y compris dans les pays émergents, agit aussi comme un accélérateur
de croissance. Trop conscients de l'importance du soutien à ce secteur, les gouvernements ne vont probablement
pas retirer du jour au lendemain leurs aides. Conclusion de Véronique Riches-Flores : « Nous allons connaître
quelques mois spectaculaires. »
« Une poussée d'adrénaline »
Mais les économistes sont unanimes à pointer les risques qui pèsent sur l'économie mondiale à moyen terme. Si
Pierre Cailleteau, le chef économiste de l'agence Moody's, n'en veut pas aux marchés de connaître « une poussée
d'adrénaline au moment où le monde découvre qu'après un choc majeur il est toujours vivant », il pointe du
doigt la question du crédit : va-t-il repartir ? Les dernières statistiques en provenance d'Europe ne sont pas
rassurantes sur ce point (« Les Echos » du 28-29 août). Or, sans reprise substantielle du crédit, l'investissement
ne pourra pas redémarrer et le secteur privé ne prendra pas le relais de la croissance.
Les ménages, de leur côté, risquent de ne plus être à la hauteur. Si leur consommation a remarquablement résisté
à la tempête au premier semestre, c'est « en bonne partie grâce à la désinflation » , note Sylvain Broyer, qui
dirige les études économiques chez Natixis. Le monde a profité de la baisse du baril de brut, qui a soutenu le
pouvoir d'achat dans un contexte où le chômage augmentait. Mais Véronique Riches-Flores a calculé que « le
pouvoir d'achat devrait repartir à la baisse dès le quatrième trimestre 2009 ». Car la désinflation touche à sa fin.
Les mois qui viennent verront les prix et le chômage repartir à la hausse. La consommation n'en sortira pas
indemne.
Enfin, la question des finances publiques est probablement la plus épineuse. Les Etats ont investi 2.900 milliards
de dollars, soit 5,3 % du PIB mondial, pour soutenir l'activité. Peu d'économistes critiquent cette injection
massive d'argent, tant elle était indispensable pour empêcher l'effondrement du système. Au moins ce scénario
catastrophe a-t-il été évité et c'est là « la véritable bonne nouvelle », estime Sylvain Broyer. Mais son résultat est
l'envolée de l'endettement public. Si certains pays, comme la Chine, ont de la marge en la matière, ce n'est le cas
d'aucun des grands pays développés. Plus dur sera l'ajustement. Pour Pierre Cailleteau, « cela va rendre encore
plus indispensables les réformes que les pays développés repoussent depuis vingt ans, comme celle des
retraites ».
Entre chômage élevé et diminution de la marge de manœuvre des Etats, le scénario qui se profile n'est pas
enthousiasmant. Reste éventuellement une planche de salut : la dynamique des grands pays émergents. Encore
faut-il remarquer que le rebond constaté en Chine, au Brésil et en Inde « tient beaucoup à la relance du secteur
automobile, qui est elle-même assez autocentrée et génère peu de flux commerciaux », constate Véronique
Riches-Flores. Conclusion de cette dernière : « Le pire est derrière nous... mais le plus dur est devant. »
GABRIEL GRESILLON
Libération, 11 août 2009
Une douce brise souffle sur la crise
«Décélération de la récession», «vitesse de contraction ralentie»… les analystes rivalisent de prudence et de
périphrases pour évoquer une éventuelle reprise. Il n’empêche, depuis le milieu de l’été, l’ambiance générale a
changé et la perspective d’une sortie de crise est évoquée par certains pour la fin de l’année. Méthode Coué ou
véritable tendance ?
Les raisons d’y croire
Ce sont surtout à des chiffres que les économistes s’accrochent pour déceler les bonnes nouvelles. Aux EtatsUnis, d’abord. Le PIB fond toujours, mais moins vite (-1,5 % au 2e trimestre, contre -6,4 % le précédent), le
rythme des suppressions d’emplois ralentit. Et le taux de chômage connaît même une légère baisse. Barack
Obama, malmené dans les sondages, navigue entre satisfaction («Nous avons évité le pire au système financier»)
et prudence («Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir»).
Un groupe d’une cinquantaine d’économistes indépendants, auteur du Blue Chip Economic Indicators, est venu
ajouter hier une couche d’optimisme : 90 % d’entre eux misent sur la fin de la récession au 3e trimestre, la seule
vraie incertitude restant «la vitesse, la force et la durée de la reprise économique».
Et ailleurs ? L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) confirme une tendance à
l’amélioration dans les pays de sa zone, avec des «signaux de reprise plus forts en Italie et en France». Les
exportations allemandes ont enregistré leur plus forte hausse depuis trois ans. En Chine, la production a connu en
juillet son meilleur mois de l’année. Au Japon, le PIB repart, doucement, à la hausse. Rassurées par ces
indicateurs et une série de résultats d’entreprises encourageants, les Bourses mondiales rebondissent, atteignant
la semaine dernière leur plus haut niveau de l’année.
Automobile, banque : les dessous d’une reprise
L’activité industrielle montrerait-elle des signes de redémarrage ? Prenons le cas de l’automobile française : en
juillet, les immatriculations de véhicules particuliers ont affiché une progression de 3,1 % par rapport à
juillet 2008 (+2 % depuis le début de l’année). Vraie sortie du tunnel ou simple «reprise technique», comme
disent les économistes ? «Il y a un mouvement de stabilisation dans la crise, mais c’est un phénomène technique
de restockage, estime Nicolas Bouzou, économiste d’Asterès. Les stocks ayant beaucoup baissé dans le monde
ces derniers mois, les entreprises sont bien obligées de refaire des stocks.»
Une autre raison explique ce léger mieux : le succès de la prime à la casse, présente dans 15 des 27 membres de
l’Union européenne… et, depuis fin juillet, aux Etats-Unis. Mais elle n’est pas éternelle. En France, le secteur
appréhende déjà l’arrêt progressif de la prime, prévu à partir de janvier. Même si les gros du secteur se sentent
tirés d’affaire et en cours d’assainissement financier, la santé des petits sous-traitants est précaire. Christine
Lagarde, la ministre de l’Economie, le dit elle-même : ils «souffrent d’un manque de fonds propres» et auront
«des besoins en trésorerie accrus, probablement à la fin octobre». Côté finance, les bons résultats de certaines
banques françaises ou américaines (profits colossaux pour les quatre grosses du secteur : 2,7 milliards de dollars
- environ 1,9 milliard d’euros - pour JPMorgan Chase, 3,2 milliards pour Bank of America et Wells Fargo et
4,3 milliards pour Citigroup) ne doivent pas cacher la multitude des plus petits établissements. Les banques
régionales aux Etats-Unis par exemple, pour lesquelles la situation reste précaire, vue la montée des impayés…
qui pourrait atteindre ensuite les plus grosses. Enfin, les bénéfices des grands établissements sont essentiellement
dus à leurs activités de banque d’investissement, et donc aux marchés, et pas à l’activité de financement de
l’économie «réelle» : prêts pour les particuliers, pour les investissements des entreprises (lire page suivante)…
L’emploi reste le point noir
Ce fut la bonne surprise de juillet en France : une légère baisse (-0,7 %) du chiffre officiel des inscrits à Pôle
Emploi, soit 18 600 chômeurs de moins. De son côté, l’intérim a, en mai, légèrement augmenté par rapport à
avril (+2,8 %), après des mois de chute libre (mais il baisse tout de même de 29,9 % par rapport à mai 2008). Le
gouvernement lui-même a pris ces chiffres avec prudence. Décryptée, la hausse de juin est avant tout statistique
(Libération du 28 juillet). Ensuite, les récentes annonces de restructurations n’apparaîtront dans les chiffres que
dans deux, trois mois, une fois les négociations et les préavis achevés. Et les experts prévoient qu’à la rentrée de
nombreuses entreprises couperont dans leurs effectifs. «La fin 2008 et le début 2009 ont été marqués par une
forte destruction de l’emploi intérimaire, les entreprises faisant tout pour ne pas s’attaquer aux CDI», note
Marion Cochard, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Résultat, la
productivité française a baissé : -2,2 % contre +1,6 % en rythme annuel en temps normal. «Même si elles ont
déjà été conséquentes, les suppressions de postes n’ont donc pas encore été ajustées à l’ampleur de la récession.
La productivité est désormais tellement dégradée que les entreprises ne vont plus pouvoir éviter de supprimer
les CDI. On risque de voir une nouvelle vague de licenciements en septembre.» A tel point que l’OFCE, qui
avait tablé en début d’année sur une prévision de 550 000 emplois supprimés en 2009, compte revoir ses
prévisions à 650 000, voire 750 000 destructions pour ses nouvelles prévisions de septembre.
Le phénomène est identique aux Etats-Unis. Les suppressions d’emplois sont tombées à 247 000 le mois dernier,
contre 443 000 le mois précédent. Sauf que le porte-parole d’Obama lui-même, Robert Gibbs, n’exclut pas de les
voir remonter et dépasser la barre symbolique des 10 % de chômeurs - ce qui est déjà le cas dans quinze Etats d’ici à la fin de l’année. «Personne ne perd de vue qu’un quart de million de personnes ont perdu leur emploi le
mois dernier», recadre-t-il.
D’où viendra la reprise
Certains experts, tel Paul Jorion, considèrent que la reprise viendra de la Chine, qui affiche un taux de croissance
insolent en ces temps de disette (+7,8 %). D’autres la voient plutôt venir des Etats-Unis. «La Chine va bien, c’est
vrai, mais ça risque de ne pas durer, explique Nicolas Bouzou. Sa croissance n’a jamais vraiment ralenti. Donc,
beaucoup des déséquilibres qui nous ont plombés, nous Occidentaux, subsistent là-bas, la bulle immobilière par
exemple. Le ménage n’a pas été fait, les problèmes de l’économie chinoise sont donc devant elle. Pour moi, ce
sont les Américains les mieux placés pour rebondir les premiers. Du coup, l’Europe suivra, mais cela va prendre
encore du temps». Pour l’heure donc, le mot «reprise» est excessif. «"Moindre mal", c’est mieux», estime
Bouzou.
Service Economie
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Le Monde, 14 août 2009
La croissance française sera molle en 2010 "
ENTRETIEN, LAURENCE BOONE, chef économiste chez Barclays analyse les chiffres de la croissance
française
Les signaux passent au vert. La France est-elle sur le point de sortir de la récession ?
De façon purement technique, oui, on peut affirmer que nous sommes sortis de la récession. Mais cela ne
veut pas dire grand-chose. Il faut analyser les moteurs de la croissance pour savoir si celle-ci est pérenne.
Or les deux moteurs, consommation et production industrielle, sont fragiles.
Que voulez-vous dire ?
D'abord, la consommation a été encouragée par le recul de l'inflation tirée par des prix de l'énergie en fort
retrait. Or ceux-ci se stabilisent et vont augmenter de nouveau ; l'inflation devrait se situer aux alentours
de 1 % vers la fin de l'année (au lieu de - 0,5 % ce trimestre). Surtout, la consommation est tributaire de
l'évolution du marché du travail, qui devrait rester atone les prochains trimestres, voire se détériorer, avec
très peu de créations d'emplois, et donc une hausse du chômage.
La production industrielle a, elle, été soutenue par la prime à la casse qui a dopé la production dans
l'automobile et les secteurs associés. Cette mesure devrait disparaître progressivement.
Mais le soutien budgétaire pourrait continuer si le grand emprunt d'Etat cible des investissements
rapidement mis en œuvre. De même, la politique monétaire devrait continuer d'apporter son soutien, avec
des taux à 1 %, probablement tout l'an prochain, afin de continuer à solidifier le secteur bancaire. La
croissance sera aussi soutenue par un rebond plus significatif de l'Asie et des Etats-Unis.
A quoi faut-il s'attendre en 2010 ?
La croissance française sera molle, de l'ordre de 0,7 %, à comparer à 1,1 % pour la zone euro. Mais cela
fera suite à une récession de 2,6 % en 2009 (de - 4,2 % pour l'ensemble de la zone euro). La reprise sera
mesurée tant que le secteur bancaire ne sera pas rétabli et n'aura pas retrouvé sa capacité de prêter à
nouveau aux entreprises et aux ménages, ce qui devrait nous amener au-delà de 2010.
Dans cette reprise, la France sera-t-elle le mauvais élève de l'Europe ?
Le redémarrage en France sera plus lent que dans la moyenne des pays européens car la chute a aussi été
moins violente. L'Allemagne reprendra plus vite et plus fort. Les moteurs de croissance sont différents.
L'Allemagne compte sur son industrie manufacturière et est très dépendante de la dynamique des
exportations vers l'Asie. La croissance française repose sur la consommation et donc sur la bonne tenue
d'un marché du travail peu flexible, donc peu cyclique.
Propos recueillis par Claire Guillot
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Le Monde, 19 août 2009
Le pouvoir d'achat progresse malgré la crise
Grâce à la baisse générale des prix, le coût de la rentrée scolaire diminue en 2009 Mais l'aggravation continue
du chômage fragilise de plus en plus de familles
C'est le paradoxe de cette rentrée de crise : le pouvoir d'achat des Français résiste mieux que prévu. "
Pour peu que vous ayez réussi à conserver votre emploi, la période peut se révéler une bonne affaire
pour vous ", résume Eric Heyer, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques
(OFCE). Baisse des prix de l'énergie, sagesse des prix alimentaires, soldes et promotions se sont
conjugués ces derniers mois pour alléger le coût de la vie. Une enquête, publiée lundi 17 août par
l'association Familles de France, établit que le coût de la rentrée scolaire, pour un élève entrant en 6e, est
en baisse de 8,7 %.
Cette bonne nouvelle, importante pour les familles à cette époque de l'année, s'ajoute à d'autres : selon les
derniers chiffres de l'Insee, publiés jeudi 13 août, la consommation des ménages a légèrement augmenté
au deuxième trimestre (+ 0,3 % après + 0,2 %), alors que le mot récession était dans toutes les têtes et
alimentait forcément l'inquiétude. Les dernières données disponibles sur le pouvoir d'achat sont un peu
moins récentes (+ 0,4 % au premier trimestre), mais suffisamment rassurantes pour que, sur l'ensemble de
l'année, l'Insee ne prévoie guère de baisse. D'où vient cette résistance ? De notre politique, clame le
ministère de l'économie. Les mesures de soutien aux classes moyennes et aux ménages pauvres décidées
depuis le début de la crise sous forme d'allégement de l'impôt sur le revenu ou de primes permettraient
d'injecter, en cumulé sur 2009 et 2010, près de 14 milliards d'euros de revenus supplémentaires.
Pourtant, le soutien à la consommation n'a jamais été une priorité affichée par le gouvernement :
d'emblée, et contre l'avis de la gauche, Nicolas Sarkozy a opté pour une relance par l'investissement,
allant jusqu'à installer un ministre de la relance pour pousser entreprises et collectivités locales à aller de
l'avant. Et le grand débat de l'automne risque d'être centré non pas sur le pouvoir d'achat, mais sur les
investissements d'avenir que l'emprunt Sarkozy aura à financer.
En réalité, c'est la désinflation et même, ces derniers mois, la déflation, qui ont été les meilleurs alliés du
gouvernement dans la bataille du pouvoir d'achat. Quand le prix du baril de pétrole s'effondre, la facture
des dépenses obligatoires s'allège fortement : sur un an, les prix de l'énergie auront diminué de 18,3 %,
note l'Insee dans son relevé des prix de juillet.
La crise a aussi pour effet de redonner du pouvoir au consommateur, qui fait davantage jouer la
concurrence, voit se multiplier soldes et autres promotions, sous le regard vigilant des pouvoirs publics.
Pour Familles de France, qui chiffre à 174,23 euros le coût des fournitures scolaires pour un élève entrant
en 6e (contre 190,82 euros en 2008), la raison principale de la baisse tient à la vigilance des parents : ils
ont choisi d'acheter les fournitures proposées par la grande distribution à des prix bloqués ou inférieurs à
ceux de 2008. Pour la troisième année consécutive, le ministère de l'éducation nationale, la fédération des
entreprises du commerce et de la distribution et les enseignes de la distribution se sont mis d'accord sur
une liste de fournitures scolaires, " les essentielles de la rentrée ", reconnaissables à un logo, pour laquelle
ils s'engagent à ne pas augmenter leur prix. Par ailleurs, fait remarquer Familles de France, " les marques
sont moins nombreuses que ces dernières années et la crise du pouvoir d'achat a changé le comportement
des familles ".
En revanche, il n'est pas recommandé d'acheter sur Internet. " Depuis l'enquête 2008, le prix des articles
a augmenté outrageusement sur plusieurs sites ", fait remarquer l'association familiale. Et aucun des huit
sites étudiés n'a pris l'initiative de lancer " les essentielles de la rentrée ".
La Confédération syndicale des familles, qui a prévu de rendre publique sa propre enquête mardi 25 août,
devrait confirmer ces tendances. Mais pour encourageants qu'ils soient, ces chiffres ne conduisent aucun
économiste à l'optimisme. " Globalement, c'est vrai, le pouvoir d'achat se maintient de façon étonnante
mais, derrière les moyennes, il y a des catégories de Français qui souffrent fortement de la crise ",
constate Philippe Moati, directeur de recherche au Credoc. " Ce sont les précaires, ceux qui ont perdu
leur emploi et ceux qui risquent de passer du chômage indemnisé au chômage non indemnisé ", complète
M. Heyer. Compte tenu des sombres prévisions sur l'emploi, le nombre de ces victimes de la crise risque
d'augmenter fortement dans les mois qui viennent, tandis que l'évolution des prix s'annonce moins
favorable pour le consommateur en raison de la remontée des prix de l'énergie.
La conjonction de ces deux facteurs risque de rendre l'évolution globale du pouvoir d'achat beaucoup
moins favorable. C'est la raison pour laquelle le gouvernement se montre à la fois prudent et pragmatique.
Officiellement, le cap reste le même : " Assurer une relance de l'investissement ", affirme la ministre de
l'économie, Christine Lagarde, " muscler l'appareil de production ", renchérit Hervé Novelli, secrétaire
d'Etat chargé du commerce et de la consommation. Mais " nous restons vigilants. S'il faut appuyer sur
d'autres boutons, nous le ferons ", indique-t-on au gouvernement. Une façon de ne rien exclure alors que
les syndicats vont remettre la pression à la rentrée pour obtenir de nouvelles mesures de soutien au
pouvoir d'achat. " Le plus efficace dans la période actuelle serait non pas d'alléger l'impôt sur le revenu
des plus modestes, car la mesure est trop générale, mais de cibler les aides sur ceux qui ont perdu leur
emploi. Des mesures temporaires du type allongement de la durée d'indemnisation du chômage
pourraient se révéler pertinentes ", souligne M. Heyer.
Françoise Fressoz et Martine Laronche
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Le Monde, 14 août 2009
Selon la Fed, la crise s'achève, mais la reprise tarde
La Réserve fédérale annonce que le taux de l'argent " restera extrêmement bas durant une longue période "
New York Correspondant
Si l'on s'en tenait à la seule sémantique, il faudrait utiliser une loupe très grossissante pour mesurer la différence
entre l'analyse de la conjoncture économique à laquelle a procédé le comité de politique monétaire de la
Réserve fédérale américaine (Fed, banque centrale), mercredi 12 août, et le communiqué précédent, publié en
juin.
Si la Fed jugeait il y a deux mois que " le rythme de la contraction économique se ralentit ", elle estime
maintenant que " l'activité économique se stabilise ". Pourtant, à New York, Wall Street a bien mieux réagi à ce
communiqué qu'à celui de juin : le 12 août, le Dow Jones a gagné 1,30 %.
Pour Mark Zandi, chef économiste de Moody's, la banque centrale américaine est " de plus en plus confiante
dans la direction que prend l'économie " et cette confiance dope les marchés. L'organisme d'analyses
indépendant Naroff Economic Advisors est encore plus catégorique : la légère inflexion dans les termes utilisés
par la Fed " montre que ses membres pensent que la récession est finie ".
La seule question, désormais, est de savoir " quelle sera la vigueur de l'expansion, car il est essentiel que la
relance n'échoue pas ". Mercredi soir, l'équipe économique de la banque américaine Goldman Sachs a rehaussé
sa projection de croissance de l'économie des Etats-Unis au second semestre de 1 % à 3 %.
La Fed n'en est pas encore là et semble surtout soucieuse de ne pas susciter d'espoirs disproportionnés. Ses deux
jours de réunions ont ainsi accouché de décisions qui, presque toutes, étaient attendues. Elle a maintenu ses taux
directeurs au plus bas (dans une fourchette entre 0 % et 0,25 %). Fin juillet, Ben Bernanke, son président, avait
expliqué que " lorsque l'économie recommencera de croître, il sera très important que la Fed démantèle - son
dispositif pour juguler la crise - et augmente ses taux ". Visiblement, si la récession est " finie ", la croissance
n'est pas encore suffisamment au rendez-vous. La Fed estime que le taux de l'argent au jour le jour " restera
encore extrêmement bas durant une longue période ".
" Signes de stabilisation "
Car même si les conditions sur les marchés financiers " continuent de s'améliorer " et que la consommation des
ménages - élément clé de la relance - " montre des signes de stabilisation ", la reprise économique, note la Fed,
reste " entravée par la poursuite des pertes d'emplois, une croissance très lente du revenu, la baisse du
patrimoine immobilier et un crédit restreint ". Bref, si reprise il y a, c'est une " reprise de statisticiens ", comme
le dit par dérision l'économiste en chef de la banque Wells Fargo : une reprise qui apparaît certes dans les
statistiques mais qui, " pour des millions d'Américains, ne se matérialisera pas en termes d'emplois ou de
revenu pendant au moins encore un an ".
Quant à la consommation, si les dépenses des particuliers et des sociétés restent au plus bas, ce n'est pas
seulement parce qu'en période de forte incertitude ils continuent de privilégier l'épargne, c'est aussi parce que
l'accès au crédit reste resserré, malgré les centaines de milliards de dollars injectés par la Fed dans les
organismes de crédit. Le moment n'est pas encore venu pour celle-ci de relâcher le dispositif anticrise qu'elle a
mis en place, dont l'amélioration de l'accès au crédit est un des objectifs prioritaires.
Preuve que cet objectif n'est pas atteint, la Fed, qui devait boucler son plan d'acquisition de 300 milliards de
dollars (210 milliards d'euros) d'obligations à long terme du Trésor américain d'ici fin septembre (elle en a déjà
acquis 253 milliards de dollars), a annoncé ralentir le rythme de ses acquisitions pour ne les boucler que fin
octobre. Cette opération avait pour objectif de faire baisser durablement les taux d'intérêt à long terme, afin
d'aider la relance du secteur immobilier et des marchés très dépendants du crédit (achat d'automobile,
éducation...).
La crise étant partie de l'immobilier, la sortie de crise passerait donc par sa reprise. Mais l'efficacité de cette
mesure est contestée par nombre d'experts, pour qui les résultats attendus ne se manifestent pas alors que cette
mesure contribue massivement à faire tourner la planche à billets.
Un nombre croissant d'économistes jugent que les montants faramineux de liquidités qui ont été injectés sur un
court laps de temps dans l'économie américaine risquent de générer une inflation massive dès que la reprise sera
réellement au rendez-vous.
La Fed, elle, a reconduit au mot près l'analyse qu'elle faisait il y a deux mois, selon laquelle " l'inflation resta
encore faible pour un certain temps ". Manière de dire qu'elle continue de craindre prioritairement le risque
déflationniste.
Sylvain Cypel
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Le Monde, 22 août 2009
La crise économique n'est pas du tout finie
Les augures du café du commerce ont retourné leur veste. Naguère, les économistes tenaient des discours
apocalyptiques sur une récession qui menaçait de se muer en Grande Dépression. Oubliées, ces sombres
prévisions ! Cet été, les statistiques se sont éclaircies aux Etats-Unis, ont rosi en Allemagne, en France et
au Japon, pourtant embourbé depuis les années 1990. Ne parlons pas du reste de l'Asie, où la Chine
prétend atteindre, cette année, les 8 % de croissance fatidiques en dessous desquels elle redoute des
émeutes.
Les investisseurs, qui avaient anticipé cette embellie depuis le printemps, se sont rués sur tous les actifs.
Les Bourses les ont séduits, de Paris (+ 9 % depuis le début de l'année pour le CAC 40) à Shanghaï (+ 90
%).
Encombrés d'une montagne de liquidités à placer, ils sont aussi revenus vers les matières premières :
depuis le mois de janvier, les cours du zinc ont progressé de 60 % et ceux du nickel de 75 % ; le cuivre et
le pétrole ont bondi de 100 %. Hors les céréales dont les récoltes s'annoncent abondantes, les produits
alimentaires sont eux aussi de la fête, les prix du sucre, du thé ou du jus d'orange (+ 40 % en un mois)
enflant au gré de spéculateurs à l'affût de la reprise de la consommation porteuse de demande, et d'une
sécheresse ou d'un parasite susceptibles de raréfier l'offre d'un produit. On renouait avec la hausse des
cours, les bonus faramineux des traders, l'avant-Goldman Sachs, bref, avec l'âge d'or.
Et puis, il y a eu la chute de l'indice de confiance des consommateurs de l'université du Michigan, qui a
fait prendre conscience, le 14 août, à tous les boursicoteurs de la planète de la fragilité de la conjoncture
mondiale. Depuis, la nervosité s'est installée sur les marchés boursiers et dans le domaine des matières
premières, avec des mouvements de Yo-Yo qui trahissent la plus grande perplexité.
Et comment pourrait-il en être autrement ? Karine Berger, directeur des études chez Euler Hermes SFAC,
signe un éditorial dans le dernier bulletin économique de son institution, où elle qualifie d'irrationnelle "
la vague d'optimisme infondé qui s'est répandue aux mois de mai et de juin au sein des Bourses
mondiales et des opinions publiques ". Tout au plus l'OCDE a-t-elle annoncé, mercredi 19 août, que le
produit intérieur brut de ses trente pays membres s'était " stabilisé au deuxième trimestre ", ne reculant
que de 0,002 %. Pas de quoi chavirer dans l'euphorie.
Sous le titre plus que dubitatif " Une reprise fantôme ? ", Nouriel Roubini, l'expert américain qui avait été
l'un des premiers à prédire la récession, a analysé dans Les Echos du 18 août ses raisons de douter : des
ménages américains obligés de moins consommer, un système bancaire toujours malade, un
investissement des entreprises anémique, la fin des plans de relance. Si jamais les marchés propulsaient
outrancièrement les cours des Bourses et des matières premières, et notamment ceux du pétrole, " une
correction ne devrait pas tarder ", a-t-il conclu.
Tout aussi sceptique est Nicolas Bouzou, directeur de la société d'études Asteres. " Dans un contexte qui
n'est toujours pas assaini, il va falloir payer le coût de la politique de relance qui touche à sa fin, dit-il.
Nous allons donc connaître une petite rechute en 2010, et la reprise durable ne sera que pour 2011. "
Toute la difficulté de l'exercice de prévision tient à la façon dont les autorités politiques et monétaires
vont accompagner l'amorce de reprise qui se profile. " Elles vont devoir durcir leurs conditions pour
purger les excès de la relance dans un contexte de politique économique restrictive, souligne Bruno
Cavalier, économiste en chef chez Oddo Securities. Ce sera délicat à gérer en termes de communication
et de tempo, et ce peut être une cause de rechute en récession, car il est impossible d'extrapoler les
rythmes de croissance actuels des pays émergents d'Asie. "
C'est ce que dit aussi Olivier Blanchard, chef économiste du FMI, dans un article à paraître en septembre.
Après avoir déclaré que " la reprise a débuté ", il décrit les dangers qui pourraient faire virer celle-ci au
drame monétaire - un dollar en chute libre -, à commencer par la montée du chômage pendant un an et le
gonflement d'une dette publique déjà astronomique.
L'optimisme de Philippe Waechter, directeur de la recherche économique chez Natixis Asset
Management, le pousse, lui, à nier la possibilité de ce que l'on appelle une croissance en W, c'est-à-dire
une reprise interrompue, un temps, par une rechute. " Cela ne s'est jamais vu dans l'Histoire, assène-t-il.
La récession de 1982 qui a suivi le redémarrage de 1980, après le second choc pétrolier, était due à la
politique de désinflation du patron de la Réserve fédérale américaine d'alors, Paul Volcker. " Pas
d'inflation, donc pas de hausses de taux d'intérêt à l'horizon et pas de coup de frein malencontreux.
Reste que M. Waechter verrait d'un bon œil, d'ici à la fin de l'année, un deuxième plan de relance
américain dont il était question au seuil de l'été, car " le vrai risque, c'est bien une croissance
insuffisamment robuste ". Une croissance enfin auto-entretenue, sans béquille, sans aide budgétaire ? On
n'y est pas encore.
Alain Faujas
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Le Figaro, 21 août 2009
La Chine obligée de revoir en profondeur son modèle économique
Pour limiter les futurs déséquilibres mondiaux, les Chinois vont devoir accepter de devenir consommateurs et
laisser leur devise s'apprécier.
L'encours des prêts accordés par les banques aux particuliers progresse, en rythme annualisé, de 34 % en Chine.
Depuis le début de l'année, les banques chinoises auraient prêté près de 7 500 milliards de yuans (environ
1 100 milliards de dollars). «Le mouvement est tellement spectaculaire que l'on peut dire aujourd'hui que la
relance monétaire, c'est-à-dire celle constituée par les prêts au secteur privé, est tout aussi massive, sinon plus
que la relance budgétaire», résume Antoine Brunet, économiste chez AB Conseil. Conséquence de cet afflux de
capitaux, la Bourse locale s'envole tout comme les prix des biens immobiliers.
Réduire le taux d'épargne
Cette situation inquiète désormais les autorités du pays. Selon la presse officielle, le régulateur bancaire chinois
(CBRC) envisage de durcir les conditions d'octroi de crédits. Ceci pourrait aboutir, selon les calculs des
économistes de Barclays Capital, à diviser par trois le taux de progression du crédit, aux alentours de 12 à 13 %.
Un niveau qui restera tout de même élevé et qui témoigne du changement en train de s'opérer en Chine. «Au
cours des dix dernières années, les exportations chinoises ont été multipliées par dix, et elles représentent près de
20 % du PIB national», explique Robert Ryan, économiste chez BNP Paribas. «La réponse à la crise qui s'est
traduite par une chute du commerce extérieur a consisté à relancer le marché domestique, en particulier la
consommation.»
Un changement qui devra rester pérenne, insiste Olivier Blanchard. Dans une étude publiée en début de semaine,
le chef économiste du Fonds monétaire international estime en effet indispensable, pour l'avenir de la croissance
mondiale, que la Chine rééquilibre sa balance commerciale en important davantage, ce qui permettra aux ÉtatsUnis d'exporter et de rééquilibrer leurs propres déficits. Mais soutenir la demande intérieure suppose que les
Chinois réduisent leur taux d'épargne. Celui-ci est actuellement très élevé «du fait de l'absence de Sécurité
sociale dans le pays qui pousse les ménages à une forte épargne de précaution», explique Olivier Blanchard. Le
pouvoir central promet régulièrement, depuis quelques mois qu'il va parfaire son système de sécurité sociale, en
particulier à l'égard des paysans, mais le chantier est immense et tarde à démarrer.
L'autre changement radical que les Chinois vont devoir accomplir, s'ils veulent participer au rééquilibrage de
l'économie mondiale, consiste à accepter une appréciation de leur devise, le yuan, actuellement très sous-évalué.
«Seule la conjugaison d'une demande chinoise plus importante et d'une remontée du yuan permettra de stimuler
les exportations américaines», explique Olivier Blanchard.
La question est donc plus que jamais de savoir jusqu'où Chinois et Américains arriveront à trouver des terrains
d'entente sur ces questions.
Cyrille Lachèvre
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Le Monde, 31 mars 2008
La croissance est-elle Kyoto-compatible ?
Dix ans après la signature du protocole de Kyoto, voici venu le temps des travaux pratiques. De la création d'un
grand ministère de l'environnement en Chine à la supertaxation des véhicules les plus polluants à Londres, les
initiatives se multiplient. Avec le Grenelle de l'environnement et la semaine du développement durable (du 1 er au
7 avril), la France n'est pas en reste. Un autre signe ne trompe pas : la rencontre annuelle des ministres de
l'économie et des finances de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), début
juin à Paris, aura pour thème le changement climatique. C'est une première. Plus question pour les grands
argentiers de laisser le sujet aux chefs d'Etat et aux ministres de l'environnement.
Après des années de polémiques, un relatif consensus s'esquisse. Oui, l'activité humaine est bien à l'origine du
réchauffement en cours. Oui, ne rien faire aggraverait la situation. Outre ses conséquences non chiffrables combien coûte un déplacement de population ? Combien vaut un paysage ? - ce réchauffement accru pourrait
coûter très cher : 20 % du PIB mondial tout au long du XXI e siècle, selon le rapport remis fin 2006 par Nicholas
Stern, ancien économiste de la Banque mondiale, à Tony Blair. Comme disent les diplomates, ne rien faire n'est
plus une option.
D'autant que l'homme est en mesure de réparer le mal qu'il a fait. C'est la bonne nouvelle des travaux les plus
récents. La stabilisation des émissions de gaz à effet de serre coûterait environ 0,5 % du PIB mondial d'ici à
2030, selon l'OCDE, et 1 % d'ici à 2050, selon le rapport Stern. Plus on s'y prend tôt et plus nombreux sont les
pays qui participent à la lutte, moins le coût global est élevé. Les chiffrages de Nicholas Stern, de l'OCDE ou du
Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) même auréolé de son prix Nobel pour la
paix sont contestés. Néanmoins, la lutte contre le réchauffement climatique ne passe pas par une réduction de la
croissance. Outre que l'augmentation attendue de la population ne laisse pas vraiment le choix, limiter la
croissance ne peut que contribuer à maintenir les pauvres dans leur état actuel. Inacceptable donc, même si
l'augmentation du niveau de vie de la population mondiale peut poser problème.
Autre raison pour ne pas céder aux sirènes de la décroissance : ce n'est pas le niveau de la croissance qui compte,
c'est son contenu. "A niveau identique, une économie qui reposerait sur le charbon émettrait beaucoup plus de
CO2 qu'une économie qui utiliserait la biomasse", fait remarquer Jean-Charles Hourcade, directeur de recherches
au CNRS et l'un des économistes français les plus impliqués dans les travaux du GIEC. Mais miser sur les seules
technologies pour lutter contre le réchauffement climatique - une option aux yeux de certains Américains pour
qui "green is gold" - ne semble pas beaucoup plus réaliste. Technologiquement, on sait dès à présent, ce qu'il
convient de faire pour atténuer les émissions de gaz à effet de serre. Favoriser les énergies renouvelables, piéger
et stocker le carbone, développer les véhicules électriques et hybrides, améliorer l'isolation des bâtiments... Le
GIEC a publié en 2007 la liste des actions à entreprendre.
Cela ne suffira pas. Pour que ces techniques entrent dans nos vies, encore faut-il que nous ayons intérêt à les
adopter. D'où l'idée qui s'impose de taxer le carbone. "Les instruments de marché comme les taxes et les permis
négociables sont de puissants outils qui permettent d'envoyer aux entreprises et aux ménages des signaux de prix
les incitant à adopter des modes de production et de consommation plus durables", résume Romain Duval,
économiste à l'OCDE. Dans le meilleur des cas, les chefs d'Etat et de gouvernement pourraient se mettre
d'accord, fin 2009, lors de la Conférence de Copenhague, pour une taxe carbone qui verrait le jour en 2013. La
négociation s'annonce complexe. "Un accord devrait être à la fois précis, pour être crédible, et flexible, pour
prendre en compte les évolutions climatiques, technologiques et économiques qui ne manqueront pas de le
remettre en cause dans les décennies qui suivront", résume M. Duval.
PRIX MONDIAL DU CARBONE
La qualité de l'air étant un bien public mondial, instaurer un prix mondial du carbone paraît logique. Mais les
difficultés sont énormes. Outre l'inconnue que constitue l'élection présidentielle américaine, tout laisse à penser
que la Chine et l'Inde s'y opposeront. Pour de mauvaises raisons - la situation actuelle résulte de la croissance
passée des pays occidentaux - mais aussi pour d'autres bien plus recevables. Non seulement leurs revenus sont
inférieurs mais, comme leurs industries sont moins modernes, elles sont énergétiquement moins efficaces. Donc
une taxe appliquée de manière uniforme sur toute la planète pèserait beaucoup plus sur les pays pauvres que sur
les riches. Des scénarios alternatifs sont d'ores et déjà envisagés, comme une taxe pour les pays riches et des
engagements des pays émergents d'imposer des efforts à leurs industriels.
Pour les libéraux, les mécanismes de marché et l'innovation technologique doivent permettre de faire face au
changement climatique. Mais cette position ne fait pas l'unanimité. En se fixant des objectifs à atteindre en
matière d'énergies renouvelables, l'Union européenne se montre plus directive. En décidant notamment, à l'issue
du Grenelle de l'environnement, de geler tout nouveau projet d'infrastructures routières et aéroportuaires, la
France s'est également écartée de la philosophie de l'OCDE. Le GIEC, pourtant mis en place par George Bush
(père) et Margaret Thatcher, s'écarte aussi de la logique libérale, en insistant sur "les modifications des modes de
vie et du comportement qui peuvent contribuer à l'atténuation des changements climatiques". Pour M. Hourcade,
"il ne suffira pas de mettre une taxe carbone. Il va falloir réviser nos habitudes, notamment le taux de rotation
des biens de consommation et l'extension des villes, qui entraîne des problèmes majeurs de transports. A terme,
il faudra repenser nos modes de reconnaissance de la réussite sociale".
Si elle ne remet pas en question la croissance, la lutte contre le réchauffement climatique impose de prendre des
décisions politiques rapides qui ne seront pas populaires. Elle nécessite aussi de sortir d'une logique reposant sur
une croissance purement quantitative. En confiant aux Prix Nobel Joseph Stiglitz et Amartya Sen une réflexion
sur la mise en place d'indicateurs complémentaires à ceux qui mesurent le PIB, Nicolas Sarkozy n'a pas
explicitement fait référence aux questions d'environnement. Le lien est pourtant évident et nécessaire.
Frédéric Lemaître
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Le Monde, 26 mars 2009
La crise et le souci écologique transforment les modes
de consommation des Français
Les personnes précarisées s'alimentent de plus en plus mal
La crise économique a provoqué un changement notable dans le mode de consommation des Français. L'institut
spécialisé Mediascopie constate l'émergence de nouvelles habitudes " plus économes et plus durables, plus
sobres et moins ostentatoires ".
En 2008, le volume total des ventes a baissé de 2 %, selon le cabinet d'études TNS Worldpanel, soit une
moyenne de 25 produits en moins par famille. Les consommateurs ont notamment boudé les eaux minérales, la
petite confiserie, la pâtisserie industrielle, les lessives et nettoyants, ainsi que les " produits traiteurs ", qui
constituaient la locomotive du secteur alimentaire. Désormais, les Français font en sorte de maîtriser leurs
dépenses, en écartant les produits jugés non indispensables, trop chers ou trop " marketing ".
Les comportements plus écologiques participent aussi à ce changement d'attitude des consommateurs. Ce qui
peut nuire à la planète n'entre plus dans le panier de la ménagère. C'est le cas, par exemple, des lingettes
nettoyantes, dont les ventes baissent au profit de celles des bonnes vieilles éponges. " Les classes moyennes sont
en train de passer des achats compulsifs à des achats réflexifs ", résume le sociologue Denis Muzet.
Plus inquiétante est l'attitude des Français les plus défavorisés. La hausse des prix les contraint à se tourner vers
la nourriture à prix " discount ", privilégiant l'achat d'aliments riches en énergie, mais pauvres en nutriments.
Cette " malbouffe " est à l'origine du nombre important d'obèses, principalement chez les sans-emploi ou les
personnes à faible niveau d'éducation et de revenus.
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Le Monde, 16 avril 2009
Face à la crise, partager devient nécessaire
Il faut augmenter l'impôt sur le revenu
La montée des inégalités est au cœur de la crise économique. L'une des raisons fondamentales de la dépression
actuelle est la course en avant des plus riches vers la richesse. Ce " toujours plus " leur a fait perdre conscience.
Il s'est traduit par la recherche de rendements insensés pour les capitaux investis dans les entreprises, très
supérieurs à la croissance de l'économie globale. L'ajustement était fatal : la crise actuelle remet à l'heure les
pendules du capitalisme fou.
Il en a été de même pour les salaires : les échelles des revenus se sont étendues. Comme l'a montré l'économiste
Camille Landais, en France entre 1998 et 2006, les salaires des 0,01 % les mieux payés ont progressé de 69 %.
Un gain mensuel de 2 800 euros ! A une moindre échelle, les salaires nets des cadres supérieurs ont augmenté de
630 euros mensuels en moyenne entre 1998 et 2006, contre 140 euros pour les employés et 200 euros pour les
ouvriers.
Non contents de cette razzia sur les revenus, les plus aisés en ont demandé davantage encore à l'Etat, par le biais
de réductions d'impôts, prétextant le risque de " fuite " à l'étranger - qu'aucune étude n'a d'ailleurs jamais
démontré. En France, cette politique amorcée en 2000 par la gauche puis amplifiée par la droite, à travers les
réductions d'impôts sur le revenu, a encore accru les écarts de niveaux de vie.
Une partie des commentateurs ont cru possible une sorte de " keynésianisme des riches " : la hausse des
inégalités aurait tiré l'économie par le biais des dépenses des plus aisés. Il n'en a rien été, pour une raison simple
: le taux d'épargne s'élève avec le revenu. L'argent ainsi dégagé a largement alimenté le patrimoine financier des
couches les plus aisées, participant au gonflement de la bulle spéculative. A la place de la fuite des personnes,
on a orchestré une fuite des capitaux vers la recherche de gains toujours plus spéculatifs. On paie aujourd'hui
l'addition de ce vaste gaspillage : les baisses d'impôts n'ont eu pour effet que d'enfoncer les comptes publics,
sans avoir d'impact sur la croissance.
On peut évaluer combien la collectivité a perdu. Philippe Marini, rapporteur UMP de la commission des
finances au Sénat, a estimé à 60 milliards d'euros la diminution de recettes fiscales liée aux différentes baisses
de prélèvements décidées de 1999 à 2008... Si rien ne s'était passé de ce côté-là, l'Etat aurait des comptes dans
un état très différent. Et les moyens de répondre à la crise, alors que, comme la cigale, il a chanté tout l'été en
distribuant des ristournes aux plus aisés.
Il est impossible de répondre à la crise économique sans un effort de solidarité nationale, sauf à aggraver de
façon vertigineuse les déficits publics, qu'il faudra de toute façon payer un jour. Cet effort ne saurait être réalisé
sans tenir compte des gains obtenus dans les années récentes par les plus aisés. Selon la Déclaration des droits
de l'homme et du citoyen, la contribution commune doit être " répartie entre les citoyens en fonction de leurs
facultés ". C'est l'impôt sur le revenu, dont le taux augmente avec le niveau de vie, qui tient le mieux compte de
ces facultés.
Peu nombreux sont ceux qui osent le dire, compte tenu de la démagogie fiscale régnant en France : il faut
aujourd'hui augmenter l'impôt sur le revenu. Pour éviter de pénaliser les catégories moyennes, on peut imaginer
deux directions. Il faut d'abord réduire réellement les privilèges fiscaux (des journalistes à l'emploi de personnel
domestique en passant par les investissements immobiliers). Si l'on ne s'en tient pas à quelques exceptions pour
les " ultra-riches ", la suppression des niches fiscales peut rapporter plusieurs milliards d'euros à l'Etat.
Dans le même temps, on pourrait relever les taux des tranches supérieures du barème et recréer une nouvelle
tranche d'imposition supplémentaire à 50 % pour les revenus les plus élevés. Une telle mesure n'aurait pour effet
que de faire revenir le niveau de vie des plus aisés quatre ou cinq ans en arrière.
Pour quoi faire ? Contrairement à une idée répandue à gauche, distribuer quelques dizaines d'euros de pouvoir
d'achat n'a pas une grande utilité sinon d'accroître les importations. Face à la crise, la collectivité doit " protéger
", comme l'a compris le chef de l'Etat. D'où ses propositions sur l'indemnisation du chômage partiel, la prime
pour les jeunes ayant insuffisamment cotisé, ou le fonds d'investissement envisagé pour " coordonner les efforts
en matière d'emploi et de formation professionnelle ".
Mais la bise est venue : ayant gaspillé plus de 10 milliards - par an, rappelons-le - depuis 2007 avec le paquet
fiscal, essentiellement en direction des plus aisés, le président de la République n'a plus les moyens d'une réelle
politique de protection. Pour rendre la vie moins incertaine, il vaut mieux indemniser ceux qui se retrouvent sans
emploi, et en particulier les jeunes, premières victimes de la crise, réduire l'utilisation de contrats précaires,
offrir un effort de formation sans précédent, enfin mettre en œuvre les services publics de qualité qui tirent la
croissance à long terme : éducation, transports, santé, logement, etc.
Au-delà de la crise, la réflexion doit s'engager sur la " décroissance " qui va mettre sur le carreau de l'emploi des
centaines de milliers de salariés, souvent des jeunes. Mais il faudrait être totalement aveugle pour soutenir que le
niveau de croissance des " trente glorieuses " est économiquement et écologiquement soutenable. Il faudra bien,
à terme, s'adapter à une croissance lente et propre, moins quantitative et plus qualitative.
La seule solution pour conjuguer ces deux impératifs est de partager les richesses de façon plus équitable. Cela
n'implique pas de changer de système, de sortir de l'économie de marché, mais de demander à chacun de
contribuer en fonction de ses moyens pour que tous puissent vivre dans des conditions dignes sans détruire
l'environnement. " Oui, mais, pour répartir, il faut d'abord produire ", entend-on dire souvent. Raisonnement
insuffisant. Pour produire, on commence à comprendre qu'il faut en même temps répartir et que tout est question
de dosage : qui imagine produire sans routes, sans main-d’œuvre formée, avec des salariés malades ?...
D'un point de vue écologique, les moins égoïstes des plus aisés commencent à comprendre que cette politique
est de l'intérêt de leurs propres descendants, s'ils veulent en assurer la survie. La crise actuelle y ajoute une
urgence sociale : s'ils restent assis sur leurs niveaux de vie, ce n'est plus seulement de la survie des descendants
des plus riches qu'il s'agit, mais de l'équilibre de l'ensemble du système.
Louis Maurin, Directeur de l'Observatoire des inégalités
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Le Monde, 23 juillet 2009
L'urbanisation comme moteur du développement ?
L'urbanisation est l'un des piliers de la réussite économique d'un pays ", affirmait la directrice du
développement urbain à la Banque mondiale, Abha Joshi-Ghani, lors du symposium organisé à Marseille, fin
juin, par l'institution de Washington. Plus un mois ne passe sans qu'une conférence internationale ne souligne
l'importance stratégique de l'urbanisation. Une évidence, semble-t-il, à l'heure où, pour la première fois dans
l'histoire, la moitié de l'humanité vit dans des villes.
Cette réalité, pourtant, les organisations internationales, à l'image de beaucoup d'Etats, l'ont longtemps ignorée
ou combattue. Au point de projeter dans les pays en développement une désastreuse vision anti-urbaine,
remplacée depuis quelques années seulement par l'affirmation répétée du potentiel des villes, avec toute la foi
des nouveaux convertis.
Jusqu'au milieu des années 2000, la croissance des villes a d'abord été vue comme porteuse de chaos. Une
abondante littérature a dépeint un univers ingérable où prolifèrent misère et maladies, pollution et congestion,
criminalité et chômage. Ainsi, pendant des décennies, alors que la population urbaine de la planète enflait de
800 millions de citadins en 1950 à plus de 3 milliards aujourd'hui, de nombreux pays pauvres, encouragés par
les banques de développement, s'employèrent avant tout à décourager l'exode rural en aidant les campagnes et
non les villes.
De l'Amérique latine à l'Asie en passant par l'Afrique, l'onde de choc de l'explosion urbaine a été d'autant plus
violente qu'elle s'est propagée sans planification urbaine, sans politique foncière et sans programmes
d'investissement dans les logements, les infrastructures ou les services élémentaires - eau potable, électricité,
collecte des déchets, assainissement.
Plus d'un milliard de ces nouveaux urbains vivent aujourd'hui dans des bidonvilles. Ajouté aux caisses vides des
pays pauvres et à leurs administrations municipales embryonnaires, l'aveuglement des acteurs du
développement a été fatal. Portée par le lobby rural des institutions internationales, la croyance que les millions
de migrants entassés dans des taudis finiraient bien par retourner dans leurs campagnes a empêché d'affronter le
problème. Celui-ci ne cesse de s'amplifier : 70 millions de nouveaux arrivants grossissent chaque année les
villes des pays en développement, où les bidonvilles compteront 2 milliards d'habitants dans seulement vingt
ans si rien ne change.
Le regard des grandes institutions du Nord s'est récemment inversé, au point qu'elles considèrent désormais
l'urbanisation comme un moteur du développement. L'ONU-Habitat, créé en 1978 sous la forme d'un fragile
Centre des Nations unies pour les établissements humains, est devenu une véritable ONU des villes depuis son
sommet mondial de Vancouver, en 2006, qui a marqué la prise de conscience planétaire d'un phénomène massif
et irréversible d'urbanisation.
La Banque mondiale, où le secteur urbain a toujours représenté moins de 10 % des financements, reconnaît
désormais que l'urbanisation a une forte influence sur le développement économique et le recul de la pauvreté.
Un virage amorcé à l'automne 2008 dans le Rapport sur le développement dans le monde, que devrait confirmer
et amplifier la nouvelle " bible " de la Banque mondiale en matière de stratégie urbaine, attendue en septembre.
" Nous devons convaincre chaque gouvernement que s'il ne comprend pas cette dynamique urbaine son pays
n'en aura pas les bénéfices ", précise Mme Joshi-Ghani. Ce revirement s'est trouvé conforté par l'enjeu du
climat, à l'heure où les villes sont de plus en plus considérées comme l'échelle la plus pertinente et le levier le
plus efficace pour relever les défis lancés par le réchauffement.
Malgré leur conversion, les institutions mondiales ne sont peut-être pas bien armées pour affronter l'agenda
urbain. Selon des estimations, il faudrait construire 4 000 logements par heure d'ici à 2030 pour répondre aux
besoins ! Soit, en tenant compte du manque d'infrastructures et de services urbains, un investissement de 3 000
milliards de dollars...
Face à une telle urgence, de nombreuses voix militent pour un modèle de développement qui repose sur le
dynamisme des populations, et non sur de longues et coûteuses procédures de planification urbaine décidées par
les agences mondiales ou les gouvernements. Dans de nombreux pays, la responsabilisation des communautés
pauvres, le développement de l'épargne collective et du microcrédit ont fait la preuve de leur efficacité. Trois
cent mille familles en Thaïlande, 170 000 autres aux Philippines, ont ainsi reçu de meilleurs logements ces
dernières années grâce à ces réseaux communautaires appuyés sur des mécanismes de microfinance.
Les banques de développement, habituées à un cadre politique et financier plus institutionnel, sauront-elles
travailler avec les communautés pauvres et leur déléguer une large autonomie, ou entraîner les gouvernements à
le faire ? Ce sera l'une des clés de l'urbanisation du monde en développement.
Grégoire Allix, Service Planète
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L’Humanité, 5 mai 2009
Peut-on encore faire des prévisions ?
Souvent critiquées, les statistiques économiques font l’objet de véritables remises en cause, face à l’incapacité
des modélisations libérales à anticiper la crise.
Pas de boule de cristal ni de marc de café, juste des statistiques, quelques équations, une dose de théorie
économique pour que, in fine, les prévisions tant attendues apparaissent. Un « art » qui est un véritable numéro
d’équilibriste extrêmement difficile, puisqu’il s’agit de prendre en compte et de modéliser l’économie dans
toute sa complexité, non pas déterministe, prévisible et mécaniste, mais probabiliste et en constante évolution.
L’erreur de prévision économique est donc potentiellement élevée. Mais devant la complexité croissante des
mécanismes économiques, les médias répercutent chaque matin les publications des différents organismes
statistiques : estimation du nombre de chômeurs, évolution du PIB, taux d’inflation… Et dans les secondes qui
suivent, les valeurs de la Bourse réagissent aux annonces. À tel point que cette batterie d’indicateurs est
aujourd’hui plus que jamais un outil indispensable à la gestion des affaires des entreprises et à la conduite des
politiques publiques.
Pourtant, au cours des dernières années, nombreux sont les exemples où elles n’ont pas su anticiper les krachs
boursiers ni les crises économiques et financières. Or, depuis les années soixante-dix, une majorité
d’économistes ont fait en sorte de donner à leur discipline un caractère scientifique, leur permettant ainsi de
prétendre que les dogmes néolibéraux étaient plus légitimes que tout autre pensée puisqu’ils avaient fait l’objet
de modèles mathématiques. Fort de cette légitimité, les libéraux ont pu imposer toutes les mesures de
déréglementations des différents marchés, dont la crise a montré la nocivité.
Début 2008, Guy Sorman, dans son livre, L’économie ne ment pas, concluait : « Le temps des grandes crises
semble passé parce que les progrès de la science permettent de mieux les comprendre et de mieux les gérer. »
Quelques mois plus tard, la crise la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale s’abattait sur la planète.
Pourtant, on sait aujourd’hui, grâce aux travaux de l’historien Charles Kindleberger, que les crises obéissent
toujours aux mêmes mécanismes, fondés sur la spéculation. Un constat partagé par Patrick Artus, directeur de la
recherche économique chez Natixis : « Même si l’analyse des problèmes structurels de l’économie mondiale
(excès de liquidités, insuffisance de l’épargne aux États-Unis, émergence de bulles spéculatives sur le prix des
actifs…) était en général bien faite et acceptée, l’extension et la gravité de la crise ont été sous-estimées en 2007
par beaucoup d’économistes. »
Depuis, à chaque prévision, les économistes révisent leurs chiffres, et aucun modèle ne semble fonctionner.
« La fragilité des chiffres est totalement inédite », affirme Xavier Timbeau, économiste à l’OFCE. « On vit une
période inhabituelle qui entraîne des comportements inhabituels », déclare pour sa part Éric Dubois, chef
du département conjoncture de l’INSEE. Dès lors, fonder ses prévisions sur l’analyse traditionnelle ou encore
l’économétrie, c’est-à-dire la mise en équation du passé pour prévoir l’avenir, devient de plus en plus caduc.
La prévision économique, qui est par nature un exercice délicat, serait-elle devenue impossible à réaliser ? Pour
l’économiste de l’OFCE, les prévisions ont toujours un sens : « On annonce du jamais-vu. C’est un peu comme
une alerte avant un crash ; c’est difficile de prévoir exactement quelle va être la gravité du choc et le nombre de
morts, mais l’alerte a été donnée… » Le débat est loin d’être clos. Il sera abordé à Vienne, en Autriche, où les
experts de 40 instituts mondiaux pourront partager leurs doutes, lors du congrès semestriel de l’Association des
instituts européens de conjoncture économique, qui se tiendra les 7 et 8 mai.
Clotilde Mathieu
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Le Monde, 1er septembre 2009
Une crise qui ne règle pas les problèmes qui l'ont générée
Le 15 septembre 2008, la banque d'affaires Lehman Brothers faisait faillite. Comme terrassée par un
infarctus, l'économie mondiale s'effondrait. Même en 1929, la chute avait été moins brutale. Un an a
passé. Pour le dire en un mot : les gouvernements " ont fait le job ". Le système financier a été sauvé, la
chute de la demande a été amortie par les déficits publics. Les bons résultats enregistrés au second
trimestre (retour à une croissance positive en France, Allemagne, Japon...) restent certes fragiles : la
montée attendue du chômage, l'essoufflement des effets des primes à la casse réservent de mauvaises
surprises...
Il semble toutefois acquis que la crise de 1929 ne se répétera pas. Bonne nouvelle donc. Mais mauvaise
nouvelle : la crise actuelle n'a rien à voir avec celle de 1929. Elle n'est pas une crise du XXe siècle
égarée au XXIe : elle est la première crise de la mondialisation. Et à cette aune, rien n'est réglé des
problèmes qui l'ont créée.
Reprenons. La crise actuelle est née de deux ruptures principales. La première date des années 1980 :
c'est la révolution financière qui met la Bourse aux commandes des entreprises. Elle y institue un
nouveau mode de gestion. Les firmes cessent d'être des organisations au sens où on l'entendait dans les
années 1950 et 1960, favorisant les carrières longues et la loyauté des salariés. Elles visent désormais
l'efficacité immédiate. Le bonus prend la place de l'ancienneté comme mode de gestion des ressources
humaines. Comme l'a magnifiquement montré Maya Beauvallet dans son livre Les Stratégies absurdes
(Le Seuil), les impératifs de performance immédiate tendent à cannibaliser tous les autres. Le souci du
travail bien fait, la loyauté à l'entreprise disparaissent, seul compte l'objectif fixé, quelles que soient les
pathologies qui en résultent...
La mondialisation est la seconde rupture qui a bouleversé le monde. Elle permet aux pays émergents de
s'industrialiser, ce qui produit deux effets de sens contraire : baisser le prix des produits industriels et
monter le prix des matières premières. Grâce à elle, les gens paient de moins en moins cher leurs écrans
plats et leurs iPod, et de plus en plus cher leurs dépenses de base : le chauffage, la nourriture et les
déplacements. L'économie mondiale avance en appuyant à la fois sur l'accélérateur et le frein. Les
secousses brusques sont devenues inévitables.
Dans les années 1970, la hausse du pétrole avait cassé la croissance, engendrant un mal nouveau : la
stagflation. Les salariés avaient réclamé et obtenu des augmentations pour compenser le renchérissement
de l'énergie, provoquant une accélération de l'inflation. Dans les années 2000, l'inflation est restée
maîtrisée. La baisse des prix industriels et l'érosion du pouvoir de négociation des salariés ont cassé
l'inflation salariale. Les excédents pétroliers n'ont pas été laminés par l'inflation, comme dans les années
1970, ils ont erré dans l'économie mondiale à la recherche de placements rémunérateurs.
Sur fond de cette tendance générale, un problème additionnel s'est greffé. C'est celui qui est
spécifiquement posé par la Chine, grande exportatrice de produits industriels et consommatrice hors
normes de matières premières. Ce pays ajoute un déséquilibre de plus. Inquiet par son absence de
protection sociale, son vieillissement attendu, ses salaires insuffisants, le pays épargne beaucoup,
presque 50 % de son revenu, générant des excédents commerciaux aberrants. La Chine produit ainsi une
espèce de " trou noir ". A l'image des pays exportateurs de matières premières, et bien qu'elle en soit
importatrice, la Chine fait flotter dans l'économie mondiale des liquidités considérables.
Tel est le cadre dans lequel il faut apprécier la crise des subprimes. Les excédents pétroliers et chinois
ont cherché des contreparties. Wall Street les a fournies en inventant, au mépris du long terme, des
moyens inédits d'endetter l'Amérique. Il est habituel d'imputer la crise à la politique monétaire trop
laxiste menée par Alan Greenspan et aux pousse-au-crime qu'ont constitué les bonus payés à Wall
Street. Ces reproches ne sont pas infondés, mais dans les deux cas, la toile de fond est beaucoup plus
vaste. Les liquidités abondantes sont la manifestation des nouveaux déséquilibres du monde, et les
bonus l'expression d'un nouvel esprit du capitalisme. Toutes choses qui ne disparaîtront pas du jour au
lendemain.
Que va-t-il advenir, à court terme ? A présent que la bulle du crédit a crevé, les ménages américains vont
devoir recommencer à épargner, ce qui signifie que la demande intérieure ne devrait pas repartir
rapidement aux Etats-Unis. La crise a fermé une solution bancale, mais sans en offrir de rechange. Dès
lors, de deux choses l'une. Soit de nouvelles bulles de crédit prennent le relais de celle qui vient d'éclater
(pour l'instant ce sont les déficits publics qui jouent ce rôle), soit la croissance mondiale restera
médiocre, faute de débouchés pour absorber les excédents chinois et pétroliers. Dans les deux cas, de
nouvelles désillusions se préparent... 1929 a été évitée, mais le poison à l'origine de cette crise-ci
continue d'agir.
Daniel Cohen
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