96 | 13 mars 2008 | Le Point 1852
qu’en dépit d’une création d’emplois
bien meilleure depuis l’euro la France
pourrait certainement faire beaucoup
mieux encore. Plus de croissance à long
terme, plus d’emplois et plus de pros-
périté sont possibles moyennant la pour-
suite d’une politique de réformes. Nous
soutenons la politique de réformes. A
titre d’exemple, le marché du travail
n’est pas assez souple. Il est très impor-
tant, dans l’environnement économique
actuel, que les entreprises puissent pren-
dre très rapidement les décisions requi-
ses par leur adaptation permanente. Au
sein de la zone euro, l’Irlande offre un
exemple remarquable de réussite éco-
nomique fondée sur la souplesse du
marché du travail. Et le Danemark, qui
est de facto lui aussi au sein de la zone
euro, nous donne également un exem-
ple de formidable réussite et de plein-
emploi grâce à un marché du travail très
souple, qui ne met pas en cause pour
autant la qualité de la protection sociale.
Second exemple, le niveau très élevé
des dépenses publiques totales freine
la croissance. La France a le niveau de
dépenses, en proportion du PIB, le plus
élevé de la zone euro et, ex aequo avec
la Suède, le plus élevé de l’Union euro-
péenne. Mais ce que l’on sait moins,
c’est que depuis la création de l’euro la
France a encore augmenté ses dépenses
en proportion du PIB, tandis que la Suède
les a diminuées de 7 % du PIB et conti-
nue de le faire! Un troisième exemple
possible de réforme serait celui de l’édu-
cation et de l’enseignement supérieur :
dans une économie mondiale de la
connaissance, l’Université française n’a
pas encore le niveau d’excellence qui
serait nécessaire. Cela a été, entre autres,
très bien souligné dans le rapport Attali.
Bref, l’économie française pourrait faire
beaucoup mieux grâce aux réformes né-
cessaires. C’est vrai de l’économie fran-
çaise. C’est vrai aussi de l’ensemble de
l’économie de la zone euro.
La Suisse, la Grande-Bretagne,
le Danemark… Ces pays s’en sortent très
bien sans l’euro. A quoi sert la monnaie
unique?
La prospérité et la création d’emplois
ne dépendent évidemment pas seule-
ment de la politique monétaire, mais
aussi des politiques économiques na-
tionales poursuivies dans les domaines
non monétaires et, tout particulière-
ment, dans celui des réformes. Mais
vous citez le Danemark à juste titre. Le
Danemark est de facto de par sa propre
volonté dans la zone euro. C’est donc
un argument pour la zone euro ! Quant
à la Grande-Bretagne, dont les succès
sont liés à ses réformes, qui aurait pu
imaginer qu’un pays très proche, l’Ir-
lande, aurait aujourd’hui un niveau de
vie et une croissance supérieurs à ceux
du Royaume-Uni ? L’Irlande est dans la
zone euro !
Mais, quand on regarde pays par pays les
efforts des uns et des autres, on a
souvent le sentiment que l’euro est une
prime aux mauvais élèves.
D’abord, il faut choisir entre les criti-
ques ! On ne peut pas dire à la fois que
l’euro est un handicap et que l’euro est
une protection finalement trop efficace !
L’euro est avant tout une chance pour
l’Europe. Celle consistant à parachever
le projet des pères fondateurs : un mar-
ché unique à monnaie unique pour le
continent entier assurant plus de stabi-
lité, plus de prospérité et de création
d’emplois. En même temps, l’euro nous
protège de certaines turbulences. Songez
que depuis la mise en place de l’euro
nous avons traversé l’éclatement de la
bulle Internet, le 11 septembre 2001, la
flambée des prix pétroliers et la crise
financière actuelle. Songez à ce qui se
serait passé face à des turbulences de
cette ampleur si chaque pays de l’euro-
zone avait eu sa propre monnaie. L’euro
a joué aussi le rôle d’un bouclier effi-
cace. Aux pays qui l’ont adopté de faire
le meilleur usage tant de cette chance
que de cette protection. Avec ou sans
euro, les politiques budgétaires saines,
les réformes structurelles et la modéra-
tion des coûts de production sont ré-
compensées par plus de croissance et
plus de création d’emplois.
Parmi les critiques les plus virulentes,
il y a la question de votre indépendance.
Seriez-vous prêt à accepter un droit de
regard des politiques sur vos décisions,
comme certains le réclament?
L’indépendance de la BCE est fonda-
mentale. Elle est gravée dans le traité.
Elle est au cœur de notre crédibilité.
Elle est soutenue par nos 320 millions
de concitoyens de la zone euro.
L’indépendance des banques centrales
fait maintenant l’objet d’un consensus
mondial. Mais ce n’est pas la BCE qui
s’est donné à elle-même l’indépendance.
Ce sont les démocraties européennes.
Dans le cas français, la Constitution de
la VeRépublique a été modifiée en
1992 par un consensus bipartisan droite-
gauche à la majorité qualifiée des trois
cinquièmes du Congrès. Puis il y a eu
le référendum populaire. Puis deux vo-
tes au Parlement. Toutes les démocra-
ties européennes ont ratifié le traité
selon leurs propres règles démocrati-
ques. La BCE indépendante comme la
Banque de France indépendante sont
les filles de la volonté démocratique de
la France et des autres démocraties
européennes. Par ailleurs, le traité a or-
ganisé de manière scrupuleuse les re-
lations entre la BCE indépendante et les
institutions politiques. En tant que pré-
sident de la BCE, je suis plus de cinq
fois par an devant le Parlement euro-
péen. C’est plus qu’aux Etats-Unis. Le
président de l’Eurogroupe et le com-
missaire compétent sont invités à tou-
tes les réunions du Conseil des gouver-
neurs deux fois par mois. Je vois les
ministres des Finances de la zone euro
au sein de l’Eurogroupe une fois par
mois. Et les gouverneurs des banques
centrales nationales, qui sont elles-mê-
mes indépendantes (Christian Noyer
en France), sont tous membres du
Conseil des gouverneurs et ont leurs
propres relations avec les autorités po-
litiques nationales §
PROPOS RECUEILLIS PAR PATRICK
BONAZZA ET ROMAIN GUBERT
« L’économie française pourrait faire beaucoup mieux
grâce aux réformes nécessaires. »
ÉCONOMIE
! !
« Les mouvements désordonnés des taux
de change sont indésirables du point de vue
de la croissance économique. »