Probing to Know and be Known - Groupe d`étude sur l`intersubjectivité

Slavin, M O. & Klein, E.J. (2013). Chapter 10, The Origins of attachment: Infant Research and Adult
Treatment. Beebe, B. & Lachmann, F.M., Routledge; New-York.
Probing to Know and to Be Known
Existential and Evolutionary Perspectives on the
« Disorganized » Patient’s Relationship with the analyst
Traduction : Maurice Carrier
Révision : Nadine Gueydan
Les stratégies humaines pour connaître l’autre et être connu de lui
Perspective existentielle évolutionniste sur la relation entre le patient
« désorganisé » et son analyste
Malcolm Owen Slavin et E. Joyce Klein
Une relecture du scénario d’attachement de type «D» au cours du
développement et dans le traitement
Notre étude s’est attachée à élargir le tableau, que Dr Beebe dépeint avec une
extraordinaire précision, des interactions désorganisées dans l’attachement précoce
dans la dyade mère-enfant et, par extension, thérapeute-patient.
D’emblée nous proposons une relecture des scénarios d’attachement – de
l’attachement sécurisant jusqu’à l’attachement désorganisé à partir d’un double
ancrage théorique mariant les perspectives existentialiste et évolutionniste. Bien que
notre position admette sans restriction les aspects aberrants et pathogènes de
l’attachement désorganisé, nous désirons attirer l’attention sur la dimension humaine
universelle du conflit, de la multiplicité et des stratégies pour duper et se duper.
Particulièrement aigus dans les interactions désorganisées, ces aspects habitent
néanmoins toutes formes de relation humaine.
Nous porterons une attention particulière aux tentatives empressés du patient
«désorganisé» pour jauger la capacité du psychothérapeute à composer avec les
expériences de terreur existentielle et de conflit appartenant à l’un ou à l’autre des
protagonistes. Nous souhaitons par-là ajouter à la description clinique déjà
remarquable des auteurs Beebe et Lachman de la stratégie employée pour «connaître
et être connu » au sein des interactions humaines les plus précoces.
Terreur existentielle, multiplicité, quête de vérité et de réciprocité
Commençons par un cas particulièrement représentatif d’interaction
développementale entre une mère et son enfant. Non pas que les protagonistes
démontrent un style d’interaction désorganisé loin de mais leur aptitude à
mettre en mots certains enjeux cruciaux donne un aperçu de ce qu’on peut concevoir
comme des enjeux humains inscrits dans toute forme de négociation
développementale (Slavin, 2011).
Noah, le fils de 6 ans de ma patiente Sarah, est terrifié d’aller se coucher.
Fasciné par tout ce qu’il voit de violent et de dangereux aux informations télévisuelles,
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il attire constamment l’attention de ses parents sur ces aspects de l’actualité, alors
qu’eux-mêmes, comme la plupart d’entre nous, n’y portent que très peu d’attention. Le
soir, il craint que quelqu’un entre dans sa chambre, le kidnappe et le tue. Aucun
traumatisme significatif n’a pu être identifié dans son passé. Pas d’évidence de
traumatisme, personnel ou social, à partir duquel nous aurions pu situer son
expérience et lui donner sens.
Sarah me raconte qu’à l’heure du coucher elle prend le temps d’écouter son fils
exprimer son angoisse de mourir, lui répond qu’elle comprend sa peur de perdre
quelque peu son lien à elle et à son papa et tente de le rassurer sur le fait que son
monde à lui n’est pas aussi dangereux qu’il l’imagine. Il écoute, mais ses angoisses
persistent.
À mesure que nous en discutons en analyse (en explorant les thèmes familiers
à Sarah de culpabilité et d'anxiété), nous réalisons que Noah perçoit peut-être un
aspect de notre monde et de ses dangers qui sont à peine tolérables pour nous, c’est-
à-dire pour Sarah, son mari et moi-même. Sans doute l’enfant cherche-t-il à se faire
rassurer ; mais il cherche aussi la reconnaissance et le partage de ce qu’il voit (en fait,
beaucoup trop) par son état hautement perceptif et encore peu équipé en défenses.
Sarah décide de lui dire qu’il désire peut-être qu’elle et son papa admettent que
ce qu’il voit et entend est réellement effrayant. Qu’il est possible qu’elle et son papa
soient tellement habitués à voir et à entendre ces choses terrifiantes qu’ils ne les
sentent plus et ne les voient plus autant que lui. Noah s’apaise. Toujours apeuré, il se
montre plus disposé à en parler et à entendre ce que sa mère lui dit.
Peu après, au moment de se coucher, la conversation suivante a lieu :
Noah : Mais, Maman, je pense que… peut-être que t’es pas assez forte pour
me protéger.
Maman : Mais nous sommes des adultes forts. Tu es en sécurité ici avec nous
et nous t’aimons beaucoup.
Noah : Mais, Maman, tu t’aimes toi-même plus que moi.
Maman : Ah, pas vraiment… Je… ah… les parents… aiment leurs enfants
autant qu’ils s’aiment eux-mêmes.
Noah : Mais, maman, je pense que je m’aime moi-même plus que toi.
Maman : Bon, c’est probablement ainsi que ça doit être pour les enfants. Tu as
besoin de t’aimer toi-même beaucoup, probablement que tu dois t’aimer le plus.
Noah continue d’avoir peur de s’endormir.
À la séance suivante, Sarah me rapporte s’être sentie émotionnellement
déstabilisée et poussée à la limite de sa compréhension par les paroles de son fils,
tout en étant passablement admirative de la candeur désarmante de ses propos.
Comprendre qu’elle et le père de Noah puissent explicitement reconnaître la
validité des perceptions de l’enfant semble lui donner le courage d’aborder l’énorme et
épineuse question : comment naviguons-nous entre notre amour de nous-mêmes et
notre lien aux êtres qui nous sont chers ; dans la tension soi-autre qui se mêle aux
impressions émergentes de compréhension, de foi et d’amour face aux
préoccupations multiples de chacun et face aussi à la terreur existentielle sous-
jacente. Candidement, l’enfant confronte les petites tromperies quotidiennes envers
soi ou autrui qui s’insinuent inévitablement dans le champ expérientiel.
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Sarah en vient à se sentir capable de communiquer à son fils que, d’une
certaine manière, alors qu’elle laime énormément, elle est aussi impliquée dans les
activités de sa propre vie, en particulier dans son travail. Il est vrai que parfois cela
détourne ses pensées de lui, l’attire vers des choses et des gens en dehors de lui.
Elle convient dans des mots accessibles (même si, dans le cas de Noah, cela ne
pose pas problème) que cette tension, cette multiplicité existe à l’intérieur d’elle. Il
sest avéré que Noah a fort bien reçu cet aveu.
Quelques soirs plus tard, Sarah revient sur le sujet en disant à Noah qu’elle a
repensé à leur conversation : « Tu semblais, dit-elle, percevoir quelque chose à mon
sujet et à ton sujet plus clairement que moiTu as vu que je t’aime aussi fort que je
peux imaginer aimer quelqu’un, et qu’il y a aussi d’autres choses que j’aime ou que
j’aime faire – des choses qui conduisent mon esprit parfois loin de toi ».
Noah la regarde un moment, puis hoche de la tête comme pour montrer qu’il
l’entend bien. Il semble beaucoup plus calme, se niche dans ses couvertures,
complètement détendu, et s’endort. Dès lors, les choses s’apaisent et tout rentre dans
l’ordre.
Sources de danger et de sécurité au sein de la famille : anxiété existentielle
commune, intentions divergentes, multiplicité et duperie
De quoi est-il question dans cette interaction ? De l’effort mené par Noah pour
sécuriser son attachement, face à la noirceur, l’isolement, les dangers fantasmés et
les menaces du monde externe. Assurément, mais d’autres dimensions émergent de
ce récit. En voici quelques-unes :
Nous voyons l’histoire de Noah et de Sarah comme l’illustration-type d’un
contexte relationnel plus large au sein duquel se construisent toutes les significations :
que nous conférons du sens à la vie dans l’espoir d’un monde suffisamment
sécurisant, compréhensible et fiable. Il est clair qu’une fois établie, l’enveloppe
«sécurisante» est susceptible de se dissoudre dans chaque événement de la vie,
dont, bien entendu, les expériences aberrantes et traumatisantes. Dans le cas des
futurs enfants désorganisés, comme nous le constatons dans les séquences
interactives rapportées par Beebe et Lachmann (2013), les négociations précoces de
la dyade mère-enfant sont « caractérisées par des attentes de détresse et
d’incohérence émotionnelles » (Beebe et al, 2010, p.7), mettant ainsi à l’épreuve
l’aptitude de l’enfant à se créer un monde sensé et prévisible.
Devant un tel abîme existentiel apparaît clairement le pouvoir structurant des
interactions humaines, ne serait-ce qu’à travers le visage animé d’une mère. Comme
l’a démontré Tronick (1989) avec son dispositif du visage impassible, après seulement
deux minutes de privation de toute forme d’interaction (même dérégulée,
incompréhensible ou intrusive), l’enfant s’abîme dans une détresse de perte de
connexion au monde et de perte d’impact sur ce qui, normalement, se présente à lui à
travers l’animation faciale et les vocalisations de sa mère.
Toutefois, l’évidence de ce besoin du petit humain ne traduit peut-être pas tout
ce qui se joue alors. Cela ne serait même qu’une partie de l’histoire. La réaction
intense de l’enfant pourrait également révéler une expérience ancestrale d’un
sentiment d’«absence» et de vide, prêt à surgir à tout moment, terreau de l’anxiété
d’annihilation. Dans cette hypothèse, la présence expressive de la mère non
seulement répondrait à un besoin constitutif d’être en interaction, mais agirait comme
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un antidote vital à la terreur existentielle. Et pas uniquement au besoin de l’enfant de
ressentir la présence maternelle comme protection contre les dangers externes ce
qui constitue le cœur du concept d’attachement mis de l’avant par Bowlby (1969). La
présence maternelle imprègnerait également l’enfant de quelque chose qu’il doit
ressentir dans ses entrailles : quelque chose qui existe entre lui et l’abîme un abîme
«dedans-dehors» qui ne provient pas simplement de l’absence de la mère, mais dont
la présence de la mère le préserve (Slavin, 2011). À ce titre, nous pouvons voir
l’attachement de Noah à sa mère, en deçà ou au-delà de toute interaction observable,
comme un attachement à une figure quasi-divine par qui survient le sens, à un de ces
«dieux parentaux de l’enfance», comme le suggère Hoffman (1998).
Notons que la coloration magique et sacrée du lien nous situe déjà au-delà des
dimensions rationnelle ou affective généralement associées à l’expérience de
parentage. Les parents quasi-divins procurent à l’enfant, dans un cadre d’intimité et
d’autorité, les idéalisations et les reconnaissances nécessaires à l’établissement d’une
subjectivité sur laquelle fonder l’espoir – la confiance de base envers un monde
signifiant et fiable, un monde suffisamment sûr pour y vivre et, inévitablement, y
mourir.
Comme le décrit si bien Beebe : «… le retrait maternel face au poupon en
détresse compromet les capacités interactionnelles et la cohérence émotionnelle de
l’enfant désorganisé (et non sécurisé) quil risque de devenir. On qualifie ces enfants
de « frénétiques », non reconnus dans leur détresse, et on relève leur impuissance à
influencer leur mère pour y répondre» (Beebe et al. 2010, p.109).
Ces interactions dommageables vont sans aucun doute forger le champ
expérientiel de l’enfant et distordre son expérience du monde empêchant la création
d’un espace transitionnel suffisamment bon par lequel s’opère normalement la
fonction d’amortisseur du parent quasi-surnaturel. Mais il ne faudrait pas laisser ces
incidences externes brouiller le fait que les interactions désorganisées ne sont pas la
seule origine de la propension humaine à éprouver de la terreur existentielle. C’est
une frayeur à laquelle nous sommes tous exposés, tout comme Noah, parce que nous
avons en nous la capacité d’être conscient des réalités existentielles que sont la
finitude et les pertes, tout comme l’altérité inscrite à même nos relations les plus
proches.
Certes, ces réalités universelles sont vécues de façon plus aigüe chez ceux qui
furent des enfants désorganisés. Plus aigüe au sens où, bien que leur expérience soit
marquée par une « distorsion », au sens étroit et normatif du terme, leur sensibilité
accentuée les précipite plus intensément dans le champ expérientiel auquel tout un
chacun est confronté. Selon nous, les enfants désorganisés sont privés de la fiabilité
et la vitalité de la fonction parentale quasi-divine fonction presque surnaturelle qui
rend possible l’expérience du sens si éphémère et facilement perdu. Leurs
traumatismes les installent dans une conscience aigüe et directe de ces aspects de la
vie et des complexités relationnelles. Conscience qui, de surcroît, comme on le voit
dans le récit de Noah et Sarah, révèle les niveaux dissociés de notre propre anxiété et
accentue le douloureux inconfort de la multiplicité de nos besoins et motivations.
Outre ce que nous avons qualifié d’antidote contre les sentiments extrêmes de
solitude, la fonction parentale quasi-divine implique, pour le parent, de se replonger
dans ses propres versions de l’anxiété existentielle qui prend forme chez l’enfant.
Mises en évidence à travers les questions de Noah et les conversations analytiques
de Sarah, mais déjà détectables dans les gestes maternels du tout début de la vie, les
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anxiétés de l’enfant confrontent inévitablement le parent à sa propre histoire
existentielle. Et cela se passe dans la complexité des préoccupations de chacun,
complexité potentiellement conflictuelle dans la famille humaine. De plus, dans les cas
d’enfants désorganisés, Beebe et Lachmann observent que les traumatismes inscrits
dans l’histoire de la mère perturbent sa capacité à répondre avec empathie aux
besoins de l’enfant.
Négocier l’altérité d’une semi-déité
Le questionnement insistant de Noah met en lumière les efforts de sa mère
pour entretenir une illusion de sécurité suffisamment bonne et efficace dans ce monde
affolant. Sarah (ainsi que son mari) doit alors rencontrer son propre aveuglement à la
violence du monde et secouer sa confortable mais illusoire croyance en un monde
familier et rassurant. Elle doit revisiter et se donner autrement l’assurance de ses
forces vives et de son pouvoir de protection.
Comme toute mère qui, comme Winnicott (1965) le lance en boutade, «hait son
enfant dès le départ» (ce qui renvoie non pas à l’affect de haine comme tel mais à
l’inévitable collision des subjectivités respectives), Sarah se confronte aux défis que
lui présentent les questions de Noah, plus particulièrement ceux en lien avec sa
manière à elle de composer avec ses propres besoins, lorsqu’ils sont en conflit avec
ceux de son fils.
Les travaux de Beatrice Beebe (Beebe et al. 2010) présentent des versions
considérablement plus extrêmes de ce qu’elle appelle « conflits affectifs dyadiques ».
Cela se produit lorsque les besoins et préoccupations d’une mère sont
particulièrement éloignés de l’état de détresse affective de l’enfant. Les mères
d’enfants désorganisés donnent en effet l’impression de tenir fortement à leurs
propres états et de vouloir modifier celui de leur enfant ne serait-ce qu’en affichant
leurs affects dissonants comme se montrer surprises ou souriantes lorsque l’enfant
est en détresse. De telles aberrations sont parfois accentuées par des phrases du
genre « Ne soit pas comme ça » ou « Arrête de pleurnicher, tu devrais être content ».
La mère peut aussi tenter de se faire comprendre en fixant son regard ailleurs et/ou
en surgissant brusquement tout près de l’enfant.
Des comportements aussi mal ajustés ont assurément des effets pathogènes.
Or, une autre fascinante recherche menée par Jaffe, Beebe, et al. (2001) a démontré
que des comportements d’accordage de rythmes vocaux trop bien synchronisés
prédisent un attachement insécurisé. Pour nous, l’idée qu’il puisse y avoir un niveau
d’accordage approprié situé à mi-chemin entre une coordination très serrée et son
déficit va dans le sens de notre hypothèse stipulant que le conflit, à la fois intra- et
intersubjectif, est un défi relationnel universel. Les interactions d’attachement
désorganisé ne reflètent certes pas les moyens normaux et attendus d’exprimer les
divergences propres à l’altérité. Mais les conflits relationnels et existentiels sous-
jacents auxquels les comportements mal ajustés offrent des réponses aberrantes
sont, de notre point de vue, un enjeu incontournable des relations humaines, même
les plus intimes.
Ainsi, lorsque Sarah jongle intérieurement pour se réguler elle-même tout en
s’ajustant à son fils bien-aimé, on est témoin de la multiplicité naturelle d’une mère.
Une subjectivité complexe qui se manifeste parfois par un état de dissociation tout-à-
fait normal mettant en jeu des exigences internes difficiles à concilier (Benjamin,
1995). La multiplicité de la mère renvoie alors à une dimension déterminante de cet
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