tension, cette multiplicité existe à l’intérieur d’elle. Il s’est avéré que Noah l’a très
bien compris.
Quelques soirs plus tard, Sarah revient sur le sujet en disant à Noah qu’elle a
repensé à leur conversation.
« Tu semblais, dit-elle, percevoir quelque chose à mon sujet et à ton sujet
probablement plus clairement que moi… Tu sais que je t’aime aussi fort que je
peux imaginer aimer quelqu’un, et qu’il y a aussi d’autres choses que j’aime ou
que j’aime faire – des choses qui amènent mon esprit parfois loin de toi ».
Noah l’a regardé un moment, puis a hoché de la tête comme pour montrer
qu’il l’entendait bien. Il semblait beaucoup plus calme, s’est niché dans son lit,
complètement détendu, et s’est endormi. Dès lors, tout s’est arrangé.
Sources de danger et de sécurité au sein de la famille : anxiété
existentielle commune, intentions divergentes, multiplicité et duperie
De quoi est-il question dans cette interaction ? Sans aucun doute de l’effort
mené par Noah pour sécuriser son attachement, face à la noirceur, l’isolement, les
dangers fantasmés et les menaces du monde extérieur. Mais d’autres dimensions
émergent de ce récit. En voici quelques-unes :
Nous voyons l’histoire de Noah et de Sarah comme l’illustration-type d’un
contexte relationnel propre à l’humanité au sein duquel se construisent toutes les
significations : que nous conférons du sens à la vie dans l’espoir d’un monde
suffisamment sécurisant, compréhensible et fiable; qu’une fois établie, l’enveloppe
«sécurisante» est susceptible de se dissoudre à chaque instant de la vie et, bien
entendu, par les expériences traumatisantes. Dans le cas des futurs enfants
désorganisés, comme nous le constatons dans les séquences interactives rapportées
par Beebe et Lachmann (2013), les négociations précoces de la dyade mère-enfant
sont « caractérisées par des anticipations de détresse et d’incohérence
émotionnelles » (Beebe et al, 2010, p.7), mettant ainsi à l’épreuve l’aptitude de
l’enfant à se créer un monde sensé et prévisible.
Devant un tel abîme existentiel apparaît clairement le pouvoir structurant des
interactions humaines, ne serait-ce qu’à travers le visage animé d’une mère.
Comme l’a démontré Tronick (1989) avec son dispositif du visage impassible,
après seulement deux minutes de privation de toute interaction (même dérégulée,
incompréhensible ou intrusive), l’enfant s’abîme dans une détresse de perte de
connexion au monde et de perte d’impact sur ce qui, normalement, se présente à lui
à travers l’animation faciale et les vocalisations de sa mère.