Commentaire
Investissement : gare aux fausses
bonnes idées
Que les marchés soient haussiers ou
baissiers, les investisseurs institutionnels/
particuliers et leurs conseillers recherchent
des idées d’investissement capables
d’accroître leurs performances, de réduire
leurs risques, voire les deux à la fois. Que
cela entre dans le cadre de leurs
responsabilités ou d’un besoin, ils
réfléchissent à de nouvelles idées pour
améliorer le profil de leurs portefeuilles.
Bien que toutes les nouvelles idées
d’investissement ne soient pas dénuées
d’intérêt, ces innovations répondent trop
souvent à un besoin actual ou constituent
une « solution parfaite » aux défis des
années passées. En règle générale, ces
solutions ont vocation à mieux maîtriser les
risques sur un marché baissier et volatil ou
à capter davantage le potentiel d’un marché
haussier. Pour mieux évaluer ces
opportunités, les investisseurs doivent
comprendre parfaitement les hypothèses
sur lesquelles elles reposent et éviter de
prendre une décision émotionnelle motivée
par l’extrapolation des performances
historiques. C’est particulièrement vrai dans
des contextes de bulle ou de correction,
lorsque les émotions prennent le dessus.
Dans ces circonstances, les investisseurs
peinent souvent à discerner les vraies «
innovations » des « fausses bonnes idées
», à savoir les idées d’investissement
convaincantes ou séduisantes que l’on peut
difficilement ignorer, mais qui n’offrent aucun
avantage sur le long terme. Nombreuses sont
les personnes pourtant avisées qui se
laissent berner par ces fausses bonnes idées,
et ce en partie sous l’effet de biais identifiés
par les recherches en finance
comportementale, notamment l’aversion aux
pertes et la confiance excessive.1
Cet article a pour objectif de mettre en garde
les investisseurs en toute franchise et de les
sensibiliser à cette problématique en leur
présentant des exemples d’idées a priori
bonnes qui n’ont pas fonctionné et en les
aidant à déceler les pièges des marchés
d’aujourd’hui.
En conclusion, nous pensons que les
investisseurs peuvent éviter les fausses
bonnes idées en :
• respectantenpermanenceunedéfinition
précise du succès en matière
d’investissement : quel est votre objectif
et pour quelles raisons ? Si votre objectif
n’est pas atteint, quelles sont les
conséquences/coûts ?
• identifiantetenévaluantlesmoteursde
performance : Pour quelle(s) raison(s) leur
approche est-elle censée fonctionner ?
Dans quelle(s) circonstance(s) leur
approche peut-elle ne pas fonctionner ?
Leur approche est-elle dépendante du
cycle ou des conditions de marché ?
Auteur
Jeff Molitor,
Directeur des
investissements
en Europe
1 Pour un résumé des principes de finance comportementale, cf. : Behavioural Finance: Understanding how the mind can help or
hinder investment success, de Byrne et Utkus, Vanguard Asset Management, 2010.
Réservé exclusivement aux Investisseurs professionnels, selon la définition de la Directive MiF.
Il a pour unique objectif de former et d’informer. Il ne constitue pas une recommandation ni une
sollicitation d’achat ou de vente de placements.
Connaître ses objectifs
Comme l’écrivait Lewis Carroll : « Si vous
ne savez pas où vous allez, n’importe quel
chemin vous y mènera ». En l’absence d’une
définition claire du succès et de garde-fou
capables de vous maintenir sur le bon
chemin, tout concept laissant espérer des
performances élevées ou une volatilité
potentiellement plus faible peut sembler
intéressant. En définitive, les investisseurs
doivent avoir une vision claire des profils de
rendement/risque qui sont adéquats pour un
ensemble d’actifs donné. En d’autres termes,
quelle performance ont-ils besoin d’atteindre
sur une période donnée et quels risques
sont-ils ou non disposés à prendre ?
Voici quelques questions à se poser si vous
envisagez d’adopter une nouvelle stratégie
d’investissement :
• Lacomprenez-vousclairement?
• Quelssontsesmoteursdeperformance?
• Semble-t-elle«tropbellepourêtrevraie»?
• Pourquoiunestratégiespécifiqueserait-elle
capable de générer des performances
solides à l’avenir ?
• Dansquellescirconstancespourrait-elle
échouer ?
• Quelleshypothèsesimplicitesvouslaissent
à penser que cette approche fonctionnera ?
• Quelestletalentdugérant?
• Desinefficiencesdemarchéexploitables
(et susceptibles de disparaître)?
• Avez-vousremisenquestionvos
hypothèses pour vérifier que votre analyse
ne repose pas sur des opinions erronées ou
des biais comportementaux ?
• Votresociétéa-t-elleletalentetl’expertise
pour mettre en œuvre cette stratégie, soit
directement soit en sélectionnant et en
contrôlant des gérants externes ?
Cet article offre un panorama rétrospectif de
plusieurs innovations qui se sont révélées
être des fausses bonnes idées. Ces
stratégies et concepts ont tous suscité un vif
intérêt pour des raisons valables mais leurs
défauts ont fini par décevoir les
investisseurs. Nous espérons qu’après avoir
lu cet article, vous serez davantage en
mesure de faire la distinction les fausses
bonnes idées et les innovations financières
dignes d’intérêt.
130/30
• Concept–Autoriseruneéquipede
gérants spécialisés (ou un modèle
quantitatif) à utiliser l’intégralité de ses
expertises pour évaluer et sélectionner
des titres financiers. Permettez-lui
d’investir plus de 30 % des actifs du
portefeuille dans des titres censés avoir
un important potentiel haussier et de
vendre à découvert des actifs censés
avoir un important potentiel baissier, à
hauteur de 30 % du portefeuille.
• Attrait–Ceconceptpromettaitdes
performances plus élevées et des
portefeuilles plus efficients. Les
investisseurs pensaient obtenir 30 %
d’alpha en plus sur les paris à la hausse et
également 30 % de plus sur les positions
vendeuses, sans recours à l’effet de
levier. Pour les investisseurs
institutionnels, la perspective d’une valeur
ajoutée supplémentaire de 60 % sans
accroître la volatilité était trop bonne pour
être ignorée. L’acceptation collective de
ce type de stratégie et l’émulation qui en
a découlé ont également créé un contexte
propice. Les stratégies 130/30 ont été
fréquemment évoquées lors de
nombreuses conférences, elles ont
bénéficié d’une large couverture
médiatique dans la presse spécialisée et
promues par une multitude de sociétés de
conseil. Cette stratégie adoptait une
approche typique du secteur des hedge
funds mais, malgré des frais plus élevés
que les fonds long-only traditionnels, était
assortie de prix plus faibles que ceux
pratiqués par les véritables hedge funds.
• Résultat–Peudesociétésdegestionont
réussi à générer l’alpha anticipé par les
calculs rétrospectifs de leurs modèles.
Parmi les approches utilisées, beaucoup
reposaient sur des modèles présentant un
biais en faveur du style de gestion value
(titres décotés). Mais lorsque de
nombreux modèles quantitatifs ont été
mis à mal lors de la seconde partie de la
dernière décennie, les adeptes des
portefeuilles 130/30 ont perdu sur les
deux tableaux : les positions acheteuses
supplémentaires ont sous-performé les
positions vendeuses, créant ainsi un
système générateur d’alpha négatif. Les
investisseurs ont donc payé des frais plus
élevés que pour un fonds long-only
traditionnel, mais pour des performances
inférieures.
Assurance de portefeuille
• Concept–Élaboréepardesprofesseurs
émérites de l’Université de Berkeley en
Californie, cette stratégie répliquait de
manière synthétique l’approche d’une
option de vente sur un portefeuille. Les
investisseurs pouvaient ainsi accroître leur
exposition (ou laisser leur allocation se
renforcer démesurément) aux actifs
risqués (actions par exemple) au-delà de
leurs objectifs à long terme tant que la
valeur de ces derniers continuait à
augmenter. L’exposition pouvait être
allégée dès que la performance relative
des titres fléchissait et liquidée à tout
moment.
• Attrait–Cetteapprocheaséduitde
nombreux responsables de fonds de
pension et comités de fonds
d’investissement espérant pouvoir doper
leur « rendement total » sans prendre de
risque supplémentaire, ce qui leur
conférait un avantage par rapport à leurs
pairs. L’assurance de portefeuille semblait
donc offrir un scénario gagnant-gagnant.
• Résultat–Cetteapprochefaisait
l’hypothèse et dépendait fortement de
l’existence en continu de marchés
liquides. Mais les pressions vendeuses
sur les titres détenus dans les produits
d’assurance de portefeuille ont
déclenché une violente correction le 19
octobre 1987. Les gérants de produits
d’assurance de portefeuille n’ont pas pu
réduire assez rapidement l’exposition aux
actions de leurs clients, et comme le
marché était caractérisé par une
multitude de vendeurs face à de rares
acheteurs, les investisseurs n’ont pas pu,
comme ils l’avaient anticipé, se réfugier
vers les actifs obligataires. Les produits
d’assurance de portefeuille se sont donc
effondrés et ont largement contribué au
krach d’octobre 1987. Les promesses
alléchantes se sont révélées illusoires.
Fonds de hedge funds
• Concept–Lesfondations(endowments)
des universités telles que Yale, fortes
d’équipes étoffées et de dispositifs
sophistiqués, ont gagné l’admiration de
nombreux investisseurs depuis qu’elles
ont commencé à investir avec succès
dans les actifs dits « alternatifs »
(comme les hedge funds). Grâce à une
sélection judicieuse des meilleurs hedge
funds, les fondations de haut vol ont
enregistré des performances plus
robustes et moins volatiles que si elles
avaient utilisé des portefeuilles long-only
traditionnels. Les institutions plus
modestes et les particuliers étaient
enthousiastes à l’idée de participer à une
stratégie qui proposait des performances
attractives et une faible corrélation avec
les actions. Mais sans les équipes et
l’expertise des grandes fondations, il leur
fallait adopter une approche différente
pour s’exposer à un panel diversifié de
gérants.
• Attrait–Aveclesfondsdehedge funds,
les institutions plus modestes
bénéficieraient d’une équipe
professionnelle capable d’évaluer, de
sélectionner et de surveiller les hedge
funds sous-jacents, expertises dont elles
ne disposaient pas en interne.
• Résultat–Lesinvestisseursont
naïvement considéré que les hedge funds
constituaient une classe d’actifs à part
entière. En réalité, ils regroupent un vaste
ensemble de stratégies de gestion active
dénuées de mécanisme de génération de
performance similaire à ce qui existe pour
les actions, les obligations et les liquidités.
En outre, nombre de sociétés proposant
des fonds de hedge funds étaient plus
douées pour vendre le concept que pour
évaluer et sélectionner les gérants. Le fait
d’ajouter leurs propres frais (par ex. 1 %
des actifs et 10 % des gains) aux
commissions déjà élevées des gérants
(par ex. sur le modèle « 2 et 20 ») ne
laissait que des miettes aux clients.
Souvent, le pool de gérants était loin
d’être aussi diversifié que promis, et se
révélait toujours corrélé aux actions.
Finalement, seuls quelques rares fonds de
hedge funds ont donné le change, alors
que certains n’étaient rien d’autre que des
chaînes de Ponzi.
Le momentum
• Concept–Aumoinsunefoispar
génération, un concept capte toute
l’attention des investisseurs. Ces
concepts ont en commun leur historique
de performance récent : ils surperforment
toutes les autres idées d’investissement.
Les investisseurs s’exposant très tôt à
ces concepts obtiennent généralement
des performances très élevées, alors que
ceux qui ont tardé à se positionner
cherchent à voir si leurs effets bénéfiques
vont se prolonger. Aucun investisseur
n’apprécie de rester sur la touche. Dans la
quasi-totalité des cas, il existe des
arguments suffisants pour rationaliser ou
justifier la pertinence d’une idée
d’investissement, voire sa pérennité.
Apparu au début des années 70, le
concept des « Nifty Fifty » faisait
référence à un groupe d’entreprises
jugées si robustes qu’une seule décision
était possible à leur égard : acheter leurs
actions et les conserver ad vitam
æternam. Vingt-cinq ans plus tard, les
valeurs technologiques ont fait fureur, les
entreprises de ce secteur étant jugées à
l’avant-garde d’une nouvelle ère dans les
domaines des communications, de la
distribution, etc. Entre 2001 et 2007, les
titres adossés à des crédits
hypothécaires (MBS) semblaient offrir
des rendements mirifiques, durables et
faiblement risqués.
• Attrait–Pourlesinvestisseurs
institutionnels et les particuliers, difficile
de ne pas être perturbé par des
questions du genre « Qu’est-ce que j’ai
manqué » ? Que savent-ils que je ne
sache pas ? Et si j’ai tort de ne pas
m’engager.... ? » En réalité, un
investisseur avisé sait faire preuve
d’humilité et n’hésite pas à remettre en
question ses propres hypothèses. En
outre, à mesure que ces concepts
continuent à surperformer, les
investisseurs ont de plus en plus de mal
à résister la tentation.
• Résultat–Delabulledelatulipeaux
Pays-Bas au 16ème siècle jusqu’à
aujourd’hui, les tendances
d’investissement liées au momentum
finissent généralement mal.
L’effondrement des Nifty Fifty en 1973-
74, le krach des valeurs Internet en 2001
et le début de la crise financière
mondiale en 2007 sont autant de preuves
du prix à payer pour avoir voulu surfer
sur le momentum des marchés.
Là-encore, chercher à savoir précisément
pourquoi une idée peut fonctionner est
bien plus important que de s’attarder sur
ses performances passées.
L’alpha portable
• Concept–Lesproduitsdérivés
permettent de « collecter » l’alpha, à
savoir le talent du gérant en matière de
sélection des titres ou des classes
d’actifs, que le bêta du marché soit
positif ou négatif. Autrement dit, cette
démarche permet de distinguer le talent
de sélection du gérant et l’évolution du
marché sous-jacent en se couvrant
du bêta.
• Attrait–Cettestratégiepromettaitdes
performances positives dans toutes les
conditions de marché. En couvrant
l’exposition au marché, un gérant
talentueux pouvait accumuler de l’alpha
quand les marchés progressaient, se
repliaient ou étaient volatils. Par
exemple, si un marché subissait une
baisse de 8,5 % sur une année donnée
mais que le gérant perdait seulement 7
% (après imputation des coûts) après
avoir vendu des contrats à terme sur le
marché sous-jacent en début d’année, le
portefeuille enregistrerait une
performance de 1,5 %.
• Résultat–Lesrésultatssesontrévélés
au mieux mitigés. Lorsque les gérants se
sont trompés, leurs erreurs ont été
amplifiées par l’effet de levier. En fait,
presque aucun gérant n’a réussi à créer
de la valeur, et l’existence d’« une poche
d’alpha disponible » attendant d’être
exploitée via une exposition aux actions
ou aux obligations s’est révélée n’être
qu’une vaste illusion.
Sélection des titres selon le ratio Sharpe
• Concept–L’undespiliersdelathéorie
moderne de portefeuille est le concept
de maximisation de la performance par
unité de risque. Bill Sharpe a d’ailleurs
remporté le Prix Nobel d’économie pour
son travail sur ce sujet. Cette approche
présente également un intérêt
indiscutablement intuitif dans la mesure
où elle fait l’hypothèse de la
rémunération la plus élevée possible
pour le risque réellement pris.
• Attrait–LeratioSharpesecalcule
aisément en utilisant les performances
historiques. Il est simple et facilement
compréhensible car il permet d’établir
desclassementsclairs.Riend’étonnant
donc à ce que cette notion ait aussi
séduit les membres des comités
d’investissement.
• Résultat–LeratioSharpen’ajamaiseu
vocation à devenir un outil de sélection
des titres financiers. En donnant un rôle
central aux données historiques, on
suppose qu’il est possible de prévoir les
performances, la volatilité et les
corrélations à partir de l’observation du
passé. Les ratios Sharpe « historiques »
sont très efficaces pour déterminer les
actifs qui se sont bien comportés sur
une période passée spécifique
Malheureusement, comme les marchés
et les environnements évoluent, ce qui a
fonctionné jadis sur une période donnée
peut, ultérieurement, ne pas reproduire
les mêmes résultats. Ceux qui ont utilisé
ce ratio pour sélectionner des titres, des
gérants ou des stratégies ont été
nombreux à payer le prix d’avoir pensé
que l’avenir serait pareil au passé.
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