Innovation et politique de la concurrence Ecole d`Economie de Paris

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Innovation et politique de la concurrence
Ecole d’Economie de Paris
Les 29 et 30 janvier 2007
Innovation et politique de la croissance
Philippe Aghion,
Professeur d’économie à l’Université d’Harvard,
Professeur associé à l’Ecole d’Economie de Paris,
Dans cette communication sur l’état des travaux en la matière, le conférencier s’est
attaché à montrer la pertinence de la spécificité de sa méthode d’analyse des relations entre
croissance et innovation.
 L’objectif : quelle politique de croissance ?
Afin de justifier le rôle positif d’une politique économique, et ensuite définir
précisément, la politique de croissance la plus pertinente possible pour l’économie du
pays concerné, il faut combiner l’analyse théorique à l’étude économétrique, les faire
« interagir » afin de poser un cadre d’analyse pertinent.
Les interrogations naissent du constat des différentiels de taux de croissance
entre faiblesse et vigueur. Ces écarts opposent deux types de pays
- d’un côté, au sein des Pays En Développement, entre Amérique latine et Asie,
- et d’un autre, parmi les Pays Développés, entre l’Union Européenne et les Etats-Unis.
A ce fait, des économistes tels Easterly et Rodrick apportent des éclairages que réfute
Philippe Aghion
En effet, pour Easterly (2005), tant que les indicateurs de l’inflation, des déficits publics, du
degré d’ouverture, ne sont pas à des valeurs de prix extrêmes, l’Etat n’a pas de raison
d’intervenir. Car ce qui compte en matière de croissance, ce sont les institutions déjà en
présence. Et sur ces dernières, la politique économique n’a pas d’influence.
Pour Rodrick (2005), et Haussmann, la politique économique a de l’importance. Mais il ne
faut pas appliquer la même recette pour tous les pays. Le consensus de Washington (établi
par le Trésor américain et le FMI) qui vise à privatiser, libéraliser, stabiliser, n’est pas un plan
systématiquement pertinent.
Ph. Aghion est d’accord avec cette position sélective, mais pas avec sa justification. En effet,
s’il faut bien raisonner au cas par cas, pays par pays, l’étude, l’approche, la mesure concrète
ne peuvent se faire exclusivement en terme de prix, de valeurs monétaires. D’autres
indicateurs doivent être construits et mobilisés dans l’analyse.
Et sur ce plan méthodologique, les allers et venues entre la théorie et l’économétrie
sont féconds, en raison des synergies qu’ils engendrent.
Démonstration :
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Les 29 et 30 janvier 2007
 Le modèle explicatif : le paradigme schumpétérien
Hypothèse : il y a deux grands facteurs de croissance : l’investissement dans le capital (K), et
celui dans la Recherche et le Développement (RD).
En général, les modèles de croissance mobilisant exclusivement le capital, sont impuissants à
rendre compte de la croissance économique moderne1, sauf dans les modèles dits AK2, qui
tout en conservant des rendements décroissants du K à l’échelle de la firme, supposent qu’ils
sont constants au niveau agrégé, en raison des externalités positives manifestées à l’échelle
macro-économique.
Le rôle de l’innovation est de faire croître la productivité des facteurs.
Y = A exp(Kexpα. Lexp1-α)
avec exp : exposant ;
K : capital ;
L : travail ;
0<α<1
C’est le A (c'est-à-dire la productivité) qui augmente. Il est la seconde source de croissance,
avec les quantités de facteurs.
Et effectivement, si l’on observe les comparaisons d’une part de coefficient de capital (K/Y),
et d’autre part de coefficient de Recherche & Développement (RD/Y), on obtient :
-
pour K/Y : environ 0,315 pour tout à la fois, le Mexique, les Etats-Unis (EU), l’Union
Européenne (UE).
-
pour RD/Y : des écarts importants entre le Brésil (0,01), les E.U. (0,025), l’U.E.
(O,015), soient 1% du PIB investi en RD au Brésil, 2,5% aux E.U. , 1,5 % en Europe.
Donc, la mesure des facteurs de croissance en terme de parts de RD, est pertinente pour
rendre compte des écarts de croissance. C’est elle qui a fondé par exemple l’Agenda de
Lisbonne en 2000, pour l’Union Européenne. Il faut investir davantage dans la RD. Il faut
aussi des réformes structurelles (par exemple en terme de marché du travail) pour en
bénéficier au mieux à moyen et long terme, et des politiques macro-économique de soutien à
ce type d’investissement.
Cependant, à ce premier stade de la mesure, et de la recommandation de politique
économique que l’on peut en déduire, on en reste à l’invocation de la « poudre magique ».
Car au fond, on ne sait rien de l’effet réel, concret, précis de l’investissement en RD.
Quel est-il ? Pour répondre, Philippe Aghion estime qu’il faut prendre en compte les éléments
fondamentaux suivants :
1
2
Ils « fonctionnent » bien par contre, pour une accumulation du type soviétique jusqu’à la fin années 1970.
Les modèles de croissance AK, comme celui d’Harrod-Domar.
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- quelle est la situation précise du pays étudié en termes de maîtrise technologique ? Son
capital technologique se situe-t-il près ou loin de la « frontière technologique »3 ?
- quel est l’état de sa structure financière ? Quel est le degré de son développement financier ?
Classiquement , le paradigme AK pose que c’est la variable taux d’épargne qui rend compte
le mieux du taux de croissance, parce que c’est lui qui permet l’investissement. Par
conséquent , comme le conclut Easterly, il faut la même politique de croissance pour tous les
pays.
Pour autant, si le paradigme schumpétérien (la destruction créatrice) est distinct de cette
approche « moniste », il lui manquait jusqu’alors de la substance, de l’explicitation. D’où la
nécessité d’introduire des apports venant de l’économie industrielle4.
Avec :
0<a<1
i : secteurs
A = productivité
A augmente, car il y a innovation dans le secteur i (grâce à une perspective de rente de
monopole), les nouveaux inputs (intrants ) étant supérieurs aux anciens inputs.
Ceci veut dire aussi que la croissance est un processus de nature conflictuelle entre les
“anciens” et les “nouveaux” (entre les entreprises, au sein des travailleurs, entre les produits).
Car un taux de croissance supérieur implique un taux également supérieur de rotation des
entreprises, des travailleurs, des produits. C’est la manifestation du processus de destruction
créatrice.
Comme il ya deux manières de croître - innover sur soi-même ou rattrapper les frontières
technologiques, il faut mesurer l’état de l’économie étudiée. Une fois mesuré, on sait s’il faut
stimuler l’imitation (car le pays se trouve loin de la frontière technologique), ou l’innovationfrontière (il en est proche), la RD. A deux structures économiques distinctes au regard de la
maîtrise technologique, correspondent deux politiques différentes : l’imitation versus
l’innovation.
 Vérification empirique : les liens entre les institutions et la croissance
La vérification opérée par comparaison entre les pays et entre les secteurs
économiques, donne validation à cette analyse. Elle consiste à passer en revue l’influence
relative5 des diverses institutions socio-économiques sur la croissance, via l’innovation :
-
3
le degré de concurrence comme structure de marché,
l’entrée effective des concurrents de l’étranger,
les marchés du crédit et du travail, l’éducation, l’épargne,
l’ouverture au commerce international,
le degré de libéralisation de l’économie,
la politique macro-économique.
Etat le plus avancé dans le monde, de la maîtrise de telle ou telle technologie, mesurée par le rapport de la
productivité domestique à la meilleure productivité sectorielle mondiale.
4
Avec par exemple Jean Tirole.
5
Cf. l’index de Frazer.
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1. Concurrence et croissance
Economies
proches de la
frontière
Innovation:
flux de brevets
Economies
loin de la
frontière
C. optimale
Concurrence :
rente/ V.A.
Lecture: en abscisses, le degré de concurrenec s’apprécie, négativement, par le ratio de la
rente par rapport à la valeur ajoutée (d’une branche, d’un secteur, d’une économie). Plus ce
ratio est grand , moins le marché est concurrentiel.
NB: la concentration comme mesure inverse de la concurrence n’est pas ici fiable car elle ne donne pas,
directement, d’indications sur l’incitation à inverstir. C’est par contre le cas du niveau relatif de la rente.
En ordonnées, l’intensité de l’innovation s’évalue par l’importance périodique (un an) du
nombre de brevets déposés dans l’économie étudiée.
Les économies sont étudiées en deux catégories, selon qu’elles maîtrisent plus ou moins
fortement, les technologies les plus avancées: elles sont proches ou loin de la frontière.
Commentaire: la concurrence est en elle-même plutôt bonne. Elle favorise d’abord
l’innovation (première phase). Mais passé un certain seuil (“C. Optimale”), elle devient
contre-productive. En l’effet, la rente de monopole diminue. L’incitation à innover se réduit.
En outre, dans l’ancien modèle d’Aghion et d’Howitt (1989-1992), les innovateurs se trouvent
exclusivement parmi les entrants. Or désormais, il faut prendre en compte la réalité du leader
de marché-innovateur (qui innove en vue d’échapper à la concurrence qui le “talonne”).
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2. L’entrée des concurrents étrangers
Economies proches de la
frontière
Productivité
Economies loin de
la frontière
Concurrence des entreprises étrangères
Commentaire: en soi, l’entrée de concurrents venant de l’extérieur a deux effets contraires en
fonction de la distance des entreprises domestiques, à la frontière technologique. D’un côté,
elle incite les firmes « locales », proches de la frontière, à investir. A l’inverse, elle décourage
celles qui en sont loin. Seules les plus prospères s’en sortent.
La vérification empirique a eu lieu sur l’U.R.S.S., l’Inde et l’Afrique du Sud pour l’effet de
dés-incitation de la concurrence étrangère. Par contre, la Grande-Bretagne et le reste de
l’Union Européenne ont observé des effets plutôt positifs de la libéralisation commerciale.
NB: Ph. Aghion ajoute que, quel que soit le pays, des politiques complémentaires d’accompagnement sont
indispensables pour éviter la polarisation socio-économique, à l’instar d’une politique proposant la « flexisécurité » des travailleurs, comme au Danemark..
3. Les marchés de crédit
Le développement financier est un élément important pour rendre compte des phénomènes de
convergence-divergence technologique. Mesuré par le ratio crédits bancaires / PIB, le
développement va de 0,3 pour le Brésil, à 1,42 pour les Etats-Unis.
4. Le marché du travail
La libéralisation du marché du travail a ici aussi des effets contrastés en fonction du niveau
technologique.
Si le pays est proche de la frontière, alors oui, il y a une influence positive sur l’innovation et
la croissance. Sinon, non.
En fait, le développement financier a plus d’impact négatif sur les plus petites firmes que les
rigidités du marché du travail. Pour elles, le handicap majeur est financier.
Il ne faut donc pas focaliser entièrement sur le marché du travail, » même s’il faut faire
quelque chose », ajoute Ph. Aghion.
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5. L’éducation
C’est évidemment très déterminant. Mais ce résultat se décline également en deux types de
politique éducative, selon que le pays est proche ou non de la frontière technologique.
C'est-à-dire qu’à partir d’un socle commun, le gouvernement doit porter ses efforts éducatifs
supplémentaires sur l’éducation supérieure, si le pays se situe près, ou sur l’éducation
primaire et secondaire, s’il s’en trouve éloigné.
Cependant, quel que soit le cas de figure, Ph. Aghion insiste sur l’importance fondamentale
du socle commun, d’un bon niveau de développement des secteurs primaire et secondaire.
Cela est manifeste a contrario, dans l’exemple du Brésil. En effet, ce pays a une structure de
dépenses d’éducation, qui, comparativement aux Etats-Unis et à la France, incline nettement
en faveur de l’Université, que seules les catégories riches peuvent fréquenter. La proportion
d’étudiants dans la population y est plus faible. Et comparativement, le Brésil est le pays le
moins innovant.
NB: bien sûr, se pose ici le problème méthodologique de la distinction entre corrélation et causalité. Seule la
corrélation est établie entre fort niveau de dépenses éducatives et innovation. Or, on peut toujours arguer que
c’est la forte croissance qui autorise les fortes dépenses éducatives.
6. Epargne
Si l’épargne domestique est un facteur de rattrapage technologique (notamment parce qu’une
épargne préalable permet de faire venir des investisseurs étrangers, attirés par le partage des
risques sous forme de joint-ventures par exemple), elle n’est pas un facteur de croissance
économique à la frontière, c'est à dire pour les pays les plus développés.
7. L’ouverture au commerce international
Il y a un effet-taille de marché pour les grands pays innovants.
Il y a un effet de stimulations de la concurrence pour les petits pays déjà innovants.
Il y a un effet de rattrapage pour les autres pays.
Commentaire: s’il y a bien un effet-taille, on ne connaît pas son ampleur (elle n’a pas été
testée).
Lorsqu’on est à la frontière, on peut libéraliser, c’est favorable à la croissance.
Mais la question est de savoir comment. Car le modèle de croissance ne rend pas compte de
cela. En tout état de cause, il y a des coûts sociaux et politiques à la libéralisation et à
l’ouverture. Il faut donc hiérarchiser les réformes à entreprendre en fonction de ces coûts, de
leur importance relative estimée, et décidée politiquement.
8. La politique macro-économique
Par comparaison des politiques conjoncturelles de trois espaces: E.U., G.B., U.E., en
particulier de la politique monétaire, on s’aperçoit de la forte inertie de la politique
européenne.
Contre le sens commun, il faut rappeler que les récessions peuvent avoir des effets bénéfiques
pour la croissance, en ce sens qu’elles constituent le cas échéant, un stimulant pour en sortir.
Mais souvent, un processus inverse domine. Nombre d’entreprises se trouvent avec des
problèmes de trésorerie, et une faible possibilité de financement externe. Dès lors, la tentation
est grande de réaliser des “économies”, c’est à dire de couper dans les dépenses de RD.
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Or précisément, ces dépenses ne doivent pas être supprimées, car elles sont le gage de la
croissance future. Par conséquent, les gouvernements doivent dans ces périodes, soutenir les
entreprises. Ici, un déficit public, s’il couvre des dépenses en direction de l’innovation, est
favorable à la croissance.
Cela revient également à dire que les politiques contra-cycliques sont d’autant plus
importantes que le développement financier est faible (faiblesse des structures domestiques de
financement). C’est ce que firent par exemple la G.B., les E.U. dans les années 1990. Mais
pas l‘U.E., alors qu’en outre, son développement financier est comparativement moindre. La
réactivité est trop faible en Europe.
NB: la G.B. a une cible d’inflation définie par le gouvernement, non par la Banque Centrale. Cette dernière doit
seulement à la mettre en oeuvre. Elle n’a pas en la matière de compétence “législative”, mais seulement
d’exécution.
Pour Ph. Aghion, il faudrait une politique semblable dans la Zone Euro, avec un Ministre européen de
l’Economie et des Finances. Il estime que le gain potentiel de croissance, résultant d’une même contra-cyclicité
des politiques qu’aux E.U. ou en G.B., est de l’ordre de 0,5% /an.
Conclusion
 En général :
1. Certes, il faut analyser les liens entre croissance et innovation au cas par cas, mais pas
à l’aide des prix
2. L’innovation exige des institutions appropriées et des politiques macro-économiques
contra-cycliques
3. Les politiques publiques doivent être pensées et mises en œuvre, en se fondant le plus
étroitement possible sur l”intelligence, la compréhension des interactions
institutionnelles. Par exemple et d’abord, les réformes structurelles à conduire seront
nettement distinctes en fonction du niveau du pays par rapport à la frontière
technologique: est-on en position de rattrapage ou bien proche du plus haut niveau
technologique?
4. Enfin ces réformes produisent nécessairement des dégâts socio-économiques. Elles
nécessitent par conséquent des politiques économiques et sociales complémentaires,
de façon à permettre aux actifs de se ré-allouer au sein des secteurs économiques
porteurs. Cela ne peut être efficace qu’à la condition de sécuriser les parcours (les
travailleurs ne doivent pas avoir peur des changements).
 Dans le détail, en France :
1. L’effort doit porter sur l‘éducation supérieure.
2. Les marché doivent être libéralisés: pour le travail, à la manière scandinave; pour les
B/S en termes de réduction de coûts administratifs de création d’entreprise, en termes
de plus de concurrence à l’entrée sur le marché (il faut moins de collusion entre les
entreprises existantes); en termes d‘accès au financement.
3. L’offre de financement doit être développée.
4. La dette publique doit certes diminuer mais pas au détriment de l’éducation.
5. Il faut un gouvernement économique de la zone euro.
Pour aller plus loin :
 http://www.lexpress.fr/info/sciences/dossier/recherch/dossier.asp?ida=425748
Un entretien réalisé en 2004 par l’hebdomadaire L’Express avec Ph. Aghion et E. Cohen.
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 http://www.economics.harvard.edu/faculty/aghion/aghion.html
Le site électronique de Ph. Aghion à l’Université d’Harvard, sur lequel sont disponible
nombre de ses derniers articles.
 « A primer on innovation and growth », bruegelpolicybrief, Issue 2006/06,
October 2006
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