Mais venons-en à des critiques qui me semblent plus importantes. Claude Morilhat me fait un
autre reproche, bien plus grave sur mon « schématisme » et « manque de rigueur » qui deviennent
même « laxisme théorique ». Et tout d’abord sur un problème fondamental pour la pensée
marxiste : le problème de l’Etat. Claude Morilhat me reproche une interprétation
« instrumentale » de l’Etat et même, ce qu’il n’explicite pas mais qui à mon avis se lit en
filigrane, dans son texte, une interprétation opportuniste.
J’ai voulu redéfinir le statut théorique de l’Etat. Je crois que c’est une urgence, une priorité
même, car cette notion est devenue une hypostase, qui à la limite devient même mythique. L’Etat
a été substantialisé, réduit à une univocité monolithique. Cette réification a eu deux effets
pervers. D’une part, le blocage de la recherche marxiste, une inhibition devant une notion que
même Marx n’a pas théorisée. Et d’autre part, un usage commun au dogmatisme et au
gauchisme : l’Etat bourgeois purement répressif. L’Etat n’est pas une chose en soi, une bûche,
ou un « monstre froid » mythique . J’ai voulu rendre l’Etat à la dialectique et à l’histoire, pour
débloquer la recherche, lutter contre les déviations et surtout pour permettre à la stratégie
révolutionnaire de « s’articuler » sur l’Etat et même pour proposer les lieux et les moyens des
interventions stratégiques sur une réalité historique que la grande bourgeoisie et le grand
capital ont su, eux, démythifier par son un usage instrumental, opportuniste, hyper-réaliste. En
effet, dans les livres cités par Claude Morilhat tout cela n’est qu’indicatif, allusif même. Je ne
ferai que proposer le schéma de ma recherche aggravant ainsi le reproche de … « schématisme ».
Mais, dans mon dernier livre, « Les Dégâts de la pratique libérale », j’explicite ces propositions
théoriques et stratégiques.
Ma thèse est que l’Etat est à trois dimensions, trois attributs dirait Spinoza, trois rôles, trois
fonctions. L’Etat français n’est-il pas, quand même, aussi républicain ? Le gaucho-fascisme
qui voulait détruite l’Etat n’aurait-il pas du coup, liquidé la République ? Peut-on définir l’Etat
français comme si la Révolution Française n’avait pas eu lieu ? Aussi « le mythique Etat de la
volonté générale » comme dit Claude Morilhat, me semble être au contraire, une composante très
réelle, institutionnelle et constitutionnelle, que la théorie aurait grand tort de négliger car la
conséquence serait une fatale erreur stratégique. L’Etat est aussi, et surtout évidemment,
l’expression de la classe sociale dominante, l’émanation politique du mode de production ; je
cite constamment « le capitalisme monopoliste d’Etat ». Troisième dimension de l’Etat : il est
l’Etat-nation. Il gère l’appareil infrastructural et superstructural de la Nation. Et là, je
récidive, relaps : l’Etat est aussi, en plus des deux essentiels attributs cités, appareil de gestion,
instrument d’une nécessaire planification et centralisation ou décentralisation qui pourrait
même être dit « neutre » … si cette gestion n’était pas, par excellence, le lieu d’affrontement de
l’Etat républicain et de l’Etat capitaliste, de la contre-révolution et des droits de l’homme.
Mais ce n’est pas tout : il faut proposer une deuxième ligne (théorique) de la notion d’Etat. Il faut
le rendre, encore plus, au matérialisme dialectique et historique : l’Etat doit être défini selon le
système de sa relation dialectique et historique avec la société civile et avec l’appareil
d’Etat. Ce système de définitions est très important car il permet, après s’être articulé sur la
première ligne théorique, de définir la stratégie révolutionnaire dans les pays dit post-
industrialisés. Dans les « Dégâts de la pratique libérale », j’ai explicité les modalités de cette
stratégie. Je ne ferai qu’en dégager l’idée fondamentale. Le socialisme démocratique et
autogestionnaire est maintenant possible à cause du nouveau dispositif que je viens d’énoncer.
Le travailleur collectif, autre entité produite par le CME, peut et doit maintenant intervenir sur les
éléments dialectiques et historiques qui engendrent la réalité « pratique » de l’Etat. En se servant
de ce cheval de Troie qu’est l’Etat républicain, au nom des droits de l’homme, en agissant sur la