kilomètres carrés et regrouper plusieurs centaines de milliers d'habitants, les banlieues
françaises en comptent tout au plus une dizaine de milliers. Cette disparité a des conséquences
organisationnelles : doté de sa propre division du travail, le ghetto états-unien fonctionne
pratiquement en vase clos, tandis que les habitants des cités françaises sont contraints de
travailler et de consommer à l'extérieur. Ces dernières sont également beaucoup plus
hétérogènes, tant du point de vue culturel que social - il n'est pas rare de compter plusieurs
dizaines de nationalités différentes dans un même grand ensemble. Et cette diversité interne
s'observe également entre les différents quartiers pauvres, à la différence du ghetto états-
unien. Enfin et surtout, la criminalité est incomparablement moins développée dans les
banlieues françaises, et les institutions publiques y restent largement présentes, malgré les
tensions qui existent entre elles, police en tête, et la population.
3. L'entre-soi discret de la bourgeoisie
Le communautarisme serait implicitement l'apanage des classes populaires. Or, comme
l'illustre le cas extrême des ghettos noirs états-uniens, la cohésion de ces classes est souvent
surestimée et, inversement, leurs conflits internes ignorés. Un premier paradoxe est ainsi que
les communautés apparaissent, dans les discours dénonciateurs, tantôt trop organisées et tantôt
anarchiques. La vérité est, comme souvent, entre les deux, ainsi que le montrait déjà le
sociologue William Foote Whyte en 1943 dans un ouvrage devenu classique. S'immergeant
durant trois ans dans un quartier d'immigrés italiens de Boston, rebaptisé Cornerville, le
sociologue met en évidence les logiques sociales complexes qui le structurent, faites de
solidarité et de concurrence, non sans montrer leur dépendance étroite aux préjugés extérieurs.
Au terme de son enquête, il pointe ainsi le dilemme auquel est confronté tout habitant de ce
quartier qui cherche à s'élever socialement: il "a le choix entre le monde des affaires et des
républicains, d'une part, celui des rackets et des démocrates, de l'autre. Le panachage lui est
interdit: ces deux mondes sont si éloignés l'un de l'autre qu'ils n'ont guère de rapports entre
eux. S'il fait son chemin dans le premier d'entre eux, la société le reconnaîtra comme un
homme qui a réussi, mais à Cornerville, on le considérera comme un étranger au quartier.
S'il fait son chemin dans le second, il sera socialement reconnu à Cornerville mais, à
l'extérieur, les gens respectables le tiendront pour un paria" (8).
Outre les souffrances qu'elle présuppose, la voie consistant à rompre avec sa communauté
d'origine est elle-même périlleuse. Difficile en effet de ne pas être renvoyé tôt ou tard à celle-