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Et  pourtant  l'histoire  de  votre  propre  institution,  le  Saint-Siège,  apporte  une 
correction salutaire à ces points de vue simplistes. À une époque, l'Église catholique, un 
peu comme les militants islamistes d'aujourd'hui, lançait des guerres saintes contre les 
"infidèles"  et  punissait  les  "hérétiques".  Mais  aujourd'hui,  c'est  cette  même  Église 
catholique qui ouvre des soupes populaires pour les plus pauvres et des centres de soins 
destinés aux enfants. L'histoire même de votre foi montre que la religion peut se mettre 
au service du bien mais, parfois, également au service du mal. La grande question qui se 
pose  pour  l'islam  aujourd'hui  est  donc  la  suivante :  comment  battre  en  brèche  ou 
convertir ces fanatiques musulmans et faire à nouveau de l'islam un instrument de paix, 
de  liberté  et  de  charité ?  À  ce  titre,  votre  expérience  et  l'évolution  de  la  doctrine 
catholique  peuvent  se  révéler  très  précieuses  et  permettre  à  mes  coreligionnaires 
d'ouvrir  les  yeux.  Ce  qui  a  été  accompli  par  Vatican  II  dans  les  années  1960  a  été 
extraordinaire, sans parler de vos efforts admirables pour ouvrir vos communautés aux 
athées  et  aux  homosexuels.  Il  est  crucial  pour  les  musulmans  (et  peut-être  pour  les 
chrétiens conservateurs) de comprendre que ces décisions progressistes ne vous font 
pas  dévier  de  votre  foi  mais  vous  permettent  au  contraire  d'emprunter  des  chemins 
encore inexplorés. Aussi permettez-moi de vous exprimer toute ma gratitude pour votre 
volonté de dialoguer encore et toujours avec les musulmans. Surtout, ne vous découragez 
pas. 
Sur  la  Turquie,  il  y  aurait  beaucoup  à  dire.  La  bonne  nouvelle  c’est  qu’en  ce  qui 
concerne les fanatiques musulmans  nous sommes quand même mieux lotis que nos pays 
voisins, comme la Syrie et l'Irak. Non, le principal problème en Turquie, c'est ce péché 
très particulier, admirablement défini par saint Augustin : la libido dominandi, c'est-à-
dire la volonté de puissance. La Turquie est cruellement divisée entre un gouvernement 
qui brûle de ce désir de domination et une opposition qui n'agirait probablement guère 
différemment si elle était au pouvoir. 
Néanmoins,  je  peux  vous  assurer  que  vous  avez  marqué  les  esprits,  notamment 
grâce à votre modestie exemplaire. Les médias n'ont pas manqué de souligner que vous 
aviez refusé de dormir dans des palaces cinq étoiles et de circuler dans des limousines 
hors de prix. C'est une leçon pour nos concitoyens, d'autant que notre président vient 
tout  juste  de  dépenser  des  milliards  de  dollars  dans  un  nouveau  palais  présidentiel 
démesuré et un jet privé des plus clinquants. Merci de nous rappeler que la grandeur 
d'un homme ne se mesure pas à son train de vie mais plutôt à son humilité. "Les derniers 
seront les premiers, disait un Nazaréen que nous aimons tous les deux, et les premiers 
seront les derniers." 
Cordialement,  
 
Mustafa Akyol , un compagnon de route monothéiste 
 
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