Courrier International – 11 décembre 2015 Dessin de Cajas paru dans El Comercio, Quito. Dans une lettre ouverte publiée le 29 novembre 2014, Mustafa Akyol, journaliste turc, demande au pape François d'expliquer aux musulmans comment l’Église Catholique est passée de l'Inquisition à la charité. Le Saint-Siège en exemple Hürriyet Istanbul Cher pape François, C'est en tant que simple citoyen turc, et aussi musulman, que je veux vous souhaiter la bienvenue à Ankara (la visite du pape a eu lieu du 28 au 30 novembre 2014) et partager avec vous quelques réflexions sur la Turquie, l'islam et même, si vous me le permettez, sur votre mission. Je ne vous apprendrai rien en disant que le monde musulman ne se porte pas très bien. J'irai même jusqu'à dire qu'il ne s'est jamais porté aussi mal. Le sous-développement des pays musulmans, dans pratiquement tous les domaines, est aggravé par des fanatiques qui tuent ou oppriment au nom de l'islam. Non contents de menacer les chrétiens ou les occidentaux, ils s'en prennent également à nombre d’entre nous. Le reste du monde doit comprendre comment et pourquoi ce fanatisme se développe. Les partisans de la laïcité ont souvent du mal à appréhender ce nouveau défi et finissent par conclure que c'est la religion qui est en cause et que si les religions n'existaient pas il n'y aurait plus de problème. 1 Et pourtant l'histoire de votre propre institution, le Saint-Siège, apporte une correction salutaire à ces points de vue simplistes. À une époque, l'Église catholique, un peu comme les militants islamistes d'aujourd'hui, lançait des guerres saintes contre les "infidèles" et punissait les "hérétiques". Mais aujourd'hui, c'est cette même Église catholique qui ouvre des soupes populaires pour les plus pauvres et des centres de soins destinés aux enfants. L'histoire même de votre foi montre que la religion peut se mettre au service du bien mais, parfois, également au service du mal. La grande question qui se pose pour l'islam aujourd'hui est donc la suivante : comment battre en brèche ou convertir ces fanatiques musulmans et faire à nouveau de l'islam un instrument de paix, de liberté et de charité ? À ce titre, votre expérience et l'évolution de la doctrine catholique peuvent se révéler très précieuses et permettre à mes coreligionnaires d'ouvrir les yeux. Ce qui a été accompli par Vatican II dans les années 1960 a été extraordinaire, sans parler de vos efforts admirables pour ouvrir vos communautés aux athées et aux homosexuels. Il est crucial pour les musulmans (et peut-être pour les chrétiens conservateurs) de comprendre que ces décisions progressistes ne vous font pas dévier de votre foi mais vous permettent au contraire d'emprunter des chemins encore inexplorés. Aussi permettez-moi de vous exprimer toute ma gratitude pour votre volonté de dialoguer encore et toujours avec les musulmans. Surtout, ne vous découragez pas. Sur la Turquie, il y aurait beaucoup à dire. La bonne nouvelle c’est qu’en ce qui concerne les fanatiques musulmans nous sommes quand même mieux lotis que nos pays voisins, comme la Syrie et l'Irak. Non, le principal problème en Turquie, c'est ce péché très particulier, admirablement défini par saint Augustin : la libido dominandi, c'est-àdire la volonté de puissance. La Turquie est cruellement divisée entre un gouvernement qui brûle de ce désir de domination et une opposition qui n'agirait probablement guère différemment si elle était au pouvoir. Néanmoins, je peux vous assurer que vous avez marqué les esprits, notamment grâce à votre modestie exemplaire. Les médias n'ont pas manqué de souligner que vous aviez refusé de dormir dans des palaces cinq étoiles et de circuler dans des limousines hors de prix. C'est une leçon pour nos concitoyens, d'autant que notre président vient tout juste de dépenser des milliards de dollars dans un nouveau palais présidentiel démesuré et un jet privé des plus clinquants. Merci de nous rappeler que la grandeur d'un homme ne se mesure pas à son train de vie mais plutôt à son humilité. "Les derniers seront les premiers, disait un Nazaréen que nous aimons tous les deux, et les premiers seront les derniers." Cordialement, Mustafa Akyol , un compagnon de route monothéiste * * * * * * * 2