S.D.R.I Maison diocésaine - 21 cours Mgr Romero - BP 170 - 91006 Evry (Cedex)
l.: 01 60 91 17 00 Fax : 01 69 91 17 14 http://catholique-evry.cef.fr
Forum diocésain « Vivre en Essonne avec l’Islam »
13 novembre 2004
Intervention de Mgr Jean-Luc Brunin
Le dialogue des chrétiens avec les musulmans :
un rendez-vous de l'Esprit
Une réflexion à partir de ce qui se vit en France depuis vingt~cinq ans dans le domaine de la
rencontre et du dialogue entre chrétiens et musulmans. Il faut se souvenir que le dialogue
islamo-chrétien ne quitte jamais le terrain social se joue la rencontre. C'est au cœur de la
rencontre complexe et rude avec les musulmans que l'Esprit du Christ travaille et qu'il conduit
la mission de l’Eglise qui se reconnaît l’appel à « servir l'unité du genre humain et l'unité des
hommes avec Dieu » selon la belle expression de Lumen Gentium §1
[NB : je vous propose une réflexion qui retracera à gros traits les évolutions telles que je les
ai vécues et perçues. Ce serait à préciser et à affiner.]
I. D'où venons-nous?
Dans les années 70, l'islam surgit... une religion d'immigrés, vécue par des célibataires dans
l'espace des foyers de travailleurs immigrés.
A la fin des années 70, avec le regroupement familial, l'islam émerge dans la vie des quartiers
populaires. Il devient religion de familles immigrées. Les musulmans ont souci de transmettre
leur religion mais n'en ont pas les moyens en dehors de la cellule familiale. Des cités
chrétiennes ouvrent leurs locaux, pratiquent l'hospitalité et engagent le dialogue.
Les jeunes de la seconde génération ont des préoccupations liées à leur insertion
socioprofessionnelle et l'intégration culturelle. C'est la période des marches « beur » pour
l'intégration et contre le racisme. Ces jeunes sont remarqués par les partis politiques de
gauche, les syndicats. Les militants - parmi eux des chrétiens - s'instituent partenaires de ces
jeunes beurs dans un combat pour l'égalité et contre le racisme.
Cette solidarité d'action constitue la plate-forme de rencontre et de dialogue entre ces
militants chrétiens et ces jeunes issus de l'immigration. Le contenu des échanges est surtout
culturel et politique.
Au moment de la Guerre du Golfe (début des années 90), un changement qualitatif s'opère. La
Guerre du Golfe qui est présentée comme un affrontement entre l'islam (notamment le monde
arabo-musulman) et l'Occident, opère comme un catalyseur. Les jeunes immigrés s'identifient
à l'image d'un monde arabe méprisé et humilié; cette image de victime qui résiste malgré tout,
capitalise les insatisfactions et les frustrations d'une jeunesse qui a le sentiment d'être les
oubliés de la croissance et du développement social.
Cette période correspond à celle d'un divorce entre les jeunes « beurs » et la classe politique
de gauche. C'est l'heure du désenchantement et de la rancœur.
A partir de ce moment, deux tendances majeures (il faudrait nuancer) se dégagent :
Diocèse d'Evry-Corbeil-Essonnes
SERVICE DIOCÉSAIN DES RELATIONS AVEC L'ISLAM
S.D.R.I Maison diocésaine - 21 cours Mgr Romero - BP 170 - 91006 Evry (Cedex)
l.: 01 60 91 17 00 Fax : 01 69 91 17 14 http://catholique-evry.cef.fr
a) des « beurs » conservent la trajectoire culturelle de l'arabité. Ils restent culturellement
musulmans, mais tournant le dos à une insertion par le social et la vie associative de quartier,
ils investissent le domaine de l'économique... les alliances politiques changent de nature : on
s'allie aux forces libérales (Tokia Saifi en est le paradigme);
b) des « beurs » récusent cette désignation trop culturelle à leur goût, ils se désignent comme
musulmans (certains même diront musulmans non-croyants). Le vecteur religieux, chez
certains, sera un vecteur de protestation sociale.
Ces évolutions seront diverses:
a) certains vivront leur islam comme une foi et une spiritualité dans un souci réel
d'inscription citoyenne,
b) d'autres vivront leur islam comme foi et spiritualité, mais sous le monde d'une
distanciation avec la société incapable de leur donner une place,
c) d'autres enfin, vite rejoints par des courants radicaux, vivront leur appartenance à
l'islam sous le mode de la rupture sociale. C'est cette tendance qui se trouve aujourd'hui
réactivée par les conflits du Moyen-Orient et le débat sur la laïcité en France : c'est un
islam politico-religieux.
Ces remarques ne doivent pas occulter le fait que la majorité de ceux qui se désignent comme
musulmans ou bien ont une pratique réduite de l'islam ou une pratique fervente mais paisible.
II. Chrétiens en dialogue
Dans les années 70, la rencontre et le dialogue se vivent sous le mode de l'accueil et de
l'hospitalité due aux immigrés. On est dans une logique de charité, exigence évangélique de
l'accueil du pauvre. Un dialogue profondément inégalitaire...
Dans les années 80, la jeunesse « beur » surprend l'aile gauche des chrétiens. Habitués à
une jeunesse blasée, les militants chrétiens découvrent chez ces jeunes issus de l'immigration,
protestant de leur non-intégration, revendiquant une réelle prise en compte, leurs héritiers
dans un combat ouvrier.
Dans les années 90, Si le désenchantement a gagné les jeunes « beurs » et les a conduits à
adopter l'islam comme vecteur de protestation sociale, les chrétiens engagés dans le dialogue
avec les musulmans ont été surpris par la brutalité de leur affirmation identitaire religieuse.
Le désenchantement gagne aussi les chrétiens car ils découvrent que ces jeunes ne sont pas
leurs héritiers. Ils rêvaient du même, ils découvrent brutalement l'altérité.
Par ailleurs, ils sont déconcertés par une affirmation aussi vigoureuse de leur appartenance
religieuse. Les chrétiens avaient appris, laïcité oblige, à privatiser leur identité chrétienne...
comme pour s'excuser d'appartenir à l'Église de Jésus-Christ!
Enfin, sur la scène internationale, apparaît l'internationale islamiste sous un visage de
violence, d'exactions et d'attentats.
A la phase de désenchantement s'ajoute, pour beaucoup de chrétiens, la phase de suspicion...
aujourd'hui, elle peut même devenir carrément intolérance. On multiplie les « préservatifs »
de la rencontre et du dialogue:
- on supporterait bien les musulmans... mais pas l'islam intrinsèquement
pervers, corrompu et violent…
- on engagerait bien le dialogue avec les musulmans... mais nous manquerions
S.D.R.I Maison diocésaine - 21 cours Mgr Romero - BP 170 - 91006 Evry (Cedex)
l.: 01 60 91 17 00 Fax : 01 69 91 17 14 http://catholique-evry.cef.fr
à la solidarité avec nos frères chrétiens en pays musulmans qu'on appréhende
exclusivement comme victimes,
- on engagerait bien le dialogue avec les musulmans... mais nous serions des
naïfs qui ne voient pas que derrière eux se profile une véritable machine de
guerre qui fera voler en éclats notre culture européenne née à d'autres
traditions. Tout ce qui s'apparente à des relations d'amitié et de confiance est
naïveté ou bien collaboration avec l'ennemi.
Les chrétiens, qui continuent à croire et à vivre patiemment la rencontre et le dialogue avec
l'islam, connaissent aujourd'hui - au sein même de leur communauté - incompréhension,
suspicion et hostilité.
III. Évolution des formes de la rencontre et du dialogue
Une première phase: la rencontre a pris la forme de l'accueil. Les chrétiens
accueillaient d'autres croyants. Leurs traditions religieuses avaient un goût d'exotisme.
C'étaient des croyants en situation de pauvreté: on a mis à disposition des locaux pour
salle de prière ou école coranique, en même temps, on cherchait à découvrir cette
religion largement inconnue.
Seconde phase : un dialogue culturel et militant notamment avec les jeunes. Le
religieux était occulté du côté des musulmans. Dans des espaces ouverts par les
chrétiens (notamment dans les mouvements ou en mission ouvrière) le dialogue s'est
posé sur le terrain religieux. Les chrétiens s'essayaient à dire leur foi chrétienne en
rapport avec l'action collective menée avec les musulmans.
Leila Babès a souligné justement que cela avait contribué à requalifier le religieux aux yeux
des jeunes issus de l'immigration musulmane.
Le dialogue de la convivialité et des « gâteaux » s'est maintenu durant tout ce temps, dans les
quartiers : fêtes de l'amitié, fêtes interculturelles, invitations mutuelles aux baptêmes et aux
mariages...
Aujourd'hui le dialogue convivial au ras des quartiers a largement souffert de
l'émergence d'un islam politico-religieux sur la scène internationale. Entre chrétiens et
musulmans, on a vu surgir des représentations négatives de l'autre qui se sont
imposées et qui font obstacle à la relation conviviale. La suspicion mutuelle a creusé la
distance et l'étrangeté. Derrière les musulmans, on pressent « l'institution islam »
(comme on connaît parfois les chrétiens oui, l'Église non).
Le dialogue s'est poursuivi au niveau des responsables des deux communautés. On a dépassé
le stade du dialogue sur le dialogue pour une confrontation de nos positions théoriques et de
nos pratiques croyantes dans une société complexe et questionnante. Mais cette rencontre et
ce dialogue vécus au niveau des responsables, demande à redescendre à la base.
IV - Points d'attention pour garantir un avenir du dialogue
Sans prétendre être exhaustif, je voudrais terminer mon intervention par l'évocation de
quelques points de vigilance. Si nous voulons poursuivre ce chemin de la rencontre et du
dialogue. C'est une exigence interne à notre foi au Christ. Le dialogue ne peut être matière à
option pour un chrétien.
S.D.R.I Maison diocésaine - 21 cours Mgr Romero - BP 170 - 91006 Evry (Cedex)
l.: 01 60 91 17 00 Fax : 01 69 91 17 14 http://catholique-evry.cef.fr
1) S'interdire toute dévalorisation systématique de l'islam. Le Concile nous invite au
respect des croyants mais aussi des autres traditions religieuses elles-mêmes. Cela
suppose de refuser l'amalgame fréquemment pratiqué entre islam et islamisme, islam
et terrorisme. Nous ne pouvons réduire l'islam à ses expressions radicales (réelles par
ailleurs, mais à situer à leur juste dimension).
2) Consentir à la structuration de la communauté musulmane. Dépasser l'attitude
bienfaisante à l'égard d'immigrés musulmans pour entrer en dialogue avec des citoyens
autrement croyants, et avec un islam qui s'organise.
3) Les évêques écrivaient dans leur déclaration de 1998: « Aujourd'hui, ce ne sont pas
seulement des musulmans que nous rencontrons, c'est l'islam avec ses organisations et
la diversité de ses courants...».
4) Prendre acte du légitime débat au sein de la communauté musulmane, riche de ses
diversités. Devant les défis de la modernité occidentale, il est normal que les
musulmans s'interrogent sur les formes de leur appartenance à l'islam. Ils sont
contraints à dessiner les contours d'une posture musulmane dans une société laïque
(tout comme il nous faut définir une posture chrétienne). Nous n'avons pas à interférer
dans les débats internes de la communauté, ni à distribuer les bons points: la limite
étant le respect de la démocratie et le respect des droits de l'individu.
5) Adopter un code de bonne conduite inter religieux (Cf. mon livre L'islam, pp. 153-
155).
6) Oser se rencontrer et dialoguer à partir des questions posées à l'homme, sa vie en
société et son avenir.
7) Offrir aux communautés chrétiennes les moyens d'encourager la rencontre, de former
au dialogue, de soutenir ceux et celles qui se risquent sur le terrain de la rencontre et
du dialogue. Ils engagent une part importante de la mission de l'Église, ils offrent aussi
le meilleur de ce que les chrétiens peuvent servir à la communauté nationale. Ces
chrétiens ont le droit et le besoin d'être encouragés et soutenus dans cette belle
aventure.
A l'heure des débats français sur la laïcité, chrétiens et musulmans avons vocation de redire
que ce n'est pas le religieux qui menace la cohésion sociale. 10 % de français en dessous du
seuil de pauvreté, des jeunes laissés pour compte sans perspective d'avenir, les plans sociaux
qu'on égrène avec leurs cortèges de licenciements, le difficile accès au logement social, la
remise en cause du droit à la santé pour tous... voice qui menace plus sûrement la cohésion
sociale.
On ne peut pas ignorer les efforts des responsables chrétiens et musulmans pour éveiller et
éduquer à une conscience citoyenne à partir d'une démarche croyante. Il ne s'agit pas de
prôner un front de résistance ou de refus entre chrétiens et musulmans. Mais bien plutôt de
témoigner que les ressources de nos traditions croyantes différentes peuvent aider des groupes
humains divers et pluriels à faire société ensemble.
Et si les religions étaient devenues nécessaires pour garantir la laïcité ? Non pas une laïcité
S.D.R.I Maison diocésaine - 21 cours Mgr Romero - BP 170 - 91006 Evry (Cedex)
l.: 01 60 91 17 00 Fax : 01 69 91 17 14 http://catholique-evry.cef.fr
de refus, de prohibition et d'intolérance, attentatoire à la liberté religieuse, mais une laïcité
ouverte, de débat et de la coopération. Chrétiens et musulmans, le travail ne nous manque pas
sur ce chantier de l'avenir.
Mgr Jean-Luc Brunin
Evêque d'Ajaccio pour la Corse.
Membre du Conseil permanent de la Conférence des
évêques de France, président du Comité épiscopal des
Migrations
4
2
1 / 5 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !