la preuve par les faits - Professeur Moustapha Kassé

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Le Sénégal une référence économique et politique :
la preuve par les faits.
Par Pr. Moustapha Kassé, Président de l’Ecole de Dakar
INTRODUCTION
La scène sénégalaise s’anime et même s’envenime après l’exploitation insidieuse de
deux rapports économiques d’organisations internationales de l’OCDE et du Forum de Davos
qui ont souligné tour à tour certaines faiblesses structurelles de l’économie sénégalaise liées à
la gestion du secteur énergétique, à la mobilité urbaine et le faible niveau de la productivité.
Comme pour faire écho, l’opposition s’est lancée dans une analyse apocalyptique de la
situation politique et sociale sans aucun rapport avec les réalités. La dramatisation et la
brutalité des propos sont servies particulièrement pour mettre en condition l’opinion nationale
et internationale. L’îlot de stabilité et de paix sociale est jugé en crise profonde.
S’en est alors suivie la mise en route l’Initiative pour Démission de Wade (IDEWA)
pour récuser le Président de la République et exiger sa démission. Quelle est la signification
de ce « charivari » politique et de ce tourbillon qui vise à effondrer l’ordre politique massif
sous prétexte que le Sénégal est plongé dans une crise grave ? Vérité au-delà ou simple
dramatisation au dedans ? Au delà des faits, on semble complètement oublier que la crise,
observait Gramsci, est cette période de transition - pendant laquelle le pire peut arriver - qui
sépare la fin d’un monde ancien de l'émergence d’un monde nouveau. Cette situation
intervenait selon Trotsky quand, ceux d’en bas refusent d’être gouvernés comme avant et que
ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner comme avant.
1) Dans une démocratie, le débat est capital pourvu qu’il ne dérape vers la déraison.
Dans une démocratie, le débat est à la fois utile et crédibilisant surtout quand il se
déroule sans aucune entrave entre des professionnels soucieux de révéler la vérité et de faire
partager leurs préférences aux citoyens. Il peut être éclairant sur la situation du pays, la
manière dont il est administré et les performances des politiques appliquées. Il est un bon
indicateur d’appréciation de la qualité des acteurs du jeu démocratique qui est en fait un jeu
transactionnel régi par les règles d’une compétition limitée et bornée par les lois et
règlements. Il est normal que dans une démocratie, le politicien comme un investisseur
cherche à faire prévaloir ses idées lors des processus décisionnels portant sur des enjeux clefs.
L’éthique de responsabilité veut que tous les protagonistes du jeu politique respectent d’abord
le vote des électeurs en tant que révélateur des préférences et choix individuels et les lois
républicaines qui régulent le débat politique.
Manifestement, depuis trois bonnes années toutes les forces aptes à structurer le débat
d’idées ont perdu leur capacité à produire des visions nouvelles de l'intérêt national
susceptibles de constituer une véritable alternative à celles du Président de la République. Les
ambitions africaines du Chef de l’Etat (Union Africaine, Plan Oméga, NEPAD, positions sur
les négociations commerciales Doha et Cancun, la solution du gap numérique, les questions
du financement du développement, la Conférence des Intellectuels africains et de la diaspora,
le dialogue islamo-chrétien, l’organisation des Assises de l’Organisation de la Conférence
Islamique (OCI)…), les grands projets d’infrastructures de base pour redimensionner le
Sénégal (la mobilité urbaine à Dakar, les routes de désenclavement, les projets portuaires et
aéroportuaires….), la politique d’aménagement créatif du territoire (la nouvelle ville, les
aménagements urbains et ruraux, les nouvelles lois sur la décentralisation pour mieux
articuler le local et le national…..), les politiques agricoles, industrielles et de la nouvelle
économie, les débats sur les Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté (DSRP)
1
comme conditionnalité des partenaires au développement, les négociations avec les bailleurs
sur les allégements de la dette dans l’optique de l’initiative pour les Pays Pauvres Très
Endettés (PPTE), les réformes budgétaires ont laissé l’Opposition complètement hors jeu.
Toutes ces questions sur lesquelles l’opposition s’est carrément éclipsée sont des questions de
société qui influent sur notre vie quotidienne.
Pourquoi tous ces faits ont laissé nos hommes politiques totalement absents et
indifférents ? Pourquoi instruire un procès en démission à un Chef d’Etat qui, en trois ans, a
fait preuve d’autant de réformes et d’initiatives créatrices, tant au niveau national qu’à
l’échelle africaine?
La gestion économique et les initiatives gouvernementales majeures n’ont rencontré
le moindre écho. Les réactions des hommes politiques face aux indicateurs économiques ont
terriblement fait défaut depuis les élections législatives. L'opposition ne s’est préoccupée que
« des apparences, autrement dit de la frivolité » en tentant même parfois de chercher à
contraindre le régime à renoncer à des projets et à aménagements qui ne visent rien d'autre
qu'à perfectionner la société.
Sans vision de société, ni discours économique cohérent, la une bonne partie de la
classe politique s’est complètement larguée au bord du chemin. Les question économiques
étaient ramenées à deux thèmes centraux : les défaillances de la commercialisation arachidière
et la crise alimentaire grave dans le monde rural présentées comme l’herméneutique de la
faillite de la politique agricole. En y ajoutant la prétendue « impréparation » des programmes
maïs et manioc on a le panorama complet des problèmes économiques soulevés. Le péril
acridien a apporté un peu de mouvement mais pas d’idées nouvelles. Personne ne peut, sans
rire, compter sur pareil programme pour transformer la société et satisfaire la demande
sociale. Peu d’idées et pas vraiment de programme ne peut conduire que vers un
désinvestissement croissant des citoyens. De la sorte la fonction de popularité est plutôt
favorable à l’action gouvernementale.
La « gauche historique » a timidement engagé la bataille pour son unité mais n’élabore
aucun projet sérieux définissant un schéma de transformation de la société sénégalaise, les
mécanismes de régulation de l'activité économique, le modèle de justice sociale et les voies et
moyens d'étendre le champ d'application de la démocratie. Elle n’affirme pas ses valeurs mais
continue de balancer tantôt vers l'attirail des mesures dites de gauche, tantôt vers la corbeille
des décisions « réalistes ». Selon la boussole des échéances électorales, elle critique ou
s’aligne sur les positions du gouvernement de l’alternance.
C’est dans ce contexte de mer calme que quelques passages des Rapports sur le
Sénégal de l’OCDE et du Forum de Davos ont été exploités et brandis comme argumentaire
de la faillite économique du régime. C’est l’aveu que toute bataille sur le terrain économique
est perdue. Il faut s’investir pour un rapide retour du politique : les échéances de 2007
pointent à l’horizon.
2) Dans ce contexte, l’IDEWA est un énorme flop politique : un tour inouï de
prestidigitation.
Pourtant l’opportunité du retour du politique était ouverte avec l’appel du Président de
la République pour donner un nouveau dessein au Sénégal et le projet « Mouvement pour
l’unité de la gauche ». En dehors du changement de Premier Ministre et l’entrée de Djibo KA
au gouvernement l’engourdissement de la scène politique est total. Le champs de fixation est
déplacé vers la sempiternelle question de la refonte du fichier électoral décrété comme le
nouvel engagement fort de l’Opposition. Pourtant cette question, certes vitale, défonce des
portes grandement ouvertes dans la mesure où tous les acteurs s’accordaient sur l’impérative
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nécessité d’aplanir tous les problèmes susceptibles de créer dans le futur un contentieux
électoral. Tout le monde prône la concertation et la négociation.
En dehors de cette question, les Partis politiques ont ponctué leurs discours sur les
remaniements ministériels dits intempestifs comme si ceux-ci étaient fixés par les lois et
règlements, le lancinant conflit en Casamance qui commence à connaître un début de solution
avec l’agenda des négociations en train de se mettre en place. La catastrophe nationale du
« Bateau le Diola » est maintenant complètement digérée avec les indemnisations
conséquentes des victimes sur la base de fautes partagées et la mise en route d’un nouveau
moyen de liaison.
Tout cela fait dire à Anne MIROUX de la CNUCED que « le Sénégal constitue un
véritable îlot exceptionnel de stabilité et de progrès qu’il faut préserver à tout prix pour
rassurer les rares investisseurs qui manifestent encore quelques intérêts à l’Afrique ».
Cependant, c’est au moment où le front politique et social est remarquablement
stabilisé et calme que l’initiative dite IDEWA s’est mise en route exigeant le départ du
Président de la République qui accomplit toutes les prérogatives liées à sa charge et les réalise
beaucoup mieux qu’antérieurement en faisant bouger toutes les lignes de la politique
économique et sociale. On est parfaitement en droit de s’interroger sur les motivations de ce
« charivari » politique, de ce « méli-mélo ubuesque » qui intervient à une période de
turbulence de l’Afrique de l’Ouest traversée par des crises d’une extrême gravité en
Mauritanie, en Sierra Léone, au Libéria, dans les deux Guinées et surtout en Côte d’Ivoire.
Cette situation est justement le produit de régimes politiques instables et de guerre
civile aux conséquences économiques et sociales désastreuses et dramatiques. En effet, ces
guerres civiles larvées où en voie d’extinction sont en passe de bloquer les réseaux marchands
transfrontaliers très actifs qui structurent les échanges commerciaux de toute la sous-région.
Les conséquences sont terribles : vaste déplacement des populations, régression de la
production, libre circulation de l’armement, déstabilisation des ordres sociopolitiques. Les
deux organisations que sont la Communauté Economique des Etats de L’Afrique de l’Ouest
(CEDEAO) et l’Union Economique Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) se trouvent
fortement fragiliser au moment où précisément les préoccupations d’intégration régionale sont
en train de se transformer d’une problématique de départ centrée sur les questions politiques
vers des considérations plus économiques.
Dans cette aire géographique le Sénégal construit avec succès un modèle économique
exemplaire, renforce et élargit son système démocratique. Pourquoi vouloir ramer à contre
courant quand tous les partenaires expriment leur satisfecit sur la gestion économique et
financière du pays ? Pourquoi réclamer la démission d’un Président légalement élu et qui
n’est frappé d’aucune sorte d’incapacité juridique? Le décalage entre les promesses pour la
conquête du pouvoir et les dures réalités de son exercice est un argument trop léger pour
mériter le moindre reproche. Les vieux contre les jeunes est une façon ridicule de poser les
problèmes d’un pays en chantier dont le leader répète à souhait que l’insertion de la jeunesse
dans le tissu économique est le gage de notre avenir. Qui donc a déclaré que « former et
intégrer la jeunesse à la société, est avant tout un facteur de développement. Dis-moi quelle
jeunesse tu as, je te dirai quel avenir tu auras »
Nous avons tous à gagner en recentrant le débat sur les questions d’intérêt national
dans le respect absolue de la légalité républicaine. En effet, le Sénégal est en passe de réussir
l’édification d’un système économique performant (I), de construire une démocratie ouverte,
libérale, pluraliste et favorable au développement de l’initiative privée et à la bonne
gouvernance (II) et de concrétiser l’ambitieux programme d’une société innovante et de
travail (III).
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I/ Le Sénégal est en passe de réussir l’édification d’un
système économique performant.
L’économie est d’abord une science qui mesure et quantifie par intérêt pour la société
et son fonctionnement même si par ailleurs les économistes ne font pas toujours beaucoup
d’effort de pédagogie citoyenne pour expliquer leurs analyses dans un langage accessible.
Pour évaluer les performances globales d’une économie, tous les économistes (toutes
tendances confondues) s’attachent généralement à une batterie de trois critères : le taux de
croissance économique (la production), les finances publiques et les échanges extérieurs. Ils
ajoutent quelque fois la situation monétaire. Or, une rafale de rapports parus cette année
s'appuie sur de solides statistiques pour conforter l’excellente tenue des critères de
performance macroéconomique du Sénégal. Les Analyses de conjoncture de la Direction
Nationale de la Statistique (une des plus compétentes d’Afrique), les Rapports de l’OCDE
(2003 et 2004), de l’UEMOA (2003-2004), de la Délégation de la commission Européenne
établissent un parfait consensus d’experts sur les remarquables succès économiques et
financiers du Sénégal.
1) Recentrer le débat sur les résultats et l’action car comme soupirait ce
chauffeur de l’administration : « On ne mange tout de même pas tous les
jours de la démocratie ».
En langage chiffré, la présentation synoptique du tableau de bord macroéconomique se
présente comme suit:
- un taux de croissance avoisine 6% ;
- une inflation ramenée à moins de 2% ;
- une dette réduite de 430 milliards de CFA en valeur actualisée ;
- le 1/3 des 71 milliards des bénéfices réalisés par l’ensemble des 66 banques et 24
établissements financiers en activité dans l’UEMOA est fourni par le Sénégal ;
- une progression substantielle du niveau du niveau des avoirs extérieurs donc des
contreparties de la masse monétaire avec des évolutions favorable de la position nette
du gouvernement et des crédits à l’économie.
Le premier critère est la croissance. Elle est la boîte de pandore du développement. Sur ce
thème, un responsable politique est pris en flagrant d’illettrisme économique grave en
déclarant de docte façon « la croissance économique ne se mange pas ». Pareille assertion a
fait tordre de rire tous les économistes de la terre entière. Il faut comprendre que les débats sur
la croissance sont d’une importance capitale. Elle seule offre les moyens à toute politique
économique et sociale et devient en conséquence prioritaire dans les stratégies de
développement. D’abord la croissance est un impératif pour endiguer la montée du chômage
et atténuer les conflits de répartition du revenu. Ensuite, elle est une nécessité pour les
entreprises confrontées à la concurrence internationale de plus en plus vive et à la relative
saturation des marchés de consommation. Enfin, elle conditionne la réduction de la pauvreté
ou d’autres sous-objectifs d’éducation, de formation, de santé, de qualité de la vie urbaine, de
compétitivité future, ainsi qu’une évidente contribution au bien-être.
Toutefois, la croissance potentielle n’est pas une donnée naturelle : les contraintes qui la
régissent sont des limites propres à la société et sur lesquelles elle peut agir. Aujourd’hui, les
niveaux atteints par le taux de croissance potentiel montrent que celle-ci peut être
durablement soutenable car les conditions sont réunies : disponibilité des facteurs de
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production (travail, investissement, technologie et productivité), maîtrise des déficits et
institutions de qualité.
En moyenne sur les années de l’alternance, le taux de croissance est supérieur à 4%. En
2003, il a même atteint 6,3%, alors que la moyenne de l’UEMOA était de 2,8% et 2,9% en
2002 et 2003. Le processus de croissance commence à être soutenue par la consommation, les
échanges extérieurs et l’investissement ce qui est éminemment positif.
Le second critère est relatif aux finances publiques. En effet, comme tous les autres pays
de l’UEMOA, le Sénégal présente un taux de change fixe par rapport à l’euro. La politique
monétaire étant conduite par la BCEAO, la politique budgétaire devient le principal levier
d’action. Actuellement, les finances publiques connaissent une remarquable embellie. Jamais
dans l’histoire économique du Sénégal le Trésor Public n’a été aussi liquide. Cela procède de
trois facteurs : les allégements de dette, la gestion des dépenses publiques et l’augmentation
des recettes. D’abord, les annulations successives de dette ont démarré avec le Club de Paris
de juin 2004 qui a consacré la phrase « Floating Completion Pont » pour un montant estimé à
25% de la dette. Les ressources pourront augmenter avec la spécification d’autres créances
provenant de Etats-Unis, du Canada, du Japon, de la France. Ensuite, dans la gestion des
dépenses publiques aucun dérapage n’a été constaté. La politique des dépenses apparaît même
beaucoup trop prudente pour une économie dynamique qu’il importe maintenant
d’enflammer. Enfin, le taux de rentrée fiscale s’améliore pour atteindre près de 9,56% avant
la fin 2004.
Le troisième critère est le taux d’inflation dont le niveau est l’un des plus faible de
l’Afrique de l’ouest : il est inférieur à 2%. Il faut rappeler que si l’inflation est redoutée c’est à
cause de deux effets qu’elle peut produire : en s'accélérant, elle pousse, à court terme, à
augmenter la consommation pour anticiper une montée des prix (c'est l'effet dit de fuite
devant la monnaie) et, à plus long terme, elle réduit le pouvoir d'achat des actifs dont
disposent les ménages ce qui compromet la croissance. A cela s’ajoutent des effets pervers
plus classiques découlant du processus ruineux d’inflation par les coûts et par la demande.
Ce panorama des indicateurs est la meilleure illustration d’une économie qui se réforme
pour installer durablement la croissance. Des problèmes structurels subsistent au niveau des
infrastructures et de la privatisations des entreprises dans des sous-secteurs clefs : la
SENELEC, la SONACOS et la POSTE. Les privatisations sont difficiles et les marges de
manœuvre bien étroites. L’Etat est toujours coincé entre les exigences des bailleurs et la
rigueur de la gestion de la cession. En plus, en perdant leur partenaire-Etat, ces sociétés
deviennent des placements moins sûrs. Celui-ci ne sera plus là pour éponger les dettes. Par
ailleurs, si le Gouvernement s’était empressé de privatiser, l'occasion serait saisie pour lancer
une vaste campagne sur les thèmes classiques de bradage du patrimoine national et de défense
des acquis sociaux.
Si maintenant nous procédons à l’évaluation de l’économie sénégalaise en fonction
des critères de convergence de l’UEMOA, les résultats sont encore plus brillants. Concernant
les critères de premier rang, le ratio de solde budgétaire de base rapporté au PIB nominal
s’établit en moyenne à 1,4% (Commission UEMOA). Il est lié à une meilleure maîtrise des
dépenses de base due à la stabilité des investissements. Le taux d’inflation reste à moins de
2% jusqu’en 2004. Le pic de 2003 s’explique par les tensions introduites par la TVA à taux
unique. L’encours de la dette extérieure et intérieure rapporté au PIB nominal accuse une
hausse en terme de réduction par rapport aux années antérieures. Les arriérés de paiement ont
été respectés en 2003 malgré des retards accusés en 2001.
Pour ce qui est des critères de second rang, on observe que les ratios de la masse
salariale sur recette fiscale n’excèdent pas les 35% de la norme communautaire sur les quatre
années. Les investissements internes sur ressources atteignent au moins 20% des recettes
fiscales. Le déficit extérieur hors don rapporté au PIB excède les 55% de la norme
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communautaire et atteint 10% en 2004. On constate une décélération du rythme des recettes
fiscales mais la norme de 17% est respectée. Au total, le Sénégal est le seul pays à respecter
cette norme dans toute la sous-région.
Ce dynamisme économique est aussi lisible en termes d’analyse sectorielle avec des
comportements remarquables des secteurs agricole, industriel et tertiaire. L’activité agricole a
bénéficié des conditions climatiques favorables et a permis une contribution à la croissance
entre 1,3% et 1,8%. L’agriculture se diversifie et rentre progressivement dans une logique de
marché. La base industrielle du Sénégal bien que relativement peu diversifiée, connaît des
innovations. La réduction des exportations des phosphates a permis le doublement de la
production au niveau de la transformation en acide et en engrais. Le secteur du Bâtiments et
travaux publics reste dynamique avec une croissance de plus de 7,8% (Rapport de Zone
franc). Le tertiaire connaît un dynamisme depuis les années 1990 et contribue au PIB pour
près de 60% en 2001. Le Sénégal a opté pour une insertion efficace et réussie dans la société
de l’information et du savoir. Il est en train de gagner le pari des TIC avec les performances
réalisées dans l’économie des services qui a valeur d’exemple selon une note récente de la
CNUCED (novembre 2004). Par ailleurs, le développement très sensible du secteur informel a
contribué à la croissance d’environ 9% Le commerce et le tourisme connaissent un
dynamisme malgré les instabilités en Casamance. La structure commerciale du pays s’est
diversifiée par rapport aux pays voisins.
Toutes les évaluations positives sont largement confortées par tous les partenaires au
développement et les institutions multilatérales BM, FMI et PNUD (dont l’ouvrage sur les
taux de réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement est en édition). Les
analyses indépendantes établissent à l’unanimité que le Sénégal a réussi à conserver les gains
de compétitivité depuis le réajustement monétaire de 1994. Plus explicite encore, le dernier
rapport de l’UEMOA souligne que le Sénégal est le seul pays de l’Union à avoir respecté les
seps des huit critères de convergence. Ces résultats expliquent largement l’éligibilité du
Sénégal aux initiatives PPTE, du « Millenium Challenge Account (MCA) » et de l’AGOA : le
pays remplit les conditionnalités exigées de bonne gestion économique et politique.
2) Dans ce pays, il y a des gens qui sont dans l’action et qui bossent et
d’autres qui critiquent sans rien proposer.
Ces acquits économiques et financiers vont permettre de soutenir une politique sociale
plus hardie dans les domaines de l’emploi, de la santé, de l’éducation et de l’amélioration des
conditions de vie des travailleurs (âge de la retraite à 60 ans, augmentation des salaires…).
Des études économétriques montrent que les investissements dans l’éducation, la santé et
l’habitat permettent non seulement d’améliorer directement le bien-être des populations, mais,
contribuent également de façon indirecte au renforcement des différentes formes du capital
humain qui concourt à l’accroissement des revenus. Ce développement du capital humain est
à la fois un outil essentiel de croissance soutenue et un moyen de lutte contre la pauvreté. La
part du budget consacrée à ces secteurs reste significative en comparaison aux autres pays de
l’UEMOA et même d’Afrique subsaharienne : près de 9% du budget pour la santé et plus de
40% pour l’éducation. Les taux de prévalence du VIH/SIDA sont exceptionnellement bas
(moins de 1%) pour un pays d’Afrique au Sud du Sahara.
Ces résultats économiques et sociaux ne devraient pas être ignorés de la classe
politique car ils représentent le fruit du travail de tous les sénégalais quelle que soit leur
appartenance politique. Si l’opposition méconnaît ou sous-estime ce bilan, elle accrédite
l’idée que dans ce pays, il y a des gens qui sont dans l’action et qui bossent et d’autres qui
critiquent sans rien proposer.
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Sans aucun doute, il reste encore beaucoup à faire. La politique macroéconomique
permet principalement de créer un environnement favorable au développement de l’offre
productive au sein d’une économie ouverte et de prendre en charge l’immense ambition
nationale du Président de la République de réconcilier l’économique et le social, de
parachever l’édification d’une économie sociale de marché à la fois juste et performante et de
conduire le pays vers le progrès et la modernité. C’est ce programme qui devrait permettre de
résoudre la demande sociale c’est-à-dire la réduction du couple pauvreté/chômage, l’Ecole et
la Santé pour tous, le logement assuré au plus grand nombre. Sa réussite peut être accélérée
par un fort consensus politique dont le moins qu'on puisse dire, est qu'il est encore
parcellaire.
II/ L’édification d’une démocratie ouverte, libérale, pluraliste et
favorable au développement de l’initiative privée et à la bonne
gouvernance.
Sûrement, le Sénégal est parfaitement lancé sur la voie de l’achèvement d’une
démocratie ouverte, libérale, pluraliste, favorable au développement de l’initiative privée et à
la bonne marche des affaires. Par rapport au reste de l’Afrique, la construction d’un Etat de
droit appuyé sur des institutions administratives et judiciaires indépendantes y compte un
temps d’avance. Le pluralisme politique, le contrôle de légalité, ainsi que, désormais, la
décentralisation, ont fini par former un cadre juridique au sein duquel les
« prérogatives exorbitantes du droit commun », le « fait prince » et autres privilèges dont la
puissance publique pouvait se prévaloir, ont été progressivement éliminés. La publicité des
procédures de passation des marchés publics et la modernisation de la gestion administrative
participent, en effet, de la même dynamique de stabilisation du droit et des institutions.
Récemment l’engagement du gouvernement de traduire au niveau législatif et
réglementaire les principes de « Bonne Gouvernance » a parachevé le mouvement de
réformes institutionnelles. Les concertations sont en cours pour mettre en route un organisme
consensuel de gestion et de contrôle du processus électoral. De même, le transfert à l’échelon
local de compétences auparavant détenues par le pouvoir central témoigne de la volonté de
gérer les affaires publiques au plus près des besoins des populations, dans le respect de
l’intérêt général. L'approfondissement du mouvement de décentralisation, la montée en
puissance d'autorités locales élues s’accompagne d’un effort public de construction d'une
administration déconcentrée aussi soigneusement formée que gérée, et dotée de moyens
d'action effectifs (revalorisation des conditions de travail des gouverneurs et préfets). Le
dernier Rapport National du PNUD sur le Développement Humain (2004) apporte des
preuves de taille.
Aujourd’hui, les sénégalais peuvent parler, écrire et imprimer librement. La presse
exerce son métier en toute indépendance et en toute quiétude. La dépénalisation de certains
délits la concernant est la dernière avancée : les organes se multiplient et les ratios prolifèrent.
Il est loisible à tout un chacun d’aller et venir, de participer à la gestion des affaires publiques
comme d’entreprendre, sans que ces libertés puissent être obstruées ni remises en cause par la
puissance publique. La meilleure preuve aucune initiative ne fait l’objet d’aucune
interdiction : les marches, les grèves les pétitions et autres prises de position sont tolérées ou
autorisées. C’est plutôt le diktat de l’interdiction qui règne. Ce qui amène des excès
préjudiciables à la discipline et à la cohésion que requiert le développement.
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Cependant, ici comme ailleurs, dans toutes les démocraties modernes, des
dysfonctionnements peuvent apparaître au niveau de la justice, de l’administration centrale, de
la décentralisation, de l’organisation de la participation de la société civile aux affaires et de la
lutte contre la corruption sur laquelle certaines organisations ont eu une trop grande
focalisation. On semble oublier que corrupteurs et corrompus font partie des plus vieux
personnages de la comédie humaine. Leur dénonciation aussi . En effet, il y a un peu plus de
deux mille ans, la lutte contre le corrompu Verres a lancé la carrière politique de Cicéron.
Toutefois, ces dysfonctionnements lorsqu’ils portent préjudice aux citoyens ou entraînent des
coûts d’agence sont corrigés par le sommet même de l’Etat.
Le front social est particulièrement calme avec l’instauration du dialogue Etat,
Patronats et Syndicats y a beaucoup contribué. Dans cette mondialisation de haute
compétition, il y a de moins en moins de place pour les rapports conflictuels (radicalisme
syndical) et de plus en plus contractuels. L’entreprise doit en permanence, investir innover
pour garder l’initiative sur le marché et sauvegarder l’emploi. Les cahiers de charge ne font
plus le trop plein de revendications.
III/ Les performances actuelles doivent préparer l’ambitieux
programme d’une société innovante et de travail.
Au-delà de ces performances macroéconomiques, le Sénégal dispose d’énormes
réserves de croissance non encore exploitées non seulement au niveau des secteurs agricole,
industriel et tertiaire mais surtout à l’échelon des facteurs de production comme le travail, le
capital et leur productivité qui ne sont pas des données de la nature mais le résultat de la
capacité de chaque société à pouvoir les utiliser productivement.
1) Exploiter la première réserve de croissance en mettant le pays au travail, en
moyenne le paysan travaille 600 heures annuellement contre 3000 en Asie.
Les économistes quant on les interroge sur les voies et moyens pour accélérer les
rythmes de croissance vous rétorquent de façon abrupte : « Au boulot, citoyens ». L’Asie
illustre parfaitement ce propos car elle est constituée « d’ateliers de sueur ». On s’y développe
par transpiration. Au Sénégal l’attitude à l’égard du travail est trop permissive et constitue une
lourde pesanteur qui empêche la formation d’une société de travail dynamique et innovante.
En prenant le secteur agricole, le paysan travaille 600 heures en moyenne annuelle contre plus
de 3000 en Asie. La productivité, c’est-à-dire le nombre moyen d’heures de travail rapporté à
la population en activité, est particulièrement faible par suite de la multiplication des
sollicitations sociales : mariages, baptêmes, funérailles et autres motifs d’absentéisme.
La satisfaction de ces obligations sociales et collectives constitue, selon Régis
Mathieu, une grande contrainte qui limite la mobilité du facteur travail pour la production des
biens matériels et interdit tout calcul d’optimisation. Mettre le pays au travail devrait produire
des points supplémentaires de croissance. Le Président de la République ne s’y trompe pas
avec son fameux slogan « il faut travailler, encore travailler, beaucoup travailler et toujours
travailler ».
Un autre grande réserve de croissance concerne l’accumulation et les comportements
atypiques d’épargne. De nombreux travaux expliquent l’improductivité de la société
sénégalaise par suite de l’évaporation du surplus due à la flexibilité sociale et à l’élasticité des
filets sociaux : gaspillage dans les innombrables cérémonies familiales et entretien des oisifs.
Dans cette optique, P. Hugon observe que ce surplus est produit dans un univers marchand
mais dilapidé et dissous dans l’univers traditionnel. C’est qui est vertu dans une logique
communautaire comme la polygamie, la solidarité, le respect des normes devient contrainte et
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frein dans une logique d’efficacité : on parle alors de népotisme, de clientélisme, de
tribalisme.
D’autres inefficacités sociales qui freinent l’ampleur des progrès économiques et
sociaux sont décelables : le holisme protecteur, faible insertion des femmes, excès de
mimétisme.
Ces réserves de croissance ne peuvent être mobilisées qu’en réalisant des ruptures
profondes au sein de la société sénégalaise ce qui n’est réalisables que dans un vaste élan de
consensus national qui regroupe les forces politiques et sociales les plus significatives.
2) la synergie entre démocratie et développement, passe par le dialogue, la
concertation et le consensus.
Au plan des politiques économiques, lorsqu’on analyse les performances supérieures
de l’Asie, pendant ces trente dernières années, elles sont attribuables à trois éléments
interdépendants : le contenu de la stratégie de développement, l’utilisation optimale des
facteurs de production disponibles et le mode du gouvernement et la qualité des institutions de
l’économie. La conjoncture de ces éléments a généré l’ouverture sur les marchés extérieurs, le
dynamisme du secteur privé, l’efficience de l’administration, des systèmes financiers, de la
main d’œuvre, les infrastructures et les institutions d’encadrement. Il faut chercher à
quantifier tous ces éléments pour comprendre le processus de génération de cette croissance
durable en Asie.
Dans leur essence, les réformes entreprises ont doté ces économies des caractéristiques
qui les rendent aptes à soutenir sur un rythme de croissance dynamique pendant une longue
période de temps. Ce sont un Etat de qualité qui élabore un système économique à partir
d’une bonne gestion des fondamentaux macroéconomiques (stabilité macroéconomique,
épargne et investissements élevés, maîtrise des déséquilibres internes et externes et de
l’inflation élevés, dépenses d’éducation et de santé élevées pour un bon niveau du capital
humain, des services publics de qualité), fait fonctionner les institutions, impose les réformes
et infléchit les comportements. Les projets sont alors portés par des acteurs qui sont les
éléments de la stratégie.
En un mot, il s’agit de transformer la société, si l’on veut réaliser l’objectif de sortir
du sous-développement dans l’intervalle d’une génération. Ces transformations nécessaires
comportent des risques et des coûts politiques qui peuvent être exorbitants. Le consensus est
alors indispensable pour les assumer collectivement. Les formations politiques acceptent alors
de partager les bénéfices mais aussi les risques.
3) Un jeu coopératif des partis politiques autour de la gestion du projet
présidentiel
Assurément, le Sénégal est sur la voie de mutations profondes qui peuvent le conduire
au développement durable et à la prospérité. Il peut réussir le modèle asiatique de transition
industrielle reposant sur un projet de modernisation mené par un Etat fort sans déséquilibres
macroéconomiques majeurs (Asie et Tunisie plus près). Ces Etats, avec des chefs
charismatiques et compétents, ont combiné des facteurs de croissance qui ont accéléré leur
développement en fonction de leur histoire et de leur mode d'insertion dans la mondialisation.
Ils ont construit de bonnes institutions, élaboré de bonnes règles et mobilisé tous les acteurs
de l’économie.
Au début ces Etats ont assis leur légitimité non pas sur des processus démocratiques
classiques mais les performances économiques. Lee Kuan YEW, le grand maître de
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Singapour, un des meilleurs artisans au monde d’une politique économique réussie déclarait
sans aucune ambiguïté « je ne crois pas que la démocratie amène nécessairement le
développement. Ce dont un pays a besoin pour se développer c’est de discipline plus que de
démocratie .» Le Professeur THAIDURI me soulignait « qu’il nous arrive parfois
d’expliquer la faible croissance de notre pays, l’Inde, comme le prix de la démocratie ». Ce
prix vaut-il la peine de le payer ? Existe-t-il une corrélation étroite entre démocratie et
prospérité ? Nous avons tous insuffisamment réfléchi sur ces questions.
Manifestement, le Sénégal peut réussir ce challenge car l’essentiel des facteurs sont en
place : le cadre macroéconomique est assaini ; la croissance économique n’est pas annulée
par la croissance démographique ; le cercle vicieux d'appauvrissement est affaibli (pas trappes
inéluctables de pauvreté ni blocage par l'extérieur); les ressources financières sont
disponibles; la communauté internationale est favorable (multiplication des projets et
initiatives d’appui au développement et à la réduction de la pauvreté); les institutions sont
solides avec une parfaite interaction entre le local, le national et le régional. Par-dessus tout le
pays est dirigé par un leadership qui a une vision et une ambition inspirée d’un mélange de
colbertisme, de jacobinisme, de modernisme d'intelligence keynésienne et des idéaux de
libéralisme social.
Il reste à façonner un consensus social fort qui génère la confiance et l’acceptation
collective de conduire les transformations pour mobiliser le capital social encore en latence.
L’entente entre les acteurs du terrain politique constitue un cadre d’analyse de la dynamique
de la politique consensuelle pour mener à bien les transformations en vue du bien être
commun. Il est normal que dans une démocratie l’homme politique cherche l’extension de sa
sphère d’influence et affine sa stratégie pour mettre à profit toutes opportunités et exploiter
toute déviance de l’adversaire. Ce faisant, il investit exclusivement pour sa carrière.
Cependant, dans l’optique de la réalisation de grands programmes de rédemption nationale,
les acteurs politiques peuvent parfaitement participer à la quête d’un environnement stable,
négocié et favorable au développement et à la prospérité des citoyens. Il faut alors un jeu
coopératif ou collusif qui peut être plus optimal que le jeu concurrentiel et compétitif.
Naturellement, un tel accord (coalition, collusion, consensus) entre acteurs politiques peut
avoir des effets positifs sur la stabilité sociale et instaurer un climat de confiance, de sécurité
et de certitude pour les flux d’Investissements Directs Etrangers(IDE) sans lesquels la
croissance économique est illusoire. Cette question a toute son importance et mérite une
recherche approfondie.
Le Chef de l’Etat l’a parfaitement bien compris en intégrant les vertus de la
concertation et du dialogue politique et social dans sa gestion politique. Malice ou nécessité
c’est d’abord aux politiciens de trancher. Ce qui est sûr, cependant, c’est qu’un large
consensus national rend les règles du jeu politique et économique plus claires et plus
transparentes et suscite la confiance et l’adhésion de la communauté internationale et du
secteur privé national et étranger.
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