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Les bulles spéculatives (situation dans laquelle les cours sur le marché d’une ou plusieurs gran-
deurs financières (actions, devises…) tendent à s’élever au-delà de ce qui serait justifié par les fondamen-
taux) ne sont théoriquement pas exclues puisque le rendement futur des actifs n’est pas connu mais seule-
ment anticipé (rationnellement) et que toute croyance partagée par tous se répercute immédiatement sur le
cours de l’actif.
Néanmoins, l’hypothèse d’efficience des marchés financiers conduit à considérer que le cours d’un
actif reflète les fondamentaux, c'est-à-dire les déterminants économiques des revenus (dividendes, intérêts,
loyers…) attachés à cet actif. Ce sont alors les perspectives de profits d’une entreprise qui vont déterminer le
cours de l’action de cette entreprise.
En période d’expansion du crédit bancaire et de conjoncture favorable, les agents ont tendance à
prendre plus de risques, or la contagion et le mimétisme de leurs comportements créent des phases de con-
fiance excessive et de perte de mémoire collective face aux crises précédentes par un mécanisme
« d’aveuglement au désastre », c'est-à-dire l'absence de perception de la montée des risques et de la possibi-
lité de retournement du marché. [L'expression "l'aveuglement au désastre" est empruntée à Hyman Minsky].
Les crises des marchés financiers sont essentiellement liées à l’éclatement de ces bulles spéculatives
qui se nourrissent de l’écart croissant entre la valeur « fondamentale » des actifs (actions, biens immobiliers)
et leur valeur de marché. Ces déviations des prix des actifs, appelées « bulles », ont des effets très néfastes
sur la stabilité économique et financière, tant à la hausse (excès d’endettement, insuffisance d’épargne) qu’à
la baisse (risque de déflation et de crise bancaire). Comme l’a montré John Maynard Keynes, les marchés
financiers favoriseraient les comportements d’imitation dont l’objectif est davantage d’anticiper l’évolution
de l’opinion majoritaire des opérateurs financiers que de contribuer à la convergence des prix vers la valeur
réelle des titres.
La notion d’anticipations mimétiques est donc rattachée aux travaux de Keynes qui dans Théorie gé-
nérale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936) considérait que les opérateurs sur les marchés finan-
ciers « se préoccupent, non de la valeur véritable d’un investissement pour un homme qui l’acquiert afin de
le mettre en portefeuille, mais de la valeur que le marché, sous l’influence de la psychologie de masse, lui
attribuera trois mois ou un an plus tard.
Keynes comparait la sphère financière à un concours de beauté (métaphore du concours de beau-
té) : Imaginons, nous dit J.M. Keynes, une compétition où un jury est censé classer des candidats en fonc-
tion de leur plastique. En règle générale, chacun vote en conscience, choisissant le physique qu’il préfère.
Mais ici, la règle est modifiée : il s’agit d’opter non pour celui que l’on choisirait mais pour celui que l’on
croit que les autres choisiront. À travers cette parabole, J.M. Keynes décrit l’exercice d’anticipations ra-
tionnelles auquel se livrent des spéculateurs opérant sur un marché. Le sens commun pense qu’il leur suffit
d’acquérir les « meilleurs » titres, autrement dit ceux des entreprises les plus performantes. Pas du tout,
rétorque l’économiste : face aux cours boursiers, le sage et l’ignorant sont placés sur un pied d’égalité ; ils
ne savent rien ou presque. Dès lors, la bonne solution ne se trouve pas en eux-mêmes mais dans la représen-
tation qu’ils se font des opinions d’autrui. « Conscients du peu de valeur de notre propre jugement indivi-
duel est sans valeur, nous nous efforçons de nous en remettre au jugement des autres (…). Nous essayons
donc de nous conformer au comportement de la majorité ou de la moyenne. À ce petit jeu, celui qui gagne,
c’est évidemment celui qui devine ce que la foule va faire (1). » Le concours de beauté nous enseigne donc
qu’il vaut mieux pour sa réputation échouer avec les conventions plutôt que d’essayer vainement de réussir
contre elles.
Ce comportement, rendant toute évaluation objective difficile, serait particulièrement à l’œuvre sur
les marchés d’actions. Par ailleurs, la possibilité de revendre à tout moment les titres (ce qu’on appelle la
liquidité) devient largement illusoire lorsque tous les agents décident de les céder en même temps et que
personne ne désire plus les acheter : il se produit alors un krach boursier. Dans les économies actuelles, le
krach produit généralement un effet de richesse négatif, l’effondrement du cours des titres provoquant un
appauvrissement des agents économiques et entraînant une baisse de la demande globale. De plus, les
banques jouent un rôle considérable par le crédit qu’elles octroient aux agents économiques à court et à long