Monde chrétien et monde musulman :
conflit inévitable?
Article de Jean-Marie Gaudeul, pb (2004)
endant des siècles, l’Islam et le Christianisme se sont affrontés dans tous les domaines. Chrétiens et
Musulmans se sont combattus un peu partout dans le monde, du Maroc aux Philippines.
Parallèlement, les deux religions se sont mobilisées pour fournir à leurs adeptes un arsenal
d’objections et de réfutations qui leur permettrait de maintenir leur foi devant l’adversaire, et même de le
ridiculiser dans ses croyances.
Il est vrai que le Christianisme commence avec la figure du Christ, figure pacifique par excellence, se
laissant crucifier en pardonnant à ses bourreaux. À sa suite, les premières communautés vont connaître la
persécution et exalter la figure du martyr qui ne se défend pas. La prière chrétienne, entre toutes, rappelle
encore : pardonne-nous comme nous pardonnons.
Mais il n’est pas moins vrai que l’empereur Constantin fit de la croix un instrument de victoire militaire et
de l’Église une institution de son empire. Plus tard, le Christianisme de Charlemagne, celui des croisés et
des conquistadors, révèle une alliance du trône et de l’autel, du sabre et du goupillon qui a duré bien
longtemps en dépit de brouilles et de séparations épisodiques. Avouons, cependant, qu’ici ou là, la
séparation n’est toujours pas effective : les débats concernant la guerre en Irak en sont une claire
démonstration. Aux yeux des musulmans, le christianisme semble confondu avec un Occident et une
mondialisation envahissante qui se prétend «l’axe du Bien».
En Islam, l’histoire n’est pas moins compliquée : dans ses débuts à La Mecque, Mohammed offrit à la
persécution un front patient et serein. Chassé de sa cité, il trouva à Médine une situation officielle d’où il
mena la reconquête politico-religieuse de sa ville d’origine et de l’Arabie. De cette trajectoire historique,
ses disciples ont tiré l’idée d’un mariage indissoluble entre État et Religion, entre Foi militante et
militantisme guerrier. C’est ainsi que, dès les premiers temps, l’Islam se présente comme une religion
conquérante dont les armées se sont imposées de l’Inde à l’Espagne.
Des évolutions internes
Mais cette théologie élaborée dans le contexte d’un empire où l’Islam était la religion au pouvoir se heurte
à une réalité nouvelle : la moitié des musulmans du monde vivent en minoritaires dans des pays non-
musulmans. Même dans les pays majoritairement musulmans, les mentalités ont changé et les opinions
publiques ne sont plus faites d’analphabètes suivant passivement l’avis des Lettrés. La foi n’est plus
seulement affaire de soumission à l’Opinion des dirigeants et des savants. Elle réfléchit, s’interroge,
s’intériorise… ou bien elle s’étiole et disparaît.
Le musulman peut de moins en moins s’inspirer d’une théologie où l’Islam est, à la fois, Religion et État. Il
doit donc vivre sa foi par décision personnelle. Que doit-il comprendre ? l’Islam est-il vraiment un message
de paix, incompatible avec la violence, ou la violence islamiste est-elle dans la droite logique du message
de l’Islam pur et dur, comme nous le disent les islamistes… et certains milieux chrétiens curieusement
d’accord avec eux sur ce point?
Le Christianisme ne présente-t-il pas un problème semblable quand on compare le message non-violent de
Jésus et les tueries perpétrées, encore actuellement, en Irlande, au Liban, en Ouganda ou ailleurs, par des
groupes chrétiens qui disent agir au nom du Christianisme ou de l’une de ses branches?
En refusant aux auteurs de crimes la qualité de «musulmans», il ne fait pas de doute que la population
musulmane, dans l’ensemble, exprime sa conviction profonde que le message du Coran est à prendre dans
le sens d’une exhortation à la justice, à la bonté, à la tolérance, au respect de l’autre, au service du prochain
autant qu’à l’adoration et au service de Dieu. Pour l’immense majorité des croyants musulmans que nous
rencontrons, l’Islam, en effet, signifie d’abord la foi et un faisceau de valeurs éthiques fondamentales qu’ils
partagent avec nous et avec l’ensemble de l’humanité. C’est au nom de cette appréciation globale et idéale
de l’Islam que l’on condamne des comportements inhumains même s’ils se réclament de la religion.
La vraie question, pourtant, reste à poser. Comme la Bible, le Coran présente son message central à travers
une multitude de versets très variés que les théologiens cherchent à harmoniser pour déterminer ceux qui
sont les plus importants ou les plus centraux. Qu’une grande majorité de croyants organisent leur foi autour