La République, comme les “non-jeûneurs”, en sursis Deux quidams risquent trois ans de prison pour s’être alimentés, par contrainte ou par défi, un jour du mois de Ramadhan dernier. Dans deux semaines, les deux “déjeuneurs” écoperont d’un sursis. Les procès d’opinion, car ç’en est un, comme celui du docteur Hadjadj et d’autres, ont fait du sursis, non plus une peine, mais un verdict politique : il représente la sanction que le pouvoir voudrait infliger à certains prévenus mais qu’il ne peut assumer pour des raisons… tout aussi politiques. C’est le moyen de réprimer sans laisser de traces. Dans un tel cas, pour l’opinion islamiste qu’il convoite, le pouvoir aura sévi contre les mécréants qui altèrent l’image uniformément pieuse d’une nation unanimement islamique et, pour l’opinion démocratique étrangère, il n’y aura pas la peine de prison ferme pour justifier sa réaction contre la sanction d’un acte de liberté de conscience. L’acharnement rigoriste du régime n’est plus contenu par le résidu principiel républicain de la Constitution et de la loi. Et le traitement policier et judiciaire des affaires de mœurs religieuses illustre ce déchirement d’un système qui ne veut ni se résoudre à sa conversion théocratique ni s’attacher à la lettre globalement républicaine de ses textes fondateurs. Le fait que l’essentiel de ces faits juridico-religieux se déroulent en Kabylie explicite encore la nature conflictuelle du statut de la religion dans un état qui veut concilier la nécessaire laïcité d’une République et le statut de l’islam religion d’état. Si elle ne l’a pas vécu sur le plan religieux, parce que l’islam tolérant couvrait l’entièreté du territoire national, la Kabylie a subi la politique répressive à des fins d’uniformisation nationale dans le domaine linguistique. Le traumatisme hérité de cette douloureuse expérience a fait que la tolérance constitue une donnée caractéristique de la région, malgré l’avancée de l’intégrisme que le pouvoir et les islamistes s’emploient à y diffuser. Ailleurs, les autorités n’ont généralement pas à assumer la répression des actes d’impiété. La société s’est organisée pour assurer la vigilance religieuse. On y dénonce plus volontiers un citoyen qui allume une cigarette un jour de carême qu’un terroriste qui bute un voisin. Pour la simple raison qu’on y prend moins de risques. Ce recours géographique de liberté de mode, une liberté relative comme on vient de le préciser, constitue un obstacle à la mise au pas générale de la société. C’est en cela que les écarts à l’idéologie de l’uniformisation y sont particulièrement réprimés. Même si le contexte, au sens large, oblige le régime à tempérer son ardeur rédemptrice. Parce que cet élan rigoriste ne procède pas d’une conviction assimilée par les dirigeants du régime, ils sont juste conscients que le personnel des institutions est globalement acquis aux attentes des forces intégristes, l’idéologie y est plus forte que la loi. Et ils laissent donc faire, c’est leur manière de composer avec un islamisme qu’ils ont voulu instrumentaliser, mais qui par sa mécanique a pris le dessus sur le fonctionnement institutionnel. Nous sommes ainsi tous, état et société, livrés à l’islamisme. M. H. [email protected]