Un bain de rouge La couleur rouge est la couleur par excellence (dans plusieurs langues, c’est le même mot qui signifie “rouge” et “coloré”). Mais elle est aussi, depuis le XIXe siècle, la couleur du théâtre : celle du rideau, des fauteuils et de bien des décors et des costumes. Au gré de ses goûts et de sa fantaisie, Christian Lacroix présente, autour de cette couleur, un large choix de dessins et de costumes pour la scène issus des collections de la Bibliothèque nationale de France (Bibliothèque-musée de l’Opéra, département des Arts du spectacle), de l’Opéra national de Paris et de la Comédie-Française. Les documents ainsi rassemblés contribuent certes à une symphonie de couleurs et de textures, pour la satisfaction des yeux ; mais ils sont aussi des objets de mémoire, renvoyant chacun aux spectacles, aux décorateurs, aux acteurs et chanteurs qu’il a vus, appréciés ou aimés. Enfin, et grâce à la collaboration de Michel Pastoureau, ils montrent que les fonctions et significations du rouge sur scène ne sont pas très éloignées de celles du rouge dans la vie : le rouge de la joie et de l’enfance, le rouge de l’amour, le rouge du sang, le rouge du feu... La théâtralité du rouge par Michel Pastoureau Depuis des époques très anciennes, la couleur rouge a été en Occident associée à la mise en scène du pouvoir et du sacré. Probablement parce que c’est dans la gamme des rouges que l’homme européen a été performant le plus tôt, bien avant toutes les autres couleurs, et ce aussi bien en teinture qu’en peinture. Par là même, le rouge a longtemps été considéré comme la couleur par excellence, celle du sang et du feu, celle de la vie et de la vigueur, celle de l’autorité et de la beauté. Dans plusieurs langues mortes – et même encore dans quelques langues vivantes, le russe par exemple – il y a synonymie entre "rouge" et "coloré", "rouge" et "puissant", "rouge" et "beau". À l’époque romaine, le rouge, qui est à la fois la couleur de la guerre et celle de l’empire, participe à toutes les victoires et solennités. On distingue même souvent plusieurs nuances de rouge, comme le montre un emploi précis et diversifié du vocabulaire. Le rouge du manteau des légionnaires, par exemple, teint avec de la simple garance, n’a pas le même aspect ni la même valeur symbolique que celui de l’empereur, obtenu à partir du précieux murex et dont les reflets pourprés se situent à michemin entre le rouge, le violet et le noir. Le christianisme médiéval a repris et prolongé une partie de ces usages solennels du rouge, mais en diminuant la dimension guerrière de la couleur et en développant au contraire sa fonction sacrée. Le rouge est devenu une des trois couleurs liturgiques principales, liée aux fêtes de l’Esprit et de la Croix. Associé au blanc, il est devenu également la couleur symbolique de l'Église, de la papauté et d’une bonne partie des rituels et cérémonies qui leur sont associés. Les cardinaux eux-mêmes, censés donner leur vie et leur sang pour le Christ, sont entièrement vêtus de rouge à partir du milieu du XIIIe siècle. Leur réunion lors d’un conclave ou d’un concile s’accompagne d’une omniprésence vestimentaire de cette couleur, à un degré jamais vu par ailleurs. À l’époque moderne, cette mise en scène du rouge ne disparaît pas des églises ni des palais mais elle s’étend à d’autres lieux et circonstances, les uns tout aussi solennels, comme les palais de justice, les autres plus profanes et plus ludiques. Le rouge devient en effet la couleur dominante des lieux de plaisir et de divertissement. Non pas tant celle des maisons de prostitution, dont une lanterne rouge signale parfois la présence, que celle des salles où se donne un spectacle, s’écoute de la musique, se joue une pièce de théâtre ou un opéra. Même si, au XVIIIe siècle, le bleu lui fait un moment concurrence dans ce rôle, le rouge demeure jusqu’à des dates très récentes la couleur de la théâtralité. Partout des salles sont entièrement habillées de rouge, du sol au plafond, des fauteuils aux rideaux, pour exprimer tout à la fois le caractère exceptionnel du lieu, et le plaisir que l’on éprouve à y être. Sans le rouge, la fête ne serait pas complète, le plaisir moins grand, le lieu plus ordinaire. Les quatre rouges chrétiens par Michel Pastoureau Du point de vue symbolique, le rouge, comme toutes les autres couleurs, est ambivalent : il y a un bon et un mauvais rouge comme il y a un bon et un mauvais noir, un bon et un mauvais vert, etc. Toutefois, par rapport aux autres, le rouge présente la particularité d’avoir deux référents principaux : le feu et le sang. De ce fait, c’est autour de quatre pôles, et non de deux, que s’organise la force de cette couleur : un bon rouge feu, un mauvais rouge feu, un bon rouge sang, un mauvais rouge sang. Le christianisme a de bonne heure adopté cette distribution du rouge entre quatre pôles - distribution en partie héritée de la Bible - et en a fait un véritable système qui, en Europe, a peu à peu imprégné tous les aspects, même profanes, de la symbolique de la couleur rouge. Pris en bonne part, le rouge feu est celui de la Pentecôte et de l’Esprit Saint. C’est à la fois une lumière et un souffle, puissant et chaleureux. Il brille, il anime, il purifie. Pris en mauvaise part, ce rouge est celui des flammes de l’enfer. C’est un rouge qui détruit et qui torture, qui ravage et qui supplicie. C’est aussi un rouge qui trahit et qui ment (il devient alors souvent roux), puisqu’il crée une lumière pire que les ténèbres, à l’image du feu infernal qui brûle sans éclairer. C’est enfin la couleur du Diable lui-même qui est rouge comme le feu et noir comme le monde souterrain. Son vêtement est fréquemment rouge, ou bien rouge et noir. Pris en bonne part, le rouge sang est celui du Sauveur : c’est un rouge rédempteur et sanctificateur qui purifie et donne la vie. C’est lui qui est présent, sous l’espèce du vin, dans le sacrifice de la messe. Ce rouge est dense, vif, dynamique ; il jaillit, procure joie et santé et représente le pôle le plus éloigné du rouge infernal. À l’opposé, ce même rouge sang, pris en mauvaise part, n’est plus celui du Christ et de la rédemption mais celui de la colère et de la violence. Il est Rubis, prince des gemmes, gemme des princes par Jean-Luc Chassel * Rouges, les gemmes peuvent l’être comme rien au monde. La densité de la couleur, magnifiée par la lumière, la richesse des nuances, la dureté de la matière ont suscité la fascination, excité la convoitise depuis l’aube des temps. Mais la rareté fait le prix : le faible nombre des sites producteurs, les difficultés de l’extraction, la multiplicité des intermédiaires et les aléas des routes de commerce ont longtemps réservé la possession de ces gemmes aux princes ou, tout du moins, aux élites. Escarboucles, "balais" et grenats La gemmologie distingue aujourd’hui trois principales familles de pierres rouges. L’appellation rubis est réservée aux corindons (oxydes d’aluminium) ; par ordre de dureté et de préciosité, viennent ensuite les spinelles (oxydes d’aluminium et de magnésium, qui n’ont été scientifiquement isolés qu’au milieu du XIXe siècle) et les grenats (silicates bi-métallifères, aluminium et manganèse pour les pyropes, aluminium et fer pour les almandins). Avant l’avènement des principes de la chimie et de la physique modernes, le chromatisme était le fondement essentiel de classification des pierres. Toutefois certaines propriétés naturelles des cristaux (forme et dureté), ou encore leur provenance, étaient connues par les gens de métier et interféraient dans la typologie. Ainsi la terminologie occidentale ancienne, bien que très fluctuante, avait tendance à ranger les gemmes rouges en trois catégories : - Les plus précieuses de toutes étaient de couleur rouge sang, rouge ardent : elles méritaient, par excellence, les noms de "rubis" (du latin rubinum, de ruber, rouge) ou d’"escarboucles" (lat. carbunculus, petite braise). Les meilleures brillaient même dans l’obscurité, disait-on. Cette catégorie devait regrouper indistinctement des rubis provenant d’Inde, de Ceylan ou de Birmanie, les spinelles les plus rouges voire quelques grenats d’une nuance exceptionnelle. - Les variétés plus pâles, d’un rouge lavé, cendré ou virant au rose, constituaient les rubis "balais". Leur tonalité moins forte les faisait considérer comme l’habitacle (le palais !) dans lequel naissait l’escarboucle, ou bien comme le genre femelle de celle-ci. Certains auteurs rapportaient cependant que les "balais" devaient leur nom à la région d’Orient où ils étaient principalement extraits et que l’on identifie aujourd’hui comme le Badakshan – région montagneuse limitrophe de l’Afghanistan et du Tadjikistan, aux sources de l’Amou-Daria et de son affluent, le Shignan – ou encore le Balaghat – sur les rives du Penner, un fleuve côtier du sud-est de l’Inde, au nord-ouest de Madras. Ces belles pierres sont aujourd’hui reconnues comme la variété rouge des spinelles ; mais dans le monde arabe, on avait les déjà distingués par la forme du cristal et le degré de dureté, et on leur réservait l’appellation de "la’l". Partout, de l’Orient à l’Occident, ces pierres étaient très recherchées, surtout les plus grosses. - Enfin, les espèces plus sombres, violacées, vineuses ou tendant au brun, portaient le nom de grenats, du latin granatum, grain, inspiré de la forme des cristaux, trapus, aux nombreuses facettes, auxquels l’érosion donne souvent un aspect grossièrement sphérique. Ce nom a été conservé pour une famille de gemmes bien connue, dont les spécimens communs sont en effet d’un rouge sombre. L’Orient et la Bohême en étaient, et sont encore, les principaux producteurs. Cette classification ternaire laissait de côté d’autres variétés chromatiques, d’autres matières précieuses ou communes. La cornaline, par exemple, très appréciée dès la préhistoire, et souvent chauffée pour devenir plus rougeoyante, ou encore le jaspe rouge n’ont jamais eu qu’une valeur modeste. Le corail, recherché pour sa couleur somptueuse, mais trop tendre et opaque, ne pouvait rivaliser avec les gemmes. Pierres glorieuses d’Orient Par leur magnificence les pierres précieuses exprimaient plus que tout autre matière les vertus symboliques de la couleur rouge rappellées par Michel Pastoureau. L’association avec le sang, le vin, le feu, la puissance semble avoir été communément reconnue par les civilisations d’Orient et d’Occident. Il n’est pas étonnant que les rois, les potentats, les castes guerrières, les élites aient rivalisé pour s’approprier les plus beaux spécimens et en illuminer leurs parures. Le malheur, pour les grands de l’Europe, fut que leurs homologues d’Orient eurent longtemps, grâce au contrôle de sites de production et la maîtrise des voies de transit, l’avantage de se servir les premiers ! De l’Inde au Moyen Orient, se constituèrent ainsi d’invraisemblables accumulations de joyaux. Les sources ne permettent pas de juger précisément de toute l’ancienneté du phénomène, mais l’exemple des Moghols, aux XVIe et XVIIe siècles, pousse au paroxysme une tradition bien antérieure. Insatiables collectionneurs de rubis et de spinelles, les Moghols développèrent l’usage de graver leur nom et ceux de leurs ancêtres sur les plus remarquables. Cette identification était efficace à double sens : marquage des gemmes comme propriété de ces princes, et aussi célébration d’une dynastie digne de posséder de tels trésors. Dans cet échange symbolique de puissance entre les trésors et leurs détenteurs, les spinelles du plus beau rouge et du poids le plus impressionnant acquirent en Inde moghole une sorte de statut officiel et reçurent le nom de "la’l jalâli" (spinelle rouge glorieux) qui les attribuait d’office au prince. Associées aux perles et aux émeraudes, plus rarement aux saphirs – dont la couleur était peu prisée en Orient –, les gemmes rouges resplendissaient sur les aigrettes de turban, les attaches de manteaux, les colliers et bracelets, les trônes… ou s’amoncelaient dans les coffres, comme un capital de puissance au service des princes. Quelques-uns de ces grands spinelles ont franchi les siècles et leurs tribulations ont accompagné toute l’histoire politique de l’Orient et de l’Occident ! Le plus fameux, sinon le plus lourd (352 carats tout de même !) appartenait aux sultans de Delhi lorsque Tamerlan s’en empara en 1398 et, le déposant à Samarcande, lui donna le nom de "Tribut du monde". Il passa aux Séfévides d’Iran, vainqueurs des Timurides, puis regagna l’Inde en guise de cadeau diplomatique aux Moghols. Lorsque Nâdîr Châh pilla Delhi en 1739, il revint en Iran : là, en souvenir de sa lointaine et illustre origine, il reçut une inscription au nom de Tamerlan. C’est sous le nom de "Tibur ruby" que les Anglais le désignent, depuis qu’il fut offert à la reine Victoria. On peut l’admirer aujourd’hui, au centre d’un collier, à la tour de Londres, entouré de deux autres spinelles gravés de noms d’empereurs moghols. Couronnes médiévales d’Europe Rares donc à échapper à l’appétit des magnats orientaux, les gemmes rouges étaient d’autant plus convoitées en Occident. Là encore, les sources nous manquent pour en retracer l’histoire aux époques les plus anciennes. Les premières attestions sûres montrent en revanche qu’elle n’ont pas seulement participé à l’apparat des princes, comme de simples éléments de parure ou de faste : par leur exceptionnelle préciosité, c’est à la sacralité du pouvoir qu’elles ont été associées. Le témoignage le plus précoce, semble-t-il, concerne les Capétiens. Épousant en 1051 le roi Henri Ier, la princesse Anne de Kiev apporta dans sa dot une très belle pierre rouge de plus de deux cent cinquante carats. D’où la principauté russe tenait-elle ce joyau ? De péripéties commerciales avec le nord de l’Afghanistan, via l’Amou-Daria, la mer d’Aral, la Caspienne et la Volga ? D’un cadeau diplomatique du califat de Bagdad ? Nous ne le saurons jamais. Parvenue dans le trésor des Capétiens, la lourde gemme semble avoir joui d’un grand prestige : au témoignage de l’abbé Suger, elle fut remise à Saint-Denis et sertie sur la plus importante couronne du trésor royal, juste sur le bandeau frontal. On ne se contenta pas de lui donner cette place d’honneur : elle fut chargée de protéger une des plus insignes reliques tutélaire de la royauté, une sainte épine de la couronne du Christ déposée à Saint-Denis depuis l’époque carolingienne. Au-delà du souci de parure, la combinaison ainsi réalisée énonçait une véritable théologie du pouvoir : déjà sacré par le chrême, le roi de France, à l’image du Christ, portait au front le sang de la Résurrection. Devenue reliquaire, tantôt nommée "sainte couronne de France", tantôt "couronne de saint Louis", détruite pendant la Révolution, cette couronne inspira les couronnes françaises postérieures où les pierres rouges en position frontale figurent régulièrement depuis la fin du XIIe siècle. Une autre couronne ancienne, celle des empereurs germaniques, choisit le rouge pour couleur de sa principale gemme. Cette couronne, remontant peut-être aux début de la dynastie ottonienne (dans la deuxième moitié du Xe siècle), fut de nombreuses fois remaniée et l’on ne peut être sûr que la grande pierre rouge y était sertie dès l’origine. On peut toujours l’admirer à la Schatzkammer de Vienne, mais privée de sa fabuleuse gemme qui, pour des raisons mal éclaircies, fut remplacée au XIVe siècle. Jugée sans équivalent à l’époque, la gemme était surnommée "der Waise" (l’orphelin). Nous en avons par chance un témoignage oculaire, celui que laissa, vers 1250, dans son ouvrage sur les pierres précieuses, le fameux dominicain Albert le Grand, théologien et encyclopédiste d’origine allemande, qui enseigna à Paris mais aussi à Cologne et fut un temps évêque de Ratisbonne. Sa couleur était celle d’un vin clair et son éclat ressemblait à une neige étincelante fondant dans ce vin. Les termes imagés de la description semblent bien correspondre à une catégorie de rubis, dits "chatoyants", dont les nombreuses inclusions parallèles créent un effet lumineux captivant. Il n’est pas indifférent qu’Albert, concluant sa description, nous rapporte la croyance selon laquelle cette pierre "protégeait l’honneur royal". Les autres couronnes d’Europe s’empressèrent d’imiter d’aussi prestigieux modèles. De l’important catalogue qu’on peut en dresser, retenons la couronne dite "de saint Venceslas", créée pour le roi de Bohême et empereur germanique, Charles IV de Luxembourg, au milieu du XIVe siècle. Toujours conservée au trésor de la cathédrale de Prague, elle porte en position frontale un gros rubis-corindon de quelque 250 carats. Comme dans la couronne française, on lui ajouta une épine de la couronne du Christ. La royauté anglaise ne fut pas en reste et eut la chance d’acquérir une belle pierre d’environ 170 carats. Ce spinelle est connu sous le nom de "rubis du Prince Noir", ce dernier l’ayant reçue en cadeau du roi Pierre Ier de Castille, qui s’en était lui-même emparé à Grenade. Sertie sur le casque d’Henri V de Lancastre lors de la bataille d’Azincourt, en 1415, la gemme aurait protégé le roi d’un coup mortel ! Elle orne toujours, comme nous le verrons, la principale couronne anglaise. Les pierres rouges ne brillèrent pas seulement au front des rois : tous les princes d’Europe s’arrachèrent ces précieux symboles de puissance. Inventaires et comptes révèlent parfois les sommes colossales déboursées pour leur acquisition. Le duc Jean de Berry gagna le concours en faisant acheter à Venise un énorme balais de 426 carats, le plus gros connu en Europe. On ne sait ce que la pierre est devenue. En revanche, on peut encore admirer le spinelle qu’Anne de Bretagne tenait de ses ancêtres : surnommé "Côtes de Bretagne", incorporé dans le trésor royal, il fut taillé en forme de dragon pour l’insigne de la Toison d’or de Louis XV et est actuellement exposé au Louvre. Continuité et renouvellement d’une tradition Si fortement implantée et d’un symbolisme si puissant, la tradition médiévale passa aux couronnes modernes. Toujours à l’honneur, les pierres rouges durent cependant faire face à la promotion du diamant. Ce dernier, réputé dès l’Antiquité pour sa suprême dureté, avait été associé pour cela à l’idéologie royale. Mais, dans l’incapacité des lapidaires à le travailler, il restait esthétiquement peu séduisant. L’attrait pour cette pierre ne put vraiment se diffuser qu’à partir du moment où, par la création de facettes, on fut capable d’exprimer ses feux. Timidement amorcés à Venise au XIVe siècle, les progrès du travail du diamant devinrent remarquables à partir du XVIe et la fièvre de possession s’empara de tous les princes, qui rivalisèrent pour en couvrir leurs couronnes, sceptres et tenues d’apparat. Des exemples remarquables montrent pourtant la résistance du rouge. Loin d’être éliminés, rubis et spinelles entrent maintenant en combinaison avec les feux du diamant. Ils cèdent le premier rang mais gardent au moins le second et permettent de renouveler, d’une manière ostentatoire, l’ancienne association de rouge et de blanc si solidement ancrée dans le goût occidental, comme Michel Pastoureau la montré. Le résultat de ce nouveau système est spectaculaire, comme on peut en juger sur de nombreux joyaux de collections royales. On ne retiendra que quelques spécimens particulièrement célèbres. Par la perfection de sa taille et sa limpidité – qui le font considérer comme le plus beau diamant du monde – le fameux "Régent" était destiné à un rôle majeur dans les fastes de la monarchie française. Lorsqu’il fut serti dans la couronne de Louis XV, il prit bien sûr la place d’honneur, mais juste audessous de lui, sur le front, en souvenir de l’ancienne tradition, on maintint une pierre rouge en un mariage bicolore renforcé par d’autres diamants plus petits. La couronne impériale commandée en 1762 à un joaillier français par Catherine de Russie, est constellée de diamants (près de 5000) et ne comporte qu’une seule pierre de couleur : rouge, bien sûr, et énorme (414,30 carats), d’origine orientale transitant par la Chine, elle n’est pas sertie en position frontale mais sommitale, ce qui la met très en valeur, selon une solution déjà expérimentée dans les siècles antérieurs. Plus tardive encore, la couronne impériale anglaise est la mieux connue du public. Dans sa version primitive de 1838, réalisée pour Victoria, le saphir "Stuart" est placé sur le bandeau frontal, mais le "rubis du Prince Noir", beaucoup plus gros, serti juste au-dessus, garde encore le statut de gemme majeure. Dans la seconde version, celle qu’Elizabeth II arbore depuis 1953, le spinelle historique n’a pas bougé ; il est pourtant relégué au second rôle par le fameux diamant "Cullinan II" de 317,40 carats, remplaçant le saphir immédiatement au-dessus du front. Impur et lié à tous les crimes de sang, à toutes les formes de souillure et de transgression, à tous les tabous portant sur le sang. C’est le rouge à la fois des assassins et des criminels et celui des bourreaux (et même des juges), des bouchers, des prostituées et de tous ceux qui, à un titre ou à un autre, transgressent l’ordre social, moral ou religieux. L’écran incandescent par Alain Carou * Dans les copies virées et teintées du cinéma des premiers temps, le rouge est rarement employé, mais revêtu d’une signification précise et forte. Il est en effet presque exclusivement réservé aux scènes de feu, d’incendie ou de catastrophe (notamment les déraillements de train). Le sens de l’image en est rendu plus explicite pour les spectateurs : dans une lumière rouge, d’épaisses fumées sur les docks de Bercy, dans Fantômas de Louis Feuillade (1913), sont à même d’évoquer un gigantesque incendie. Ainsi, à côté de ses attraits décoratifs mis à profit dans la coloration au pinceau ou au pochoir, le rouge utilisé en virage et en teintage dénote déjà le paroxysme. Même si la recherche et les expérimentations de la couleur traversent plusieurs décennies d’histoire du cinéma, le premier film en Technicolor, Becky Sharp de Rouben Mamoulian (1935), reste un repère historique essentiel par l’utilisation dramatisante qu’il fait de la gamme chromatique : la séquence conduisant à la bataille de Waterloo fait se succéder en un crescendo subtil des teintes de plus en plus chaudes, jusqu’au rouge flamboyant. "La seule chose dont on parle encore dans Becky Sharp, c'est les capes rouges des soldats lorsqu'ils partent pour Waterloo", dira Selznick qui retient la leçon dans Autant en emporte le vent (1939). Dans un final flamboyant au propre comme au figuré, l’écran est envahi par des valeurs d’un rouge intense, sur fond d’incendie géant. C’est par le rouge que l’expression de "drame incandescent" prend sa forme figurée à l’écran. Couleur reine du procédé Technicolor, elle est portée peut-être à son plus haut degré de lyrisme exalté et tragique par le chef opérateur Jack Cardiff dans les Chaussons rouges de Michael Powell (1948). Couleur du sang, le rouge prend aussi à ce titre une valeur dramatique ou émotionnelle particulière : la tache de sang signe souvent le meurtre. De l’identification systématique de l’émotion forte et du sang naît le cinéma gore, cousin éloigné du Grand Guignol et de ses découpages et lacérations de corps sur scène. Toute une production de série joue ainsi des variations sur les trente-six manières de faire jaillir l’hémoglobine, dans une surenchère. Récupérée au sein d’une démarche plus formelle, la projection de sang devient dans le cinéma l’une des citations favorites des cinéastes maniéristes contemporains : John Woo, Quentin Tarantino, les frères Coen (Fargo). Au bout du compte, prenant acte de l’épuisement de cette figure, privée de vie et quasiment privée d’intérêt, Michael Haneke représente une giclée de sang sur un mur clair à la manière d’une sorte de happening d’artiste dans Caché (2005). La fulgurance de cette scène tient uniquement à son laconisme absolu, à une épuration définitive de cette figure. Paroxystique jusqu’à l’exténuation de ses effets quand il souligne le feu destructeur ou la mort violente, le rouge fonctionne aussi sur le mode de la condensation, en chargeant l’image de tensions. En désaturant les teintes données au monde extérieur, le cinéma en couleurs moderne a accentué la signification psychologique ou caractériologique des valeurs saturées. C’est tout particulièrement vrai du rouge, qui culmine dans l’échelle de caractérisation chromatique des passions. Dans sa vivacité détonnante, la robe portée par l’(anti)héroïne de Carmin profond d’Arturo Ripstein (1996) laisse dès le début deviner une menace, ces noces de l’amour fou et de la mort qui vont conduire deux êtres banals au crime en série. Rien de plus fidèle à l’idée de tragédie qu’un monde où les choses augurent du destin des hommes quand ceux-ci en ignorent encore tout. Presque un cas d’école, Matador de Pedro Almodovar (1986) joue du rouge sur tous les registres à la fois. Vers le début, le sage Angel, frustré par son éducation traditionnelle, se voit affublé d’un pullover rouge sur chemisette blanche très sage, qui forme l’exacte inversion de la tenue du prêtre à l’office. Plus tard, baignés dans une iréelle lumière rouge, les deux héros (le matador Diego et l’avocate Maria) assistent à la projection du film Duel au soleil, où se trouve annoncée la conclusion fatale de leur aventure. Enfin, Diego privé de taureaux répand le sang des femmes auxquelles il fait l’amour. On n’aurait garde d’oublier une citation d’un extrait de Massacre à la tronçonneuse… En somme, bien qu’il se déplace et se ramifie d’un registre à l’autre à travers le temps, le rouge conserve une valeur d’intensité extrême – touchant à la destruction, à la passion et à la mort. Il est sans doute pour cette raison la couleur de composition privilégiée des cinémas baroques ou "expressivistes" contemporains. En savoir plus Rouben Mamoulian, "Quelques problèmes concernant l’usage de la couleur", trad. fr., Positif, n°307, septembre 1986. La Couleur au cinéma, dir. Jacques Aumont, Milan/Paris, Mazzotta, Cinémathèque française, 1995. * Conservateur, département de l'Audiovisuel, BNF Palette et nuancier : les rouges des teinturiers et des peintrespar Inès Villela-Petit Pour dire les couleurs et les sentiments qu’elles inspirent, la métaphore est reine : rouge comme sang, rouge-feu, rouge de colère et vert de rage... Mais dans l’atelier du peintre, dans celui du teinturier, certes, ce n’est pas de sang, de feu ou de colère que l’on use pour obtenir le rouge, mais de pigments, de laques et de colorants qui transposeront dans l’art le sang de Narcisse, le feu d’Enfer ou la colère des batailles. Comme disait Boccace, et Maurice Denis après lui, la peinture de prime abord n’est autre chose qu’un peu de couleurs disposées avec art sur la toile. Voyons le rouge. À travers les matières et les textures que le peintre dispose en éventail sur sa palette, dont le teinturier fait le nuancier de ses bains de couleurs, le rouge absolu, le rouge abstrait, l’idée "rouge", se démultiplie en une infinité de teintes : carmin, cinabre, vermillon, écarlate, garance, cramoisi, pourpre... jusqu’aux limites du champ sémantique et de la perception des rouges. Roses et violacés sont-ils encore des rouges ? La question, souvent, s’est posée, question de nuance et de point de vue. Herbes, coquilles et vermisseaux : les rouges anciens de la teinture Une fois séchées, les taches de sang perdent leur rouge initial et virent au brunâtre sale. Pour retrouver la couleur du sang vif et toute la richesse symbolique dont elle est porteuse, il faut donc recourir à d’autres matières. Les plus précieuses restaient pourtant au plus près de ce symbolisme vital : le suc des mollusques à pourpre et celui du kermès, de la cochenille et autres insectes à laque ne sont-ils pas comme un sang animal ? On sait l’engouement pour la pourpre de Tyr qui teignait le vêtement des empereurs romains et dont ils se réservaient l’usage, de même que le porphyre, son équivalent parmi les marbres. Si, en Europe occidentale, la teinture des tissus en pourpre disparut au Moyen Age, elle perdura à Byzance et fut aussi en faveur en Extrême-Orient et dans l’Amérique précolombienne. D’abord incolore, le suc des mollusques (murex et pourpres) passe au verdâtre sous l’effet de l’air et de la lumière, puis vire à cet indéfinissable rouge-brun sombre violacé qui fit sa gloire... et l’hécatombe desdits mollusques. Plus répandues que la pourpre, mais fort coûteuses elles-aussi, sont les teintures tirées des insectes parasites de diverses essences végétales : le kermès, les cochenilles de Pologne, d’Arménie ou du Mexique, la cochenille à laque. Le terme générique était autrefois vermiculus, "petits vers", mais on hésita encore longtemps sur la nature exacte de ces petites boules : graines ou insectes ? Le kermès des teinturiers, récolté annuellement sur le chêne du même nom, donnait leur beau rouge aux draps de laine du Moyen-Age, les écarlates et les cramoisis de la garde-robe des princes. Les cochenilles avaient même usage. Celle cultivée sur les cactus nopals et les figuiers de Barbarie du Mexique et du Pérou fut, dès la fin du XVIe siècle, l’un des principaux produits importés des Amériques, se substituant en partie au kermès traditionnel. La manufacture de tapisserie des Gobelins lui doit ses rouges éclatants. Suivant l’insecte et le mordant choisi, les teintes obtenues varient du rouge vif au rouge sombre ou violacé et, vertu suprême pour les teinturiers : elles ne passent pas. Comme la pourpre et le kermès, l’usage du rouge de garance remonte à l’Antiquité. Il traverse les âges jusqu’aux pantalons garance des uniformes du XIXe siècle. Extrait des racines d’une herbacée, dite garance des teinturiers, cultivée un peu partout dans l’Europe médiévale et en Orient, ce rouge végétal est solide, de teinte vive et beaucoup moins cher que les teintures animales. Sa cousine sauvage, plus pauvre en colorants, donne seulement des roses. Au XVIIe siècle, la Hollande eut un monopole de fait sur cette culture tinctoriale. Puis les garancières réapparurent en France dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, lorsque le secret de la teinture du coton au rouge garance pratiquée en Inde et dans l’Empire ottoman eut été percé. Il faudrait encore citer le rouge clair tiré des fleurs du carthame des teinturiers, le violet des racines d’orcanette, les tons "mauves" des baies de sureau et de myrtille, les brun-rouge et les violacés de divers orseilles et lichens, et la gamme des roses extraits des bois rouges importés de l’Inde puis d’Amérique (bois de sapan, bois de campêche), mais ce sont des colorants réputés de petit teint. Les plus communs étaient utilisés localement, dans la confection villageoise. Aux teinturiers professionnels, ils servaient surtout à nuancer le kermès, la cochenille ou la garance en teintes raffinées : nacarat, amarante, lie-de-vin... Mercure, plomb brûlé et bois de braise : les rouges anciens de la peinture Quelques colorants de teinture furent aussi employés par les peintres, tels les laques de kermès ou la gomme-laque, mais la liste des rouges de la peinture, la fréquence de leur usage et leur hiérarchie sont bien différentes. Le premier, le rouge par excellence, est le vermillon. S’il se rencontre à l’état naturel sous le nom de cinabre, la synthèse artificielle de ce composé de soufre et de mercure fut une des réussites de l’alchimie antique qui y voyait une illustration des principes de transmutation réversible qui lui étaient chers. L’usage du vermillon dans la peinture et l’enluminure médiévale fut général. On en trouvait facilement chez les apothicaires et les marchands de couleur. Les artistes n’avaient donc aucun besoin d’en maîtriser la fabrication, dont on se doute bien qu’elle est toxique. C’est un rouge vif, lumineux et saturé qui, lorsqu’il est de bonne qualité, tire vers l’orangé, mais il arrive aussi qu’il s’altère et noircisse. Le minium est une autre création de l’alchimie antique. Il s’obtient en chauffant du blanc de plomb ou céruse, d’où son nom de cerussa usta "céruse brûlée". Il était d’usage courant et les apothicaires en vendaient. Son ton est orange éclatant, mais le champ de ses applications couvrait aussi la gamme des roux. Ainsi l’écureuil ou le renard sont-ils souvent peints orange vif dans l’enluminure médiévale. Plus rare, en revanche, semble avoir été l’emploi du réalgar, un sulfure rouge d’arsenic aussi connu sous le nom de "mort aux rats"... Ces rouges "alchimiques" ont en effet pour point commun d’être hautement toxiques. Et de même que les teintures animales ont un rapport avec le sang, eux ont manifestement à voir avec le feu. Dans la peinture murale, la peinture à fresque en particulier, les rouges sont tout autres. Les contraintes du médium imposent les terres et ocres rouges qui restent stables en toutes circonstances. Ce sont les rouges les plus anciens de la palette, ceux de l’art paléolithique, et ils n’ont jamais cessé d’être employés. Suivant leur provenance et leur composition en oxydes métalliques, ils sont de teintes variées mais dans une gamme de rouges sourds et rouges-bruns : terre de Sienne, hématite ou sanguine, bol d’Arménie... L’ocre jaune, plus répandue, fournit lorsqu’elle est calcinée un rouge ou ocra usta (ocre brûlée), peut-être d’usage encore plus répandu que les terres naturellement rougeâtres. L’enluminure et la peinture de chevalet s’en servaient aussi, surtout en sous-couches et pour rendre les bruns du paysage. Enfin, les laques permettaient d’étendre la palette du peintre aux rouges translucides, aux roses et aux violets. La bourre des draps d’écarlate était soigneusement conservée pour le colorant qu’elle contenait et le kermès qu’on pouvait en extraire servait à faire laques et glacis. D’autres rouges organiques étaient plutôt réservés à l’enluminure. La résine du dragonnier dite sang-dragon est un rouge sombre. Une légende déjà connue de Pline l’Ancien y reconnaissait le sang mêlé d’un dragon et d’un éléphant, deux animaux qui se détestent et s’entretuent en un combat fantastique. Quant au folium, extrait des graines d’une héliotrope, il donne du rouge, du violet ou du bleu, suivant le principe du papier tournesol. La nuance violacée semble cependant la plus employée dans les manuscrits, ou avec l’orseille, il teintait le parchemin en des tons qui pouvaient rappeler la pourpre antique. Mais le colorant le plus en faveur à partir du XIIe siècle, fut de loin le brésil, extrait d’un bois tinctorial qui arrivait de l’Inde par les routes de la soie. Suivant sa préparation il donnait des glacis rouges ou des roses opaques, ces roses dont la vogue était si grande dès la fin du Moyen Âge. Les bois rouges furent le premier produit importé du Brésil, qui leur doit son nom. Au XVIIIe siècle, c’est de l’Inde à nouveau qu’ils arrivaient par cargaisons entières, mais surtout pour les besoins de la teinture. La modernité ou le rouge apprivoisé ? La chimie moderne a transformé le métier de teinturier et bouleversé la palette des peintres. Les rouges des XIXe et XXe siècle n’ont plus grand-chose à voir avec ceux qui avaient jusque là dominé l’univers artistique et symbolique de la peinture et des tissus. La laque d’alizarine qui remplace la garance, les rouges de Mars à base d’oxydes de fer, le rouge Magenta, la fragile laque éosine, les rouges et orangés de cadmium, les composés d’azote, de toluène, les violets de manganèse, de cobalt, et les récents quinacridones ne portent plus en eux-mêmes les métaphores du sang et du feu dont résonnaient les couleurs d’autrefois. Sans doute la matérialité des pigments et des colorants est-elle moins présente aujourd’hui puisqu’un éventail de teintes extrêmement variées est directement accessible sans qu’il soit besoin de savoir leur nature et leur composition propre, ou de procéder soi-même aux étapes laborieuses et aléatoires de la fabrication, du broyage ou du mélange des poudres colorées. La teinte importe plus que le matériau. Mais il faut aussi remarquer que la mythologie des matériaux correspondait au monde médiéval dont elle était partie intégrante. Dans notre monde contemporain, les référents mythologiques sont éclatés, multiformes et de tous horizons. Et ces teintes nouvelles que sont le fuschia ou le rose fluo ne sont-elles pas à leur tour, peu à peu, investies par l’imaginaire ? En savoir plus Dominique Cardon, Guide des teintures naturelles, Delachaux et Niestlé, Lausanne, 1990 Annie Mollard-Desfour, Dictionnaire des mots et expressions de la couleur : Le Rouge, CNRS éditions, Paris, 2000 Michel Pastoureau, Jésus chez le teinturier : couleurs et teintures dans l'Occident médiéval, Paris, Le léopard d'or, 1998 * Conservateur, département des Monnaies, médailles et antiques, BNF Le théâtre de la mode par Noëlle Guibert Élément essentiel de la vie quotidienne, le costume est loin de s’y réduire, car il signifie dès lors qu’il habille et non plus seulement protège l’être humain. La mode vestimentaire a eu, a encore, des effets profonds, culturels, politiques parfois, économiques souvent, sur les mœurs, le sens des civilisations, à moins qu’elle n’en soit l’expression. Elle s’adapte au climat, à la notion de décence, elle identifie des fonctions : militaires, juridiques, religieuses. La mode a évidemment servi la cause du spectacle, qu’elle accompagne depuis que le jeu et le simulacre se sont imposés aux commencements de l’homme conscient. Le costume, l’accessoire, font sens dès que l’on veut se faire reconnaître, être identifié. Les inventeurs du théâtre l’ont compris dès l’époque préclassique, avec le masque nécessaire comme porte-voix, mais qui devient significatif du personnage qu’il désigne. Le costume-personnage Le costume s’impose comme le partenaire le plus précieux de l’acteur. Il fixe le personnage dans la comédie classique, comme dans la tragédie de notre théâtre français. Il impose dans les pays de fortes traditions populaires les personnages de la commedia dell’arte, et ceux du Siècle d’or espagnol qui puisent dans leurs provinces d’origine les vêtements auxquels le "caractère" est associé : Arlequin, Crispin, Matamore en sont issus. Rappelons qu’empruntés à l’italien, les mots "costume" et "coutume" ont la même origine, et que l’expression courante au XVIIIe siècle pour les acteurs, "établir le costume", signifie bien davantage : définir le rôle, cerner le personnage, que choisir le costume de scène. Le théâtre français a été submergé par les modes d’un pittoresque d’outre-monts apporté dans les malles des reines françaises, venues d’Italie ou d’Espagne, par des influences subies ou encore par la culture propre de nos dramaturges, dans le genre comique, mais aussi dans la tragi-comédie. La vogue de l’exotisme accompagne ainsi les émissaires de la Grande Porte auprès de Louis XIV. Ils suscitent la comédie-ballet du Bourgeois gentilhomme de Molière, avec un modèle de parvenu qui fait grand cas de la psychologie du vêtement, lequel atteint des sommets dans le divertissement de la turquerie. Au siècle suivant, la Compagnie des Indes faisant entre autres le commerce des tissus, assurera la mode des "indiennes" dans les habits de comédie. Le costume est un compère incomparable des auteurs dramatiques et la mode les a, très tôt, inspirés. Corneille prend à témoin le vêtement pour décrire le caractère de son Menteur, et confère au décor de la Place royale et de ses boutiques de dentelles une place essentielle. Molière donne un rôle considérable au vêtement dans son œuvre dramatique, et avec éclat dans Le Bourgeois gentilhomme ou Le Malade imaginaire. Lesage introduit le personnage d’une marchande à la toilette, dans Turcaret, une Madame Jacob, ambiguë et plutôt entremetteuse, bien éloignée de Rose Bertin, marchande favorite de la reine Marie-Antoinette et préfiguration de la grande couturière. La Giacinta de La Manie de la villégiature fait grand cas des nouvelles tendances arrivées de Paris. Goldoni cite dans ses Mémoires "la Poupée de France", un petit mannequin de cire porteur des nouveautés et promené dans toute l’Europe. Il détaille dans la pièce citée une toilette intitulée "le Mariage", faite d’une étoffe unie et garnie de deux guirlandes de rubans de couleurs différentes. Goldoni revient sur les derniers avatars du costume de ville dans plusieurs de ses pièces, notamment dans L’Éventail. Le costume sollicite les effets dramatiques, il est objet des ressorts de l’action, avec le travesti, si cher aux auteurs élisabéthains, et le travestissement, exploité chez Molière, Marivaux, Beaumarchais et bon nombre de leurs confrères. Il s’agit aussi d’un thème de divertissement à la mode, apprécié de la bonne société, et dont des tableaux aux XVIIe et XVIIIe siècles puis des journaux de mode au XIXe siècle relèvent le charme et la vogue. Des titres de pièces, d’opérettes en particulier, portent des noms allusifs, comme La Chauve-souris, désignant un grand manteau du soir, ou Le Domino noir. Gogol donne le titre du Manteau à un récit que Marcel Marceau reprendra dans une de ses plus célèbres pantomimes. Puccini intitule La Houppelande un petit opéra. Plus récemment, Peter Brook a mis en scène une pièce intitulée Le Costume, par référence au terme désignant le vêtement masculin comme nous l’entendons aujourd’hui. La garde-robe du comédien Le costume est aussi un incomparable partenaire de l’acteur comme de tout personnage en représentation. Tous les monarques l’ont compris, Louis XIV, le roi-spectacle, en donnant tout au long de son règne une magistrale démonstration. Les premières tragédies sont jouées en habits de cour, dont certains sont des cadeaux des admirateurs fortunés aux acteurs et surtout aux belles actrices. Dans les années 1660, l’adoption du costume tragique "à la romaine" est mis à la mode par les carrousels organisés pour divertir la noblesse, comme celui de 1662 où paraît le roi. L’écho de la figure iconique du grand monarque, associant l’apparence de l’imperator romain à la coiffure à grande perruque, apparaît sur le portrait de Molière par Mignard, représenté en César dans La Mort de Pompée de Corneille. Selon des usages perdurant jusqu’à la fin du XIXe siècle, les acteurs fournissent leur garde-robe, sauf lorsqu’ils se produisent à la cour où leur sont prêtés de beaux habits, trop beaux parfois, faisant réagir tel comédien-français, ne trouvant aucune vraisemblance entre son personnage et le costume de satin, proposé davantage en fonction de sa propre notoriété que de l’identité du rôle. C’est cette habitude d’afficher en scène ses ressources ou sa position qui conduit acteurs et actrices à jouer avec leurs bijoux, invraisemblance admise par l’usage au XVIIIe siècle. Les séries de gouaches de Fesh et Whirsker, qui diffusent en Europe les costumes et gestes scéniques, montrent des actrices dans l’emploi d’ingénue, gantées pour des raisons de décence, aberration relevée bientôt par la critique des Lumières. Des traditions, progressivement installées, provoquent des réactions vives chez les nouveaux penseurs qui stigmatisent ces ridicules. Parallèlement, les acteurs, souvent influencés ou guidés par cette réflexion nouvelle, réagissent à leur tour. Successivement, sous l’influence de Voltaire, Diderot ou Marmontel, Adrienne Lecouvreur, Mlle Clairon et Lekain rejettent les excès de ces habitudes. L’antiquomanie, née du succès et de la vulgarisation des campagnes de fouilles archéologiques propagées par les ouvrages de Winkelmann, met au goût du jour le retour à l’antique. Cette mode, qui accompagnera la chute de l’Ancien Régime, marque intensément l’habillement des acteurs et même la façon de concevoir les vêtements officiels, tâche confiée à David, et de vêtir théâtralement les représentants du peuple, les sénateurs, les directeurs, créés par les différents régimes politiques issus de la Révolution française. Talma accomplit la réforme amorcée par Lekain et remplace les pompeux costumes tragiques par des toges et des tuniques imitées de l’Antiquité. Ce qu’on a appelé la "vérité du costume" aboutit à la remise en cause de la façon de vêtir les héros gréco-latins de la mythologie et de l’histoire. L’abondante littérature née de la réforme théâtrale du XVIIIe siècle a fondé une mode vestimentaire, mais aussi architecturale. Les livraisons du nouvelliste Levacher de Charnois l’attestent. Si la campagne d’Égypte favorise des influences réciproques entre mode et costumes de théâtre, les grands succès théâtraux, quant à eux, créent littéralement la mode. Après les illustres exemples des pièces de Beaumarchais – justes à la Suzanne, casaques à la Figaro, poufs à la Comtesse – colportés par les revues de mode et les galeries théâtrales, le succès de la robe jaune de Mlle Mars dans Hernani met en 1830 cette couleur à la mode. Si Talma avait déjà imposé sa coiffure à la Titus aux cheveux coupés court, en plein XIXe siècle, un autre comédien célèbre, grand séducteur, voit copier sa frange à la Bressant. La notoriété des acteurs et leurs costumes sont véhiculés par de nombreuses "galeries théâtrales", dont la Petite Galerie dramatique d’Hautecœur et Martinet qui répand en Europe ses feuilles représentant les plus illustres rôles et interprètes du répertoire dramatique et lyrique, mais aussi du théâtre forain. On y reconnaît par exemple la tragédienne Mlle George dans Athalie de Racine, portant un costume très inspiré de la mode Empire, avec un manteau de cour qui n’aurait pas déparé la toilette d’apparat de l’impératrice Joséphine. Habillée à la scène et à la ville Comédiens et comédiennes sont souvent promus ambassadeurs de la mode. La silhouette de Rachel devient l’enseigne d’une maison d’étoffes. On trouve dans les journaux des patrons de robes de l’actrice, bientôt relayée par Sarah Bernhardt, très attachée à ses toilettes. Celles-ci occupent une place considérable dans les pièces qu’elle monte elle-même. Depuis les années 1850, la haute couture s’est installée à Paris, Worth étant le premier des grands couturiers. Il habillera les comédiennes pendant plus d’un siècle. Sarah Bernhardt lance la mode des bijoux de théâtre, confiés aux joailliers les plus inventifs, comme René Lalique, ou Fouquet. Le programme, brochure qui donne la distribution, jusqu’alors uniquement mentionnée sur l’affiche d’un spectacle, apparaît à la fin du XIXe siècle et va permettre de répandre la "réclame". Les accessoires ou vêtements portés par les acteurs et provenant des grandes maisons y sont mentionnés. Les parfums et produits de maquillage côtoient, dans une proximité valorisante, les images des comédiens habillés par les tailleurs ou les couturiers de l’avenue de l’Opéra et de la rue de la Paix, alors hauts lieux parisiens de la mode. Les décorateurs-costumiers du début du XXe siècle, comme Charles Bianchini (1860-1905), également couturier, et Charles Bétout (1869-1945), son élève, ont marqué les tendances de la mode dans leurs dessins. On retrouve dans les lignes qui cernent des costumes dits "d’époque" du Louis XIII ou du Louis XV très "1900". Les peintres eux aussi se lancent dans des créations, qui réinventent la mode d’une époque. Ainsi Sonia Delaunay, après s’être fait remarquer, au début de sa carrière, par des costumes aux impressions géométriques, tout droit issues de sa Russie natale, l’achève en reprenant ses modèles de robes des années 1924-1925 pour l’entrée, en 1979, de la pièce de Pirandello, Six personnages en quête d’auteur, au répertoire de la Comédie-Française. Enfin, dans un autre domaine, les spectacles de revue donnent aux couturiers l’occasion d’oser des modèles aux formes débridées, mettant en valeur la performance des petites mains sur la broderie ou la dentelle, ainsi qu’une mode résiduelle uniquement utilisée au music-hall, la plume. Zizi Jeanmaire en a fait un "tube", dans un sketch de revue qui braque le projecteur sur ses jambes à la Mistinguett et son abattage de danseuse-chanteuse. Désormais, les couturiers habillent les comédiennes dont ils ont la pratique en exclusivité. Chanel, avec ses toilettes faites pour une femme émancipée qui s’est mise à travailler après la mobilisation des hommes partis pour la grande guerre, signe en 1926 les costumes de la tragédie de Jean Cocteau, Orphée, mise en scène par Georges Pitoëff au Théâtre des Arts. Les jerseys mis à la mode par Madeleine Vionnet plaisent aux comédiennes qui veulent un mouvement libéré de l’emprise du corset. D’abord costumière, Mme Grès drape les tragédiennes de ses crêpes de soie, qui trouvent ainsi une adéquation moderne au costume de tragédie. Mme Schiaparelli apporte d’Italie le charme de ses accessoires et de ses bijoux qui donnent à l’actrice le moyen d’occuper son geste. Elle signe les costumes du Camelot, une comédie de Roger Vitrac, montée par Charles Dullin à l’Atelier en 1936. Jeanne Lanvin impose sa griffe raffinée et sa coupe élégante que le fameux logotype rappelle dans la publicité des programmes et les revues spécialisées, comme les photographies de "Mlle Yvonne Printemps habillée à la scène et à la ville" par la célèbre maison de couture. Molyneux signe la robe toute blanche et orientale d’Esther pour l’interprétation de Marie Bell dans la mise en scène de Georges Le Roy à la Comédie-Française. Elle inspire la robe de mariée de son défilé de 1938. Dior transpose le new look au théâtre avec ses robes juponnées de grande ampleur utilisant des mètres de tissu, dont la vogue permet de renflouer l’industrie du tissage après 1945. Une soirée de gala donnée en juin 1954 au théâtre de l’Empire, à l’occasion du Congrès international des textiles et avec le concours de la Chambre syndicale de la couture, est organisée et mise en scène par le décorateur Cassandre. Cet événement met l’accent sur les liens entre le spectacle et l’industrie de la mode. Cette fois, ce sont les noms de la couture de l’époque qui font le programme : Jacques Griffe, Nina Ricci, Paquin, Jacques Heim, Jacques Fath, Hubert de Givenchy, Pierre Balmain, Lanvin, Dior, Maggy Rouff, Germaine Lecomte, Jean Patou, Jean Dessès, Grès… Chacun affirme sa spécialité en fonction de son style, de ses goûts, de sa clientèle. Carven habille la femme et la comédienne menues, telle Madeleine Renaud qui, dans les vingt dernières années de sa carrière, choisira l’élégance d’Yves Saint Laurent pour ses robes de scène. Ce couturier multiplie les expériences scéniques en dessinant les costumes du Ballet de Paris de Roland Petit puis des Ballets de Marseille, ou encore ceux du Mariage de Figaro monté par Jean-Louis Barrault. La compagnie Renaud-Barrault exporte ainsi l’élégance française lors de ses grandes tournées, notamment aux États-Unis où Saint Laurent s’installe avec des enseignes à Washington et New York. Plusieurs couturiers continuent de s’imposer au théâtre même pour concevoir les costumes de style en y intégrant leur marque. Ungaro habille la Lulu d’Alban Berg d’après Wedekind, montée à l’Opéra de Paris en février 1979 par Patrice Chéreau, Christian Lacroix dessine les costumes d’une Phèdre pour la Comédie-Française en 1995, puis ceux de plusieurs spectacles de Marcel Maréchal au théâtre du Rond-Point, dont Les Enfants du Paradis, ou encore ceux de l’Opéra national de Paris. Avec la disparition progressive de sa clientèle de grand luxe, la haute couture se théâtralise, on le voit dans les défilés qui rivalisent d’inventions et d’excès pour attirer une clientèle assez artificielle et restreinte. Le succès du prêt-à-porter haut de gamme, qui s’est développé depuis les années 1960, a ravi aux grands couturiers la majorité de leurs clientes fidèles. Ils recherchent alors d’autres débouchés dans le spectaculaire et dans le costume de scène. Ce qui était rare et exceptionnel est plus fréquent. Le théâtre de la mode se reconstruit après avoir été une élégante opération de propagande pour diffuser les talents de la haute couture française dans la pénurie inventive de la guerre. Une boucle se referme, le théâtre a participé à la création de la mode, la mode fait aujourd’hui du théâtre. « Cette question de l’éphémère… »par Noëlle Guibert Par essence le spectacle se situe dans l’éphémère parce qu’il se situe dans le temps. C’est aussi ce qu’induit cette curieuse expression : spectacle vivant. Les gens de spectacle revendiquent la nécessité de création dans l’instant, création recommencée qui s’inscrit dans un acte fugitif, et c’est le vertige même de la vacuité qui donne son intensité à un moment qui passe. La fragilité de cette création la rend plus rare, plus précieuse, car insaisissable. Au temps se juxtapose et s’oppose l’antagonisme de la mémoire. Les lieux de mémoire sont là pour encadrer le temps. Éphémère célébrité Antoine Vitez oppose la mémoire réelle et la mémoire reconstituée telle que les souvenirs biographiques de comédiens, les témoignages de spectateurs. Vitez donne des exemples :"J’ai vu Jouvet, j’ai vu Vilar dans Don Juan. C’est déjà une histoire de l’interprétation du rôle." Autre proposition d’une pièce très jouée, Le Misanthrope, tirée au tragique au XIXe siècle par des acteurs "sérieux", au contraire de la tradition, manière de ne pas laisser échapper un beau rôle. À la différence des metteurs en scène contemporains, les acteurs ont été de tout temps sensibles à cette fugacité de leur art pour la déplorer. Ceux qui atteignent la célébrité sont peut-être les plus touchés. Eux savent cette gloire, passagère entre toutes, vouée au néant. Certains ont cherché à emprisonner un pan d’éternité. Talma, miné par cette conscience de l’oubli qui le guette, s’essaie à l’écriture. Sarah Bernhardt crée une image, un mythe, une légende. Bien d’autres praticiens ont cherché, inconsciemment ou non, à construire leur statue. Ce fut le cas de théoriciens du spectacle, comme Copeau, Craig, qui se sont largement efforcés d’échafauder une permanence, autour de leurs travaux. Textes et croquis témoignent de leur pensée. Grâce à ces écrits théoriques, des concepts d’école, de famille de théâtre se sont dégagés. Se survivre est donc le paradoxe des gens de spectacle. Les disciples, quand ils se reconnaissent pour tels, sont là pour prolonger une parole, un talent, du génie. Depuis un siècle, les moyens mécaniques d’enregistrement ont contribué à neutraliser le risque d’oubli. La voix, le son, l’image animée ont une réalité. Éphémère réception Mais au-delà de l’éphémérité de la représentation se pose l’éphémérité de la réception du public, la qualité d’une audience à un instant donné. C’est ce qu’il y a de plus fluctuant, de plus impalpable. Telle œuvre, opéra, symphonie, mal reçue à sa création, a connu une consécration ultérieure. Tel succès immédiat est tombé dans un abîme d’oubli. Le paradoxe est précisément de vouloir préserver quelque chose issu de cela. La réunion de ces choses constitue des collections, pièces de gigantesques puzzles, qui trouvent une signification les unes par rapport aux autres dans des ensembles dispersés, reconstitués, réhabilités. "Donner un projet à l’éphémère" revient à donner une légitimité à la collecte patrimoniale, si peu en phase avec l’acte de création. Les objets du théâtre pérennes ne sont pas spécifiques à ce mode d’expression, mais à tout ce qui est lié à la littérature fût-elle dramatique, lyrique, symphonique. Une pièce, "ce jeu d’un soir" écrit Jouvet, est une convention partagée ou rejetée. Les acteurs sont sensibles à ces morts successives, instants de création pure, états de grâce, des moments d’inspiration où l’on se dit, avec Sarah Bernhardt : "Dieu est là." Instants ineffables où l’acteur donne vie, une nouvelle vie chaque soir à un personnage incarné – le mot est fort, même s’il est usé : l’acteur, et plus généralement l’interprète. Stefan Sweig est conscient de ces moments d’exception : "Qui a connu dans sa jeunesse les dix années d’opéra sous la direction de Mahler a vu son existence s’enrichir de quelque chose d’indicible, d’incommensurable." Plus l’acteur est grand, plus ces moments sont essentiels parce qu’ils échappent à la banalité. À la différence d’un bon acteur qui reproduit son personnage à peu près également, les plus grands, les plus chevronnés sont saisis par l’angoisse, qu’on appelle le trac au théâtre. Certains soirs le miracle ne se produit pas. C’est la représentation qui crée cette instabilité créatrice, que l’enregistrement peut en partie fixer. Christian Lacroix et la scène En tant que créateur de mode, Christian Lacroix évoque l'intérêt que représentent pour lui les costumes de théâtre et les maquettes. Enfant, je ne pensais pas à la mode mais au spectacle. Adolescent j’en avais fait mon projet de carrière : dessiner pour les films de Visconti, le théâtre, l’Opéra. J’ai même songé à suivre les cours de la rue Blanche. Je dessinais, au retour de spectacles qui m’avaient moyennement convaincu, ma propre production. Puis les méandres de la vie m’ont joué des tours et des détours et de futur costumier, je me suis retrouvé futur conservateur à la Sorbonne et à l’Ecole du Louvre, pour finir couturier. Mais pratiquement dès mes premières collections, Jean-Luc Tardieu avait saisi, en quelques images de mon travail entrevues à la télévision, ce que mes collections avaient de théâtral et m’a proposé de dessiner les costumes de son Chanteclerc à Nantes au milieu des années 80. Puis il y a eu la danse, de Zoopsie Comedy (Biennale de Lyon 85 ou 86) à Karole Armitage, à l’Opéra, en passant par Baryschnikov au Met ! Les rêves d’enfant m’avaient rattrapé. Et le travail pour la scène est pour moi un exutoire à toutes les fantasmagories dont la mode n’a que faire, même si pour moi le vêtement est un outil de mise en scène quotidienne, un élément de parure un peu rituelle, du "paraître". Est-il besoin de dire enfin la fascination qu’opère sur moi depuis l’enfance, l’Opéra de Paris, architecture, bibliothèque, spectacles, ateliers, etc. ? La couleur expliquée par la science Quelques liens pour en savoir plus sur la couleur : "Un monde sans couleurs ne serait pas un monde de gris, ni un monde où les objets seraient comme dessinés au stylo noir. Un monde sans couleurs serait parfaitement invisible. Il n'aurait d'existence que sous nos doigts, ou via nos autres sens. La vision est la couleur." La couleur expliquée sur pourpre.com Dossier "Science et couleur" Revue CNRS Info, numéro 391, mars 2001 : "La couleur relève d'une opération complexe qui met en relation différents paramètres : une source lumineuse, un objet et un récepteur (le couple œil-cerveau). La couleur et sa nomination sont donc à l'intersection de données physiques, physiologiques, mais aussi psychologiques et culturelles. Le lexique des couleurs est le reflet de ce phénomène complexe." Les mots de couleur. De la science et la technique au symbolique et à la poésie