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- Les variétés plus pâles, d’un rouge lavé, cendré ou virant au rose, constituaient les rubis "balais".
Leur tonalité moins forte les faisait considérer comme l’habitacle (le palais !) dans lequel naissait
l’escarboucle, ou bien comme le genre femelle de celle-ci. Certains auteurs rapportaient cependant
que les "balais" devaient leur nom à la région d’Orient où ils étaient principalement extraits et que l’on
identifie aujourd’hui comme le Badakshan – région montagneuse limitrophe de l’Afghanistan et du
Tadjikistan, aux sources de l’Amou-Daria et de son affluent, le Shignan – ou encore le Balaghat – sur
les rives du Penner, un fleuve côtier du sud-est de l’Inde, au nord-ouest de Madras.
Ces belles pierres sont aujourd’hui reconnues comme la variété rouge des spinelles ; mais dans le
monde arabe, on avait les déjà distingués par la forme du cristal et le degré de dureté, et on leur
réservait l’appellation de "la’l". Partout, de l’Orient à l’Occident, ces pierres étaient très recherchées,
surtout les plus grosses.
- Enfin, les espèces plus sombres, violacées, vineuses ou tendant au brun, portaient le nom de
grenats, du latin granatum, grain, inspiré de la forme des cristaux, trapus, aux nombreuses facettes,
auxquels l’érosion donne souvent un aspect grossièrement sphérique. Ce nom a été conservé pour
une famille de gemmes bien connue, dont les spécimens communs sont en effet d’un rouge sombre.
L’Orient et la Bohême en étaient, et sont encore, les principaux producteurs.
Cette classification ternaire laissait de côté d’autres variétés chromatiques, d’autres matières
précieuses ou communes. La cornaline, par exemple, très appréciée dès la préhistoire, et souvent
chauffée pour devenir plus rougeoyante, ou encore le jaspe rouge n’ont jamais eu qu’une valeur
modeste. Le corail, recherché pour sa couleur somptueuse, mais trop tendre et opaque, ne pouvait
rivaliser avec les gemmes.
Pierres glorieuses d’Orient
Par leur magnificence les pierres précieuses exprimaient plus que tout autre matière les vertus
symboliques de la couleur rouge rappellées par Michel Pastoureau. L’association avec le sang, le vin,
le feu, la puissance semble avoir été communément reconnue par les civilisations d’Orient et
d’Occident. Il n’est pas étonnant que les rois, les potentats, les castes guerrières, les élites aient
rivalisé pour s’approprier les plus beaux spécimens et en illuminer leurs parures.
Le malheur, pour les grands de l’Europe, fut que leurs homologues d’Orient eurent longtemps, grâce
au contrôle de sites de production et la maîtrise des voies de transit, l’avantage de se servir les
premiers ! De l’Inde au Moyen Orient, se constituèrent ainsi d’invraisemblables accumulations de
joyaux. Les sources ne permettent pas de juger précisément de toute l’ancienneté du phénomène,
mais l’exemple des Moghols, aux XVIe et XVIIe siècles, pousse au paroxysme une tradition bien
antérieure. Insatiables collectionneurs de rubis et de spinelles, les Moghols développèrent l’usage de
graver leur nom et ceux de leurs ancêtres sur les plus remarquables. Cette identification était efficace
à double sens : marquage des gemmes comme propriété de ces princes, et aussi célébration d’une
dynastie digne de posséder de tels trésors. Dans cet échange symbolique de puissance entre les