Dr. Angel ANGELIDIS
L’UKRAINE AU CŒUR DES ENJEUX
GEOECONOMIQUES ET GEOPOLITIQUES
ANNEXE 1 : LE SIEGE DE SEBASTOPOL DURANT LA SECONDE
GUERRE MONDIALE (30.10.1941 - 04.07.1942)
Doc. AA – 05 / ANNEXE 1 (Version abrégée)
FR – 04 – 2014
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AA-05/ANNEXE 1 FR-04-2014 Angel ANGELIDIS «LE SIEGE DE SEBASTOPOL 1941-1942»
Auteur: Dr. Angel ANGELIDIS
Docteur Ingénieur Agronome (Université Polytechnique de Madrid),
Docteur d’Etat ès Sciences Economiques (Université de Montpellier),
Ex-Chef de Division et Conseiller auprès du Parlement Européen,
Ex-professeur à l’Ecole Diplomatique de Madrid,
Comendador de la Real Orden de Isabel la Católica de España,
Académicien à vie, Institut Bibliographique Américain, USA,
Vice-Président de l’Institut de Gestion de Crises Géostratégiques, Thessalonique, Grèce.
De gauche à droite:
Βυζάντιο
v,
Αυτοκρατορικός
Θυρεός
κατά
τήν
π
ερίοδον
τών
Παλαιολόγων
(
Blason de
l’Empire Byzantin, Dynastie de Paléologues - Coat of Arms of the Byzantine Empire, Paleologos Dynasty -
Escudo del Imperio Bizantino, Dinastía de Paleólogos); Emblème du Patriarcat Orthodoxe de Constantinople -
Coat of arms of the Orthodox Patriarchate of Constantinople - Escudo del Patriarcado O
rtodoxo de
Constantinopla; Aigle bicéphale russe impériale et contemporaine - Russian double-
headed eagle Imperial and
contemporary - Águila bicéfala rusa imperial y contemporánea; Armoiries de l'Alcazar de Tolède, Espagne -
Coat of arms of the Alcazar of Toledo, Spain - Escudo del Alcázar de Toledo, España.
Editeur : Dr. Angel ANGELIDIS
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Impri à Bruxelles (2014).
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L’UKRAINE AU CŒUR DES ENJEUX
GEOECONOMIQUES ET GEOPOLITIQUES
ANNEXE 1: LE SIEGE DE SEBASTOPOL DURANT LA SECONDE
GUERRE MONDIALE (30.10.1941 - 04.07.1942)
Avant-propos
La guerre froide et les impératifs du réarmement allemand à la lumière de la politique
américaine d’après-guerre visant un renforcement de l’OTAN vis à vis du Pacte de Varsovie,
ont amené à privilégier les événements du front occidental au détriment du front oriental de la
Seconde Guerre mondiale. En concentrant notre attention sur le cas d’importantes batailles,
comme le siège de Sébastopol (30.10.1941 - 04.07.1942), on permet de redonner au front de
l’Est - là où la plupart de ses faits d’armes ont eu lieu - l’importance primordiale qu’il a eue au
cours du second conflit mondial, puisque le sort de la guerre s’y est véritablement joué. Non
seulement la Wehrmacht y a engagé l’essentiel de son effort de guerre1, mais elle y a subi
approximativement 85% de ses pertes, faisant ainsi de la Russie «le tombeau de l’armée
allemande».2
Le siège de Sébastopol (en russe: Оборона Севастополя), est une bataille de la
Seconde Guerre mondiale qui se déroula entre les forces allemandes et soviétiques du 30
octobre 1941 au 4 juillet 1942. L'enjeu était le port de Sébastopol qui était la principale base
navale de la flotte soviétique de la mer Noire3. Sébastopol (en russe: Севастополь,
Sevastopol’ ; en grec: Σεβαστούπολις)4, est une ville située dans le sud-ouest de la péninsule de
Crimée5. Elle fut fondée par l’impératrice Catherine II sur un site particulièrement favorable à
1 Le 22 juin 1941, la Wehrmacht envahit l'URSS dans le cadre de l'Opération «Barbarossa». Elle mobilise 3,2
millions de soldats allemands et 600.000 soldats des états alliés de Hongrie, de Roumanie, de Finlande, de
Slovaquie et d'Italie. C'est à ce jour la plus grande offensive militaire de l'histoire; (cf. Alexander Lüdeke: «Der
Zweite Weltkrieg. Ursachen, Ausbruch, Verlauf, Folgen». Berlin 2007, ISBN 978-1-4054-8585-2, p. 118).
2 Cf. Philippe Masson, Histoire de l’armée allemande 1939-1945, Paris, Perrin, 1994, p. 474 ; (cf. aussi «Le Feld-
maréchal Erich von Manstein ou le virtuose de la stratégie au service du diable. Un allié ou une victime de
l’entreprise hitlérienne d’agression et de destruction en Europe, Benoît Lemay, Étudiant post-doctoral en
histoire, Paris IV-Sorbonne, article publié par l’Association québécoise d'histoire politique, Bulletin d’histoire
politique, volume 16, numéro 1).
3 La flotte de la mer Noire (en russe: Черноморский Флот, Chernomorsky Flot) fut un des grands sous-
ensembles opérationnels stratégiques de la marine de l’empire russe, puis de l’URSS, opérant dans la mer Noire et
la Méditerranée. Elle est réputée d’avoir été fondée par le Prince Potemkine le 13 mai 1783, ainsi que sa base
principale, la ville de Sébastopol. La Russie a lutté longtemps contre son principal rival dans la région, l'Empire
Ottoman. La flotte de la mer Noire défait les Ottomans en 1790, participe à la bataille de Navarin (20.10.1827) où
la flotte franco-russo-britannique détruisit une soixantaine de navires turco-égyptiens et combat les alliés germano-
turcs durant la Première Guerre mondiale, et les alliés germano-roumains pendant la Seconde guerre mondiale.
4 La ville de Sébastopol est située près de l'ancienne ville grecque de Chersose (en grec: Χερσόνησος,
Hersonissos; en russe: Херсонес, Khersones), qui était une cité de Chersonèse Taurique. Chersonèse fut fondée
vers 600 av. J.-C. par des exilés d’Héraclée du Pont (devenue, après la défaite et le départ des grecs en 1922,
Karadeniz Ereğli, en Turquie), (cf. Annexe 3 : «Les colonies grecques de la rive nord de la Mer Noire»).
5 La péninsule de Crimée (en russe: Крымский полуостров ; en grec: Κριμαϊκή Χερσόνησος), couvre une
superficie de 27.000 km2, qui est reliée au reste du territoire russe par l'isthme de Perekop, une bande de terre
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l'implantation d'un port, puisque formé de huit baies en eau profonde, dont celle de Balaklava.
La marine soviétique avait construit sur les défenses naturelles de la baie de Severnaïa de
lourdes défenses côtières, la base navale de Sébastopol constituant ainsi l'une des fortifications
les plus solides au monde, considérée par des chroniqueurs équivalente voire supérieure à
certains ouvrages de la «ligne Maginot».
Le port de Sébastopol était une cible stratégique de premier ordre pour les Allemands.
Son importance comme base navale et aérienne potentielle permettrait à l'Axe de mener des
opérations maritimes et aériennes contre des cibles soviétiques dans les montagnes, ainsi que
sur les ports du Caucase. En outre, la prise de Crimée éliminerait la menace d’attaques
aériennes menées de porte-avion en dur contre les puits de pétrole de Ploesti en Roumanie, si
nécessaires pour leffort militaire du 3ème Reich. A noter que l'armée de l'air soviétique
utilisait déjà la Crimée comme base pour attaquer des cibles en Roumanie depuis juin 1941.
Ainsi, le 23 juillet 1941, Adolf Hitler a signé la Directive 33 qui appelle non seulement à la
conquête de la péninsule de Crimée, mais elle en fait de plus une priorité.
Le 30 octobre 1941 les forces germano-roumaines lancent un premier assaut pour
prendre Sébastopol, mais qui échoue marquant ainsi le début d’un long siège pendant lequel
des forces considérables, des armements impressionnants et des stratagèmes ingénieux seront
employés pour venir à bout des fortifications redoutables de Sébastopol et de la résistance
héroïque de ses défenseurs. En effet, pendant plus de huit mois, du 30.10.1941 au 04.07.1942,
Sébastopol tint tête à une puissante armée allemande, qui avait cependant compté prendre la
ville en une à deux semaines. Cette héroïque résistance contribua sensiblement au désastre que
la Wehrmacht devait subir l’hiver de 1942 à Stalingrad.
Les belligérants
A l’époque de l’offensive germano-roumaine, Sébastopol comptait environ 110.000
habitants, dont la plupart avaient travaillé pour la mise en place des trois lignes défensives de la
large de cinq à sept kilomètres au nord de la Crimée. La distance est, d'ouest en est de 326 km, du nord au sud de
205 km. La longueur totale des frontières terrestres et maritimes est de plus de 2.500 km. La Crimée monte la
garde au confluent de deux espaces stratégiques vitaux: l'accès aux vastes territoires de l’Europe du Nord, par la
mer Noire et le Dniepr, et à ceux de l'Asie, par la mer d'Azov. À l'est de la Crimée, la péninsule de Kertch fait face
à la péninsule de Taman. Entre ces deux péninsules, le détroit de Kertch, large de trois à treize kilomètres, relie la
mer Noire à la mer d'Azov. La Crimée est bordée, au sud et à l'ouest par la mer Noire, à l'est par la mer d'Azov et
au nord-est, le «Syvach» (côte occidentale de la mer d'Azov). Le «Syvach» est aussi dénommé «mer Putride», en
raison de ses vastes étendues de marais nauséabonds et de lagunes peu profondes. Les côtes de la Crimée sont
irrégulières et forment un grand nombre de baies. Les ports se trouvent sur la côte occidentale de l'isthme de
Perekop, dans la baie de Kalamita, qui abrite notamment les ports d’Eupatoria (en russe: Евпато́рия, Yevpatoriya;
en grec: Επατορία), de Sébastopol et de Balaklava. La baie de Théodosie (en russe: Феодосия; en grec:
Θεοδοσία), avec le port du même nom, se trouve dans le sud-ouest. La côte sud-est est très montagneuse, avec une
série de montagnes parallèles, les monts de Crimée, assez élevés (point culminant à 1.545 m au mont Roman-
Koch). Ils descendent dans la mer Noire, en dessinant des plateaux intérieurs (500-600 m). Une grande partie de
ces montagnes ont des sommets assez abrupts avec une forte dénivellation par rapport à la mer toute proche (650 à
750 mètres), commençant à la pointe sud de la péninsule, appelée «cap Saritch». Dans la mythologie grecque, cette
pointe abritait le temple d'Artémis (Ἄρτεμις), où la prêtresse Iphigénie (Ἰφιγένεια) aurait officié. Une importante
partie du territoire de la Crimée est composée de prairies sèches ou semi-arides et de steppes qui longent par le
nord-ouest les pieds des monts de Crimée. Cependant du cap Saritch à Théodosie, les bandes étroites de la côte et
les pentes abruptes des montagnes forment un espace vert réputé pour les bienfaits de son climat et dénomme
«Riviera russe». On y trouve de nombreuses stations balnéaires (Yalta, Aloupka, Gourzouf, Soudak…).
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ville. La défense de Sébastopol a été fournie principalement par la flotte russe de la mer Noire
sous le commandement du Vice-Amiral Filipp S. Oktyabrskiy6 (pour les opérations navales) et
l'Armée séparée du Littoral sous le commandement du général Ivan Yefimovitch Petrov (pour
les opérations terrestres).
À la fin octobre 1941, l'Armée du Littoral comprenant 32.000 hommes, arrive dans la
ville par la mer depuis Odessa plus à l'ouest, cette dernière ayant été évacuée après de durs
combats. Petrov planifie de stopper la progression allemande vers l’est sur Sébastopol en créant
trois de lignes de défense ancrées solidement dans les terres. La 1ère, d'une profondeur de 2 à 3
km, était composée de tranchées disposées les unes derrière les autres, protégées par des
barrages de barbelés et de champs minés, et flanquées de «blockhaus»7 en rondins de bois et de
points d'appui bétonnés. Une seconde ceinture fortifiée, large de 1,5 km, couvrait surtout le
secteur Nord entre la vallée de Belbek et le golfe de Severnaïa, par une file de gros ouvrages
fortifiés et entourés d’impressionnants fossés antichar. Ils furent baptisés de noms
impressionnants: fort Staline, fort Molotov, fort Volga, fort Sibérie, fort Guépéou, fort Oural,
fort Tcheka, fort du Nord, fort de Severnaïa Kossa et enfin le plus formidable de tous, le fort
Maxime-Gorky I dans le secteur Nord, avec ses batteries lourdes doubles de marine de 305
mm. Son pendant, le fort Maxime-Gorky II, se trouvait dans le secteur Sud, et était tout aussi
redoutable. A l'est, la forteresse était remarquablement protégée par la nature. Le terrain y était
escarpé et boisé, sillonné de vallées profondes, parsemé de hauteurs fortifiées, dénommées:
Mont de l'Aigle, Mont Sapoun, Colline des Roses, les hauteurs de Kamary, les hauteurs de
Fedioukhin, le Cimetière Anglais, le Cinabre, le Pain de Sucre, le Nez du Nord, fort de
Balaklava, …La 3e ligne fortifiée touchait la ville. C'était un véritable labyrinthe de tranchées,
de nids de mitrailleuses, de positions garnies de lance-grenade et de batteries de canons.
Sébastopol était défendue par 7 divisions de tirailleurs, 1 division de cavalerie à pied, 2
brigades d'infanterie, 3 brigades de fusiliers-marins, 2 régiments d'infanterie de marine (troupes
d'élite de la marine russe), ainsi que plusieurs bataillons cuirassés et unités autonomes, soit en
tout 101.238 hommes. De plus, 10 régiments d'artillerie et 2 bataillons de lance-grenades, 1
régiment antichar, ainsi que 45 unités d'artillerie lourde de marine mettaient en jeux 600 canons
et 1.000 mortiers. Ajoutons à cela l’appui d’artillerie du train blindé «Jelezniakov» et des
canons des bâtiments de la flotte de la mer Noire. Un vrai mur de feu entourait donc la
forteresse. Mais la supériorité aérienne appartient indiscutablement aux Allemands, les
Soviétiques ne disposant que d’une cinquantaine d’avions obsolètes. Cette faiblesse est
aggravée du fait que l’Armée de Petrov manque de canons antiaériens et de canons antichar. La
garnison était également à court de vivres et de munitions de mortier, ce qui serait un grave
handicap pour la défense soviétique. Les mauvaises communications entre le siège et les lignes
de front posaient aussi un problème aux défenseurs soviétiques.
6 Filipp Sergeyevich Oktyabrskiy (en russe: Филипп Серге́евич Октябрьский, vrai nom: Ivanov - Иванов; 23
octobre 1899 - 8 juillet 1969, Sébastopol) était amiral commandant de la flotte de la mer Noire de la marine
soviétique et a dirigé ses actions pendant la défense de Odessa et de Sébastopol. Héros de l'Union soviétique
(distinction décernée le 20 février 1958). Après la guerre, il était commandant de tous les centres de test naval et
de 1957 à 1960 chef de l'école navale supérieure «Nakhimov», à Sébastopol.
7 De l'allemand Block (« bloc ») et haus (« maison »): sorte d’abri blindé muni d’une toiture à l’épreuve des tirs
ennemis.
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