Le confucianisme, fondement culturel du repli de la

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Molina Ana Cristina 1
Premand Patrick 2
HEC Lausanne
Economie politique
Analyse économique de situations historiques
Professeur J-C Lambelet
1er mai 2001
Le confucianisme, fondement culturel du repli de la Chine sur elle-même ?
1. Introduction et mise en garde
2. La vie de Confucius
2.1 Contexte historique
2.2 Le Maître
3. La doctrine confucéenne
4. Evolution du confucianisme et ses écoles
4.1 Le confucianisme de Mencius
4.2 Le confucianisme de Xunzi
4.3 Le confucianisme sous les Han
4.4 Le néo-confucianisme
5. Confucianisme et ouverture économique
5.1 Les principes économiques découlant du confucianisme selon Chen Huan-Chang : une
récupération économique du confucianisme en faveur de l’ouverture
5.1.1 L’importance des marchands et de leur rôle
5.1.2 Le commerce « international»
5.2 Guerre de l’opium, le confucianisme comme facteur de repli ?
5.3 Le confucianisme n’est pas l’orthodoxie
6. Confrontation à Landes, une hauteur culturelle d’origine politique ?
7. Conclusion
8. Bibliographie
1. Introduction
Pourquoi un exposé sur le confucianisme ?
Landes décrit dans le chapitre 21 de son ouvrage la Chine comme une entité imperméable au
progrès technologique et scientifique de par sa supériorité culturelle. Or la culture chinoise est
souvent pensée en référence au confucianisme. Dès lors, nous avons souhaité nous pencher
sur la nature du confucianisme pour déterminer s’il peut être à la base d’une supériorité
culturelle et d’un repli de la Chine sur elle-même.
La première partie décrira l’évolution de confucianisme à travers les âges, de la morale
humaniste de l’époque de Confucius à la formation progressive d’une orthodoxie politisée.
Elle sera également l’occasion de structurer sommairement les grands moments de l’histoire
chinoise.
La deuxième partie analysera ensuite les facteurs a priori d’origine confucianiste pouvant
influencer l’ouverture économique et commerciale de la Chine, puis tentera hardiment une
confrontation aux thèses de Landes.
Mise en garde : les difficultés de l’étude du confucianisme
Se proposer d’étudier le confucianisme constitue sans conteste une tâche difficile et risquée,
un réel défi… L’analyse révèle bien vite derrière l’unicité d’un seul mot une multitude de
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conceptions fort diverses. Renoncer devant cette multiplicité apparemment chaotique
équivaudrait à passer sous silence un élément majeur de la construction sociopolitique
chinoise, sans compter que l’aspect protéiforme de l’évolution du confucianisme nous instruit
peut-être grandement de son essence même. Nous nous attelons donc à la tâche en gardant à
l’esprit que la relativisation et les nuances devront être les gardiens de nos réflexions. Nous
tenterons prudemment de souligner les tendances majeures et spoliations périodiques du
devenir de la doctrine confucéenne, tout en utilisant les éléments nous semblant éclairants
dans le cadre du débat sur les raisons du repli de la Chine.
Mieux que le silence, il conviendra donc de rechercher derrière les mythes et légendes des
éléments objectifs et sans équivoque. L’entreprise s’avère ardue, mais si elle n’apparaît au
final pas pleinement aboutie, nous espérons que le lecteur conviendra qu’elle aura au moins le
mérite de constituer une approche introductive au confucianisme. (et non une mise en abîme
des périls d’une relecture a posteriori…)
2. La vie de Confucius
2.1. Contexte Historique
Selon l'histoire ancienne, au XXème siècle avant J.C. débute la période des Trois Dynasties
qui comprend la Dynastie des Hia qui s’étend de 1994-1523 avant J.C., celle des Chang qui va
de 1523 a 1027 avant J.C., et celle de Zhou de 1027 à 249 avant J.C.
C’est surtout aux Fondateurs de cette dernière dynastie, que Confucius se réfère comme
souverains d’un gouvernement idéal. Ils firent l’unification du bassin de la Wei la conquête
du royaume des Chang, au Nord du pays avec le roi Wu, aidé par son frère le Duc de Zhou.
C’est grâce à ce dernier que ce qui devait être à l’origine un simple pillage se transforma en
un établissement durable.
Le duc de Zhou aurait été l’instaurateur de la structure féodale en établissant un système de
succession clanique selon lequel l’héritage passait au fils aîné de l’épouse principale, les fils
plus jeunes ou issus de concubines devenant chefs de clans annexes.
De cette façon, la structure politique chinoise conçut l'état comme une grande famille.
Pourtant suite à la défaite face à une insurrection vers 771 avant J.C., les Zhou entrèrent
définitivement dans l'ère de la décadence ; auxquelles succédèrent des périodes d'instabilité
politique dites de Printemps et Automne (722-481) et des Royaumes Combattants (403-249).
2.2. Le Maître 3
C’est donc dans une société féodale et avec des traits oligarchiques, que Confucius naquît en
551 avant J.C. à Lu, une petite bourgade, dans l’actuelle province du Chantong, dans le NordEst du pays et y mourut en 479 av. J.C. à l’âge de 72 ans. A sa naissance, c'était
approximativement le temps du Bouddha en Inde et de Pythagore en Grèce.
Le nom de Confucius est la forme latinisée, due aux jésuites de K’ong Fou-tseu, Maître
K’ong. Il venait d'une famille noble dont la situation était fort précaire et incertaine dans la fin
de la période Printemps et Automne. Il est donc naturel d’imaginer qu’il se retourna contre
l’oligarchie des clans des nobles, puissants et usurpateurs. De son enfance, on sait peu de
choses sauf qu’elle fut pauvre et obscure, et on ignore où et avec qui il fit ses études.
A l’âge de 19 ans, il se maria avec une fille originaire de la principauté de Song et il eut 3
enfants dont deux garçons et une fille.
3
Il est important de dire que la vie de Confucius a toujours été entourée de mythes et légendes. Sa vie a été
reconstruite grâce aux recueils de ses disciples et de sages ultérieurs.
2
A 22 ans en 530 A.C., il ouvrit une école à Lu. Il est important de signaler qu’il s’agissait
d’une école et pas d’une “école philosophique”. Il enseignait l’Antiquité et rien d’autre, il
disait: “Je transmets et n’innove pas”.
Plus tard à l’âge de 53 ans, il s’engagea dans la vie politique et devint Ministre de la Justice à
Lu. Deçu, il résolut de partir en voyage accompagné de quelques de ses disciples . Il retourna
à Lu après 10 ans pour se consacrer à l’enseignement moral et la rédaction de livres classiques
jusqu’à sa mort. Parmi les divers manuscrits qui témoignent de la vie du maître et de ses
disciples, on trouve: le Livre des Odes, Livre de Mutations, Livre des Documents, Livre des
Rites et Annales des Printemps et Automnes. Seul ce dernier est attribué à Confucius luimême.
Finalement, on peut dire que l’image courante de Confucius est celle de moralisateur
prodiguant avec condescendance ses conseils aux souverains. Il faut toutefois comprendre que
ce qu’il voulait c'était surtout établir quelques principes dans une époque de chaos politique et
de changements sociaux. Ainsi, bien que le confucianisme soit devenu l’idéologie officielle
de l'État en Chine, il n’a jamais pris la forme d’une religion établie avec une structure
institutionnelle et un clergé. Confucius a toujours été honoré comme un maître et un sage,
sans être divinisé. Le confucianisme, plutôt qu’une religion, constitue donc un enseignement
politique et social.
3. La Doctrine confucéenne
La pensée de Confucius modèle un idéal de l’homme. Il s’agit de réaliser dans sa personne et
dans son action la vertu et la morale. L’enseignement de Confucius est donc par nature centré
sur un idéal pratique, on pourrait même dire politique, vu le grand nombre de paragraphes
consacrés à l’art de gouverner. Cette préoccupation du politique est indissociable de sa
conception de l’homme; il semblerait, en effet, que l’ordre politique et l’ordre social ne font
qu’un.
L’idéal proposé par Confucius est le jun-zi ou “l’homme de bien”, qui littéralement traduit du
chinois signifie “fils du souverain”. L’Homme, et en premier lieu le prince doit devenir un
jun-zi. Il peut y parvenir par des exercices de tenue rituelle, par des principes de
perfectionnement individuel: la maîtrise de ses gestes, de ses actions, de ses sentiments.
Un homme accompli a trois vertus principales:
• La vertu REN : elle symbolise les meilleures qualités de l'homme. C’est la
disposition d’esprit affectueuse et indulgente, effort de tous les instants et de toute
une vie, par le contrôle de tous les détails de sa conduite quotidienne.
• La vertu YI: observation des règles de vie en société.
• La vertu SHU: elle symbolise le respect d’autrui et de soi-même et est exprimée
par la règle d’or de Confucius: “!ne faites pas a autrui ce que vous ne voulez pas
que l’on vous fasse!”
Le yun-zi doit avoir une formation morale et intellectuelle pour pouvoir prendre part dans le
gouvernement. En effet, le yun-zi doit tendre entièrement vers la réalisation du Souverain de
Bien. Ce dernier ne désigne pas un Bien abstrait, absolu, mais le bien qu’un homme peut faire
à un autre. d’où notre insistance sur le caractère pratique de l’enseignement confucéen. Cette
Humanité peut et doit être portée à la sphère politique .
Ainsi lorsqu’un de ses disciples lui demanda que faire pour devenir un homme de Bien,
Confucius répondit “Cultiver en soi la capacité de conforter les autres... Cultiver en soi la
force de donner au peuple paix et réconfort”.
3
D’autres vertus confucéennes importantes nous renvoient à la rectitude, l’intégrité, la piété
filiale et la loyauté. Celui qui possède toutes ces vertus est digne de détenir le pouvoir. En
effet, le maître souhaitait un gouvernement paternaliste conduit par un souverain bienveillant
et honorable qui devrait cultiver la perfection morale pour servir de bon exemple à son peuple
et attirer de nouveaux sujets à son royaume.
Ainsi, on peut bien se rendre compte que les préceptes de la morale individuelle guident
l’esprit politique des personnes. La morale et la politique vont être liées dans la pratique,
d’où l’importance de l’éducation dans l'humanisme confucéen en tant que facteur
d’amélioration constant.
L’éducation va donc être orientée vers les responsabilités politiques. Elle se retrouvera au
cœur de la structure du gouvernement comme l’illustrera le recrutement des fonctionnaires
par des examens, sujet dont on parlera plus tard. Le souverain doit ainsi assurer le bien-être
matériel, la protection militaire mais surtout l’éducation, fondement même de la politique.
En résumé, le prince doit gouverner par la vertu. Ce qui explique bien pourquoi pour
Confucius : trois choses font la force d’un Etat: l’économie, l’armée et la confiance du peuple.
Et s’il y a quelque chose à sacrifier, il vaut mieux le faire pour les deux premières, mais
perdre la troisième est inconcevable pour l’esprit confucéen. Il faut assurer la justice et même
l'égalité.
4. Evolution du confucianisme et ses écoles
La mort de Confucius nous fait sortir de la période de Printemps et Automne(722-480 A.C.).
Et nous entrons dans celle que les historiens chinois considèrent comme la plus sombre de
leur Antiquité, la Période des Royaumes Combattants (403-221 A.C.), intellectuellement la
plus féconde de l’histoire chinoise.
Cette période marqua la fin du régime féodal au milieu du IIIème siècle et le début de
l’Empire.
4.1. Le Confucianisme de Mencius
Suite à la mort de Confucius, sa pensée fut violemment prise à partie et de tous les côtés.
Dans ce cadre, deux écoles de pensée confucéennes apparurent, l’une représentée par Mencius
et l’autre par Xunzi.
Tout d'abord , on s’intéresse à Mencius, qui est la forme latinisée de Möng K’o. Philosophe
et écrivain, il avait élaboré et renouvelé la doctrine. Comme son Maître, il soulignait la bonté
inhérente à la nature humaine et entendait préparer un gouvernement fondé sur la
bienveillance. Pourtant, pour lui l´homme pouvait pervertir cette bonté naturelle par son
interaction avec l’environnement, raison pour laquelle il doit cultiver les valeurs morales.
Sur le plan politique, il accordait une certaine importance à l’économie politique, un aspect
que Confucius avait trop négligé. Ainsi pour Mencius, il fallait aussi s’intéressser au peuple et
à ses besoins. Face à la décadence de l’Empire des Zhou, qui ne faisait que s’aggraver,
Mencius essaya de définir ce qui serait une économie raisonnable. A cet égard, il ressuscita le
système de partage des terres. On pourrait même dire qu’il a rationalisé la tradition
confucéenne.
Il est également important de signaler que sa pensée est très proche de celle des penseurs du
XVIII e siècle français. : Il croyait comme Rousseau à la bonté originelle de l’homme.
Il est bien connu que la Chine a exercé une influence sur cette époque de la vie française.
4
4.2. Le Confucianisme de Xunzi
Mencius a été critiqué et attaqué par les confucéens ultérieurs pour avoir ruiné le
confucianisme. Ainsi, Xunzi qui était plus jeune de cinquante ans environ par rapport à
Mencius, aurait réorganisé le confucianisme sous sa forme ancienne. Xunzi voit en chaque
humain un pervers capable de tout. Contrairement à Mencius, Xunzi considérait qu’une
personne de nature mauvaise pouvait s’améliorer par l’éducation morale. Il confie alors au
confucianisme la société, le soin de diriger l'homme, de le réprimer et de corriger le mal qui
se trouve en lui.
Pour la première fois, on retrouve dans cette doctrine la notion d'obéissance et de répression.
Selon l´histoire, son plus grave erreur fut d’avoir formé deux hommes Han Fezi et Li Si qui
appartenirent à l’école des Légistes, qui furent plus tard les conseillers du terrible Qin Shi
Huangdi et lancèrent une campagne de persécussions contre les disciples du maître. En effet,
vu que le l'homme était par nature indiscipliné et incontrôlable, le seul fondement de la
morale ne pouvait être que la crainte de la police et des magistrats. Au lieu de gouverner par
la bienveillance, il fallait donc le faire par les codes et la peur. Le critiques des confucéens
«puristes» ne se firent pas attendre, et du coup, ils furent accuser de complot contre Qin Shi
Huangdi. Le ministre Li Si conseilla alors au prince de brûler les écrits confucéens et de
persécuter ses précurseurs. C'est de cette façon, que le légisme 4 réussit à s'imposer.
Après 11 ans de règne, Qin Shi Huangdi mourut et son incompétent successeur disparut au
bout de quatre ans. En 206 A.C., un homme du peuple, Liu Bang, dirigea une rébellion qui
mit fin à la dynastie de Qin et fonda la sienne, celle des Han, pendant laquelle le
Confucianisme connut un renouveau.
4.3. Le Confucianisme sous les Han
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, cet Empire centralisateur et Conquérant accorda au
confucianisme un rôle quasi officiel dans l’Etat. La dynastie des Han s’étendit de 206 A.C.
jusqu’au II de notre ère.
Cet empire fut ouvert aux influences extérieures (Taoïsme et le Bouddhisme )et fut marqué
dès son début par un certain succès. On peut dire également que les confucéens ne
retrouvèrent complètement leur influence au sein du gouvernement qu’avec Wu, le troisième
empereur de cette dynastie (141-87 A.C.).
De plus, à l’époque, on choisissait de préférence les fonctionnaires parmi les gens formés à
partir du confucianisme, ce qui leur permettait de conserver un certain pouvoir. De cette
façon, l'institution des examens (et le mandarinat) prit progressivement la forme d'un système
qui supposait la compétence administrative de ceux qui savaient par cœur le canon confucéen.
D'où l'on peut déduire que le confucianisme a d'une certaine façon uniformisé le niveau
culturel et l'échelle morale de la société, en lui conférant une base commune.
Lorsque les Han Postérieurs perdirent le «Mandat Céleste», la Chine tomba à nouveau dans le
chaos et dans des luttes pour le pouvoir. Il fallut attendre le VI siècle et la Dynastie des Sui
pour revenir à une certaine stabilité. Les Tang lui succédèrent en 618, et achevèrent la
restauration. La Chine continua ouverte aux influences étrangères, et le Bouddhisme resta très
marqué. Pourtant en 845 après J.C., un Edit contre le Bouddhisme et implicitement contre
toutes les religions d’origine étrangère fut publié .
4
Les légistes sembleraient appeler un gouvernement totalitaire.
5
4.4. Le néo-confucianisme
Au début du X siècle, la Chine retomba pour environ un demi-siècle dans une période de
morcellement , dite des Cinq Dynasties (907-959). Puis la dynastie des Song put rétablir
l’unité et donna naissance à un nouveau système confucéen inspiré d'éléments taoïstes et
bouddhistes. Cette nouvelle école est connue sous le nom de néo-confucianisme.
Ainsi après la proscription du Bouddhisme en 845 et suite a la laïcisation des religieux, ce
courant qui s’intéressait à l’éthique, aussi bien qu’aux théories de l’univers et aux origines de
la nature humaine retrouva l ‘occasion de se développer.
Si on s'intéresse à une évolution plus récentes de la Chine, on constate clairement que suite à
la victoire des communistes en 1949, l'avenir du Confucianisme a été compromis. Pourtant, il
est clair que la tradition confucianiste a toujours été, jusqu'à nos jours, présente dans la société
chinoise, en déterminant la vie politique, économique et sociale du pays.
Pourtant, son influence a toujours pris des degrés d'importance différents selon, que
l'idéologie a été reprise ou modifiée. Selon Landes, certaines valeurs apparemment
confucianistes ont contribué en partie à la fermeture de la Chine au cour de l'histoire. Dans la
deuxième partie de cet exposé, on essaiera d'analyser en profondeur les préceptes confucéens
qui auraient pu modeler une telle politique.
5. Confucianisme et ouverture économique
L’analyse du confucianisme et de son évolution a montré la difficulté de l’emploi même du
terme confucianisme : les multiples lectures qui en ont été réalisées invitent à la prudence. S’il
s’avère parfois tentant de vouloir expliquer des faits historiques par certaines valeurs
confucéennes, aucune relation nécessaire ne peut jamais faire du confucianisme une cause
première indiscutable.
Si le domaine politique a constitué un champs d’application important de la sagesse
confucéenne, certains ont également tenté de déduire des implications économiques du
confucianisme. Dans le cadre du commerce extérieur, on peut se demander si les valeurs
confucéennes peuvent être à l’origine de la fermeture chinoise, notamment dans le contexte de
la guerre de l’opium au XIXème siècle.
5.1 Les principes économiques découlant du confucianisme selon Chen Huan-Chang :
une récupération économique du confucianisme en faveur de l’ouverture 5
Le début du XXème siècle nous offre un exemple de relecture partisane des idées
confucéennes particulièrement intéressante au niveau des politiques commerciales que
devraient mener un pays. Chen Huan-Chang a cru pouvoir déduire du confucianisme une
doctrine économique complète débouchant sur un appel à l’ouverture de la Chine au
commerce extérieur. Les analyses qui suivent et leur lien avec le confucianisme doivent être
appréhendées avec tout le recul que la première partie de cet exposé impose : il ne s’agit
encore une fois que d’une interprétation des théories de maître K’ong.
5.1.1 l’importance des marchands et de leur rôle
Pour Chen Huan-Chang, il convient tout d’abord de rendre au marchand le mérite que certains
ont égratignés en référence à la classification sociale effectuée par Confucius. En effet, un
malentendu est survenu depuis que les marchands ont été classés par la terminologie chinoise
5
Tout ce chapitre est à comprendre en référence à Chen Huan-Chang, et non dans l’absolu…
6
dans le quatrième groupe de personnes 6 . Il a parfois été déduit de ce classement que les
marchands constituaient la plus « mauvaise » classe, puisqu’ils ne produisaient
matériellement rien eux-mêmes et ne faisaient que gérer la production des paysans et artisans
en tentant de maximiser leur profit sur le dos de consommateurs serviles. Certains empereurs7
reprirent cette litanie de manière chronique et contribuèrent à l’ancrer dans l’imaginaire
collectif Chinois.
Mais cette vision populaire ne s’accorde pas, selon Chen Huan-Chang, à la tradition
confucéenne. L’interdiction périodique des marchands en Chine ne découle pas du
confucianisme puisque celui-ci ne considère pas le commerce comme la plus mauvaise
activité : le classement ne fait pas de distinction morale mais une simple distinction de
position dans la chaîne de production. Ainsi, les paysans précèdent les artisans et les
marchands indépendamment de tout jugement de valeur. Confucius ne sous-estime donc pas
selon cette lecture l’importance des marchands, puisqu’ils contribuent au même titre que les
autres groupes à l’harmonie et à l’équilibre social.
5.1.2 Le commerce « international8 »
Le commerce international occupe selon Chen Huan-Chang une place particulière dans la
doctrine de Confucius. En effet la générosité invite à prodiguer aux étrangers un traitement
indulgent, de les escorter à leur départ, de les accueillir à leur arrivée, etc… Ce traitement de
faveur découle de la constatation que les marchands étrangers ont dû s’éloigner
géographiquement de leur lieu de vie, réalisant un sacrifice que la compassion impose
d’atténuer pour les habitants du glorieux empire chinois. Dès lors, la tâche majeure de
l’officier en charge des affaires extérieures consistera à tenter de faciliter la vie des étrangers
dans un territoire inconnu pour eux, par exemple en servant de traducteurs ou en exhaussant
leurs désirs.
Le commerce international sert pour sa part à répondre aux besoins respectifs des étrangers et
des autochtones, leur profitant mutuellement. Le commerce international sans lequel certains
peuples ne disposeraient pas de tout le nécessaire vital, s’avère en théorie essentiel et la
politique de fermeture ne s’accorde pas aux principes confucéens.
Dans les faits, l’application d’un quelconque principe d’ouverture s’avérait facilité par la large
domination de la Chine sur ses voisins, tant en faste qu’en richesse. L’ouverture était perçue
comme un cadeau (compatissant) offert aux nations retardées qui pouvaient jouir des
productions chinoises plus avancées. Dès lors, le commerce extérieur de la Chine s’inscrivait
souvent dans ce cadre du système de tribut : les expéditions étrangères arrivant en Chine
commençaient par faire connaître leur soumission au gouvernement chinois, marque
d’allégeance leur permettant ensuite de jouir du protectorat chinois. A cet égard, on peut noter
que la création d’un département des affaires étrangères à l’Occidentale (et la vision égalitaire
des relations internationales qui en découle) ne date que de 1861 en Chine, auparavant c’était
le ministère des rites qui était chargé d’accueillir les étrangers, anecdote suffisamment
explicite quant à la conception du statut des étrangers. Tribut et commerce étaient donc
intimement liés et les relations extérieures de la Chine se sont longtemps accoutumées de
cette supériorité, supériorité de laquelle découlait pour le confucianisme une nécessité de
compassion et de bienveillance envers l’étranger. Les premiers Européens qui arrivèrent en
Chine firent l’expérience de la bienveillance de la Chine envers ses voisins. Mais Landes
6
Pour plus de détails, Chesneaux décrit de manière synthétique le découpage de la société chinoise en lettrésfonctionnaires, paysans, artisans et marchands (cf bibliographie)
7
Han Kao Ti (202-195 avant J-C) tenta par exemple d’anéantir l’activité marchande par des édits de
condamnation et des taxes démesurées
8
Terme à comprendre par analogie avec l’étranger, état donné la récence de la construction des Etats - Nations
7
traite avec plus de recul et d’acuité que Chen Huan-Chang de cette supériorité
compatissante…
L’originalité de Chen Huan-Chang nous vient du fait qu’il ne dérive pas la nécessité
d’ouverture commerciale de la vertu de compassion ou de générosité. Pour lui l’ouverture
provient de l’attitude du sage confucéen avide de savoir et de bien, et ne renonçant pour cela
jamais à la dialectique et la confrontation avec autrui. Il en va de même pour l’état et le
commerce. En conséquence, le confucianisme débouche en ce cas sur une doctrine de totale
ouverture économique, y compris d’abolition des taxes douanières. Il ne devrait pas être
étonnant que puisque le commerce international permet le cosmopolitisme et l’égalisation des
richesses, le confucianisme l’encourage de la manière la plus totale .
Mais la liberté de commerce n’était qu’une théorie, et donc un idéal du confucianisme. Les
frais douaniers demeuraient sous la dynastie Chou et accepter une égalisation des richesses ne
concorde que rarement avec le pragmatisme. De fait les droits de douanes n’étaient
historiquement supprimés que pour permettre l’approvisionnement du pays lors de famines…
Théories et faits ne s’accordent pas toujours, ce que Chen Huan-Chang dénonce en invitant la
Chine à l’ouverture au début du siècle.
Malgré sa naïveté apparente et son haut degré de politisation, l’analyse qui précède permet de
souligner quelques valeurs confucéennes qui, si elles sont correctement appliquées, devraient
déboucher sur une ouverture totale de la Chine au commerce extérieur.
5.2 Guerre de l’opium, le confucianisme comme facteur de repli ?
La guerre de l’opium constitue un événement qui mérite d’être décrit de par son importance
historique. Elle marque également la confrontation de deux clans idéologiques dont l’un a
parfois été considéré comme étant de tendance confucianiste, raison pour laquelle la guerre de
l’opium intervient dans notre analyse.
Depuis leur entrée dans les mers du Sud-Est asiatiques, les marchands européens gardaient en
tête les images mirifiques de la Chine des récits de Marco Polo. Pourtant l’eldorado promis
s’avéra rapidement d’un rendement relativement faible : les Chinois n’avaient pour les
marchandises européennes que peu d’intérêt. Ainsi, ce fut l’opium qui ouvrit les portes de la
Chine aux Anglais. Officiellement interdit, l’opium initialement introduit par contrebande
créa une véritable accoutumance pour nombres d’habitants des ports chinois 9 .
Période 1820-1825
Période 1825-1830
Période 1830-1835
:
:
:
9708 caisses par an en moyenne
18712 caisses par an en moyenne
35445 caisses par an en moyenne
Or l’empire chinois se portait au plus mal. Aux problèmes économiques s’ajoutaient des
révoltes politiques, et la légitimité des Mandchous au pouvoir se voyait de plus en plus remise
en question. Dans ce contexte, la cour impériale vit d’un très mauvais œil les tensions sociales
et la fuite du métal argent allant de pair avec la contrebande grandissante d’opium.
Remarquons que le système monétaire chinois était constitué de monnaie d’argent et de
monnaie de cuivre. La fuite d’argent entraîna une appréciation de celui-ci par rapport à la
monnaie de cuivre. Or les impôts étaient collectés en monnaie en argent. Il fallait donc plus de
monnaie de cuivre pour payer les mêmes impôts suite à la diminution de l’argent en
circulation. Cela engendra nombre de problèmes pour les petits paysans comme pour les
mandarins chargés de la perception des impôts.
9
environ 10% de consommateurs occasionnels et 4% de consommateurs réguliers dans les ports du sud-est de la
Chine en 1840. (ordre de grandeur)
8
Conformément à la tradition politique chinoise, les autorités ouvrirent alors un « débat » au
sujet des problèmes causés à Canton (seul port ouvert au commerce extérieur) par la
contrebande d’opium. Très vite s’opposèrent deux camps aux visions diamétralement
opposées. D’un côté les plus pragmatiques souhaitaient lever l’interdiction de l’opium pour
éviter de froisser les Anglais et d’ajouter un conflit aux troubles intérieurs. De l’autre côté, les
intransigeants, d’abord minoritaires, voulaient interdire totalement la vente d’opium, position
qui fut finalement adoptée. Mais laissons les faits historiques et revenons au confucianisme.
Lin Ze-Xu constitue la figure la plus connue de ces puristes qui souhaitaient abolir le
commerce d’opium à Canton. Considéré comme un « confucéen rigoureux10 », ses arguments
se fondaient sur la morale. Pour Lin Ze-Xu, l’opium constituait un vice totalement
inacceptable puisqu’il mettait en danger l’équilibre de la vie et l’harmonie du foyer des
consommateurs en les détruisant de l’intérieur.
Dans ce contexte, le confucianisme apparaît le moteur de la fermeture de la Chine au
commerce extérieur, de par les valeurs morales qu’il véhicule. Certes, il faut relativiser la
valeur de cet exemple du fait même que le vecteur de fermeture est ici un produit stupéfiant 11 .
Il est probable que si les consommateurs chinois avaient eu un intérêt pour un autre produit
que l’opium, légal cette fois, les lettrés confucianistes n’auraient eu que peu de raison de
s’opposer au commerce avec les Anglais.
N’en demeure pas moins que derrière le fait historique dont l’importance méritait un bref
rappel, le débat des guerres de l’opium nous instruit des difficultés inhérentes au
confucianisme : les valeurs morales imposent souvent une législation, laquelle entrave le libre
arbitre pourtant encouragé par Confucius. On retrouve ici le combat entre légistes et puristes
caractéristique de l’opposition de deux branches d’analyses différentes de la pensée
confucéenne. On constate donc que le confucianisme ne constitue pas une doctrine fermée ou
univoque. De part la multitude des lectures qui en ont été faites, il est totalement impossible
de déduire du confucianisme en tant que tel une opinion aussi catégorique que celle visant à
s’ouvrir ou se fermer totalement de l’extérieur. Le confucianisme n’est pas porteur
d’orthodoxie dans le sens ou théoriquement tout devrait faire l’objet d’un choix sage,
raisonné. Il ne peut donc constituer la seule raison d’une fermeture de commerce, et encore
moins d’esprit. Par contre, la politique, de par son souci législatif se constitue moteur
d’orthodoxie et peut imposer cette fermeture en prenant des décisions univoques.
5.3 Le confucianisme n’est pas l’orthodoxie
Deux exemples, celui de Chen Huan-Chang et celui de la guerre de l’opium, nous ont donc
permis de constater que le confucianisme débouche sur deux conclusions contraires en
matière d’ouverture au commerce extérieur. Le confucianisme en soi (si on peut considérer
qu’il existe bien sûr) n’est donc pas univoque, pas orthodoxe. Comment en effet une
orthodoxie pourrait-elle faire l’objet d’interprétations aussi variées ? Seules les interprétations
politisées d’un temps peuvent prêcher l’univocité, et la partie n’est pas le tout.
Le confucianisme ne peut donc pas servir d’explication en tant que tel du rejet de l’ouverture,
laquelle devrait faire l’objet d’un choix humain raisonné comme semblait vouloir Confucius.
La responsabilité ne semble pas devoir être porté par le confucianisme, mais dans l’utilisation
de celui-ci par des « usurpateurs politiques » qui avaient eux la possibilité d’introduire une
orthodoxie, comme par exemple l’institution du système des examens et le dogmatisme
confucéen qui en découla.
10
Chesneaux, histoire de la Chine des guerres de l’opium à la guerre franco-chinoise, p 55 (cf bibliographie)
Même si l’opium ne fut pas libéralisé à la fin de la première guerre de l’opium… ce qui illustre que les enjeux
dépassaient ce simple stupéfiant.
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Tout au plus peut-on identifier des incitants à l’ouverture dans le confucianisme (curiosité
d’esprit du sage et éternelle remise en question confucéenne) ou à le fermeture (culte des
anciens), mais ce serait encore relire et peut-être usurper la doctrine de Confucius. De même,
l’importance de la structure familiale confucéenne a été utilisée tantôt pour éclairer le retard
économique d’une société chinoise encastée, tantôt pour expliquer le dynamisme retrouvé de
l’Asie du Sud-Est12 . Il faut donc se garder d’expliquer des faits par une doctrine confucéenne
objet de toutes les usurpations, comme le cas de l’ouverture au commerce nous l’a montré.
6. Confrontation à Landes, une hauteur culturelle d’origine politique ?
La responsabilité de la fermeture chinoise ne semble donc pas être imputable au
confucianisme. Dès lors, lorsque Landes dénonce la fermeture chinoise au progrès
technologique et scientifique découlant d’une prééminence culturelle, il serait dangereux d’en
conclure que le confucianisme explique seul cette hauteur culturelle.
Expliquer quelque chose par un système culturel n’est-ce pas d’ailleurs renoncer à toute
explication? Quelle est la nature de cette culture justement ? N’est-elle pas intrinsèquement
plurielle ? Il semble en tout cas que l’on puisse conclure que le confucianisme ne comporte
pas une unité suffisante pour expliquer le sentiment de supériorité chinois. Mais alors d’où
vient ce sentiment ? Peut-être plus d’une relecture politique de valeurs confucianistes, ou tout
simplement d’un nationalisme précoce. La culture comprendrait donc aussi des facteurs
politiques…
Une illustration mérite peut-être sa place après ces quelques lignes plutôt abstraites. Landes a
intitulé le chapitre 21 de son ouvrage L’empire céleste. Des valeurs confucéennes sont-elles à
l’origine de cette dénomination altière ? Certains semblent faire remonter le terme d’empire
céleste à Confucius. Sortie de son contexte, l’expression pourrait donc inviter à percevoir
Confucius comme père de l’arrogance chinoise… Mais ce serait oublier que sa doctrine
apparaît plutôt faite d’humilité et de mesure. N’est-ce pas dès lors là une usurpation ultérieure
d’un empire en quête de légitimation ? Le hiatus entre la simplicité confucéenne et la
supériorité céleste semble aller dans ce sens.
Le lecteur excusera les inexactitudes de cette analyse, laquelle souligne une impression
difficilement conceptualisable : la culture ne constitue peut-être pas une valeur explicative
définitive, puisqu’elle peut regrouper une infinité de facteurs différents. Conclusion
certainement approximative et discutable, mais illustrant le risque que comportait cette
deuxième partie, qui ne souhaitait qu’engendrer le débat et non résoudre le problème. Notons
encore que cette analyse ne va pas à l’encontre de celle de Landes, lui qui ne fait que décrire
les valeurs culturelles ayant engendrés la fermeture chinoise, et ce sans accuser un système
global.
7. Conclusion
Après avoir évoqué le contenu et la nature de la doctrine confucianiste, nous avons donc
montré que la confucianisme ne peut pas être utilisé pour expliquer catégoriquement la
fermeture Chinois et son retard technologique. Il semble que certaines des valeurs qui en sont
issues, constituées en dogmes, aient servis à légitimer certains pouvoirs politiques centralisés,
provoquant ainsi un repli chinoise sur son empereur céleste.
Dès lors semble resurgir l’immuable confrontation entre politique et économie. Marie-Claire
Bergère, dans son essai intitulé le mandarin et le compradore, illustre cette opposition de
manière très éclairante à propos de la Chine. D’un côté le fonctionnaire gardien de l’intérêt
12
voir Bergère, le mandarin et le compradore, p 45-47 (cf bibliographie)
10
public, examiné sur les bases d’un confucianisme dogmatique et digne représentant de
l’inertie de la certitude. De l’autre côté, le compradore, marchand local des ports chinois
traitant avec les marchands étrangers, ouvert sur le monde, il sert aussi d’intermédiaire
culturel entre la Chine de l’intérieure et le monde des Océans. Cette opposition illustre que la
diversité culturelle de la Chine empêche de généraliser la fermeture à tous les groupes
sociaux. Et la Chine contemporaine illustre encore cette dialectique : d’un côté la Chine de la
côte au développement économique rapide, de l’autre la nomenklatura bureaucratique
communiste qui se pense encore par rapport au confucianisme 13 . Quand le passé rattrape le
présent…
8. Bibliographie 14
BERGERE, Marie-Claire, le mandarin et le compradore. Les enjeux de la crise en Asie
orientale, Paris, Hachette, 1998, (« Hachette-Littératures »).
CHEN, Huan-Chang, the economic principles of Confucius and his school, (2 volumes), NewYork, Gordon Press, 1974 (édition originale 1911).
CHESNEAUX, Jean, La Chine, des guerres de l’opium à la guerre franco-chinoise (18401885), Paris, 1969 (« Hâtier-Université, Collection d’Histoire contemporaine »).
DO-DINH, Pierre, Confucius et l’humanisme chinois, Paris, Editions du Seuil, 1958
ELISSEEFF, Danielle, Histoire de la Chine, Paris, Editions du Rocher, 1997
Entretiens de Confucius, traduit et présenté par Anne Cheng, Paris, Editions du Seuil, 1981
LANDES, David S., Richesse et pauvreté des Nations, Paris, Albin Michel, 1998
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A l’encontre du confucianisme, certes, mais toujours par rapport à lui.
Quelques sites internet ont également été utilisés, mais leurs adresses demeurant peu parlantes et leur contenu
peu étoffé, ils n’ont pas été mentionnés ici.
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