Évaluation des troubles neuropsychologiques en vie quotidienne

Résumé
Le développement des connaissances en neuropsychologie de l’enfant est apparu tardi-
vement en comparaison avec les études faites chez l’adulte. Les modèles du développe-
ment des fonctions cognitives sont encore en cours d’élaboration et controversés.
Comme chez l’adulte, l’émergence d’évaluations « écologiques » est en retard sur le
développement des tests de laboratoire dont on connaît les limites. Bien entendu, ces
évaluations « écologiques » ne peuvent qu’être complémentaires de l’évaluation neuro-
psychologique classique qui, elle, permet de poser un diagnostic précis des troubles.
Différentes méthodes d’évaluation souvent complémentaires ont été décrites :
il s’agit, d’une part, de questionnaires, pouvant évaluer le fonctionnement global ou
être construits spécifiquement pour évaluer le retentissement d’un trouble neuropsy-
chologique donné sur les activités de la vie quotidienne ;
– d’autre part, il existe des observations directes du comportement et des performances
de l’enfant dans son milieu de vie. Certaines sont standardisées et largement répan-
dues ;
enfin, dans différents domaines comme les fonctions exécutives, les fonctions visuo-
spatiales et praxiques ainsi que le langage et la communication, des mises en situation
simulant des situations de la vie quotidienne ont été développées ces dernières années,
de novo ou à partir d’évaluations existantes chez l’adulte. Ceci a permis d’obtenir des
situations standardisées et des données normatives indispensables à l’interprétation
des résultats. Ces évaluations sont encore très insuffisantes mais en plein développe-
ment.
Abstract
Compared to that of adults, childhood neuropsychology has been studied and developed
very recently. Moreover, models of development of cognitive functions are still being
elaborated and remain controversial. As in adults, the limits of the laboratory tests in
assessing actual performance in daily life activities have been stressed, and there is
growing interest for ecological assessments. Nevertheless they are still rare and often not
Évaluation des troubles neuropsychologiques
en vie quotidienne chez l’enfant
F. Marchal, M. Chevignard, A. Laurent-Vannier et V. Quentin
standardized. Of course, these functional assessments can only be used in addition to the
laboratory tests which allow a precise diagnosis of the neuropsychological deficits.
Various types of assessment have been developed:
Firstly, various questionnaires have been developed; some aim to assess global cognitive
functioning; others have been constructed to assess consequences of a specific neuro-
psychological deficit on daily life activities.
Secondly, another approach consists of direct specific observation of the child in his
usual environment. Some of these situations are standardised and widely used.
Finally, in various domains such as executive functions, visuo-spatial or language and
communication, tests have been designed to create a standardised situation simulating
activities of daily life. Some were designed for children specifically, others have been
adapted from existing tests developed for adults. These are standardised tests, with
normative data, essential for the interpretation of the results.
There is now a need to widely create and develop these assessments which are still very
insufficient.
Place de l’évaluation des troubles neuropsycholo-
giques en vie quotidienne chez l’enfant
Introduction
L’évaluation est une part capitale de nos métiers de rééducation, de réadaptation, de
réhabilitation. C’est le moyen de connaître la nature et le degré de déficience, d’incapa-
cité, de dépendance, mais aussi de compétences chez un individu. C’est le point de
départ de notre intervention et l’étape incontournable pour en apprécier l’impact. Cette
évaluation, indispensable à titre individuel pour préciser les besoins et les moyens,
permet aussi de relever, à l’échelle d’une population, la prévalence des troubles étudiés.
Dans le domaine des troubles neuropsychologiques de l’enfant, cette évaluation est
relativement récente et loin d’être généralisée face à des situations d’échec ou de retard
dans le développement des compétences, des acquisitions en vie quotidienne ou dans les
apprentissages scolaires. L’évaluation fine des troubles neuropsychologiques s’est déve-
loppée, d’une part, chez les enfants atteints de lésion cérébrale avérée (infirmité motrice
cérébrale, traumatisme cranio-cérébral, accident vasculaire cérébral), suivis en services
hospitaliers de neuropédiatrie et de rééducation, d’autre part chez les enfants présentant
des troubles du développement en l’absence de lésion cérébrale décelable, suivis en pédo-
psychiatrie et neuropédiatrie.
Les multiples études portant sur les troubles spécifiques des apprentissages
(dysphasie, dyslexie, dyspraxie) ont enrichi la qualité des évaluations neuropsycholo-
giques de l’enfant ; elles se sont nourries des travaux déjà existants chez l’adulte céré-
brolésé ainsi que des théories de la psychologie cognitive et du développement de
l’enfant (1, 2). De nombreux enfants en difficulté sont cependant encore abordés
uniquement sous l’angle psychoaffectif ou psychosocial sans bénéficier d’une évaluation
psychométrique et neuropsychologique.
92 Évaluation des troubles neuropsychologiques en vie quotidienne
Il existe donc un certain décalage dans l’histoire et la diffusion des connaissances en
neuropsychologie entre l’adulte et l’enfant. Cela explique peut-être le retard pris dans le
domaine de l’évaluation fonctionnelle. Il n’y a pas de commune mesure entre l’engoue-
ment pour l’intérêt de l’approche « écologique » chez les spécialistes de neuropsycho-
logie adulte (dans l’héminégligence, la communication chez l’aphasique, les fonctions
exécutives, la mémoire et l’attention après un traumatisme cranio-cérébral ou dans les
maladies dégénératives) et les rares et récentes études chez l’enfant.
En effet, défendre une approche neuropsychologique des troubles du développement
ou des conséquences des lésions cérébrales nous amène à préconiser la passation de tests
standardisés, « modulaires », spécifiques de compétences dissociables. On rencontre
encore trop souvent des situations cliniques uniquement documentées à partir d’obser-
vations en situation, trop globales, trop « libres », menant à des constats d’échec ou d’in-
adaptation, où prédominent les interprétations psychoaffectives. En d’autres termes,
après avoir milité pour que les enfants rentrent en « laboratoire » passer des tests, nous
tardons à promouvoir une approche fonctionnelle, écologique, en situation de vie réelle.
Même si l’on sait que ces deux types d’évaluation sont complémentaires, on craint peut-
être de défaire un travail de sensibilisation à la neuropsychologie encore en cours.
Enfin, la présence « naturelle » des parents auprès de l’enfant n’a peut-être pas
toujours été un facteur favorisant les travaux visant à mesurer précisément les consé-
quences en termes d’incapacité et de dépendance, ou de besoins de compensation.
Une autre difficulté pour développer une évaluation fonctionnelle tient au caractère
évolutif et variable des compétences de l’enfant. On sait déjà que, « chez l’enfant, l’éva-
luation doit être réalisée en fonction de performances standardisées à chaque étape du
développement, d’où la lourdeur des standardisations : au stade de l’apparition du
langage et jusqu’à 3 ans, les standardisations doivent être réalisées de trois mois en trois
mois, puis jusqu’à 6 ans de six mois en six mois, on peut ensuite considérer des échan-
tillons contrôles portant sur une classe d’âge » (3).
Or, si on connaît les compétences attendues d’un enfant à un âge donné (en langage,
en graphisme, en raisonnement), l’utilisation qu’il en fait dans la vie quotidienne (s’ali-
menter, s’habiller, se rendre à l’école, communiquer, faire des achats, participer aux acti-
vités domestiques) est très dépendante des conditions éducatives et socioculturelles dans
lesquelles il grandit. Où est la « norme » ? Quels sont les écarts acceptés comme non
pathologiques ?
Objectifs de l’évaluation en vie quotidienne
Cette évaluation des troubles neuropsychologiques en vie quotidienne peut avoir deux
types d’objectifs : d’une part, l’évaluation peut viser à mesurer l’impact d’un trouble
neuropsychologique déjà identifié sur l’autonomie et l’indépendance, en termes d’inca-
pacités et de handicap. Si l’on dispose d’un moyen d’évaluation validé, ses résultats
peuvent être interprétés en référence à une norme pour l’âge, et la comparaison entre
deux passations pourra contribuer à apprécier l’évolution et l’effet des mesures mises en
place. D’autre part, l’évaluation peut permettre d’affiner et de compléter la démarche
diagnostique quand le bilan neuropsychologique classique paraît insuffisant pour définir
les besoins en rééducation, réadaptation ou compensation.
Évaluation … en vie quotidienne chez l’enfant 93
Comment est-on amené à préconiser ces évaluations ? Un enfant peut être adressé
pour une évaluation neuropsychologique par plusieurs biais : soit c’est à titre systéma-
tique en présence de facteurs de risque (traumatisme cranio-encéphalique, prématurité,
faible poids de naissance, lésion cérébrale précoce ou acquise), soit c’est du fait des
plaintes de l’entourage familial ou scolaire quant aux acquisitions, aux apprentissages, au
comportement. Les données de l’anamnèse et l’examen clinique guident vers une suspi-
cion d’un ou de plusieurs troubles neuropsychologiques, parfois aussi vers d’autres types
de pathologies, sensitivomotrices ou psychoaffectives. Différentes épreuves spécifiques
permettront de contribuer à établir un diagnostic. Il peut parfois être difficile d’établir
que les déficiences électives observées (trouble de la parole, trouble de la mémoire,
trouble de l’analyse visuo-spatiale, etc.) soient réellement responsables de la gêne
rapportée en vie quotidienne. Cela est d’autant plus complexe que les troubles sont
anciens (lésion précoce ou trouble du développement) et (ou) intriqués avec une symp-
tomatologie psychoaffective, dans un contexte éducatif toujours particulier :
si ce garçon de 10 ans, deux ans après un traumatisme cranio-encéphalique, ne s’ha-
bille pas seul le matin, est-ce lié au trouble des fonctions exécutives mis en évidence au
bilan, à l’attitude protectrice des parents sensibles aux difficultés de leur enfant, au
manque d’entraînement, aux éléments anxiodépressifs majorés par l’échec scolaire ?
– le bilan de cette adolescente, née prématurée, atteste de troubles d’orientation spatiale,
de troubles praxiques, de bonnes capacités exécutives et d’un grand manque de
confiance en soi ; à quels troubles attribuer sa lenteur en vie quotidienne, sa dépen-
dance vis-à-vis de ses parents pour se déplacer hors de son domicile ?
Il s’agit donc de chercher à mesurer le niveau d’indépendance et d’autonomie d’un
enfant dans tous les aspects de sa vie quotidienne en s’attachant à établir un lien de cause
à effet entre les éléments du bilan neuropsychologique classique et les difficultés et
compensations observées.
Les moyens d’évaluation
Il existe trois façons d’aborder cette évaluation : le recueil d’informations auprès de l’en-
fant et de son entourage, l’observation directe dans son milieu de vie et la mise en situa-
tion simulant la vie quotidienne.
Le recueil d’informations
Le recueil d’informations auprès de l’enfant, de sa famille et de ses enseignants est un
temps capital de la démarche clinique. Qu’il soit dénommé interrogatoire, entretien ou
réunion d’équipe éducative, ce temps permet d’entendre les observations et interroga-
tions d’un entourage particulièrement attentif, concerné, intuitif. Cela oriente le
diagnostic et renseigne considérablement sur le retentissement fonctionnel des troubles.
C’est une approche avant tout qualitative et peu reproductible.
La définition même des troubles spécifiques des apprentissages dans la CIM 10 (4)
ou le DSM IV (5) comprend ce critère de retentissement conséquent sur la vie quoti-
dienne indispensable au diagnostic. Des questionnaires ou inventaires, généralistes
ou spécifiques, peuvent rendre compte du niveau d’efficacité ou de dépendance sans
94 Évaluation des troubles neuropsychologiques en vie quotidienne
toutefois établir clairement la responsabilité d’un trouble neuropsychologique précis.
Néanmoins, plusieurs questionnaires ont été développés pour évaluer différentes fonc-
tions cognitives et leur retentissement dans la vie quotidienne, nous les détaillerons ulté-
rieurement. Ils peuvent se révéler très utiles.
Ces données doivent bien sûr être confrontées aux résultats du bilan neuropsycho-
logique classique. En effet, il est fréquent que les renseignements fournis par l’entourage
non spécialiste ne suffisent pas à déterminer l’origine neuropsychologique des difficultés
fonctionnelles observées. Par exemple, la famille ne parvient pas toujours à comprendre
pourquoi l’enfant ne s’habille pas seul avant d’aller en classe (difficultés d’orientation
spatiale, de prise d’initiative, lenteur, opposition ?) ou pourquoi les leçons longuement
apprises ne sont pourtant pas restituées (difficultés neurovisuelles, attentionnelles,
mnésiques ?)
L’observation directe de l’enfant dans son milieu de vie
On dispose chez l’enfant d’un outil généraliste standardisé, validé, adapté de la version
originale adulte, la MIF Mômes (6). Cette grille d’observation est conçue pour observer
en situation réelle le degré de dépendance/d’indépendance de l’enfant vis-à-vis d’une
personne aidante, en cotant de 1 (dépendance totale) à 7 (indépendance complète)
18 activités de la vie quotidienne. Cet instrument de mesure très apprécié est devenu
incontournable dans les services de médecine physique et de réadaptation de l’enfant et
les critiques les plus importantes qui lui sont faites concernent justement la part trop
limitée accordée au retentissement des troubles neuropsychologiques. Le score
maximum relatif aux 12 items liés à la motricité (au sens large) est de 84 points, alors
que le score maximum dans le domaine cognitif et comportemental est seulement de
35 points. Pour les items « compréhension, expression, interaction sociale, résolution de
problèmes et mémoire », la cotation s’avère moins facile et moins fiable que le reste de
l’échelle.
Certains outils d’évaluation du retentissement fonctionnel ont été développés spéci-
fiquement pour des pathologies données. Par exemple, dans l’infirmité motrice céré-
brale, de nombreux praticiens ont été aidés par l’échelle de Tardieu (7) qui proposait une
gradation de 0 à 4 quelle que soit la difficulté observée (la marche, la parole, la préhen-
sion, etc.). La cotation 0 signifie qu’aucun trouble n’est décelable, 1 que le trouble est
décelable seulement par un spécialiste et peu gênant, 2 que le trouble est aisément
constatable par un observateur ordinaire sans être bien gênant, 3 que la gêne limite l’ac-
tivité et 4 qu’il interdit tout usage fonctionnel. Malgré l’absence de validation et la confu-
sion entre déficience, incapacité et désavantage, cette appréciation quantitative rapide fut
appréciée et utilisée par les équipes.
Proposée également dans l’infirmité motrice cérébrale, la notion d’âge fonctionnel
cherche à situer à un moment donné le niveau d’efficacité réelle atteint par un enfant
dans un domaine précis. Les acquisitions observées sont analysées en référence aux âges
moyens d’acquisition connus au cours du développement de l’enfant indemne et un
« âge fonctionnel » était ainsi attribué. Surtout appliquée là encore dans le domaine
moteur, cette approche est également préconisée pour les activités constructives et
graphiques (« jeux »). Le suivi longitudinal d’un même enfant, traduit par un graphique
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