NOVEMBRE 2014 VOL. 35 / NUMÉRO 4 STRATÉGIE MARITIME QUELLES RETOMBÉES POUR LES MUNICIPALITÉS ? • PARLONS AUTONOMIE MUNICIPALE : ENTRETIENS AVEC ARTHUR FAUTEUX ET RÉGIS LABEAUME • PROGRAMME DE COOPÉRATION MUNICIPALE HAÏTI-CANADA : UNE HISTOIRE DE SOLIDARITÉ URBA LE MAGAZINE DE L’UNION DES MUNICIPALITÉS DU QUÉBEC D DOSSIER DU MOIS NOVEMBRE 2014 // P 14 STRATÉGIE MARITIME QUELLES RETOMBÉES POUR LES MUNICIPALITÉS ? Le gouvernement du Québec vient de lancer la toute première stratégie maritime de son histoire. L’objectif est clair : développer le potentiel maritime du Québec et créer de l’emploi, tout en assurant la protection de ce cours d’eau unique au monde. Pour les municipalités, les enjeux sont cruciaux et les retombées potentielles nombreuses. Au menu du dossier : un entretien avec le ministre Jean D’Amour et le portrait de différentes municipalités le long du fleuve, de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent. Par Jules Chamberland-Lajoie et Jean-François Théorêt (Photos : Ville de Rimouski, Ville de Sept-Îles, Port de Sept-Îles) NOVEMBRE 2014 // P 15 D DOSSIER DU MOIS ENTREVUE AVEC LE MINISTRE JEAN D’AMOUR Afin de mieux connaître les orientations du gouvernement dans le déploiement de sa stratégie maritime, URBA a rencontré monsieur Jean D’Amour, autrefois maire de Rivière-du-Loup, aujourd’hui ministre délégué aux Transports et à l’Implantation de la stratégie maritime. URBA : Monsieur le ministre, pouvez-vous nous présenter les grandes lignes de la stratégie maritime ? Je vais vous raconter l’histoire telle que je l’ai vécue. Revenons au mois de juin 2013. Je suis à Rivière-du-Loup sur la terrasse de l’Auberge de la Pointe et mon futur premier ministre, Monsieur Couillard, me parle pour la première fois de sa vision maritime pour le Québec. Il me propose, séance tenante, de chapeauter le groupe de travail pour élaborer cette première stratégie maritime pour le Québec. « Notre stratégie doit toucher tous les aspects de la vie maritime au Québec, mais surtout qu’elle ait pour objectif de créer des emplois », m’a-t-il mentionné à ce moment-là. La première politique maritime dont s’est doté le Québec remonte à 2001, et elle n’est pas complète. Le mandat du premier ministre est simple : tout ce qui est favorable au développement des communautés locales est bon dans la stratégie maritime. Différents projets pullulent de partout au Québec et l’élan qu’on veut donner au transport maritime, c’est 30 000 emplois sur un horizon de quinze ans. C’est aussi quatre milliards d’investissement privé et public sur la même période. LE RÔLE DES MUNICIPALITÉS SERA DE PROPOSER ET NOUS, DE LES ACCOMPAGNER. LA MUNICIPALITÉ, C’EST UN PARTENAIRE, C’EST UN NIVEAU DE GOUVERNEMENT DE PROXIMITÉ DONT ON SE DOIT DE SE PRÉVALOIR. Prenons l’industrie des croisières. Que ce soit aux Îles, à Gaspé, à Trois-Rivières, à Québec ou à Montréal, l’industrie des croisières est en pleine explosion ! Il faut donc s’interroger pour identifier les infrastructures dont l’industrie a besoin pour bien se développer. Nos ports de mer peuvent être développés davantage. On veut consolider nos ports, développer nos chantiers maritimes et former le monde dont on a besoin. On veut relancer l’industrie du cabotage. Toute la question de l’économie bleue et des biotechnologies marines constituent un enjeu majeur. La stratégie fait appel au savoir, à l’expertise et à la main d’œuvre. NOVEMBRE 2014 // P 16 La stratégie veut aussi saisir les opportunités. Parmi celles-ci, il y a l’entente de libre-échange avec l’Union européenne, qui nous donnera accès à un bassin de consommateurs supplémentaires de 350 millions de personnes ! Avec notamment l’élargissement du canal de Panama, le fleuve Saint-Laurent va forcément accueillir des navires de plus grande dimension et notre industrie devra s’y adapter. La stratégie maritime, c’est aussi l’occasion de supporter les communautés locales, que ce soit une petite municipalité ou une ville de plus grande dimension. Nous voulons épauler les communautés dans leurs négociations avec le gouvernement fédéral lorsqu’elles souhaitent acquérir des infrastructures portuaires. Il y a peut-être aussi des ports que le Québec aurait intérêt à récupérer. Tout cela fait partie de notre réflexion. Je terminerai avec la Société des traversiers du Québec (STQ), un moteur économique et social fabuleux dont on ne parle pas assez souvent. Au cours de la dernière année d’opérations, pas moins de 5,2 millions de personnes ont pris place dans nos bateaux ! On veut élargir le mandat de la STQ pour reconnaître d’autres traverses sur le Saint-Laurent ou sur les lacs. Nous voulons les supporter et en bénéficier économiquement par l’arrivée de nouveaux touristes. Plus spécifiquement, quel rôle donnez-vous aux municipalités dans cette stratégie, et quel mandat souhaitez-vous que l’UMQ remplisse ? Le monde municipal au Québec possède un pouvoir qui n’est régi par aucune loi, un pouvoir qui est incontesté parce qu’incontestable. C’est ce que moi j’ai toujours appelé à l’époque où j’étais maire, le pouvoir de l’initiative. Le monde municipal a le pouvoir de proposer des projets de développement qui sont collés à nos réalités. Ce que je souhaite, c’est que la stratégie maritime au Québec prenne les couleurs des régions. À Trois-Rivières, le développement maritime se fait d’une manière, à Sept-Îles il se fait d’une autre manière et à Rimouski, c’en est encore une autre. Alors identifions les projets ou les infrastructures que l’on détient présentement qui permettront au Québec d’aller plus loin ! Rimouski, véritable lieu de convergence de l’industrie, joue un rôle vis-à-vis des communautés de la Côte-Nord. Est-ce que Valleyfield, par exemple, peut nous amener ailleurs dans la desserte de chacune des communautés nordiques ? Ainsi, moi ce que je souhaite au niveau municipal, c’est que les municipalités soient davantage partenaires et collées à l’industrie, que ce soit par des administrations portuaires ou une présence au Forum maritime du Québec. Elles ont des choses à dire ! Je regarde Rivière-du-Loup, ma ville, où on me propose actuellement le projet d’un Carrefour maritime, un lieu de convergence et de concertation pour mieux développer le fleuve, pour mieux développer Rivièredu-Loup à partir du fleuve. Pourquoi ne pas multiplier cela à Matane, à New-Richmond ou à d’autres communautés ? Je pense que le rôle municipal est très important. C’est pour cela que je parle du pouvoir de l’initiative. Le rôle des municipalités sera de proposer et nous, de les accompagner. Si le fédéral est appelé, on ira négocier, ensemble, sur la même ligne de front. Je me réjouis du fait que l’Union des Municipalités du Québec soit là, que non seulement elle tende la main, mais dise aussi : « on est là et on veut aider ». La municipalité, c’est un partenaire, c’est un niveau de gouvernement de proximité dont on se doit de se prévaloir. Quand on parle de stimuler le développement économique, pouvez-vous nous donner des exemples plus concrets dont bénéficieront directement les municipalités ? Notre gouvernement aborde le développement maritime sous l’angle de l’intermodalité et nous voulons mettre à contribution la complémentarité des réseaux ferroviaire et routier. À ce sujet, nous comptons établir un pôle logistique en Montérégie dans les secteurs de Vaudreuil-Soulanges et de Contrecoeur. Le Québec a construit l’Autoroute 30, mais encore faut-il en bénéficier économiquement ! Nous voulons donc maximiser les retombées tout au long de ce parcours dans Vaudreuil-Soulanges. Contrecoeur quant à elle, très liée au développement du port de Montréal, se doit de connaître un bon développement. Cela passe aussi par la formation. L’École des pêches et de l’aquaculture de GrandeRivière en Gaspésie, c’est un moteur économique auquel on doit s’attarder pour lui donner un nouveau souffle. L’Institut maritime à Rimouski est non seulement bon pour la ville, mais aussi pour tout le Québec. On a une pénurie de main d’œuvre dans le milieu maritime, il va bien falloir s’y attarder et l’Institut maritime va jouer un rôle de premier plan. Il en va de même pour le réseau universitaire. Je pense que le bénéfice ultime, c’est la création d’emplois. Je vous donne un exemple. Un bateau de croisière se présente aux Îles-de la-Madeleine. Une fromagerie et une poissonnerie se trouvent près du port. On y a acheté en un seul coup pour 5 000 $ de fromage et 8 000 $ de poisson ! Ce dont les municipalités ont besoin, c’est d’activité économique. Parfois cela passe par des parcs industriels mais dans d’autres cas il y a des ports de mer qui accueillent des croisières et des bateaux qui font du transport de marchandises. Le port de Québec, pas seulement au niveau des croisières, est en pleine effervescence. De mon bureau, je vois arriver au quotidien des navires de partout dans le monde qui viennent procéder à des chargements de vrac. Mais davantage d’activité économique sur le Saint-Laurent implique davantage de circulation maritime, et forcément davantage de risques environnementaux. Prévoit-on dans la stratégie des mesures visant à mieux protéger l’environnement et mieux outiller les municipalités dans un tel mandat ? S’il y a une société dans le monde qui est bien équipée, c’est le Québec, sur différents fronts et différents volets. Tout d’abord, nos chantiers maritimes figurent parmi les plus performants et honnêtement, ils sont capables d’en recevoir davantage. Aussi, Urgence-Environnement est une escouade extraordinaire qui fait un travail fabuleux. Ultimement, si un accident ou un déversement de quelque matière que ce soit arrivait, on exigerait de la part des utilisateurs du fleuve qu’ils soient aussi payeurs. Et n’oublions pas qu’une responsabilité fédérale existe dans de tels cas. Nous sommes donc structurés à tous les niveaux. Maintenant, pour donner un nouvel élan, il faudra probablement qu’on s’ajuste dans le temps. Mais nous sommes une des sociétés dans le monde qui, sur le plan de l’environnement, avons le mieux planifié ce type d’intervention. S’il y a un niveau de transport qui est à la fois respectueux de l’environnement mais surtout sécuritaire, c’est bien le secteur maritime. NOVEMBRE 2014 // P 17 D DOSSIER DU MOIS MONTÉRÉGIE, PLAQUE TOURNANTE DU TRANSPORT INTERMODAL D’est en ouest, la Montérégie offre des opportunités logistiques incontournables en transport maritime, ferroviaire et routier. Point d’entrée et de sortie tout désigné pour le transport de produits destinés aux marchés nord-américain et d’outre-mer, la région constitue un lieu de choix pour faciliter la manutention, l’assemblage, l’entreposage et l’expédition de marchandises. Avec l’ouverture des marchés internationaux, il s’agit d’une opportunité en or pour les entrepreneurs et leaders locaux. Une opportunité que les MRC de Marguerite-D’Youville et de Vaudreuil-Soulanges comptent bien saisir. accès aux marchés ontarien et américain, en plus d’être desservie par une voie ferrée appartenant au CN. Finalement, l’aéroport de Saint-Hubert est à proximité et peut être utilisé pour du fret aérien. Il est estimé que quelque 150 hectares de terrains sont disponibles dès maintenant pour des activités de logistique de transport et qu’environ 130 hectares supplémentaires pourraient éventuellement être réservés pour de telles activités. Selon Suzanne Dansereau, préfet de la MRC de Marguerite-D’Youville et mairesse de Contrecœur, ce projet est porteur, comme en témoignent l’établissement de nouvelles entreprises et l’injection d’investissements majeurs dans la région. En effet, Jean-Coutu a récemment établi ses opérations et son siège social à Varennes, où Transport Robert construira également de nouvelles installations. Ajoutons la compagnie Logistec qui a grandement investi en équipements lourds à Contrecœur. « Notre MRC est située dans la principale région manufacturière du Québec, ce qui facilite l’acceptabilité sociale d’un tel projet », fait remarquer Madame Dansereau. VAUDREUIL-SOULANGES, VÉRITABLE PÔLE DE CRÉATION D’EMPLOIS Depuis 2009, la MRC de Marguerite-D’Youville planche sur l’établissement d’un pôle logistique à Contrecœur, une municipalité idéalement située sur les rives du fleuve Saint-Laurent. Le Port de Montréal y possède 468 hectares de réserve foncière, soit 3 kilomètres de façade directement sur le fleuve, et désire y établir de nouvelles installations de transit de conteneurs afin d’amorcer dès 2020 ses activités commerciales. Les entreprises s’installant dans ce pôle logistique auront ainsi un accès direct au transport maritime, facilitant grandement le transport de marchandises en direction et en provenance de l’Europe. La stratégie maritime du gouvernement du Québec inclut la redynamisation du cabotage entre les différents ports du Saint-Laurent. Le projet de la MRC de Marguerite-D’Youville s’inscrit logiquement dans cette démarche puisque ses infrastructures routières, grâce aux autoroutes 30 et 132, donnent NOVEMBRE 2014 // P 18 Le transport intermodal est très développé dans la MRC de Vaudreuil-Soulanges, où on travaille depuis une douzaine d’années sur un projet qui cherche à créer plus de 10 000 emplois. « On estime que 80 % des marchandises transitant au Québec passent par notre territoire, par camion ou par train », évalue Julien Turcotte, directeur général du Centre local de développement de la MRC. Il s’agit donc d’un endroit tout désigné pour établir un pôle logistique de grande envergure ! Vaudreuil-Soulanges jouit d’un réseau routier idéal avec un accès à l’Autoroute 20 et l’Autoroute 30 récemment terminée. Cette dernière permet aux camions de contourner Montréal pour gagner les États-Unis, l’Ontario et les autres régions du Québec. De plus, les marchandises en provenance de l’Asie destinées au marché québécois arrivent par train après être entrées au Canada par la Colombie-Britannique. Elles doivent donc transiter LES ENTREPRISES S’INSTALLANT DANS CE PÔLE LOGISTIQUE AURONT UN ACCÈS DIRECT AU TRANSPORT MARITIME, FACILITANT GRANDEMENT LE TRANSPORT DE MARCHANDISES EN DIRECTION ET EN PROVENANCE DE L’EUROPE. par Vaudreuil-Soulanges grâce aux chemins de fer du CN et du CP, toutes deux en doubles voies dans cette partie du territoire. Les infrastructures routières et ferroviaires ne nécessiteront donc pas de mise à niveau importante. Une connexion pourra également être établie avec les nouvelles infrastructures établies à Valleyfield grâce à l’entreprise CSX, ce qui permettra de desservir rapidement et aisément les États-Unis par train. Le projet de Vaudreuil-Soulanges peut paraître assez simple et ressembler à un grand parc industriel avec ses 500 hectares disponibles pour la construction d’entrepôts et de centres de distribution et d’assemblage. Cependant, Monsieur Turcotte précise que la MRC désire en faire un pôle « intelligent » : utiliser les nouvelles technologies dans le but de maximiser l’espace disponible et être plus efficient dans la gestion du flot de transport. « C’est une clientèle à haute valeur ajoutée qu’on cherche à attirer : une qui fera plus que de la simple manutention, mais aussi de l’assemblage. Et nous visons également les entreprises de grande distribution », conclut Monsieur Turcotte. Comité sur la stratégie maritime de l’UMQ Le mandat du comité sur la stratégie maritime de l’UMQ est de se donner une voie commune pour établir les priorités municipales et positionner les municipalités comme des partenaires incontournables de cette stratégie. Le comité compte s’assurer que les municipalités soient consultées dans l’élaboration et le déploiement de la stratégie et contribuent ainsi à donner un réel élan au potentiel maritime du Québec. Un engagement sans faille depuis plus de 50 ans dans la représentation et la défense des institutions municipales Municipal Travail Immobilier Montréal Trois-Rivières Joliette NOVEMBRE 2014 // P 19 D DOSSIER DU MOIS RIMOUSKI, OU L’HISTOIRE D’UNE ÉCONOMIE TOUT DE BLEU L’économie maritime a façonné l’identité du Bas-Saint-Laurent. La pêche, la construction navale et le transport maritime de marchandise ont toujours fait partie intégrante de son développement. La municipalité de Rimouski a poussé l’exercice plus loin en s’efforçant de devenir la référence maritime au Québec. Le développement des infrastructures et de l’économie maritimes dans la région de Rimouski ne date pas d’hier. Que ce soit l’installation d’une station météorologique et d’un maréomètre au 19ème siècle, ou la création de l’Institut maritime du Québec en 1944, en passant par l’Institut MauriceLamontagne en 1987 et le plus récent Institut des sciences de la mer (ISMER) en 1999 : « lorsqu’on remonte l’histoire de Rimouski, on réalise que c’est de l’eau salée qui nous coule dans les veines ! », lance d’emblée monsieur Éric Forest, maire de Rimouski et président du Comité sur la stratégie maritime de l’UMQ. Il est donc naturel que tous les acteurs de développement de la région aient désiré axer le développement de l’économie régionale vers l’économie maritime. Le sommet de 1982 sur le développement du comté de Rimouski a véritablement permis d’affermir un créneau d’excellence autour de la thématique maritime. Une volonté qui s’est concrétisée au début des années 2000. « Dans le cadre de notre stratégie de développement économique, on s’est donné une stratégie additionnelle. À Rimouski, on s’est carrément positionné comme la technopole maritime du Québec avec une forte concentration de chercheurs dans le domaine des biotechnologies marines », affirme Monsieur Forest. UNE ÉCONOMIE BLEUE TOURNÉE VERS LE MONDE Il va sans dire que l’industrie maritime est bien implantée à Rimouski. Mais il est important de noter NOVEMBRE 2014 // P 20 que cette économie est avant tout une économie du savoir orientée vers l’avenir. De nombreux organismes et instituts de recherche, de formation et d’enseignement y sont regroupés, tous axés vers l’innovation et le développement des connaissances maritimes. Selon monsieur Serge Demers, directeur de l’ISMER de 1999 à 2014, « cette grande concentration de connaissances procure un rayonnement national et international, ce qui amène naturellement les entreprises tournées vers l’économie bleue à graviter autour et à éventuellement désirer s’installer à Rimouski. » Nous entendons par économie bleue différentes activités en émergence dans les domaines logistique, énergétique, alimentaire et même médical. Tous ces secteurs présentent un fort potentiel d’innovation, de croissance, d’emplois de grande qualité et sont vus comme étant l’économie du futur. Et les résultats ne se font pas attendre ! L’agence argentine Comodoro Conocimiento a fait l’acquisition, au coût de plusieurs millions de dollars, de bouées électroniques conçues à Rimouski et servant à recueillir et traiter les données océanographiques et ainsi prévenir les déversements pétroliers. Les opportunités d’affaires seront donc certainement nombreuses. De plus, une quinzaine de chercheurs de l’ISMER et de l’Institut MauriceLamontagne ont participé à une vaste étude sur la santé de l’écosystème et de la géologie marine du golfe de San Jorge en Argentine à bord du navire océanographique Coriolis II, un navire interuniversitaire rimouskois dédié à l’enseignement et à la recherche en milieu marin. UNE MUNICIPALITÉ QUI SUPPORTE ET ACCOMPAGNE Le support de l’industrie par la municipalité est indispensable à son développement, ce que Rimouski a fait de plusieurs manières. Avec le sommet de 1982 et l’accord du début des années 2000, la ville a dû porter cette vision, ce que Monsieur Forest continue à faire : « quand je fais des interventions et que je parle de l’avenir de Rimouski, immanquablement je parle de notre pôle d’excellence. À partir du moment où les élus adhèrent à ce consensus, on a la responsabilité de faire embarquer la population derrière cette vision. » Le nerf de la guerre demeure toutefois financier, ce que les élus de Rimouski ont su vite comprendre en finançant notamment le Centre de recherche sur les biotechnologies marines (CRBM), un centre « LORSQU’ON REMONTE L’HISTOIRE DE RIMOUSKI, ON RÉALISE QUE C’EST DE L’EAU SALÉE QUI NOUS COULE DANS LES VEINES ! » - Éric Forest, maire de Rimouski des mieux équipé au Canada, à coups de plus de 400 000$ en subventions. « Mais on est allé plus loin. On a créé un environnement fiscal qui incite les entreprises à investir dans ce secteur. On a aussi mis en place des conditions de zonage pour inciter davantage d’investissements dans ce secteur », poursuit le maire de Rimouski. commerciales et de plaisance sillonnant les Grands Lacs et le Saint-Laurent. Une entente de partenariat a d’ailleurs été conclue entre l’OGSL et la municipalité de Sept-Îles pour développer un projet de collecte de données sur l’effet de l’air de la région sur la qualité de l’eau du Saint-Laurent. Bref, pour paraphraser Edith Piaf, il semblerait que Rimouski voit la vie en… bleu ! L’appui des élus envers cette industrie constitue un atout de taille et un fort argument de vente, ce qui légitimise la démarche. À preuve, selon Monsieur Demers, « l’appui marqué de la municipalité s’est avéré crucial dans l’obtention des contrats avec l’agence Comodoro Conocimiento. C’est ce qui a fait la différence et qui a permis de conclure l’entente. » Mondialement reconnue pour son savoir maritime et son économie bleue, Rimouski sera inévitablement appelée à partager son expertise avec les autres régions du Québec dans le cadre de la nouvelle stratégie maritime. Plusieurs ententes de partenariats ont d’ailleurs été conclues avec différentes municipalités riveraines. Par exemple, l’Observatoire Global du Saint-Laurent (OGSL) a conçu un outil de consolidation de données marines destiné aux embarcations NOVEMBRE 2014 // P 21 D DOSSIER DU MOIS SEPT-ÎLES, PONT MARITIME VERS LE PLAN NORD Forte d’infrastructures portuaires avant-gardistes et d’un positionnement géographique des plus optimal, la Ville de Sept-Îles émerge comme un acteur clé de la stratégie maritime. Plan Nord oblige, la municipalité veut s’assurer que ses diverses initiatives déjà entamées y soient bien imbriquées. Portrait d’un véritable fleuron du potentiel économique maritime québécois. Le Port en eau profonde de Sept-Îles, qui comprend pas moins de treize quais, est le plus important port minéralier du Canada. Ce n’est pas tout, grâce à des investissements de 220 millions, la ville est sur le point d’inaugurer le plus grand quai multiusagers en Amérique du Nord ! Ce nouveau quai constitue un élément clé du Plan Nord, puisqu’il permettra d’expédier par le Fleuve différentes ressources naturelles extraites de plusieurs projets miniers en Côte-Nord et dans le Nord du Québec. Les plus grands vraquiers de la planète, communément appelés « Chinamax », pourront dorénavant y accoster, améliorant ainsi, grâce à une meilleure efficacité opérationnelle et une plus grande capacité de chargement, la compétitivité des entreprises œuvrant dans la région et la fosse du Labrador. Les coûts de transport seront substantiellement diminués puisqu’il y aura moins d’émissions de gaz à effet de serre et moins de navires à mouiller dans la baie. Qui dit multiusagers parle aussi d’un financement qui ne provient pas d’une seule et même source. Le maire de Sept-Îles, monsieur Réjean Porlier, croit d’ailleurs qu’il ne revient pas qu’au gouvernement de financer ces infrastructures : « depuis le tout début, nous considérons que ce projet doit être développé en partenariat avec tous ses présents et futurs usagers. » COMPLÉMENTARITÉ ET FLUIDITÉ DU TRANSPORT Sept-Îles parle depuis longtemps de cette Route bleue qu’est le Fleuve Saint-Laurent. Mais ses infrastructures portuaires ne suffisent pas à maximiser le développement économique qu’offre la voie maritime. Le déploiement optimal d’un réseau maritime implique une fluidité du transport des marchandises aux différents quais, c’est pourquoi les infrastructures complémentaires doivent être au rendez-vous. Une complémentarité que le gouvernement semble vouloir préconiser, notamment en favorisant le cabotage. « C’est avec un grand soulagement que nous à Sept-Îles, et probablement la majorité des municipalités de la Côte-Nord, prenons acte de cette volonté du gouvernement de relancer le cabotage sur le Saint-Laurent. Cela nous permettra entre autres de désengorger la route 138, notre seule voie routière ! », se réjouit Monsieur Porlier. Toutefois, une problématique subsiste au niveau du transport ferroviaire puisque l’intermodalité n’est pas assez bien développée dans la région, limitant de nombreuses opportunités de croissance. La stratégie maritime doit donc s’assurer de bien adapter son approche selon les besoins en NOVEMBRE 2014 // P 22 infrastructures et les forces déjà existantes dans chaque région. « Pour notre municipalité, la réfection du parc d’hivernage et l’accessibilité au quai multiusagers doivent être priorisées, leurs impacts sur l’économie locale et surtout la création d’emplois sont déterminants », milite le maire de Sept-îles. TOURISME ET DÉVELOPPEMENT DURABLE TEINTS DE BLEU Le positionnement de la Baie de Sept-Îles confère à la municipalité un statut tout désigné pour l’activité industrielle, nous l’avons bien constaté, mais également touristique. Ceci est vrai pour les bateaux de plaisance qui peuvent venir s’y abriter lors de tempêtes, mais aussi pour les bateaux de croisière dont le gouvernement semble vouloir amplifier la présence dans le Saint-Laurent. « Nous l’encourageons à continuer à développer ce créneau et d’inclure Sept-Îles parmi les arrêts de choix le long du Fleuve », poursuit Réjean Porlier. Au niveau environnemental, en plus de devoir assurer des mesures de sécurité de base associées au transport pétrolier sur le Fleuve, une attention toute particulière doit être investie pour protéger les berges et cours d’eau qui alimentent le SaintLaurent. Quand on parle d’augmenter le potentiel économique d’un écosystème fragile et complexe comme le Saint-Laurent, l’aspect de développement durable ressort forcément. « À Sept-Îles comme ailleurs, de nombreuses problématiques environnementales continuent à émerger, notamment le phénomène d’érosion des berges. Nous comptons sur la vigilance du gouvernement pour que sa stratégie maritime augmente le potentiel économique du Saint-Laurent, oui, mais toujours dans une perspective de viabilité durable », conclut Monsieur Porlier. Transport de pétrole sur le fleuve Saint-Laurent En septembre dernier, les riverains du Fleuve Saint-Laurent ont vu passer l’un des plus gros pétroliers à avoir navigué sur cette voie maritime. La compagnie Kildair, située à SorelTracy, a modifié ses installations afin de pouvoir recevoir davantage de pétrole de la compagnie Suncor. Ce pétrole, qui provient des sables bitumineux de l’Ouest canadien, est ensuite exporté par bateau. La présence de ce super pétrolier a suscité de nombreuses craintes parmi la population et soulevé des questions importantes sur notre état de préparation en cas de déversement dans le fleuve, qui rappelons-le, est la source d’eau potable de trois millions de Québécois. Selon les règles du gouvernement fédéral actuelles, les compagnies pétrolières ont la responsabilité de signaler et d’intervenir en cas de déversement. Au Québec, ces compagnies ont confié ce mandat à la Société d’intervention maritime de l’Est du Canada (SIMEC) qui doit, dans un délai « LA RÉFECTION DU PARC D’HIVERNAGE ET L’ACCESSIBILITÉ AU QUAI MULTIUSAGERS DOIVENT ÊTRE PRIORISÉES, LEURS IMPACTS SUR L’ÉCONOMIE LOCALE ET SURTOUT LA CRÉATION D’EMPLOIS SONT DÉTERMINANTS » – Réjean Porlier, maire de Sept-Îles de 72 heures, avoir la capacité de faire face à un déversement de 10 000 tonnes d’hydrocarbures. Or, les plus gros pétroliers peuvent stocker à leur bord plus de 150 000 tonnes. Les municipalités riveraines n’ont pas les équipements nécessaires pour agir en cas de déversement ni de plan d’urgence coordonné avec les autres intervenants, dont le gouvernement du Québec. Questionné à ce sujet le 1er octobre dernier, le premier ministre Couillard a admis qu’un problème de sécurité existait et que la stratégie maritime du Québec devra répondre à cet enjeu majeur pour la sécurité des populations riveraines et de l’environnement. À SURVEILLER L’UMQ organise un Forum municipal sur la sécurité du transport maritime en janvier 2015 à Lévis. NOVEMBRE 2014 // P 23 D DOSSIER DU MOIS LES QUAIS, CŒURS FRAGILES DES COMMUNAUTÉS CÔTIÈRES On y va souvent pour pêcher, on y va beaucoup pour discuter. À Percé, il accueille 400 000 personnes chaque année. Lieux centraux de la vie communautaire et infrastructures patrimoniales essentielles au développement touristique et économique local, les quais au Québec sont en très mauvais état. En attendant le déploiement de la stratégie maritime et le dévoilement du nouveau programme fédéral de rétrocession des quais, prévu pour l’hiver 2015, les maires et leurs communautés se mobilisent pour sauver leurs quais du délabrement. À Carleton-sur-Mer, ce concept de réaménagement est porté par l’ensemble des acteurs locaux. Par Clément le Quintrec, chargé de projets aux politiques Pour Denis Henry, le maire de Carleton-sur-Mer, « les quais sont l’âme de nos communautés », où se retrouvent résidents et touristes, jeunes et plus âgés, pour la vue ou pour la pêche. Ces infrastructures cruciales sont pourtant nombreuses à arriver à leur fin de vie utile et les efforts de rénovation se font attendre. Faute de rénovations et soumis à une érosion de plus en plus importante, certains quais sont clôturés par mesure de sécurité. Les quais les plus importants sont la propriété de Transports Canada alors que les plus petits appartiennent à Pêches et Océans Canada. Depuis 1996, Transports Canada a fermé ou transféré la propriété de 549 de ses quais. De ce chiffre, 24 sont encore de possession fédérale et 15 se situent au Québec. Or, les municipalités ne sont pas prêtes à se faire céder des quais qui nécessitent des rénovations qu’elles ne peuvent assumer à elles seules, d’autant plus que ces infrastructures rayonnent bien au-delà de leur territoire ! Pendant ce temps, bien des téméraires franchissent les clôtures dressées par le gouvernement fédéral pour continuer à pêcher et le problème reste entier. La sécurité des personnes n’est pas assurée et l’avenir des communautés côtières demeure en suspens, à défaut d’une stratégie régionale de développement et de financement des réfections. DES QUAIS À VOCATIONS MULTIPLIÉES Les difficultés de l’industrie forestière de ces dernières années ont largement réduit la fonction industrielle des quais, d’où était chargé le bois récolté dans l’arrière-pays. À Carleton-sur-Mer, la mariculture souffre aussi de l’incertitude autour de la réfection, malgré un potentiel de développement reconnu de tous. Le quai de Carleton-sur-Mer symbolise l’importance des quais pour le développement local, mais aussi la complexité d’intervenir sur ces infrastructures. On ne compte pas moins de six parties prenantes dans ce dossier ! Aux institutions fédérales s’ajoutent la Société des traversiers du Projet de réaménagement du quai de Carleton-sur-Mer NOVEMBRE 2014 // P 24 Québec, le ministère de Transports du Québec, le Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation et le ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire. Avec la ville, les pêcheurs, les mariculteurs et les plaisanciers, tous ces acteurs se sont concertés pendant deux ans pour proposer un réaménagement. Pêches et Océans Canada ainsi que Transports Canada réduisent d’autant plus leurs investissements lorsque les quais prennent une dimension plus récréotouristiques, dimension qui ne correspond pas à leurs champs de compétence. Ceci complique donc le financement des projets de réfection, qu’ils soient de 12 millions $ à Percé ou entre 15 et 20 millions $ à Carleton-sur-Mer, puisque ceux-ci misent sur des vocations industrielles comme la pêche, mais également sur le nautisme et le tourisme social qui dépassent les paramètres établis par les ministères fédéraux. DES EFFORTS BIENTÔT RÉCOMPENSÉS ? Aujourd’hui, la mobilisation des communautés côtières commence à porter ses fruits et le déploiement de la stratégie maritime devrait être la bougie d’allumage pour de nombreux projets à travers le Québec. Près de 50 ans après la création du bureau de l’aménagement de l’est du Québec, la mobilisation de la population et des élus des communautés côtières pour sauver leurs quais incarne une nouvelle façon de faire de la planification régionale. La réfection du quai de Carleton-sur-Mer, signifiant l’abandon de sa fonction industrielle, permettra au AUJOURD’HUI, LA MOBILISATION DES COMMUNAUTÉS CÔTIÈRES COMMENCE À PORTER SES FRUITS ET LE DÉPLOIEMENT DE LA STRATÉGIE MARITIME DEVRAIT ÊTRE LA BOUGIE D’ALLUMAGE POUR DE NOMBREUX PROJETS À TRAVERS LE QUÉBEC. quai de Chandler d’accueillir les navires accostant auparavant à Carleton-sur-Mer. Les différents projets de réfection reflètent une véritable volonté de concertation des élus locaux. Pour s’assurer que les élus municipaux puissent faire entendre leur voix, l’UMQ a formé le 12 septembre dernier un comité sur la stratégie maritime pour défendre et positionner les municipalités comme partenaires incontournables du gouvernement. Longtemps délaissés par les paliers provincial et fédéral, les élus municipaux s’approprient plus que jamais l’enjeu des quais. On y voit une illustration phare de l’importance d’un leadership local concerté pour des communautés côtières fortes et déterminées ! Pour plus d’information sur les quais du Québec et leur sauvetage, le documentaire Quais-Blues, réalisé par Richard Lavoie en 2012, relate l’importance des quais pour les communautés côtières et les initiatives de ces citoyens pour les sauvegarder : www.quais-blues.ca NOVEMBRE 2014 // P 25