STRATÉGIE MARITIME

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NOVEMBRE 2014
VOL. 35 / NUMÉRO 4
STRATÉGIE MARITIME
QUELLES RETOMBÉES POUR
LES MUNICIPALITÉS ?
• PARLONS AUTONOMIE MUNICIPALE :
ENTRETIENS AVEC ARTHUR FAUTEUX ET RÉGIS LABEAUME
• PROGRAMME DE COOPÉRATION MUNICIPALE HAÏTI-CANADA :
UNE HISTOIRE DE SOLIDARITÉ
URBA LE MAGAZINE DE L’UNION DES MUNICIPALITÉS DU QUÉBEC
D
DOSSIER
DU
MOIS
NOVEMBRE 2014 // P 14
STRATÉGIE MARITIME
QUELLES RETOMBÉES POUR LES MUNICIPALITÉS ?
Le gouvernement du Québec vient de lancer la toute première stratégie maritime de son histoire. L’objectif
est clair : développer le potentiel maritime du Québec et créer de l’emploi, tout en assurant la protection
de ce cours d’eau unique au monde. Pour les municipalités, les enjeux sont cruciaux et les retombées
potentielles nombreuses. Au menu du dossier : un entretien avec le ministre Jean D’Amour et le portrait
de différentes municipalités le long du fleuve, de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent.
Par Jules Chamberland-Lajoie et Jean-François Théorêt
(Photos : Ville de Rimouski, Ville de Sept-Îles, Port de Sept-Îles)
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D
DOSSIER DU MOIS
ENTREVUE AVEC LE MINISTRE
JEAN D’AMOUR
Afin de mieux connaître les orientations du gouvernement dans le
déploiement de sa stratégie maritime, URBA a rencontré monsieur
Jean D’Amour, autrefois maire de Rivière-du-Loup, aujourd’hui ministre
délégué aux Transports et à l’Implantation de la stratégie maritime.
URBA : Monsieur le ministre, pouvez-vous nous
présenter les grandes lignes de la stratégie
maritime ?
Je vais vous raconter l’histoire telle que je l’ai
vécue. Revenons au mois de juin 2013. Je suis à
Rivière-du-Loup sur la terrasse de l’Auberge de
la Pointe et mon futur premier ministre, Monsieur
Couillard, me parle pour la première fois de sa
vision maritime pour le Québec. Il me propose,
séance tenante, de chapeauter le groupe de travail
pour élaborer cette première stratégie maritime
pour le Québec. « Notre stratégie doit toucher
tous les aspects de la vie maritime au Québec,
mais surtout qu’elle ait pour objectif de créer des
emplois », m’a-t-il mentionné à ce moment-là.
La première politique maritime dont s’est doté le
Québec remonte à 2001, et elle n’est pas complète.
Le mandat du premier ministre est simple : tout ce
qui est favorable au développement des communautés locales est bon dans la stratégie maritime.
Différents projets pullulent de partout au Québec
et l’élan qu’on veut donner au transport maritime,
c’est 30 000 emplois sur un horizon de quinze ans.
C’est aussi quatre milliards d’investissement privé
et public sur la même période.
LE RÔLE DES MUNICIPALITÉS SERA DE
PROPOSER ET NOUS, DE LES ACCOMPAGNER.
LA MUNICIPALITÉ, C’EST UN PARTENAIRE, C’EST
UN NIVEAU DE GOUVERNEMENT DE PROXIMITÉ
DONT ON SE DOIT DE SE PRÉVALOIR.
Prenons l’industrie des croisières. Que ce soit
aux Îles, à Gaspé, à Trois-Rivières, à Québec ou
à Montréal, l’industrie des croisières est en pleine
explosion ! Il faut donc s’interroger pour identifier
les infrastructures dont l’industrie a besoin pour
bien se développer. Nos ports de mer peuvent
être développés davantage. On veut consolider
nos ports, développer nos chantiers maritimes et
former le monde dont on a besoin. On veut relancer l’industrie du cabotage. Toute la question de
l’économie bleue et des biotechnologies marines
constituent un enjeu majeur. La stratégie fait appel
au savoir, à l’expertise et à la main d’œuvre.
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La stratégie veut aussi saisir les opportunités.
Parmi celles-ci, il y a l’entente de libre-échange
avec l’Union européenne, qui nous donnera accès
à un bassin de consommateurs supplémentaires
de 350 millions de personnes ! Avec notamment
l’élargissement du canal de Panama, le fleuve
Saint-Laurent va forcément accueillir des navires
de plus grande dimension et notre industrie devra
s’y adapter.
La stratégie maritime, c’est aussi l’occasion de
supporter les communautés locales, que ce soit
une petite municipalité ou une ville de plus grande
dimension. Nous voulons épauler les communautés dans leurs négociations avec le gouvernement
fédéral lorsqu’elles souhaitent acquérir des
infrastructures portuaires. Il y a peut-être aussi
des ports que le Québec aurait intérêt à récupérer.
Tout cela fait partie de notre réflexion.
Je terminerai avec la Société des traversiers du
Québec (STQ), un moteur économique et social
fabuleux dont on ne parle pas assez souvent.
Au cours de la dernière année d’opérations, pas
moins de 5,2 millions de personnes ont pris place
dans nos bateaux ! On veut élargir le mandat de
la STQ pour reconnaître d’autres traverses sur le
Saint-Laurent ou sur les lacs. Nous voulons les
supporter et en bénéficier économiquement par
l’arrivée de nouveaux touristes.
Plus spécifiquement, quel rôle donnez-vous
aux municipalités dans cette stratégie, et quel
mandat souhaitez-vous que l’UMQ remplisse ?
Le monde municipal au Québec possède un
pouvoir qui n’est régi par aucune loi, un pouvoir
qui est incontesté parce qu’incontestable. C’est
ce que moi j’ai toujours appelé à l’époque où
j’étais maire, le pouvoir de l’initiative. Le monde
municipal a le pouvoir de proposer des projets de
développement qui sont collés à nos réalités. Ce
que je souhaite, c’est que la stratégie maritime
au Québec prenne les couleurs des régions. À
Trois-Rivières, le développement maritime se fait
d’une manière, à Sept-Îles il se fait d’une autre
manière et à Rimouski, c’en est encore une autre.
Alors identifions les projets ou les infrastructures
que l’on détient présentement qui permettront au
Québec d’aller plus loin !
Rimouski, véritable lieu de convergence
de l’industrie, joue un rôle vis-à-vis des
communautés de la Côte-Nord. Est-ce que
Valleyfield, par exemple, peut nous amener
ailleurs dans la desserte de chacune des
communautés nordiques ? Ainsi, moi ce que
je souhaite au niveau municipal, c’est que
les municipalités soient davantage partenaires et collées à l’industrie, que ce soit
par des administrations portuaires ou une
présence au Forum maritime du Québec.
Elles ont des choses à dire !
Je regarde Rivière-du-Loup, ma ville, où
on me propose actuellement le projet d’un
Carrefour maritime, un lieu de convergence
et de concertation pour mieux développer
le fleuve, pour mieux développer Rivièredu-Loup à partir du fleuve. Pourquoi ne pas
multiplier cela à Matane, à New-Richmond
ou à d’autres communautés ?
Je pense que le rôle municipal est très
important. C’est pour cela que je parle du
pouvoir de l’initiative. Le rôle des municipalités sera de proposer et nous, de les
accompagner. Si le fédéral est appelé, on
ira négocier, ensemble, sur la même ligne
de front. Je me réjouis du fait que l’Union
des Municipalités du Québec soit là, que
non seulement elle tende la main, mais dise
aussi : « on est là et on veut aider ». La municipalité, c’est un partenaire, c’est un niveau
de gouvernement de proximité dont on se
doit de se prévaloir.
Quand on parle de stimuler le développement économique, pouvez-vous nous
donner des exemples plus concrets
dont bénéficieront directement les
municipalités ?
Notre gouvernement aborde le développement maritime sous l’angle de l’intermodalité et nous voulons mettre à contribution
la complémentarité des réseaux ferroviaire
et routier. À ce sujet, nous comptons établir
un pôle logistique en Montérégie dans les
secteurs de Vaudreuil-Soulanges et de
Contrecoeur. Le Québec a construit l’Autoroute 30, mais encore faut-il en bénéficier
économiquement ! Nous voulons donc
maximiser les retombées tout au long de
ce parcours dans Vaudreuil-Soulanges.
Contrecoeur quant à elle, très liée au développement du port de Montréal, se doit de
connaître un bon développement.
Cela passe aussi par la formation. L’École
des pêches et de l’aquaculture de GrandeRivière en Gaspésie, c’est un moteur
économique auquel on doit s’attarder pour
lui donner un nouveau souffle. L’Institut
maritime à Rimouski est non seulement bon
pour la ville, mais aussi pour tout le Québec.
On a une pénurie de main d’œuvre dans le
milieu maritime, il va bien falloir s’y attarder
et l’Institut maritime va jouer un rôle de premier plan. Il en va de même pour le réseau
universitaire.
Je pense que le bénéfice ultime, c’est
la création d’emplois. Je vous donne un
exemple. Un bateau de croisière se présente
aux Îles-de la-Madeleine. Une fromagerie et
une poissonnerie se trouvent près du port.
On y a acheté en un seul coup pour 5 000 $
de fromage et 8 000 $ de poisson !
Ce dont les municipalités ont besoin, c’est
d’activité économique. Parfois cela passe par
des parcs industriels mais dans d’autres cas
il y a des ports de mer qui accueillent des
croisières et des bateaux qui font du transport de marchandises. Le port de Québec,
pas seulement au niveau des croisières, est
en pleine effervescence. De mon bureau,
je vois arriver au quotidien des navires de
partout dans le monde qui viennent procéder
à des chargements de vrac.
Mais davantage d’activité économique
sur le Saint-Laurent implique davantage
de circulation maritime, et forcément
davantage de risques environnementaux.
Prévoit-on dans la stratégie des mesures
visant à mieux protéger l’environnement et
mieux outiller les municipalités dans un tel
mandat ?
S’il y a une société dans le monde qui est
bien équipée, c’est le Québec, sur différents
fronts et différents volets. Tout d’abord,
nos chantiers maritimes figurent parmi
les plus performants et honnêtement, ils
sont capables d’en recevoir davantage.
Aussi, Urgence-Environnement est une
escouade extraordinaire qui fait un travail
fabuleux. Ultimement, si un accident ou
un déversement de quelque matière que
ce soit arrivait, on exigerait de la part des
utilisateurs du fleuve qu’ils soient aussi
payeurs. Et n’oublions pas qu’une responsabilité fédérale existe dans de tels cas.
Nous sommes donc structurés à tous les
niveaux. Maintenant, pour donner un nouvel
élan, il faudra probablement qu’on s’ajuste
dans le temps. Mais nous sommes une des
sociétés dans le monde qui, sur le plan de
l’environnement, avons le mieux planifié
ce type d’intervention. S’il y a un niveau de
transport qui est à la fois respectueux de
l’environnement mais surtout sécuritaire,
c’est bien le secteur maritime.
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DOSSIER DU MOIS
MONTÉRÉGIE, PLAQUE TOURNANTE
DU TRANSPORT INTERMODAL
D’est en ouest, la Montérégie offre des opportunités logistiques incontournables en transport
maritime, ferroviaire et routier. Point d’entrée et de sortie tout désigné pour le transport de produits
destinés aux marchés nord-américain et d’outre-mer, la région constitue un lieu de choix pour faciliter
la manutention, l’assemblage, l’entreposage et l’expédition de marchandises. Avec l’ouverture des
marchés internationaux, il s’agit d’une opportunité en or pour les entrepreneurs et leaders locaux. Une
opportunité que les MRC de Marguerite-D’Youville et de Vaudreuil-Soulanges comptent bien saisir.
accès aux marchés ontarien et américain, en plus
d’être desservie par une voie ferrée appartenant
au CN. Finalement, l’aéroport de Saint-Hubert
est à proximité et peut être utilisé pour du fret
aérien. Il est estimé que quelque 150 hectares de
terrains sont disponibles dès maintenant pour des
activités de logistique de transport et qu’environ
130 hectares supplémentaires pourraient éventuellement être réservés pour de telles activités.
Selon Suzanne Dansereau, préfet de la MRC de
Marguerite-D’Youville et mairesse de Contrecœur,
ce projet est porteur, comme en témoignent l’établissement de nouvelles entreprises et l’injection
d’investissements majeurs dans la région. En effet,
Jean-Coutu a récemment établi ses opérations et
son siège social à Varennes, où Transport Robert
construira également de nouvelles installations.
Ajoutons la compagnie Logistec qui a grandement
investi en équipements lourds à Contrecœur.
« Notre MRC est située dans la principale région
manufacturière du Québec, ce qui facilite l’acceptabilité sociale d’un tel projet », fait remarquer
Madame Dansereau.
VAUDREUIL-SOULANGES, VÉRITABLE
PÔLE DE CRÉATION D’EMPLOIS
Depuis 2009, la MRC de Marguerite-D’Youville
planche sur l’établissement d’un pôle logistique à
Contrecœur, une municipalité idéalement située
sur les rives du fleuve Saint-Laurent. Le Port de
Montréal y possède 468 hectares de réserve foncière, soit 3 kilomètres de façade directement sur
le fleuve, et désire y établir de nouvelles installations de transit de conteneurs afin d’amorcer dès
2020 ses activités commerciales. Les entreprises
s’installant dans ce pôle logistique auront ainsi
un accès direct au transport maritime, facilitant
grandement le transport de marchandises en
direction et en provenance de l’Europe.
La stratégie maritime du gouvernement du Québec
inclut la redynamisation du cabotage entre les différents ports du Saint-Laurent. Le projet de la MRC
de Marguerite-D’Youville s’inscrit logiquement
dans cette démarche puisque ses infrastructures
routières, grâce aux autoroutes 30 et 132, donnent
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Le transport intermodal est très développé dans
la MRC de Vaudreuil-Soulanges, où on travaille
depuis une douzaine d’années sur un projet qui
cherche à créer plus de 10 000 emplois. « On
estime que 80 % des marchandises transitant au
Québec passent par notre territoire, par camion ou
par train », évalue Julien Turcotte, directeur général
du Centre local de développement de la MRC. Il
s’agit donc d’un endroit tout désigné pour établir
un pôle logistique de grande envergure !
Vaudreuil-Soulanges jouit d’un réseau routier
idéal avec un accès à l’Autoroute 20 et l’Autoroute
30 récemment terminée. Cette dernière permet
aux camions de contourner Montréal pour gagner
les États-Unis, l’Ontario et les autres régions du
Québec. De plus, les marchandises en provenance
de l’Asie destinées au marché québécois arrivent
par train après être entrées au Canada par la
Colombie-Britannique. Elles doivent donc transiter
LES ENTREPRISES
S’INSTALLANT
DANS CE PÔLE
LOGISTIQUE
AURONT UN
ACCÈS DIRECT
AU TRANSPORT
MARITIME,
FACILITANT
GRANDEMENT LE
TRANSPORT DE
MARCHANDISES
EN DIRECTION ET
EN PROVENANCE
DE L’EUROPE.
par Vaudreuil-Soulanges grâce aux chemins de
fer du CN et du CP, toutes deux en doubles voies
dans cette partie du territoire. Les infrastructures
routières et ferroviaires ne nécessiteront donc
pas de mise à niveau importante. Une connexion
pourra également être établie avec les nouvelles
infrastructures établies à Valleyfield grâce à
l’entreprise CSX, ce qui permettra de desservir
rapidement et aisément les États-Unis par train.
Le projet de Vaudreuil-Soulanges peut paraître
assez simple et ressembler à un grand parc
industriel avec ses 500 hectares disponibles
pour la construction d’entrepôts et de centres
de distribution et d’assemblage. Cependant,
Monsieur Turcotte précise que la MRC désire en
faire un pôle « intelligent » : utiliser les nouvelles
technologies dans le but de maximiser l’espace
disponible et être plus efficient dans la gestion
du flot de transport. « C’est une clientèle à haute
valeur ajoutée qu’on cherche à attirer : une qui
fera plus que de la simple manutention, mais
aussi de l’assemblage. Et nous visons également
les entreprises de grande distribution », conclut
Monsieur Turcotte.
Comité sur la stratégie
maritime de l’UMQ
Le mandat du comité sur la stratégie maritime de l’UMQ
est de se donner une voie commune pour établir les
priorités municipales et positionner les municipalités
comme des partenaires incontournables de cette stratégie. Le comité compte s’assurer que les municipalités
soient consultées dans l’élaboration et le déploiement de
la stratégie et contribuent ainsi à donner un réel élan au
potentiel maritime du Québec.
Un engagement sans faille depuis plus de 50 ans dans la représentation
et la défense des institutions municipales
Municipal Travail Immobilier
Montréal Trois-Rivières Joliette
NOVEMBRE 2014 // P 19
D
DOSSIER DU MOIS
RIMOUSKI, OU L’HISTOIRE D’UNE ÉCONOMIE TOUT DE BLEU
L’économie maritime a façonné l’identité du Bas-Saint-Laurent. La pêche, la construction navale et le transport
maritime de marchandise ont toujours fait partie intégrante de son développement. La municipalité de
Rimouski a poussé l’exercice plus loin en s’efforçant de devenir la référence maritime au Québec.
Le développement des infrastructures et de
l’économie maritimes dans la région de Rimouski
ne date pas d’hier. Que ce soit l’installation d’une
station météorologique et d’un maréomètre au
19ème siècle, ou la création de l’Institut maritime du
Québec en 1944, en passant par l’Institut MauriceLamontagne en 1987 et le plus récent Institut des
sciences de la mer (ISMER) en 1999 : « lorsqu’on
remonte l’histoire de Rimouski, on réalise que c’est
de l’eau salée qui nous coule dans les veines ! »,
lance d’emblée monsieur Éric Forest, maire de
Rimouski et président du Comité sur la stratégie
maritime de l’UMQ.
Il est donc naturel que tous les acteurs de
développement de la région aient désiré axer
le développement de l’économie régionale vers
l’économie maritime. Le sommet de 1982 sur le
développement du comté de Rimouski a véritablement permis d’affermir un créneau d’excellence
autour de la thématique maritime. Une volonté
qui s’est concrétisée au début des années 2000.
« Dans le cadre de notre stratégie de développement économique, on s’est donné une stratégie
additionnelle. À Rimouski, on s’est carrément positionné comme la technopole maritime du Québec
avec une forte concentration de chercheurs dans
le domaine des biotechnologies marines », affirme
Monsieur Forest.
UNE ÉCONOMIE BLEUE
TOURNÉE VERS LE MONDE
Il va sans dire que l’industrie maritime est bien
implantée à Rimouski. Mais il est important de noter
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que cette économie est avant tout une économie
du savoir orientée vers l’avenir. De nombreux organismes et instituts de recherche, de formation et
d’enseignement y sont regroupés, tous axés vers
l’innovation et le développement des connaissances maritimes. Selon monsieur Serge Demers,
directeur de l’ISMER de 1999 à 2014, « cette
grande concentration de connaissances procure
un rayonnement national et international, ce qui
amène naturellement les entreprises tournées
vers l’économie bleue à graviter autour et à éventuellement désirer s’installer à Rimouski. » Nous
entendons par économie bleue différentes activités en émergence dans les domaines logistique,
énergétique, alimentaire et même médical. Tous ces
secteurs présentent un fort potentiel d’innovation,
de croissance, d’emplois de grande qualité et sont
vus comme étant l’économie du futur.
Et les résultats ne se font pas attendre ! L’agence
argentine Comodoro Conocimiento a fait l’acquisition, au coût de plusieurs millions de dollars,
de bouées électroniques conçues à Rimouski et
servant à recueillir et traiter les données océanographiques et ainsi prévenir les déversements
pétroliers. Les opportunités d’affaires seront donc
certainement nombreuses. De plus, une quinzaine
de chercheurs de l’ISMER et de l’Institut MauriceLamontagne ont participé à une vaste étude sur la
santé de l’écosystème et de la géologie marine du
golfe de San Jorge en Argentine à bord du navire
océanographique Coriolis II, un navire interuniversitaire rimouskois dédié à l’enseignement et à la
recherche en milieu marin.
UNE MUNICIPALITÉ QUI SUPPORTE
ET ACCOMPAGNE
Le support de l’industrie par la municipalité est indispensable à son développement, ce que Rimouski
a fait de plusieurs manières. Avec le sommet de
1982 et l’accord du début des années 2000, la ville
a dû porter cette vision, ce que Monsieur Forest
continue à faire : « quand je fais des interventions
et que je parle de l’avenir de Rimouski, immanquablement je parle de notre pôle d’excellence. À partir
du moment où les élus adhèrent à ce consensus, on
a la responsabilité de faire embarquer la population
derrière cette vision. »
Le nerf de la guerre demeure toutefois financier, ce
que les élus de Rimouski ont su vite comprendre
en finançant notamment le Centre de recherche
sur les biotechnologies marines (CRBM), un centre
« LORSQU’ON REMONTE L’HISTOIRE DE RIMOUSKI, ON RÉALISE QUE
C’EST DE L’EAU SALÉE QUI NOUS COULE DANS LES VEINES ! »
- Éric Forest, maire de Rimouski
des mieux équipé au Canada, à coups de
plus de 400 000$ en subventions. « Mais
on est allé plus loin. On a créé un environnement fiscal qui incite les entreprises
à investir dans ce secteur. On a aussi mis
en place des conditions de zonage pour
inciter davantage d’investissements dans
ce secteur », poursuit le maire de Rimouski.
commerciales et de plaisance sillonnant les
Grands Lacs et le Saint-Laurent. Une entente de partenariat a d’ailleurs été conclue
entre l’OGSL et la municipalité de Sept-Îles
pour développer un projet de collecte de
données sur l’effet de l’air de la région sur
la qualité de l’eau du Saint-Laurent.
Bref, pour paraphraser Edith Piaf, il semblerait que Rimouski voit la vie en… bleu !
L’appui des élus envers cette industrie
constitue un atout de taille et un fort argument de vente, ce qui légitimise la démarche.
À preuve, selon Monsieur Demers, « l’appui
marqué de la municipalité s’est avéré crucial
dans l’obtention des contrats avec l’agence
Comodoro Conocimiento. C’est ce qui a fait
la différence et qui a permis de conclure
l’entente. »
Mondialement reconnue pour son savoir
maritime et son économie bleue, Rimouski
sera inévitablement appelée à partager son
expertise avec les autres régions du Québec
dans le cadre de la nouvelle stratégie
maritime. Plusieurs ententes de partenariats
ont d’ailleurs été conclues avec différentes
municipalités riveraines. Par exemple,
l’Observatoire Global du Saint-Laurent
(OGSL) a conçu un outil de consolidation de
données marines destiné aux embarcations
NOVEMBRE 2014 // P 21
D
DOSSIER DU MOIS
SEPT-ÎLES, PONT MARITIME
VERS LE PLAN NORD
Forte d’infrastructures portuaires avant-gardistes et d’un positionnement
géographique des plus optimal, la Ville de Sept-Îles émerge comme un acteur
clé de la stratégie maritime. Plan Nord oblige, la municipalité veut s’assurer
que ses diverses initiatives déjà entamées y soient bien imbriquées. Portrait
d’un véritable fleuron du potentiel économique maritime québécois.
Le Port en eau profonde de Sept-Îles, qui comprend pas moins de treize quais, est le plus important port minéralier du Canada. Ce n’est pas tout,
grâce à des investissements de 220 millions, la
ville est sur le point d’inaugurer le plus grand quai
multiusagers en Amérique du Nord !
Ce nouveau quai constitue un élément clé du Plan
Nord, puisqu’il permettra d’expédier par le Fleuve
différentes ressources naturelles extraites de
plusieurs projets miniers en Côte-Nord et dans
le Nord du Québec. Les plus grands vraquiers de
la planète, communément appelés « Chinamax »,
pourront dorénavant y accoster, améliorant ainsi,
grâce à une meilleure efficacité opérationnelle et
une plus grande capacité de chargement, la compétitivité des entreprises œuvrant dans la région
et la fosse du Labrador. Les coûts de transport
seront substantiellement diminués puisqu’il y aura
moins d’émissions de gaz à effet de serre et moins
de navires à mouiller dans la baie.
Qui dit multiusagers parle aussi d’un financement
qui ne provient pas d’une seule et même source. Le
maire de Sept-Îles, monsieur Réjean Porlier, croit
d’ailleurs qu’il ne revient pas qu’au gouvernement
de financer ces infrastructures : « depuis le tout
début, nous considérons que ce projet doit être
développé en partenariat avec tous ses présents
et futurs usagers. »
COMPLÉMENTARITÉ ET FLUIDITÉ
DU TRANSPORT
Sept-Îles parle depuis longtemps de cette Route
bleue qu’est le Fleuve Saint-Laurent. Mais ses
infrastructures portuaires ne suffisent pas à maximiser le développement économique qu’offre la
voie maritime. Le déploiement optimal d’un réseau
maritime implique une fluidité du transport des
marchandises aux différents quais, c’est pourquoi
les infrastructures complémentaires doivent être
au rendez-vous. Une complémentarité que le gouvernement semble vouloir préconiser, notamment
en favorisant le cabotage.
« C’est avec un grand soulagement que nous à
Sept-Îles, et probablement la majorité des municipalités de la Côte-Nord, prenons acte de cette
volonté du gouvernement de relancer le cabotage
sur le Saint-Laurent. Cela nous permettra entre
autres de désengorger la route 138, notre seule
voie routière ! », se réjouit Monsieur Porlier.
Toutefois, une problématique subsiste au niveau
du transport ferroviaire puisque l’intermodalité
n’est pas assez bien développée dans la région,
limitant de nombreuses opportunités de croissance. La stratégie maritime doit donc s’assurer
de bien adapter son approche selon les besoins en
NOVEMBRE 2014 // P 22
infrastructures et les forces déjà existantes dans
chaque région. « Pour notre municipalité, la réfection
du parc d’hivernage et l’accessibilité au quai multiusagers doivent être priorisées, leurs impacts sur
l’économie locale et surtout la création d’emplois
sont déterminants », milite le maire de Sept-îles.
TOURISME ET DÉVELOPPEMENT
DURABLE TEINTS DE BLEU
Le positionnement de la Baie de Sept-Îles confère
à la municipalité un statut tout désigné pour
l’activité industrielle, nous l’avons bien constaté,
mais également touristique. Ceci est vrai pour les
bateaux de plaisance qui peuvent venir s’y abriter
lors de tempêtes, mais aussi pour les bateaux de
croisière dont le gouvernement semble vouloir
amplifier la présence dans le Saint-Laurent.
« Nous l’encourageons à continuer à développer ce
créneau et d’inclure Sept-Îles parmi les arrêts de
choix le long du Fleuve », poursuit Réjean Porlier.
Au niveau environnemental, en plus de devoir assurer des mesures de sécurité de base associées
au transport pétrolier sur le Fleuve, une attention
toute particulière doit être investie pour protéger
les berges et cours d’eau qui alimentent le SaintLaurent. Quand on parle d’augmenter le potentiel
économique d’un écosystème fragile et complexe
comme le Saint-Laurent, l’aspect de développement durable ressort forcément. « À Sept-Îles
comme ailleurs, de nombreuses problématiques
environnementales continuent à émerger, notamment le phénomène d’érosion des berges. Nous
comptons sur la vigilance du gouvernement pour
que sa stratégie maritime augmente le potentiel
économique du Saint-Laurent, oui, mais toujours
dans une perspective de viabilité durable », conclut
Monsieur Porlier.
Transport de pétrole sur le fleuve Saint-Laurent
En septembre dernier, les riverains du Fleuve Saint-Laurent
ont vu passer l’un des plus gros pétroliers à avoir navigué
sur cette voie maritime. La compagnie Kildair, située à SorelTracy, a modifié ses installations afin de pouvoir recevoir
davantage de pétrole de la compagnie Suncor. Ce pétrole,
qui provient des sables bitumineux de l’Ouest canadien, est
ensuite exporté par bateau.
La présence de ce super pétrolier a suscité de nombreuses
craintes parmi la population et soulevé des questions importantes sur notre état de préparation en cas de déversement
dans le fleuve, qui rappelons-le, est la source d’eau potable
de trois millions de Québécois.
Selon les règles du gouvernement fédéral actuelles, les
compagnies pétrolières ont la responsabilité de signaler et
d’intervenir en cas de déversement. Au Québec, ces compagnies ont confié ce mandat à la Société d’intervention
maritime de l’Est du Canada (SIMEC) qui doit, dans un délai
« LA RÉFECTION
DU PARC
D’HIVERNAGE ET
L’ACCESSIBILITÉ
AU QUAI
MULTIUSAGERS
DOIVENT ÊTRE
PRIORISÉES,
LEURS IMPACTS
SUR L’ÉCONOMIE
LOCALE ET
SURTOUT LA
CRÉATION
D’EMPLOIS SONT
DÉTERMINANTS »
– Réjean Porlier, maire
de Sept-Îles
de 72 heures, avoir la capacité de faire face à un déversement
de 10 000 tonnes d’hydrocarbures. Or, les plus gros pétroliers
peuvent stocker à leur bord plus de 150 000 tonnes.
Les municipalités riveraines n’ont pas les équipements
nécessaires pour agir en cas de déversement ni de plan
d’urgence coordonné avec les autres intervenants, dont le
gouvernement du Québec.
Questionné à ce sujet le 1er octobre dernier, le premier
ministre Couillard a admis qu’un problème de sécurité existait et que la stratégie maritime du Québec devra répondre
à cet enjeu majeur pour la sécurité des populations riveraines
et de l’environnement.
À SURVEILLER
L’UMQ organise un Forum municipal sur la sécurité du
transport maritime en janvier 2015 à Lévis.
NOVEMBRE 2014 // P 23
D
DOSSIER DU MOIS
LES QUAIS, CŒURS FRAGILES DES COMMUNAUTÉS CÔTIÈRES
On y va souvent pour pêcher, on y va beaucoup pour discuter. À Percé, il accueille 400 000 personnes chaque
année. Lieux centraux de la vie communautaire et infrastructures patrimoniales essentielles au développement
touristique et économique local, les quais au Québec sont en très mauvais état. En attendant le déploiement
de la stratégie maritime et le dévoilement du nouveau programme fédéral de rétrocession des quais, prévu
pour l’hiver 2015, les maires et leurs communautés se mobilisent pour sauver leurs quais du délabrement.
À Carleton-sur-Mer, ce concept de réaménagement est porté par l’ensemble des acteurs locaux.
Par Clément le Quintrec, chargé de projets aux politiques
Pour Denis Henry, le maire de Carleton-sur-Mer,
« les quais sont l’âme de nos communautés », où
se retrouvent résidents et touristes, jeunes et plus
âgés, pour la vue ou pour la pêche. Ces infrastructures cruciales sont pourtant nombreuses à arriver
à leur fin de vie utile et les efforts de rénovation
se font attendre. Faute de rénovations et soumis
à une érosion de plus en plus importante, certains
quais sont clôturés par mesure de sécurité.
Les quais les plus importants sont la propriété
de Transports Canada alors que les plus petits
appartiennent à Pêches et Océans Canada. Depuis
1996, Transports Canada a fermé ou transféré la
propriété de 549 de ses quais. De ce chiffre, 24
sont encore de possession fédérale et 15 se situent au Québec. Or, les municipalités ne sont pas
prêtes à se faire céder des quais qui nécessitent
des rénovations qu’elles ne peuvent assumer à
elles seules, d’autant plus que ces infrastructures
rayonnent bien au-delà de leur territoire !
Pendant ce temps, bien des téméraires franchissent les clôtures dressées par le gouvernement fédéral pour continuer à pêcher et le
problème reste entier. La sécurité des personnes
n’est pas assurée et l’avenir des communautés
côtières demeure en suspens, à défaut d’une
stratégie régionale de développement et de
financement des réfections.
DES QUAIS À VOCATIONS MULTIPLIÉES
Les difficultés de l’industrie forestière de ces
dernières années ont largement réduit la fonction
industrielle des quais, d’où était chargé le bois
récolté dans l’arrière-pays. À Carleton-sur-Mer, la
mariculture souffre aussi de l’incertitude autour de
la réfection, malgré un potentiel de développement
reconnu de tous.
Le quai de Carleton-sur-Mer symbolise l’importance des quais pour le développement local, mais
aussi la complexité d’intervenir sur ces infrastructures. On ne compte pas moins de six parties
prenantes dans ce dossier ! Aux institutions
fédérales s’ajoutent la Société des traversiers du
Projet de réaménagement du quai de Carleton-sur-Mer
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Québec, le ministère de Transports du Québec, le
Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation et le ministère des Affaires municipales
et de l’Occupation du territoire. Avec la ville, les
pêcheurs, les mariculteurs et les plaisanciers, tous
ces acteurs se sont concertés pendant deux ans
pour proposer un réaménagement.
Pêches et Océans Canada ainsi que Transports
Canada réduisent d’autant plus leurs investissements lorsque les quais prennent une dimension
plus récréotouristiques, dimension qui ne correspond pas à leurs champs de compétence. Ceci
complique donc le financement des projets de
réfection, qu’ils soient de 12 millions $ à Percé
ou entre 15 et 20 millions $ à Carleton-sur-Mer,
puisque ceux-ci misent sur des vocations industrielles comme la pêche, mais également sur le
nautisme et le tourisme social qui dépassent les
paramètres établis par les ministères fédéraux.
DES EFFORTS BIENTÔT RÉCOMPENSÉS ?
Aujourd’hui, la mobilisation des communautés
côtières commence à porter ses fruits et le
déploiement de la stratégie maritime devrait être
la bougie d’allumage pour de nombreux projets à
travers le Québec.
Près de 50 ans après la création du bureau de
l’aménagement de l’est du Québec, la mobilisation
de la population et des élus des communautés
côtières pour sauver leurs quais incarne une nouvelle façon de faire de la planification régionale. La
réfection du quai de Carleton-sur-Mer, signifiant
l’abandon de sa fonction industrielle, permettra au
AUJOURD’HUI, LA MOBILISATION DES
COMMUNAUTÉS CÔTIÈRES COMMENCE À
PORTER SES FRUITS ET LE DÉPLOIEMENT DE
LA STRATÉGIE MARITIME DEVRAIT ÊTRE LA
BOUGIE D’ALLUMAGE POUR DE NOMBREUX
PROJETS À TRAVERS LE QUÉBEC.
quai de Chandler d’accueillir les navires accostant
auparavant à Carleton-sur-Mer. Les différents projets de réfection reflètent une véritable volonté de
concertation des élus locaux.
Pour s’assurer que les élus municipaux puissent
faire entendre leur voix, l’UMQ a formé le
12 septembre dernier un comité sur la stratégie
maritime pour défendre et positionner les municipalités comme partenaires incontournables du
gouvernement.
Longtemps délaissés par les paliers provincial
et fédéral, les élus municipaux s’approprient plus
que jamais l’enjeu des quais. On y voit une illustration phare de l’importance d’un leadership local
concerté pour des communautés côtières fortes
et déterminées !
Pour plus d’information sur les quais du Québec et leur
sauvetage, le documentaire Quais-Blues, réalisé par
Richard Lavoie en 2012, relate l’importance des quais
pour les communautés côtières et les initiatives de ces
citoyens pour les sauvegarder : www.quais-blues.ca
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