
Checkpoint curry, ou la dégénérescence non programmée
" Il paraissait complètement superciel et hasardeux de prendre un modèle, de dire qu'il est parfait, et de reconstruire 
la ville sur cette base en ignorant la Seconde Guerre Mondiale, la Guerre Froide et tout le reste" Rem Koolhaas, 
Conversations with students, 1996.
La destruction de l’œuvre doit-
elle être prise en compte lors de 
la conception ? En 1971, Rem 
Koolhaas, encore étudiant, rédige 
une étude durant un semestre d’été 
qu’il appelle « The Berlin Wall as 
architecture ». Ce travail sera pour 
lui le déclencheur d’une série de 
réexions urbaines comme « Die 
Stadt in der Stadt », « La stratégie 
du vide » et « Exodus ». Le jeune 
Néerlandais renverse les valeurs 
dramatiques et morbides du mur de 
Berlin pour les transposer de manière 
positive à Londres. Koolhaas com-
pare le mur à un scénario qui trans-
gure l’échelle urbaine. “Le mur se 
confronte à toutes les conditions 
de Berlin, incluant les lacs, les forêts, 
la périphérie; les parties d’une aire 
intensément métropolitaine ou 
suburbaine.”
En 1987, “The Oce for Metropolitan 
Architecture (OMA)”, dirigé par 
Rem Koolhaas et Elia Zenghelis 
est invité par l’IBA (Internationale 
Bauausstellung Berlin) à remettre 
une proposition pour un immeuble 
d’appartements réservé aux ociels 
des douanes et des forces alliées. 
Le bâtiment est situé en face du 
Musée Checkpoint Charlie de Peter 
Eisenman, un autre projet IBA. 
La structure proposée et nalement 
retenue dénit la partie est du bloc, 
située sur Friedrichstrasse, dans une 
conception qui revisite l’agencement 
historique du plan urbain au sein d’un 
ensemble en proposant une mixité 
des usages, logements et travail.
Les objectifs du projet ont été formu-
lés par l'IBA lors du concours,  incluant 
la restauration de l'espace vers la rue, 
et en particulier la dénition urbaine 
du rez-de-chaussée. Au nal, le bâti-
ment se compose de 7 étages et 
comprend 31 appartements. Il est 
repérable par son auvent de toiture 
troué et sa façade partiellement en 
mur rideau. Le rez-de-chaussée inclut 
un poste d'inspection frontalier conçu 
sur deux niveaux. 
Quelques mois après son inaugura-
tion, tout ce dispositif de contrôle 
perd sa raison d’être, pour se trans-
former peu à peu en attraction 
touristique de la ville réuniée. Le 
rez-de-chaussée ludique et expan-
sif de l’OMA est peu à peu détruit et 
transformé, et l’on n’y retrouve bien-
tôt plus qu’ un fatras de chaines de 
restauration rapide qui ne conserve 
plus aucun lien avec la composition 
originale. D’ailleurs en 1995, lors de 
la rédaction de S,M,L,XL, l’architecte 
décide de retirer le bâtiment de sa 
liste de projet. 
Temps et destruction
L'identité de l'œuvre architecturale 
tient largement à ce qu'elle est pré-
sumée respecter dèlement le plan 
qui la dénit. Pourtant, si « l’architec-
ture est mobile » ( Auguste Perret), sa 
mise en forme renvoie, par nature, à 
la question très pratique de la des-
truction. La destruction est un pro-
cessus lent qui se développe dans le 
temps, et l’obsession de la destruc-
tion reste étonnamment prégnante 
dans l’imaginaire des architectes et 
des critiques contemporains. Car 
souvent un bâtiment, comme à 
peu près toutes les réalités sociales, 
échappe peu à peu à son concep-
teur : sa physionomie dépend lar-
gement des multiples interventions 
qui, tout au long de son histoire, 
émanent de diérents acteurs de la 
société. Restauré, rénové, recyclé, il 
cesse petit à petit d'être lui-même.
75% du bâti a été construit au XXe 
siècle. Les constats d’obsolescence 
prématurée de l’architecture pro-
duite après 1945 s’amplient et sont 
aujourd’hui identiés comme un 
problème urbain de premier ordre. 
« Revampée » ou même totalement 
reconstruite après quelques décen-
nies, l'architecture devient provisoire, 
temporaire. Cette compression du 
temps de l'évolution est consentie. 
La précarité temporelle « structure 
» même l'architecture, en y incluant 
une potentialité de recréation, d’ac-
tualisation et d’expansion.
Les inadéquations croissantes entre 
vitesse d’évolution de nos cultures 
et vitesse d’évolution de nos espaces 
de vie creusent la tendance à l’ob-
solescence des espaces urbains, à 
tel point que les phénomènes d’ob-
solescence architecturale consti-
tuent aujourd’hui une des causes 
essentielles du renouvellement 
urbain.  Les insertions d’éléments 
d’architecture contemporaine sur 
des bâtiments anciens contribuent 
au développement de la ville et 
font désormais partie de la praxis 
actuelle. Le bâti (pré)existant devient 
un projet dynamique, constituant 
un genre architectural particulier.
L'obsolescence est fondamentale-
ment l'expression renouvelée d'une 
critique du présent, un frottement 
contre les conservatismes, et ne 
doit pas être un argument supplé-
mentaire pour promoteur. Le rôle 
de l’architecte doit plus que jamais 
être transversal : sociétal, technolo-
gique et intégratif. Les contraintes 
liées au vieillissement de la ville, à 
son inadaptation aux exigences et 
préoccupations actuelles envers la 
nécessité de frugalité de nos modes 
de vie pourraient devenir des atouts 
pour inventer une ville transformée, 
recyclée, repensée pour l'avenir. 
Nicolas Houyoux  ✖