Voyages, échanges académiques, stages à l’étranger : l’ouverture internationale fait-elle de l’étudiant un futur manager plus éthique ?
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place dans les conseils d’administration que dans la vie quotidienne des managers. Le champ
limité de cette éthique, et les dérives qui lui sont connues, nous amènent à reformuler les idéaux
portés par les modèles européens. « Le rêve européen fait passer les relations communautaires
avant l’autonomie individuelle, la diversité culturelle avant l’assimilation, la qualité de vie avant
l’accumulation de richesses, le développement durable avant la croissance matérielle illimitée »
(Rifkin, 2005). Comprendre l’éthique nord-américaine nous rappelle l’importance des idéaux
européens et la nécessité de les faire vivre.
Dans les pays en développement, les enjeux sont tout autres. Au Brésil comme en Chine le
concept de RSE, si présent en Europe, est loin d’être prioritaire. Pour l’ancienne génération
comme pour la nouvelle, au niveau individuel et collectif, les voix sont unanimes : il faut d’abord
croître, quel qu’en soit le prix à payer. En revanche, les deux pays ont de par leur culture et leur
histoire toujours donné la priorité aux hommes et aux relations humaines dans l’entreprise. Ils nous
apportent ainsi une vision plus « humanisée » de l’entreprise, remettant en cause notre perception
rationnelle de celle-ci. L’éthique des affaires en Chine est basée sur les vertus individuelles
prônées par Confucius, dont les enseignements ont régulé le commerce comme la vie de famille
depuis maintenant plus de 2500 ans. L’homme d’affaires se doit de respecter les cinq vertus
cardinales que sont la bienveillance, la justice, la bienséance, la sagesse et la sincérité. De plus,
comme il est précisé dans A Confucian approach of well-being and social development,
l’entreprise est considérée comme un tout, et la notion de réciprocité est cruciale pour y atteindre
l’harmonie (Zhao & Roper, 2011). Concrètement, cela se traduit par une place centrale accordée
aux relations personnelles, le « Guanxi ». Les affaires, avant d’être des transactions, sont une
histoire entre deux personnes. On prendra soin par exemple de ne jamais faire perdre la face à
son interlocuteur, quel qu’il soit. Ces relations ritualisées sont précisément décrites dans Social
Connection in China (Gold, Guthrie, & Wank, 2002). Aujourd’hui, les leaders chinois sont
encouragés à mettre en place un système de « management personnalisé » qui emprunte à
Confucius l’idée qu’un bon leader doit être capable d’inspirer ses subordonnés, mais aussi de
prendre soin d’eux. Les relations humaines ont également une place de premier rang dans
l’éthique brésilienne, bien qu’elles soient moins formalisées. Le peuple brésilien est connu pour sa
constante jovialité et sa chaleur égale dans les milieux professionnel et personnel. Il se distingue
également par ses difficultés à séparer le public du privé, en particulier avec l’utilisation courante
du « jeitinho », ce « geste d’amitié » qui permet à celui qui en bénéficie de passer outre la loi. Il
suffit pour le demander de savoir user d’humilité et de sympathie (Borges, 2006). La littérature
brésilienne nous offre de nombreux exemples de ce genre de pratiques. Dans Raízes do Brasil
(1936) Sérgio Buarque, un commercial hollandais assure qu’il est impossible de faire des affaires
avec un Brésilien sans se lier d'amitié avec lui au préalable. Aujourd’hui encore, que ce soit face à
des collaborateurs ou à une autorité publique, le brésilien n’a aucun mal à utiliser des termes
émotionnels (Damatta, 1986). Il cherche sans cesse à trouver quelque chose de commun avec
son interlocuteur, et, sachant que celui-ci est brésilien, il a souvent beaucoup de chance de le
toucher par son discours, et d’obtenir ce dont il a besoin. En entreprise les collaborateurs se
traitent tous avec une bienveillance polie, la femme de ménage faisant autant partie de l’équipe
que les cadres supérieurs. L’éthique brésilienne, c’est avant tout de la cordialité en toute situation.
On peut dénoncer le côté paternaliste de l’éthique chinoise et le favoritisme lié à l’utilisation des
privilèges dans le milieu professionnel au Brésil. Cependant, on ne peut nier que ces visions de
l’entreprise, plaçant les relations humaines au cœur du système, sont autrement plus
« humanisantes » que la nôtre.
Appréhender une éthique autre que la sienne n’est pas aisé. La tâche est d’autant plus difficile que
la plupart des codes éthiques sont des règles implicites d’une grande subtilité. Dans notre cas,